samedi 23 novembre 2019

Pour une autre garde nationale parisienne (et autres)


Vous avez dit « police de proximité » ? Comme c’est bizarre

Or donc, il n’y aura pas de véritable police municipale à Paris avant… Déjà, je croyais qu’il en existait une, et de deux, ce qu’il conviendrait, c’est une (autre) garde nationale… municipale.
L’Assemblée nationale vient de retoquer la proposition de former une police municipale parisienne, Anne Hidalgo s’offusque, &c. Voyez la presse…
Déjà, j’avais cru comprendre qu’une police municipale, en tenue ou en civil, infligeait des amendes à qui ne ramasse pas les crottes de son, ses chiens, ou jette ses mégots sur la voie publique…
Je ne sais quel type de policiers a infligé deux amendes à un bistrotier dont les ardoises de menus (ou de cocktails, j’ai oublié) dépassaient d’un poil ou deux les limites de son emprise sur la voie publique (il règle je ne sais quoi pour une terrasse). Ni celui de ceux qui, constatant qu’un autre allait fermer, évacuer les dernières et derniers attardés célébrant le beaujolais nouveau, ont fait preuve d’indulgence… Relevant de la préfecture de police ou de l’hôtel de ville ?
Mais pourquoi pas, pour Paris, et quelques autres agglomérations, une garde nationale ? Superflue puisque, de mémoire, il me semble que tout citoyen peut se porter supplétif de la police nationale (citoyen réserviste ; comme Alexandre Benalla gendarme réserviste).
Voui. Mais affecté quand et à quoi au juste ?
La véritable police de proximité serait, à mon sens, constituée de membres d’une garde autrefois dite « nationale », de fait, communale.
Une milice ? Oui, ce serait un risque. Mais il ne s’agirait pas de recruter des gens adulant les uniformes (je ne sais quoi de voyant, genre gilet fluorescent, suffirait), ni d’en laisser l’encadrement à des supérieurs élus ou plébiscités. Des policiers ou gendarmes pourraient former et accompagner ces gardes, armé·e·s de dispositifs de défense non seulement non létaux, mais ne pouvant occasionner des blessures, et non chaussés de brodequins à semelles cloutées (blessant des contrevenants).
Bien sûr, il se produirait des « bavures » (aux deux sens, laxisme ou sévérité exagérée, volontaires ou involontaires). Bien sûr, ce serait un corps répressif. Mais pas seulement : le temps d’intervention d’un service policier ou de secours est fonction de multiples facteurs. Résider au plus proche d’une personne à secourir offre une capacité de réactivité sans égale. Pour, par exemple, faciliter l’accès des pompiers ou d’un service d’urgence médicale… Bref, former des supplétifs de la Défense civile, formés par la Croix Rouge ou d’autres, ne serait pas superflu.
Chaque Parisienne, chaque Parisien, constate une insécurité croissante (pas forcément insupportable : tags, dégradations, nuisances mineures diverses…) et s’en alarme.
De plus, la formation d’un tel ensemble favoriserait, à mon sens et humble avis, un regain de confiance en la participation citoyenne (illustrée d’ores et déjà par divers comités de quartiers, associations d’initiatives locales).
En tant que membre d’un conseil syndical de copropriété, je mesure les difficultés.
Non insurmontables.
Milice ? Non, « pompiers volontaires » d’un autre genre. Susceptibles d’apaiser des conflits. De faire en sorte que des services d’urgence médicale ne soient pas encombrés de victimes de bagarres pouvant être jugulées.
En fait, sous l’appellation « garde nationale », sont regroupées, depuis 2016, les réserves de la gendarmerie et de la police nationales. Mais elle a peu à voir avec celle dissoute en août 1871. Et encore moins avec une réelle police de proximité (très) rapprochée. Même si police et gendarmerie peuvent déléguer à l’actuelle des missions similaires (d’investigation, notamment ; de surveillance des hortillonnages d’Amiens, pour ne mentionner que cet exemple).
Ce qui serait souhaitable, c’est que des habitants connus de (presque) tout un quartier, un îlot, puissent avoir une présence manifeste.
Est-ce utopique ? Plutôt qu’une police municipale, la création de comités d’entraide et de sécurité (ou toute autre appellation) ne semble pas une tâche insurmontable. À moins bien sûr que les édiles se méfient de leurs administré·e·s. Voire réciproquement.
Et c’est bien, au-delà de cette proposition dont je ne sais en fait estimer la validité, ce dont il est question. Pourquoi Anne Hidalgo, initialement encline à refuser la création d'une police municipale (voire hostile), s’est-elle finalement prononcée pour en doter la capitale ? En prévision des Jeux olympiques emportés faute de concurrence, dont elle excluait la tenue à Paris au début de son mandat ?
Comprenez-le ainsi : matière à réflexion… Pourquoi n’a-t-il pas été laissé aux Parisiennes ou Parisiens l’opportunité de se prononcer pour ou contre l’instauration d’une police municipale, sous une forme ou une autre ? Je continue à m’interroger.

Colloque « Littérature & Libre Pensée »

Anticléricaux : reste-t-il de vieilles gens en colère ?

