dimanche 16 juin 2019

La controverse Céline-Vailland, au « format à l'italienne »


Céline-1 ; Vailland-double zéro dans la presse italienne

Billet d'humeur, coup de sang... Une partie de la presse italienne, rendant compte du livre d'Andrea Lombardi, Céline contro Vailland, laisse penser que ce dernier n'existe plus dans les mémoires qu'en raison du premier. Il faudrait lire l'ouvrage pour estimer si c'est l'opinion de son auteur. Mais quand même...
Ai-je lu un, des, du Céline ? Probablement… Du, assurément. Je ne m’en souviens guère. Des Vailland ? Indubitablement. Lesquels ? peu de souvenirs. Ou alors, très fumeux. Des articles, des feuilletons de Vailland, eh, c’est mon dada du moment. Ce qui fait que, de la polémique entre Céline et Vailland, je croyais tout savoir. Moins qu’Andrea Lombardi, qui consacre tout un ouvrage, Céline contro Vailland (Due scrittori, una querelle, un palazza di una via di Montmartre sotto l’Occupazione tedesca), aux joutes entre les deux hommes…
Je vais bien sûr relire, lire, « tout » Vailland. Cela ou autre chose… Blair (à moins qu’un ouvrage oublié resurgisse, c’est fait), Tom Coraghessan Boyle, je suis à peu près à jour. Céline, peut-être (quoique, pour les dîners en terrasses printanières, si le feu de la conversation vient à vaciller, un coup de Céline, et cela repart ; du moins entre vieilles et vieux schnocks). Ce qui me gave grave, c’est que, encore à présent, l’équipe du Clairon de Céline l’emporte quasi toujours sur celle de l’Espoir de Vailland. Les deux clubs voudraient s’ignorer, mais voilà que, récurremment, la clique Céline claironne qu’elle a infligé la pâtée aux majorettes de Vailland. D’accord, cette contre-publicité remémore Vailland, mais en faire-valoir de Céline. En utilité, le Vailland.
Les faits ont été ressassés. Les Champfleury (eux-mêmes, la belle-mère, la veuve du galonné ?) logent à la villa Machin, à Montmêrtre (le Ménilmuche occidental). Selon les sources, c’est au troisième ou quatrième étage du 4, rue Girardon. J’évoque de mémoire, sans consulter mes archives. Ce qui est constant (non contesté par les parties), c’est que Céline loge dans la maisonnette. Que Vailland envisageât soit de faire la peau à ses invités (ceux de Céline), mais en l’épargnant, soit…. Où cela ? Pas à la Bastille, mais plutôt dans les parages. Si ce ne fut à l’étage… sur le seuil.
Bref, des années plus tard, Céline étant du côté d’Elseneur, où je ne sais plus où (j’avais trouvé, vous retrouverez), Vailland écrit qu’il regrettait de ne point l’avoir homicidé, comme dirait l’ami Hugues Pagan. Céline réplique par voie de presse sur le mode « cé cuikildi kyé ».
En fait, Robert Champfleury (Eugène Gohin, non point comme les poêles, avec une h et non une d), savait bien que Céline savait que… Et qu’il la ferma sur les accointances résistantes du dit Champfleury/Gohin. Mieux, ou pire, Jacques-François Rolland, acolyte de Vailland dans la Résistance, traite ce dernier de hâbleur, galéjeur, et corrobore la version de Céline (qui pouvait faire envoyer tout le monde de l’étage supérieur au poteau d’exécution et s’abstint).
Je n’ai plus guère d’illusion (subsistante, car je le pris longuement pour argent comptant ; eh, grand reporter, Résistant…) sur Vailland. Mais Céline… Rapiat, prêt à tout pour se placer en écrasant la concurrence, obtenir un poste de chef-toubib, et cultivant tout autant que Vailland sa légende. J’en connais d’autres à présent, des gendelettres tirant la couverture (des noms ? non, à quoi bon ?). Ce qui m’étonne, alors même que j’abonde, renforce, consolide, blatère sur ces plumes (et entretient le plumeau du paon Vailland), c’est… Je vous ai compris, vous m’avez compris… Nous devrions avoir (aussi) d’autres préoccupations. Get a life !
