Un peu de lexicologie pour s’aérer la tête
Cette nuit, j’évoquais la tribune
de l’académicien Jean-Marie Rouart dans Le Figaro se lamentant, après
tant d’autres, sur la contamination du franglais. Ce après, hier, avoir
présenté Le Livre des mots inexistants. Et poursuivant sur cette lancée…
C’est un marronnier : presque
toute nouvelle édition d’un dictionnaire est précédée d’une série d’articles de
presse annonçant les nouvelles entrées.
Souvent des néologismes, comme ceux de l’ouvrage de Stefano Massini (Le Livre des mots inexistants), des mots étrangers ou des créations argotiques ou jargonnantes.
Souvent des néologismes, comme ceux de l’ouvrage de Stefano Massini (Le Livre des mots inexistants), des mots étrangers ou des créations argotiques ou jargonnantes.
Hélas, les sortantes sont rarement
signalées. Ces entrées antérieures, éliminées, resurgissent parfois
ultérieurement sous une forme dérivée, moins souvent identiques (pensez,
exemple imaginaire, à l’appellation d’un plat médiéval remise au goût du jour
par un chef contemporain renommé).
Eh oui, si on fait du neuf avec du
vieux, il faut surtout élaguer pour faire place aux mots nouveaux.
Je ne sais plus quel éditeur de
dictionnaire(s) avait fait appel au public pour lui signaler des mots repérés
ou inventés susceptibles de devenir des « candidats » (nouveau mot
susceptible de se transformer en entrée). Merci, si cela vous évoque quelque
chose, de me le signaler.
On peut faire mieux, on fera
mieux, avec les mégadonnées. Soit le traitement de millions de numérisations, d’enregistrements.
Au départ d’articles de presse, d’émissions de radio ou télévision, peut-être
aussi par après transmis par Le Grand Frère (Big Brother) ou les écoutes téléphoniques. Une vraie binge-watch
lexicologique (expression entrée dans le Collins en 2015). C’est déjà en
cours mais la maison Collins a pour l’instant recours à Corpus. Soit un moteur
de recherches scrutant les sites et les réseaux sociaux pour déterminer des
candidats.
C’est ainsi que furent repérés les
expressions récurrentes du veganspeech : vegangelist, veganaise (ersatz
de mayonnaise egg-free), seitan (qui serait à la viande ce que Canada Dry, au « vrai »
gingembre — de synthèse —, est à l’alcool).
Cette fois, Collins a décidé que climate
strike était « l’expression de l’année ». Pendant la grève, ne
vous contentez pas de replanter, passez au réensauvagement (rewilding),
qui va plus loin que l’écoforesterie (Le Robert 2019) à la sauvage (sauvageonnage ?).
Les rétifs au hopepunk, comme Catherine Bertrand (auteure de l’album de
coloriage L’Anti Mandala, déjà
évoqué ici), s’en forment une autre idée. Serait-elle non-bopo, Catherine
Bertrand ? Soit opposée à la “body positivity” ? Que prône le
dernier Siné Madame ? Voyez « SinéMadame en panne de libido ».
Et le Brexit dans tout cela ?
Eh bien, de B à R, c’est la petite
douzaine de mots du Brexiton (Brexit+lexicon). Soit Brexiteer, brexiety,
flextension, Remoaner (sub. masc. formé sur remain et râleur ou lamenteur ; ou gronsoneur ; de gronsoner ou gronsonéir, groucer, groucher) — tel le crocodile pleureur).
Beaucoup plus intéressant, le
verbe to milkshake. En « bon » français, entarter (voire godiner).
Soit chausser au moine ou frapper au lait ? En fait, balancer un smoothie
à la Noël Godin. Ou encore le cakeism (fait de se faire Hans im
Schnokeloch ou de vouloir beurre et argent du beurre, to have your cake and
eat it, les meilleurs de deux mondes incompatibles, c’est selon) Le stockpiling
consiste à faire des stocks (en prévision du Brexit, de l’arrivée ou du retour
de Jeremy Corbyn ou de Boris Johnson au pouvoir, c’est selon). La, le Brexend,
trop incertain(e) n’est pas du nombre…
Si vous écoutez Europe 1 et le « monde
changer » vous aurez peut-être aussi reconnu sur des affiches un(e) non-binary.
Soit a she ou an he usant de they pour se, s’indéfinir ? Se dégendrer ?
Un(e) influencer est aussi
recensé(e). Non point un inducteur, mais un influenceur. Surprenant… Que ce
terme apparaisse si tard… Tout comme entryist (entriste). Notez les
dérivés d’influencer : kidfluencer, grandluencer, petfluencer…
Je suis, ou plutôt mon coton de Tuléar, un éminent petfluencer (quand
cet enfant paraît, le cercle de famille cynophile s’élargit, voyez-le là :
« le
labradoodle ou le toutou-faux »).
Très, que voilà donc un excellent
inducteur (psycho-digressif. Car le verbe chienetchater (to cat-and-mouse ;
et a cat-and-mouse situation) a fait précédemment son apparition, avec des définitions
différentes dans le Collins, le Cambridge Lexicon, le Merrian-Webster
et l’Oxford Learner’s (et d’autres). Pas si digressif, en fait car, que
fait la lexicologie à l’usage des dictionnaires avec la langue de la halle (aux
draps, pour se coucher en chapon, voyez Duneton) tel un du Bellay défenseur,
illustrateur et enrichisseur-épurateur de la langue écrite ? C’est jouer au chat
avec des souris qui surgissent ou s’enfuient…
Notez aussi qu’un(e) sosage n’est
pas si wise (sage, avisé) que cela mais comestible (comme la, le tofurkey, à base de
tofu, un dry nord-américain de dinde, voir supra Canada).
Nul deepfake dans ce qui
précède.
Ne pas confondre « frappe
climatique » et « grève climatique ». Climate strike est
ainsi traduit (frappe) de l’ukrainien par Google (intéressant article d’Espresso
TV 24 sur ces mots sélectionnés par Harper Collins Publisher).
Enfin notez que si to double up
existait (se plier en deux, de rire, de peine ; partager une chambre ;
faire la culbute soit revendre au double, selon le contexte), double down,
qui a parfois la même signification (doubler sa mise, voire mettre les bouchées
doubles), revêt une nouvelle acception : celle de s’enferrer ou de
persister en affrontant l’adversité.
Des mots nouveaux, il en gouttine (ex-belgicisme entré
au Larousse) parfois dru (oxymore). Trop hélas s’assèchent, se momifient,
s’enfouissent. Consultez Les Mots disparus de Pierre Larousse (coll.,
2017, Larousse éd.). Ou Les Disparus du Littré (Héloïse Neefs, 2008,
Fayard). Mais, certains d’entre-eux, peut-être ressusciteront après un détour
par… l’anglais, ou quelque idiome… velche.
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