jeudi 7 novembre 2019

Brexit : le Brexend n’est pas entré dans le Brexicon

Un peu de lexicologie pour s’aérer la tête

Cette nuit, j’évoquais la tribune de l’académicien Jean-Marie Rouart dans Le Figaro se lamentant, après tant d’autres, sur la contamination du franglais. Ce après, hier, avoir présenté Le Livre des mots inexistants. Et poursuivant sur cette lancée…
C’est un marronnier : presque toute nouvelle édition d’un dictionnaire est précédée d’une série d’articles de presse annonçant les nouvelles entrées.
Souvent des néologismes, comme ceux de l’ouvrage de Stefano Massini (Le Livre des mots inexistants), des mots étrangers ou des créations argotiques ou jargonnantes.
Hélas, les sortantes sont rarement signalées. Ces entrées antérieures, éliminées, resurgissent parfois ultérieurement sous une forme dérivée, moins souvent identiques (pensez, exemple imaginaire, à l’appellation d’un plat médiéval remise au goût du jour par un chef contemporain renommé).
Eh oui, si on fait du neuf avec du vieux, il faut surtout élaguer pour faire place aux mots nouveaux.
Je ne sais plus quel éditeur de dictionnaire(s) avait fait appel au public pour lui signaler des mots repérés ou inventés susceptibles de devenir des « candidats » (nouveau mot susceptible de se transformer en entrée). Merci, si cela vous évoque quelque chose, de me le signaler.
On peut faire mieux, on fera mieux, avec les mégadonnées. Soit le traitement de millions de numérisations, d’enregistrements. Au départ d’articles de presse, d’émissions de radio ou télévision, peut-être aussi par après transmis par Le Grand Frère (Big Brother) ou les écoutes téléphoniques. Une vraie binge-watch lexicologique (expression entrée dans le Collins en 2015). C’est déjà en cours mais la maison Collins a pour l’instant recours à Corpus. Soit un moteur de recherches scrutant les sites et les réseaux sociaux pour déterminer des candidats.
C’est ainsi que furent repérés les expressions récurrentes du veganspeech : vegangelist, veganaise (ersatz de mayonnaise egg-free), seitan (qui serait à la viande ce que Canada Dry, au « vrai » gingembre — de synthèse —, est à l’alcool).
Cette fois, Collins a décidé que climate strike était « l’expression de l’année ». Pendant la grève, ne vous contentez pas de replanter, passez au réensauvagement (rewilding), qui va plus loin que l’écoforesterie (Le Robert 2019) à la sauvage (sauvageonnage ?). Les rétifs au hopepunk, comme Catherine Bertrand (auteure de l’album de coloriage L’Anti Mandala, déjà évoqué ici), s’en forment une autre idée. Serait-elle non-bopo, Catherine Bertrand ? Soit opposée à la “body positivity” ? Que prône le dernier Siné Madame ? Voyez « SinéMadame en panne de libido ».
Et le Brexit dans tout cela ?
Eh bien, de B à R, c’est la petite douzaine de mots du Brexiton (Brexit+lexicon). Soit Brexiteer, brexiety, flextension, Remoaner (sub. masc. formé sur remain et râleur ou lamenteur ; ou gronsoneur ; de gronsoner ou gronsonéir,   groucer, groucher)  — tel le crocodile pleureur).
Beaucoup plus intéressant, le verbe to milkshake. En « bon » français, entarter (voire godiner). Soit chausser au moine ou frapper au lait ? En fait, balancer un smoothie à la Noël Godin. Ou encore le cakeism (fait de se faire Hans im Schnokeloch ou de vouloir beurre et argent du beurre, to have your cake and eat it, les meilleurs de deux mondes incompatibles, c’est selon) Le stockpiling consiste à faire des stocks (en prévision du Brexit, de l’arrivée ou du retour de Jeremy Corbyn ou de Boris Johnson au pouvoir, c’est selon). La, le Brexend, trop incertain(e) n’est pas du nombre…
Si vous écoutez Europe 1 et le « monde changer » vous aurez peut-être aussi reconnu sur des affiches un(e) non-binary. Soit a she ou an he usant de they pour se, s’indéfinir ? Se dégendrer ?
Un(e) influencer est aussi recensé(e). Non point un inducteur, mais un influenceur. Surprenant… Que ce terme apparaisse si tard… Tout comme entryist (entriste). Notez les dérivés d’influencer : kidfluencer, grandluencer, petfluencer… Je suis, ou plutôt mon coton de Tuléar, un éminent petfluencer (quand cet enfant paraît, le cercle de famille cynophile s’élargit, voyez-le là : « le labradoodle ou le toutou-faux »).
Très, que voilà donc un excellent inducteur (psycho-digressif. Car le verbe chienetchater (to cat-and-mouse ; et a cat-and-mouse situation) a fait précédemment son apparition, avec des définitions différentes dans le Collins, le Cambridge Lexicon, le Merrian-Webster et l’Oxford Learner’s (et d’autres). Pas si digressif, en fait car, que fait la lexicologie à l’usage des dictionnaires avec la langue de la halle (aux draps, pour se coucher en chapon, voyez Duneton) tel un du Bellay défenseur, illustrateur et enrichisseur-épurateur de la langue écrite ? C’est jouer au chat avec des souris qui surgissent ou s’enfuient…
Notez aussi qu’un(e) sosage n’est pas si wise (sage, avisé) que cela mais comestible (comme la, le tofurkey, à base de tofu, un dry nord-américain de dinde, voir supra Canada).
Nul deepfake dans ce qui précède.
Ne pas confondre « frappe climatique » et « grève climatique ». Climate strike est ainsi traduit (frappe) de l’ukrainien par Google (intéressant article d’Espresso TV 24 sur ces mots sélectionnés par Harper Collins Publisher).
Enfin notez que si to double up existait (se plier en deux, de rire, de peine ; partager une chambre ; faire la culbute soit revendre au double, selon le contexte), double down, qui a parfois la même signification (doubler sa mise, voire mettre les bouchées doubles), revêt une nouvelle acception : celle de s’enferrer ou de persister en affrontant l’adversité.
Des mots nouveaux, il en gouttine (ex-belgicisme entré au Larousse) parfois dru (oxymore). Trop hélas s’assèchent, se momifient, s’enfouissent. Consultez Les Mots disparus de Pierre Larousse (coll., 2017, Larousse éd.). Ou Les Disparus du Littré (Héloïse Neefs, 2008, Fayard). Mais, certains d’entre-eux, peut-être ressusciteront après un détour par… l’anglais, ou quelque idiome… velche.

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