Il me semble quelque peu prématuré de faire état d’un colloque qui se tiendra les 14 et 15 février 2020. Mais comme j’y reviendrai, en temps plus utile, effleurons. Littérature et libre pensée ? Vaste programme…
La Libre Pensée et la Société Octave Mirbeau, avec de cette dernière, Alain (Georges) Leduc pour cheville ouvrière, ont mis sur pied un savant colloque portant sur l’athéisme et la libre pensée dans la littérature. Il se tiendra le vendredi 14 février 2020 à la Bourse du Travail de Paris, puis le lendemain au Palais du Luxembourg (avec en interlude, le vendredi soir, la projection du film de Jean-Pierre Mocky, Le Miraculé, au siège de la Libre Pensée).
Parmi les oratrices et orateurs, prédominance de vieux hommes blancs, mais quand même présences de Nicole Aurigny, Élizabeth Legros-Chapuis (qui traitera de Roger Vailland), Marie Bat, Anita Staron, Lucia Campanella (trois… mirbelliennes ?), Julie Palussière (qui s’intéresse toujours à la littérature soviétique). Six sur une vingtaine, ce pourrait être pire.
Pourquoi cette incongrue remarque ? Comme cela… Histoire de tenter de justifier un sous-titre farfelu, et peut-être trompeur (je n’ai pas cherché à déterminer la moyenne d’âge de ces « gens » ; on peut être libre penseur et a-clérical autonome), qui m’est venu en lisant l’intitulé de l’intervention de l’angliciste Fabien Jeannier portant sur le mouvement des Angry Young Men (Royaume-Uni, années 1950 et 1960). Je retirerai bien ce sous-titre, mais aucun autre, quelque peu incitatif, ne me vient à l’esprit. Alors…
Vous trouverez sur ce blogue-notes diverses choses sur l’athéisme d’Octave Mirbeau et de Roger Vailland ; donc, je glisse pour le moment…
Pierre Roy traitera de l’individu dans les littératures de la Renaissance aux Lumières, Pierre-Yves Ruff d’Höderlin, et Raymond Roze des Ordons brossera un tableau plus large de l’anticléricalisme dans la littérature.
Michel Sidoroff reviendra sur Les Châtiments de Victor Hugo. Ne les ayant pas relus depuis des lustres, je ne m’attarde pas. Et comme je n’ai aucun souvenir de La Revue blanche (1889-1903, Liège, Paris), si ce n’est qu’y parurent Le Journal d’une Femme de chambre et Bubu de Montparnasse, je ne vais pas risquer de déraper en augurant de ce qu’en dira Paul-Henri Bourrlier (sans doute l’état de ses recherches postérieures à la parution de son La Revue blanche chez Fayard, en 2007).
Gilles Candar abordera Jaurès et Jules Renard. Alain (Georges) Leduc évoquera Anatole France (je ne l’attendais pas sur ce sujet). Sur Mirbeau, Lucia Campanella, universitaire uruguayenne, dressera l’état de lieux de sa postérité en Amérique hispanophone (et sans doute au Brésil, présumerai-je). Laurent Doucet s’attardera (pas trop longuement) sur les surréalistes et Christophe Bidaud sur BHL, Onfray, Finkielkraut et d’autres…
Dans la mesure où vous trouverez le PDF du programme pas loin, et que l’ami Leduc me fournira des précisions orales l’un de ces soirs prolongés ou petits matins naissants, consultez la brochure, and stay tuned.
Transition faiblarde, je le concède, pour évoquer Fabien Jeannier et les Angry Young Men (« dans l’Angleterre conservatrice »). Ah bon, je croyais Jeannier plutôt spécialiste de l’Écosse, peut-être de l’urbanisme d’East-Kilbride (présupposé gratuit de ma part). Les Jeunes Gens/Hommes en colère… J’ai bien dû lire antan quatre ou six de leurs bouquins ou pièces, dont je ne me souviens aucunement. Je subodore encore que Colin Wilson, auteur de The Angry Years: The Rise and Fall of the Angry Young Men (Pavillon pub., 2014), fut plus ou moins rattaché à ce courant. On le dit oublié, ce mouvement. Pas du tout l’expression « jeunes gens en colère », s’appliquant à présent (surtout en anglais, évidemment) à un peu tout, voire son contraire, et à divers groupes mixtes ou non, des deux côtés de l’Atlantique.
Oui, il s’agissait très majoritairement des jeunes hommes, romanciers et dramaturges, que l’on pourrait qualifier de nouveaux pauvres ou de « déclassés » (selon l’expression de Jean-François Bizot, ultérieure). Voire, « d’établis » (Daniel Rondeau) en exagérant (s’établir, en France, fut surtout un choix, pas toujours car les boulots auxquels destinaient les études ès lettres, langues, sciences humaines, étaient déjà rares dans les années 1970). Des Jules Vallès ? J’approxime grave, mais cela peut donner une vague idée qu’absorbe le sable au ressac moribond. Pas vraiment des Down and Out (Orwell), parfois pas loin non plus. Mais, se remémore Wilson dans son ouvrage, Chris Logue, copain de Kingsley Amis, séjourna un temps à Paris. En Jack-of-all-trades (factotum, saisonnier, arpète, manœuvre) ?
Jeunes hommes en rogne. Je retrouve en ligne des noms comme celui d’Arnold Wesker (auteur de Chips with Everything ; lesquelles ? Bintje ou Peter Marris ? Avant que me parvienne ce programme, je m’intéressai aux ingrédients des frites pour accompagner un coq au vin ou un steak and ale pie au paleron d’âne, passons…). Pour me rafraîchir un peu la mémoire, je retrouve diverses pistes, dont celle de Pete Townshend (The Who) qui ne doit être au mieux qu’une impasse de traverse. Il fut classé des leurs, un temps. Aussi ce morceau des Kinks, Where Are They Now :
Where are all the angry young men gone?
Barstow and Osborne, Waterhouse and Sillitoe
Where on earth did they all go?
Ben, par après, si athées ou agnostiques, au purgatory ou to hell, selon que vous y accordiez foi ou non. Ou au paradis (celui de Fred Zeller, par exemple, ou de Michel Polnareff).
Cela pour vous signaler que, qu’il réunisse de vieilles ou moins vieilles gens, désabusées, apaisées ou toujours fâchées à la Siné, assister à un tel colloque n’est pas systématiquement lassant. Parfois on rigole longuement. On s’exclame, on s’étonne. Il y a de la verdeur là-dedans (avec Mirbeau, aux divers sens du terme, avec Vailland aussi).
Enfin, notez que l’inscription est gratuite, ou plutôt la participation laissée à votre gré, mais que 20 euros vaudront souscription à l’exemplaire des Actes.