Oui, mais… Qu’auraient été nos vies sans des existences antérieures dont nous eûmes quelques connaissances ? Modèles et contre-modèles ? Et qu’aurait été notre vie si nous n’avions lu ni Céline, ni Vailland, ou Kessel, ou Cendrars, ou Darien, ou Maurras, ou… ou… ou… La « Génération Petit Prince » (de Saint-Exupéry) aurait-elle été ce qu’elle fut, ou reste pour ses survivants ?
Tiens, au fait, Céline a-t-il bavé sur Saint-Ex ? Il faudrait vérifier dans sa correspondance… Le postulant interne d’opérette-comique troupier de l’Occupant (il chercha à se faire nommer auprès des pompiers de service de l’Opéra-comique) rêvait aussi de se réincarner « à quatre pattes ». En chien hargneux ? En mâtin malfaisant ?
Moins subjugué par Vailland que le passé, devenu limite irrévérencieux (mais je plains qui n’aurait jamais admiré quiconque…), j’admets qu’on puisse, comme Philippe Djian, préférer des (non tous les...) livres de Céline à ceux de Vailland, ou Bukowski à Ignace de Loyola, Bouvard à Pécuchet, &c. Mais là, Vailland-Céline, c’est une histoire d’hommes plus que de littérature…
Thèse, antithèse… Synthèse : comment revoir nos passés et préfigurer l’avenir qui nous reste sans repères ? Littéraires. Dérisoire, cet énième essai sur le sujet d’Andrea Lombardi ? Retour sur le futur de Cesare Battisti… Qui n’a « même pas eu besoin de mentir à certains » (dont moi-même, qui resta nonobstant circonspect, me prononçant non sur l’individu, mais sur l’amnistie dont il bénéficia en France, l’approuvant). Nous serions-nous couchés comme Céline, levés comme Vailland ?
Céline (ou Brasillach, Drieu…) et Vailland. Qui, peut-être, dut aux circonstances et fréquentations de se retrouver « du bon côté ». Mais qui opta, s’engagea… Risqua. Tandis que… Ne pas diaboliser « tout » Céline, soit. Ne faire de Vailland que ce qu’il fut parfois pour chanter les laudes de Céline, c’est petit. Pas superflu nonobstant, et (je vérifierais peut-être en lisant Lombardi), ni anodin, ni totalement dispensable… Mais quand même…
Quand je lis, dans Pangea (“Rivista avventuriera di cultura & idee”), au-dessus de la signature de Martino Cappai, une présentation du livre d’Andrea Lombardi — illustrée de pas moins de quatre photos de Céline, d’aucune de Vailland — un « qui se souvient aujourd’hui de ses [Vailland] écrits ? », je m’interroge… Pourquoi se souvenir davantage de ceux de l’aventurier en chambre (ou contraint de fuir pour s’aventurer…) que de cet autre, combattant, correspondant de guerre, &c. ? Dura lex, sed legge… Qui se souvient en Italie de La Loi ? Ah oui, le film… Martino Cappai se le remémore vaguement peut-être…
Je lis ailleurs : “suoi romanzi, ora quasi dimenticati” (article non signé sur le site Barbadillo, “Laboratorio di idee nel mare del web”). Cela va plus loin : selon Il Primato Nazionale (“quotidiano sovranista”), Vailland aurait été « un résistant mythomane » (propos d’un certain Giampiero Mughini, repris à son compte par le signataire, Adriano Scianca. D’accord, l’idée de liquider Céline est peut-être venue après coup à Vailland ; mais en faire un Résistant d’auto-appellation, affabulateur invétéré, c’est un peu fort… La NRS (Nuova rivista storica, « revisionista » aussi ?), évoque « l’écrivain Roger Vailland, aujourd’hui inconnu », stipendié par « les services secrets soviétiques ». Mais au moins, la NRS et Allensandro Gnocchi, du Giornale, évoquent Hermann Bicker, colonel SS, qui réfuta très nettement ce que Céline dicta à son avocat, soit qu’il se couchait à sept heures du soir, ne recevait jamais personne rue Girardon, &c. C'est déjà cela. Vailland-Céline, un partout (sur ce point de savoir si, oui ou non, Vailland tenta de l'exécuter). Mais ailleurs, il n'y a pas photo : Vailland l'emporte.