vendredi 22 novembre 2019

Destitution de Trump, version dîners en ville

Pour ne pas rester muet sur la révocation de Donald Trump

Franchement, je n’ai suivi que d’un œil distrait les tribulations de Donald Trump dans l’affaire ukrainienne. Donc, afin de ne pas rester coi si des conversations s’engageaient là-dessus, je me suis concocté un résumé partiel de secours.
Comme, pour intervenir sur la mise en accusation (impeachment) de Donald Trump qui pourra (surtout ne pourra pas, en raison de la prédominance des républicains au Sénat) conduire à sa révocation ou destitution (là, au choix), je me suis ménagé une botte secrète… Soit botter en touche et évoquer la gaffe d’Ivanka Trump.
J’ai donc appris par cœur ce passage d’Alexis de Tocqueville (De la démocratie, éd. Pagnerre, 1848, t. 1, chap. 7, « du jugement politique », p. 176). « On doit remarquer, en premier lieu, qu’aux États-Unis le tribunal qui prononce ces jugements est composé des mêmes éléments et soumis aux mêmes influences que le corps chargé d’accuser, ce qui donne une impulsion presque irrésistible aux passions vindicatives des partis. ».
C’est cette phrase qui inspira au juge John Innes Clark Hare, dans son American Constitutional Law (vol. 1, Boston, 1899), ce commentaire à propos de la mise en accusation du président Andrew Johnson (mai 1868). Selon Tocqueville, consigne Clark Hare, « le déclin de la moralité publique (…) sera probablement marqué par l’abus du pouvoir de mise en accusation en tant que moyen de broyer des adversaires politiques ou de les éjecter de leur poste. » (crushing political adversaries or ejecting them…). C’est prêter à Tocqueville une opinion prolongeant ses considérations, en fonction des besoins de sa propre démonstration.
Et que fait l’Ivanka Trump, cette niaise..? Elle reprend la phrase de Clark Hare suivie de la mention « Alexis de Tocqueville, 1835 ». Effectivement, le premier tome parut en août 1835. Mais on doute très fort que la fille du Donald ait retrouvé elle-même cet exemplaire à la Bibliothèque du Congrès. Quelqu’un a dû dénicher pour elle le manuel de Clark Hare (ou un article du Wall Street Journal en faisant état le mois dernier).
On peut donc embrayer : Ivanka est aussi mal entourée que son père (là, faire allusion aux multiples limogeages de très hauts-fonctionnaires, membres du gouvernement, porte-paroles, par le paternel…).
Si cela ne suffit pas pour me tirer d’affaire, je m’en reporterai évasivement aux derniers développements. Sûr de se voir tiré d’affaire par le Sénat, voilà que Donald Trump s’en remet à sa majorité sénatoriale : lavez-moi de toute présomption de quid pro quo (de « donnant-donnant »), concluez au quiproquo mal intentionné de la part des démocrates qui déforment tout.
Autre angle d’attaque, les mensonges du Donald. Qui hurle à la machination, à la chasse aux sorcières, fait état d’un complot contre lui. Avec des arguments fallacieux. Comme d’affirmer que le serveur d’une compagnie américaine (CrowdStrike) a été cédé aux services ukrainiens, et non, comme en réalité, aux russes.
Le truc : ne plus nier qu’il y ait eu la moindre interférence étrangère dans la campagne électorale présidentielle, mais l’attribuer aux Ukrainiens, et non aux Russes. Raté, la déposition de Fiona Hill, ex-haute fonctionnaire chargée de la Russie, contredit cette allégation. Après la déposition de Gordon Sondland, plénipotentiaire auprès de l’Union européenne attestant que Trump s’est bien livré à un chantage auprès du président ukrainien, cela équivaut à enfoncer un nouveau clou dans le cercueil de la piteuse défense de la présidence.
Je présume que vous avez aussi survolé les épisodes précédents, donc, je n’insiste pas…
Et puis, il est beaucoup plus cocasse d’évoquer les derniers à-côtés. Trump s’emmêlant une fois de plus les pinceaux lors d’un entretien téléphonique de près d’une heure avec Fox News (émission Fox & Friends)… Déclarant : “I do want, always, corruption”. Sa langue fourchue a de nouveau trébuché.
Mais faire remonter à la présidence Obama le complot contre lui dirigé n’est pas mal non plus. Assurer que les avocats de Gordon Sondland sont les mêmes que ceux d’Hillary Clinton, et qu’en dépit de sa donation à la campagne de Trump, c’est un faux nez des démocrates, n’est pas malvenu, c'est du tout Trump.
Pissotant aussi de le voir se plaindre de Marie Yovanovitch, de l’ambassade US à Kiev, qui aurait refusé de suspendre son portrait présidentiel officiel dans les locaux. « Cette femme n’est pas un ange », sous-entend le Donald (il est vrai aussi qu’elle n’avait pas débarqué à Omaha Beach, de même que les combattants kurdes, mais, là, il n’a pas osé l’avancer).
Bien aussi, ce commentaire sur la démocrate Pelosi : « aussi foldingue qu’une punaise de lit ». Sur Adam Schiff, présidant les débats et auditions, ayant déclaré que Trump a fait pire que Nixon : « un chiot dérangé » (constipé de la tête).
Les diatribes contre la presse valent leur pesant de cacahuètes. Le Washington Post est un quotidien contrefait, fallacieux (phony), le New York Times, qu’il ne lit pourtant plus, assurait-il, lui fait chaque jour lever les yeux au ciel.
« Concussion et extorsion », a résumé un ancien procureur du Watergate à propos de l’affaire ukrainienne (bribery and extortion ; mais placer concussion au lieu de corruption dans une conversation est toujours du meilleur effet et personne ne vous reprend habituellement).
Bon, si botter en touche ne suffit pas, digressez total (sur le Brexit, par exemple). Vous pouvez aussi citer les titres de divers journaux se fondant sur des documents officiels, et résumant ainsi : au cours des cinq premiers mois de la présidence Trump, les services secrets ont versé 2 000 dollars par jour dans les escarcelles des sociétés du group Trump (dont 40 versements au Trump National Golf Club). Le Donald et ses suites ont passé déjà 224 jours à jouer au golf ou se rendre dans l’un des clubs du groupe. C’est un peu comme si Emmanuel allait un jour sur trois dans les pâtisseries-chocolateries de la famille de Brigitte Macron, et gavait ses escortes de friandises (personne ne vous reprendra sur ce décompte farfelu).
Le Donald, ou le gavé gavant… le public de tweets affriolants.