Leïla et La Visirova, deux feuilletons de Roger Vailland


« Femmes » de Vailland : Leïla la vorace, Tania la « favorite »

Roger Vailland compta à son actif trois feuilletons dans Paris-Soir : Leïla, ou les ingénues voraces ; La Visirova, ou des Folies-Bergères jusqu’au trône ; plus tard (1941), Cortès, le conquérant de l’Eldorado… En attendant de transcrire ce dernier, j’ai choisi de réunir les deux premiers…

Les récits de Vailland sur Leïla, jeune Turque et Parisienne, et Tania, jeune « Russe » ont été présentés en tant que reportages, en 1932 et 1933. Reportages, certes, mais‌‌‌ romancés.
Qu’il fallait, pour qui les lit aujourd’hui, contextualiser. Ne serait-ce que parce des toponymes mentionnés ont changé, ou que certains épisodes historiques de l’époque de la Turquie de Mustafa Kemal ou de l’Albanie du roi Zog se sont estompés ou effacés des mémoires contemporaines.
Leïla, jeune Turque ayant vécu à Paris et y revenant pour s’y fixer et vivre le plus intensément possible est, à mon humble avis, un personnage composite : soit inspiré d’une héroïne réelle dont certains traits, faits, gestes ont pu être empruntés à d’autres. Mais Tania, fille d’Helena et d’un certain Fomov-Stronovskiy (ou Stronovskii), fut bien réelle et « entière », comme son caractère, encore plus trempé par l'adversité que celui de Leïla.
Leïla était impossible à retrouver, tracer, mais Tania Visirova (pseudonyme qui fit oublier son patronyme) avait confié ses mémoires, en 1980, à une journaliste, Maria Craipeau... Il était donc tentant de confronter les deux versions, celle de Tania-Roger, celle de Tania-Maria…
Ce que je me suis préservé le plus possible de faire… Ce afin de tenter de démêler le vrai du « faux », ou plutôt du minoré et de l’exagéré, non pas tel véritablement qu’un lecteur de l’époque (totale gageure), mais d’à présent. Soit qui « connaît » Vailland « mieux que lui-même » (puisque, en 1933, peu lui faisait présager ce qu’il allait devenir, un Résistant, un écrivain de premier plan marqué par son adhésion au Parti communiste et à la ligne de ses dirigeants). Et redécouvre des époques troublées qu’une historiographie mouvante fait percevoir différemment.
Par conséquent, l’approche est faussée et les commentaires induisent des pistes erronées, comportent de flagrantes erreurs… Que je ne vais pas rectifier ici. D’une part pour vous inciter à l’entreprendre en lisant le remarquable Tania Visirova, du Caucase aux Folies-Bergères, de Maria Craipeau ; d’autre part parce que la Tania de 1933 se racontant à Vailland et celle de 1980 se confiant plus sereinement à Maria Craipeau sont à la fois une et dissemblables…
De plus, le « Vailland » rédacteur du feuilleton, et le Roger Vailland, l’homme, le journaliste, qui se met en scène dans les pages de Paris-Soir, interagit avec Tania Visirova, ne sont pas identiques. Pour diverses raisons dont la subsidiaire est qu’en cours de rédaction, il fallut transposer l’Albanie en une (peu) énigmatique Thrasubie ; et peut-être la primordiale, soit que Vailland (selon Tania Visirova) se vit sans doute contraint par Jean Prouvost, patron du quotidien, de forcer certains traits et d’en passer d’autres sous silence (dont, par exemple, l’ascendance juive de Tania, des épisodes de sa vie liés à divers israélites).
Sans (trop) dévoiler la teneur des propos de Tania dans ses mémoires, je vais aborder un exemple qui a suscité maints commentaires de spécialistes de Roger Vailland. Quand Tania rencontre Vailland, fit-elle allusion à l’effroi que lui procura la vision de son père transfiguré par la passion que lui inspirait sa maîtresse ou trouva-t-elle ce prétexte pour expliquer ses rapports distants avec les hommes ? Vailland insiste, revient à plusieurs reprises dans le feuilleton sur cet instant « crucial ». Qu’elle n’évoque pas du tout en 1980, en exposant un autre, bien plus primordial, dont elle ne pouvait sans doute, en 1933, et ne voulait assurément pas faire état.
Tania Visirova protesta auprès de Jean Prouvost à propos de divers passages, lequel lui fit valoir un argument similaire à celui que Fréjol, le directeur artistique des Folies-Bergère, lui avança lorsqu’elle refusa, dans un premier temps, de paraître nue sur scène. Les music-halls parisiens avaient oublié La Visirova lorsqu’elle revint d’Albanie après trois années vécues auprès du roi Zog. Elle voulait remonter sur les planches, toute publicité était bonne à prendre…
Voici donc ces deux feuilletons au format PDF (le document comptant près d’une centaine de pages A4, et des illustrations, est d’un poids dépassant 1,5 Mo, et donc nécessite une connexion de bonne qualité).