jeudi 21 novembre 2019

Marianne : Agir contre l’exclusion, une fondation « à la roumaine »

La Face épinglée par la Cour des comptes et Marianne

Je n’ai pas consulté le dossier d’Étienne Girard et Emmanuel Lévy du magazine Marianne qui sera demain dans les kiosques. Mais ces 17 pages sur la Fondation Agir contre l’exclusion (Face) me font furieusement penser aux montages d’un certain Dan Barna, candidat malheureux aux élections présidentielles roumaines.
Je vous avais entretenu des élections roumaines qui devraient, dimanche soir prochain, reconduire Klaus Johannis (35,91 % des suffrages au premier tour) à la présidence.
Il doit ce très confortable score à l’effondrement de la candidate du PSD, l’ex-Première ministre Viorica Dăncilă (23,45 %) et de fait surtout à la marginalisation de celui que des sondages donnèrent un temps en seconde position, Dan Barna (14,13 %).
Cet avisé homme d’affaires, qui fit figure d’Emmanuel Macron roumain, tant sa formation était attrape-tout, son jeune âge et son allant incitaient à la comparaison, est, comme on dit, issu de la société civile. En fait du monde associatif, d’ONG (il fut cadre de Transparency International). La presse le poussa en avant puis finit par révéler que ses diverses associations caritatives, financées surtout par des fonds européens, servaient d'abord à enrichir ses proches. Or, leur objet était très similaire à celui de la Fondation Agir contre l’exclusion.
Avec beaucoup de communication coûteuse et fort peu de résultats, des embauches de parents et d’amis ou partenaires, des recrutements fictifs, des acquisitions surévaluées, Dan Barna a pu étendre sa sphère d’influence. Les journalistes d’investigation du Rise Project (un organisme anticorruption) l’avaient déjà épinglé dans le quotidien Adevarul (15 octobre dernier), ils en ont remis une couche le 5 novembre. L’économie sociale ou l’insertion par le sport (équitation, tennis) des plus défavorisés ont favorisé surtout ceux mettant en œuvre des projets ou les présentant (brochures, vidéos) sous des jours avantageux. Il y avait aussi des projets de pure communication, genre bibliothèque de bonnes pratiques, d’aides à de « jeunes pousses » éphémères, permettant surtout de faire valoir « l’excellence entrepreneuriale » du coordinateur, Dan Barna, et de favoriser sa montée en puissance médiatique, puis politique.
Comparaison n’est pas raison, mais le peu que j’ai pu lire du dossier de Marianne (les deux premières pages) laisse penser que, en matière de coquille vide, mais lucrative, la Fondation Agir contre l’exclusion, présidée par Gérard Mestrallet, incite à quelques rapprochements. La Face a engrangé jusqu’à « 14 millions d’euros de budget annuel ». Consacrés surtout à faire valoir les initiatives d’entreprises se faisant de la publicité à bon compte ou appuyer des opérations « demandées par les élus » ; ce avec, indiquent les auteurs, la complaisance du cabinet KPMG « validant sans sourciller les comptes ». Le parquet de Bobigny aurait ouvert une enquête préliminaire.
Je m’en voudrais d’épiloguer sur la suite du sommaire : « Dassault, Vallaud-Belkacem, le cabinet d’audit KPMG, Hirsch, Engie : les combines de la Face en cinq cas pratiques ».
Parfois, les fondations, associations, ou montages d’organismes à visées « sociales » permettent, mieux encore que le Conseil économique et social, de recaser des politiques, des syndicalistes, &c.
De grandes entreprises avaient ainsi mis le pied de Nicole Notat, ex-secgen de la CFDT, à l’étrier de Vigeo Eiris, depuis repris par Moody’s. Vigeo reste une « agence de notation environnementale, sociale et de gouvernance ». Ronflant. Évaluant donc de « bonnes pratiques », comme le faisait aussi Dan Barna. On retrouve aussi Nicole Notat dans La Fonda, « fabrique associative » et « laboratoire d’idées du monde associatif ». En fait, surtout un centre de formation de cadres associatifs et d’accompagnement de projets. Je n’ai pas trouvé ses rapports d’activités ou ses comptes sur son site, mais c’est sans doute que j’ai mal cherché.
Nicole Notat devait siéger aussi au CA du Bureau international du Travail, y représentant la France en 2018 mais y a renoncé de crainte que soient soulevés d’éventuels conflits d’intérêts.
Mais si Notat rime avec Barna, le parallèle cesse là, et je n’insinue pas qu’il y ait le moindre lien entre Barna, Notat, Mestrallet et consorts. Ni ne veut jeter la suspicion sur des fondations ou associations, qui mènent des projets, qui aboutissent à des résultats féconds, moyens, ou nuls. Tout le monde peut se fourvoyer.
Je dirai simplement que le coup du « capitalisme responsable », on me l’a fait tout au long de ma carrière passée, et qu’en fait, ce sont surtout les revendications (allez, disons même, « la lutte des classes ») qui sont les principaux moteurs des avancées sociales. Que je sache, n’est pas revenu le temps des phalanstères d’entrepreneurs altruistes. Il s’agit le plus souvent d’aménager la survivance de la paix sociale.
Cela étant, n’ayant pas consulté le dossier de Marianne, je ne saurais non plus dire si certaines initiatives de la Face ont ou non contribué à l’amélioration de pratiques.
Je ne doute pas que, par exemple, « toutes les entreprises peuvent lutter contre les violences conjugales ». Mais je ne vois pas trop comment le simple fait de signer une Charte d’engagement pour lutter contre ces violences change vraiment la donne. Je vois surtout une occasion de se faire mousser en exploitant un thème d’actualité. Aurais-je trop l’esprit mal placé ? Je ne peux l’exclure. Je suis plus que borgne, mal voyant, ne discernant surtout qu’une photo de dirigeants de L’Oréal, de Korian, et de François-Henri Pinault (Kering).
De même, si une ou deux femmes sur trois auraient (seraient) été victimes de harcèlement sexuel au travail, au cours de toute ma carrière (étais-je si malvoyant ?), je n’ai connu que celle ou les deux ne l’étant pas. Des femmes et des hommes victimes de harcèlement de nature différente, en revanche…
Mais je m’égare… Je n’achète la presse (hors Canard enchaîné) qu’à l’occasion de longs déplacements (RER, trains, avions… bateaux). J’ai tort, je sais. SinéMadame cesse de paraître, je devrais acheter Siné Mensuel, en vue d’un prochain trajet. Le mieux, si vous en avez les moyens, serait d’acheter Marianne demain. Pour trancher par vous-mêmes si… toutes ces magouilles retiennent encore votre attention. Si vous croyez encore qu’il sera — durablement — possible de réduire le nombre des comités Machin-Bidule. Si vous glissez encore de la petite monnaie dans la fente des Pièces Jaunes…
Au fait, il en est où David Douillet ? Conseiller départemental d’Île-de-France, futur parrain du prochain Téléthon à Claye-Souilly, sur le podium des Enchères du cœur à Mâcon, présent à la Saint-Vincent de je ne sais où… À ses frais ou ceux des organisateurs ? Donc des contribuables locaux. Et animateur d’une « émission citoyenne », alimentée par la publicité, donc par les acheteurs des produits vantés par les spots. Il est aussi rétribué par Linksport (fonds de 30 millions d’euros « dédié au sport, à la santé, au bien-être »). Ce qui me permet de faire la liaison avec le futur ministère du Bien-être prôné par les libéraux-démocrates britanniques.
Bon sang, laissez-nous vivre sans nous pomper les vivres pour contribuer à notre bien-être. Que ce soit sous la forme d’appels aux dons, de taxes, de contributions, de je ne sais quoi… Et de modalités de défiscalisation qui ne profitent, en majeure partie, qu’à celles et ceux pouvant régler des impôts sur le revenu, ainsi qu’à qui fait appel à nos bons sentiments.

Brexit : le plan Corbyn, renégociation puis référendum

Pour Jeremy Corbyn, le changement, c’est maintenant

Jeremy Corbyn a dévoilé son petit livre rouge, soit le manifeste du Parti travailliste qui prévoit la négociation d’un nouveau protocole avec l’UE, lequel serait soumis à nouveau référendum à plusieurs questions…
Je n’avais pas commenté le premier débat télévisé n’ayant opposé que Boris Johnson et Jeremy Corbin, soit sans la libérale-démocrate Jo Swinson.
Parce qu’il n’avait pratiquement rien apporté de neuf, si ce n’est marginalement et que son résultat ne fut guère décisif (ou inconclusive). Je me ralliais cependant à l’opinion majoritaire des commentateurs : très léger avantage pour Bojo.
Toutefois, depuis lors, un sondage portant sur les électeurs indécis inverse la donne. Ce serait, pour eux, 59 points pour Corbyn contre 41 pour Johnson. Cet électorat n’étant guère majoritaire, ni totalement susceptible de se rendre aux urnes, cela ne modifie globalement que fort peu le panorama.
Selon un récent sondage pour The Standard, les Tories conservent une avance de 16 points (d’autres sondages ne leur accordent que huit points).
Mais depuis, les travaillistes ont divulgué leur manifeste, intitulé, en lettres blanches sur fond rouge vif, “It’s Time for Real Change”. Soit une variante du slogan de la campagne de François Hollande : les temps sont mûrs pour le changement ou « Le changement, c’est maintenant ».
Très ambitieux programme social et écologique…
En voici les principaux points hors question du Brexit (qui sera le suivant infra).
Des millions pour la sécurité sociale (le ministère de la Santé et le système hospitalier, le NHS) ; salaire minimal à dix livres pour toutes et tous, mineurs ou majeurs ainsi que revalorisation des émoluments des fonctionnaires ; lourds investissements en Écosse ; le tout-fibre optique pour 2030 ; imposition accrue des plus fortunés et des entreprises ; plan de formation éducatif excluant les droits universitaires, réduction des effectifs des classes du primaire, gratuité des maternelles ; durée hebdomadaire ouvrée à 32 heures ; efforts environnementaux générant un million d’emplois ; HLM en veux-tu, en voilà.
Par HLM, il faut entendre logements sociaux associatifs et des collectivités (les Council Houses). 150 000 de mieux par an de council & social homes sur un lustre. Rien que cela…
Résumé de Corbyn, en substance, les riches vont détester, je et tu, ils et elles, allons nous régaler. Résumé de la presse pro-Tory : Corbyn met les « créateurs de richesses » à genoux et empruntera à tout-va.
Mais un autre point crucial pour la tournure du Brexit tient aux renationalisations : des services postaux & télécoms et ferroviaires & de dessertes routières, de distribution de l’eau (voire aussi d’électricité).
Je glisse sur la liberté de mouvement et l’immigration en provenance de l’Union européenne, dont les modalités dépendront du résultat d’un référendum (restrictions maintenues mais allégées en cas de nouvelle victoire du vote Leave). De même sur l’abaissement à 16 ans du droit de vote, l’enregistrement automatique sur les listes électorales de tous les résidents…
Cela implique quoi ? La négociation d’un nouveau protocole d’accord garantissant le maintien du libre-échange actuel, mais laissant une certaine autonomie au Royaume-Uni par rapport à diverses règles communautaires.
Ce protocole serait soumis à référendum mais la question de la révocation de l’article 50 (maintien dans l’UE) sera aussi posée.
Cela signifie quoi ? En gros, si le protocole était accepté par les 27, l’électorat devrait l’approuver, ou le rejeter, ou tirer un trait sur le résultat du référendum précédant. Toujours approximativement, si ce protocole était approuvé, un statut du Royaume-Uni proche de celui de la Norvège ou de la Suisse, « à peu de choses près » (ou à davantage, allez prévoir…).
Ce changement, c’est en quelque sorte une déclaration de guerre à la misère. Genre New Deal de Franklin Roosevelt.
Les conservateurs ont aussi beaucoup promis. Le point peu abordé est celui des retraites et de l’âge de la retraite (qu’un document gouvernemental laisse supposer que son report à 70 ans serait envisageable, alors que le Labour le maintiendrait à 66).
Boris Johnson martelait que Corbyn se refusait à dire s’il ferait campagne pour ou contre le Brexit, pour le Leave ou le Remain. On peut comprendre que, si la question n’est pas subsidiaire, les travaillistes mettront surtout l’accent sur leur programme économique, social et fiscal, proposeront un protocole beaucoup plus acceptable pour l’électorat libéral-démocrate ou écossais… Il est d’ailleurs sous-entendu que l’accord envisagé garantirait l’unité du Royaume-Uni, rendant inutile un nouveau référendum sur l’Écosse, mais que… si les Écossais le réclamaient très fort, il serait alors temps d’examiner son opportunité.
À part cela, les conservateurs ont lancé un site labourmanifesto.co.uk lançant une collecte de signatures pour « arrêter » Corbyn. Ce n’est pas encore le lock her up de Trump visant à envoyer directement Hillary Clinton en prison sans passer par la case départ des élections, mais cela risque de venir. C’est aussi une campagne de coup bas, de détournements de vidéos, &c.
Les conservateurs opposent aussi le protocole Johnson, connu, à celui, « inexistant » de Corbyn. Effectivement, on doit se contenter de deviner ses orientations.
Cela étant, si Brexit il y aura, il ne deviendra sans doute effectif qu'après une période de transition, en fait de statut quo et de négociation d'un traité de (moins) libre-échange, qui pourrait s'étendre, contrairement à ce que promet Boris Johnson, bien au-delà de la fin 2020. Aucun diplomate ne mise sur une si courte période d'un an seulement. C'est l'un des points cruciaux de la campagne du Brexit Party qui considère que le protocole Johnson équivaut au "Brino" (Brexit in name only).
Notez que le Lib Dem a aussi publié son manifeste intitulé Stop Brexit, Build a brighter future. Il ne manque pas non plus d'intérêt et les divers partis européens gagneraient, après la période de fact checking auquel se livrera la presse, à comparer les divers manifestes, en  dégager les idées nouvelles.
Vous vous souvenez du ministère du Temps Libre (période Mauroy) ? Les libdems souhaitent créer un ministère du bien-être doté d'un "wellbeing budget".
Il y a toujours quelques choses à prendre du côté de la plus vieille démocratie parlementaire, ou dont il conviendrait de s'inspirer... Et pourquoi pas, dans l'intitulé du ministère français de la Culture, remplacer communication par bien-faire & laisser dire ?
En tout cas, dans cette campagne électorale britannique, le laisser dire n'est pas de mise... Par exemple, Jo Swinson a été contrainte de démentir : non, elle ne cherche pas à blesser des écureuils avec un lance-pierres. C'était pourtant ce qu'un deepfake (montage vidéo), censé être repris par The Mirror, affirmait, en prêtant à la libdem des déclarations sadiques (genre : je ne vise pas la tête, leur mort serait trop douce). Trump et les siens ont fait école...


mercredi 20 novembre 2019

Pour et… contre Benjamin Stora ou Valeurs actuelles

De l’historiographie boursouflée de la colonisation française

Peut-on parler sans savoir tout en n’ignorant pas totalement ? Sans doute, à condition de l’énoncer. Et c’est ainsi que j’aborde la polémique opposant les soutiens de Benjamin Stora à d’autres, eux, mystificateurs de l’histoire du colonialisme français, dont qui approuve la position défendue par Valeurs actuelles.
Ai-je lu Benjamin Stora ? Sans doute un peu, mais je ne m’en souviens plus. Ai-je lu le hors-série de Valeurs actuelles sur «​la vraie histoire des colonies » ? Absolument pas.
Mais comme un peu tout le monde, je suis tombé sur divers articles ou écrits traitant d’un article de cette publication sur Benjamin Stora, et ce dont il s’ensuit.
Ce que j’ai cru pouvoir discerner, c’est que l’article reprend les arguments développés par la pétition de Khader Moulfi diffusée par le site Mes Opinions. Elle fut lancée fin septembre dernier. Khader Moulfi est l’animateur du site Coalition-harkis.
Mais l’auteur de l’article, Bruno Larebière, les assortit de considérations sur le physique du sociologue-historien.
Lequel rétorque : « cet article est antisémite ». Donc, anti-harkis aussi ? Qu’on s’interroge une nouvelle fois sur les glissements sémantiques…
Judéophobe ne serait-il pas plus approprié ?
Ce qui pourrait étonner de la part du journaliste d’un titre s’étant fréquemment manifesté cul et chemise avec la droite israélienne la plus virulente. D’un hebdomadaire dont le site propose le téléchargement d’un « magazine numérique gratuit » consacré à Éric Zemmour.
Lequel magazine s’apparente au genre publirédactionnel.
Alors, historien ou historiographe habile, Benjamin Stora ? Je ne peux répondre, mais ce n’est pas une malveillante insinuation que d’estimer que la plupart des historiens sont, de ce point de vue, ambivalents.
Mais il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos Stora et Larebière.
Je suis aussi un nostalgique du « bon temps des colonies ». Cela découle d’une histoire familiale : la plupart de mes prédécesseurs ont servi dans les troupes coloniales (des marsouins, de l’infanterie de marine), une tante institutrice au Maghreb, un cousin dans l’aéronavale en Indochine, un autre dans le Génie en Algérie. Plus lointain, ce souvenir — ô combien ambivalent — du général-baron Tombeur, colonisateur du Congo de Léopold II. Auquel mon grand-père dut sans doute partie de sa descendance puisqu’il put, grâce à son intervention, s’extraire du front d’Italie, du temps de Franchet d’Esperay.
Il y eut effectivement un « bon temps » des colonies, illustré plus ou moins bien par des figures comme Savorgnan de Brazza, le maréchal Lyautey, le père de Foucault, ou plus près de nous, feu l’ami et confrère Georges Ohayon (ancien du Premier Bataillon parachutiste de choc), Denis Guénoun…
J’ai eu, j’ai encore, des fréquentations de tous bords, des copains, des amies, de tous horizons géographiques et autres. J’atteste qu’il y eut des hommes et femmes d’honneur dans l’OAS, parmi les porteurs de valise du FLN, et même dans les rangs du FLN. Des gens intègres. J’ai eu, j’ai encore, des copains pieds-noirs ayant perdu de très proches, des copines maghrébines, ayant aussi perdu de très proches, &c.
Qu’il puisse y avoir, chez Stora (franchement, je ne saurais me prononcer), une propension à mettre davantage en valeur les mauvais temps des colonies que les bons, en toute honnêteté intellectuelle, pourquoi pas ?
Mais si j’en crois Pascal Blanchard, auteur de « Vive la nostalgie coloniale ! » dans Le Nouveau Magazine littéraire, tout ce numéro de Valeurs actuelles bascule dans le révisionnisme historiographique. Soit dans le négationnisme des mauvais temps des colonies. Au Maghreb, où j’ai voyagé, notamment en auto-stop, en train, bus… ce qui permet des rencontres contrastées, on a aussi su me parler de ces Françaises et Français du Maghreb ou de la métropole, civils ou militaires, dont sont conservés de bons souvenirs. En France, d’anciens appelés ayant été forcés de s’associer à des crimes de guerre, m’ont aussi confié leurs douleurs mémorielles, quand placés sous les ordres d’émules du père Bugeaud, franc réactionnaire, massacreur sans états d’âme (tant d’ailleurs en France qu’en Algérie), et même rançonneur (extorquant des fonds à l’émir Abd el Kader).
Dans cette affaire, on ne peut s’abaisser au relativisme, et même si Stora n’était pas tout bonnet blanc, tout comme le fait colonialiste ne peut se parer d’un panache immaculé, il y a d’un côté, celui de Stora, appel à réflexion, et de l’autre, celui de Larebière, appel à l'adhésion.
Et je préférerai toujours l’appel à réflexion, même s’il heurte certaines de mes convictions, à celui à l’adhésion sans réserve : my country, certes, mais non right or wrong. Entre se repentir dans la macération d’une éternelle contrition et s’accorder l’absolution, la rémission pure et simple par le miracle d’un déni, il n’y a certes pas de moyen terme arithmétique (fifty-fifty), des poids égaux dans les plateaux de la balance.
On peut raisonnablement estimer que Benjamin Stora a été l’un des bénéficiaires de la colonisation mais aussi que, sans elle, il n’eût pas forcément été voué à devenir cireur de chaussures ambulant.
L’histoire est en perpétuelle refonte. Non du fait de la découverte de fonds d’archives resurgis et comblant des vides, ou du moins, le plus souvent marginalement, mais du renouvellement des historiens. Le Roy Ladurie n’a pas forcément la même vision qu’un Cauchy, qu’un Tocqueville ou un Chrétien de Troyes, et cela tient peut-être moins à ce qu’ils ne disposent pas de la même matière qu’à leurs histoires personnelles et aux sociétés de leur temps. En moins d’un demi-siècle, que reste-t-il de l’influence du structuralisme, des apports d’Alexandre Kojève, de Raymond Abellio ou de Francis Fukuyama ?
Napoléon fut, de son vivant, assimilé en Angleterre et Russie, à un « précurseur d’Hitler » (ou plutôt à un successeur d’Attila davantage que d’un Alexandre le Grand, autre despote sanguinaire). Voyez ce qu’en disent à présent les historiens britanniques ou ex-soviétiques. Il y eut aussi un Mao d’avant et d’après Simon Leys.
On aimerait suggérer à un Larebière de s’intéresser d’un peu plus près aux aïeux de « nos ancêtres les Gaulois ». Ce serait inutile : il en ignore sans doute peu, mais il a choisi à la fois de figer l’histoire et de la fausser au gré des visées du moment.
Je me souviens de ce titre de l’ami Toulouse-La-Rose : Pour en finir, avec Guy Debord (chez notre défunt éditeur commun, Talus d’approche). Pour, contre… mais aussi avec Benjamin Soria. Pour ne pas finir, sombrer « avec » Valeurs actuelles

Le Gorafi : les singes récusent leur engeance humaine

Est-on vraiment responsable du devenir de nos enfants ?

On assassine un Mozart, on avorte d’un Hitler chaque jour. Voici que les singes en captivité réclament la contraception, de peur, au risque inéluctable de leur extinction, d’engendrer de futurs humains. Un sacrifice altruiste.
Une légende (urbaine) veut que le Chez nous soyez reine inspira les protos (ou paléos) situationnistes du Conseil de Nantes (les « anarcho-éthyliques » auxquels je fus assimilé, du temps du Petit Cochon, rade proche des facs nantaises excentrées et d’un foyer pour filles du Crous que je fréquentais circa 1969) entonnant le fameux « Allez, allez Nantes » montant des tribunes lors d’une rencontre de balle au pied entre Nantes et le Stade Rennais FC. Quel rapport avec ce qui suit ?
Aucun. Ou ténu, mais cela faisait longtemps que j’attendais de caser cette anecdote, c’est fait. Quoique…
On ignore tout de la genèse élaborée par les singes. De leur Ge ou de leur Yahvé. Mais je les imagine reprenant un « Ô Marie, Marie, si tu savais, tout le mal qu’on dit que nous avons fait… ».
(D’accord, je me raccroche aux lianes glissantes de manière peu convaincante).
Entendez s’élever la complainte de nos ancêtres de bien avant les Gaulois. Des temps que Yuval Noah Harari évoque dans Sapiens (dont je vous entretenais voici peu). Grand Pa, Grand Ma, selon Le Gorafi, site parodique qu’animent les Spinoza, Heidegger, Jankélévitch et consorts du temps présent, nous renient.
Orphelins, marooned, sommes-nous. Nos arrière-arrière aïeux refusent de nous considérer leur lointaine progéniture.
Je cite : « après avoir appris que l’Homme et le singe étaient des cousins proches, un des singes a demandé si les cousins du soigneur vivaient aussi dans une cage. ».
Voilà de quoi porter le Parti animaliste à présenter une guenon lors de la prochaine élection présidentielle. Et de fournir l’occasion à la presse pipeule de se pencher sur les qualités (et les goûts vestimentaires) du futur Premier Monsieur de France (si tant serait que la présidente ne soit pas polygame).
Parfois, je pense que Triboulet (le jester de François) fut aussi génial qu’un Léonard (de Vinci), différemment. Parfois je m’interroge sur ce que pouvait réellement penser le dingo d’Octave Mirbeau. Penser.
Oui, penser. Je suis d’une génération pétrie de religiosité (l’humain « égal », car créé à son image, d’un mythique créateur, faisant fructifier la terre et dominant le vivant), de certitudes inculquées, données intangibles. Allez, allez, croissez et multipliez.
J’en viendrai à m’exclamer : « Ô singes, ne nous abandonnez » ; vous en tirerez les conclusions que vous voudrez. Plus posément, j’estime tout simplement que la pochade du Gorafi procure matière à penser.

mardi 19 novembre 2019

Éric Cantona prend position sur l’immigration

Du terrorisme rampant des démocraties, selon Kuningas Eirikrin

Sid Lowe, correspondant permanent du Guardian à Madrid, s’est longuement entretenu avec « le roi Éric » (surnom de Cantona au Royaume-Uni). Lequel exprime le vœu d’une intégration des immigrés respectueuse de leurs attachements à leurs origines…
Capable de citer le Barde (Shakespeare) avec exactitude et pertinence, peut-être même La Légende du roi Arthur, dans la langue des Annales Cambriæ ou celle de Chrétien de Troyes, Éric Cantona ne laisse personne vraiment indifférent.
Avec Sid Lowe, journaliste sportif (mais non uniquement), il a parlé balle au pied, bien sûr, mais aussi abordé longuement le thème de l’immigration et de son appréhension par les « grandes démocraties ».
De par ses grands-parents, Cantona est un Hispano-Sarde; il est aussi l'époux d’une Franco-Algérienne, l'actrice Rachida Brakni, qu’il encourage à s’adresser en arabe à leurs enfants, Émir et Selma. Par conviction humaniste universaliste et souci d’une transmission nécessaire et enrichissante.
Pour lui, peut-être influencé par ses séjours au Royaume-Uni et le melting pot des équipes de footballeurs, l’intégration à la française, à visées assimilatrices, pêche par une propension à dénier aux immigrés leurs attachements à leurs origines. Plus on veut nous en éloigner, plus nous sommes incités à nous en rapprocher, considère-t-il en substance. L’incitation à trancher, à se déclarer français ou autre, est à ses yeux « une erreur », une bourde, susceptible d’aggraver des tensions.
J’en suis pour ma part aussi convaincu, par divers exemples contraires, de personnes ayant fini librement par se sentir profondément des Françaises, des Français, avant tout autre appartenance antérieure.
Une culture ne s’impose pas, on y adhère ou non. Pour Cantona, tenter l’assimilation contrainte, de manière plus ou moins coercitive ou implicite, sournoise, larvée, est contre-productif. Et prive les « grandes démocraties » des apports de salutaires diversités. Il s’inquiète donc de la résurgence de nationalismes en des — en quelque sorte — peuples se considérant d’élites, et dominateurs, pour paraphraser de Gaulle (ici quelque peu hors de propos).
Ces démocraties prônent insidieusement « une sorte de terrorisme », culturel et économique. De quoi prêter le flanc à l’accusation « d’islamo-gauchisme » (ou autre néologisme apparenté). La montée d’un désir d’épuration radicale de tout élément étranger, en vue d’un mythique retour aux sources, d’un nouveau départ « à zéro », partant de décimations menant à des holocaustes, lui semble imminemment et éminemment appelée à enfler, à déferler.
Je ne paraphrase pas Cantona, j’estime prolonger ses pressentiments. Ses propos sont plus mesurés, et il doute de lui-même, de sa pertinence. Ce n’est pas tout à fait nouveau de sa part, lui qui nous avait habitués à des exagérations langagières qu’il ne renie sans doute pas. « Parfois je pense ce que je dis », confie-t-il, plus librement « que la majorité des gens ».
Il se veut porte-parole du mouvement Common Goal qui, en date, à ma connaissance ne compte que la footballeuse Méline Gérard pour représentante de l’univers sportif français, et s’en dit proche. C’est un mouvement caritatif visant à soutenir les objectifs des Nations unies en matière de réduction de la pauvreté, de parité, d’éducation, de production et consommation responsables, &c.
Que les majorités démocratiques soient « d’une certaine façon » dictatoriales de par leurs ambitions « d’imposer leur vision » n’est pas un concept inouï. Il fut illustré, de manière sous-jacente, par celui de dictature sociologique (Maurice Duverger, De la dictature, Julliard, 1961). Tocqueville estimait déjà que le despotisme était « à redouter dans les âges démocratiques ». Mettons que Cantona l’exprime un peu plus brut de décoffrage que d’autres…
Recevant Lowe en famille, Cantona venait de recevoir Homage to Catalonia, d’Orwell, et ne l’avait pas encore lu… La suite fut Looking Back on the Spanish War (publié en 1942), une forte auto-critique. Ce qui vaut incitation à peser ses propos.
Mais il serait dommage que Cantona édulcore trop les siens. Pour idéaliste qu’il soit, son appel en faveur des immigrés est rafraîchissant, et bienvenu en cette période où se font davantage entendre des voix les stigmatisant car tous dépeints destructeurs à visées hégémoniques. Plutôt la casquette du père Cantona que celle du père Bugeaud…