samedi 6 avril 2019

Roger Vailland, Amina l'Égyptienne et les filles de la Pointe des Galets

Roger Vailland sur Le Chambord puis chez le sculpteur de l'Exposition coloniale

Franchement, si le titre ci-dessus, vaguement informatif, tient à peu près la route, je préfère l'autre (« Roger Vailland, Amina et les filles de la Pointe » ; peut-être pointées d'ailleurs...), à mon sens davantage incitatif. Quoi qu'il en soit...
Je ne sais si la Pointe des Galets, dans les années 1930, était, à La Réunion, un haut-lieu de la prostitution. C'était sans doute aussi Souris-Chaude, le Pic du Diable (encore vert), mais comme fut aménagé un port à la Pointe des Galets, eh, déduisez ce que vous voulez...J'y songe parce que je viens de retrouver, à la bibliothèque de la Goutte-d'Or, l'ex-copain de bamboche du Festival du roman noir de l'association 813, à Grenoble, en 1987. D'évidence, resté un pote (de pas mal d'autres aussi ; pas le genre à poser en gendelettre, Didier...). Je lui remémorai « la Bretonne », qui tapinait aux Halles (de Paris),  en coiffe, qu'il signale dans son Missak. J'vous dis ça, j'vous dis rien (mais vous en conterai davantage dans un prochain billet...).Bref, le lien qui suit vous mène vers « En voguant vers l'île des princes exilés – Quand Abd-el-Krim est voisin de l'empereur d'Annam », suivi de « Européens et Orientaux ont mangé l'agneau chez Mme Myriam Harry », et cela vaut son pesant de noix de coco. Vous y verrez, chose improbable, un alligator dévorant un zébu, et imaginerez Ulla, la suédoise, « dans le déshabillé de la Parisienne ». Non, je fabule, Ulla, c'était l'une des provinciales produites sur les tréteaux de la Fête à Neu-Neu d'Angers, présentée par un nabot gominé, au ton roucoulant-grassaillant, à deux pas du baraquement des catcheurs (avec « le jeune militaire du bataillon de Joinville », un comparse, qui, dans le public, se disait près à affronter Le Bucheron des Ardennes). Ce qui est bien avec Vailland, c'est qu'écrire pour Google, c'est du nan-nan. Tous (et toutes) les nostalgiques du « bon temps » des Colonies affluent. Lectorat de niche, certes, mais ça m'suffit. Notez que je ne plagie pas Vailland/Omer/Merpin/François, et que je ne vous dissimule pas que je ne sais absolument pas si Le Cap Ortegal (visuel) devint ou non Le Chambord . Il faudrait longuement vérifier, ce dont se dispensait fréquemment Vailland. Vailland journaliste, quel fabuleux « inventaire à la Prévert » (poncif éculé, mais comme le relevait Balzac, dans sa Nomenclature, un topique usé ne l'est jamais jusqu'à la corde ; ou peut-être viens-je de l'inventer, Éric Poindron appréciera – aparté). Banalités, clichés, lieux communs, c'est le métier qui ressort, réémerge, en Zeppelin du Loch Ness (cherchez...) affleurant la surface. J'en profite, sautant du coq à l'âne (Poindron encore...) que l'adjectif poncif ne s'accorde pas en genre : foin de tragédies poncives. Et pourtant... Abel-François Villemain (1790-1870)
Ah ! Flaubert (cherchez encore du côté, non de Philippe Bouvard, mais d'un prédécesseur...). Le Grand Jeu se gaussait des cadavres exquis. Moi de même, mais pour mon ultime papier du Pays-de-Franche-Comté, je mis les confrères et consœurs en mesure de me proposer huit vocables improbables à caser dans un compte rendu de la réunion publique d'un ex-banquier (quelque peu véreux) entré en politique. Il y avait dans le lot ornithorynque. Ce fut fait. Insérer ce monotrème qui fut peut-être le modèle d'une sculpture de l'Exposition coloniale (à vérifier) dans ce billet, c'est riper sur Boris Vian et Henri Renaud (« le mettre en présence d'un okapi, d'un singe, d'un ornithorynque, voire même d'un simple chien »), Francis Wolff (Philosophie de la corrida), Kant, Linné (la girafe, encore Poindron...), Adam (l'autre), 0ctave Mirbeau (tiens, Mirbeau, Daeninckz... j'y reviendrai), et je vous en passe, et des plus éminent·e·s figurant·e·s (là, j'exagère) dans les manuels scolaires. Un peu d'écriture inclusive ne peut nuire ; trop indispose à juste titre (d'alcoolémie ?). Enrichissez-vous, disait à juste titre Guizot, à la suite de La Fontaine (« travaillez, prenez de la peine... »). Guizot voisinant ornithorynque, cela, hormis peut-être Cirier, rares sont celles et ceux pouvant vous le proposer. Keep tuned.


jeudi 4 avril 2019

Roger Vailland «déguise» le second gagnant de la Loterie nationale

Quand Roger Vailland fit d'un notable d'Avignon un charbonnier couvert de suie

Le billet remportant le gros lot du deuxième tirage de la Loterie nationale échut à un certain Louis Ribière, notable avignonnais. Un an après, dans le cadre d'une série de reportages « Qu'ont-ils fait de leur gros lot ? », Vailland/Robert François tente de le convaincre de se confier à lui...
Il avait fait chou blanc avec le sieur Bonhoure (article précédemment retranscrit, voir les archives), tout premier gagnant du gros lot de la Loterie nationale, il se fait de nouveau éconduire par le suivant, un marchand de charbon et bois d'Avignon... Et s'en sort par une pirouette : il sait sous quel nom d'emprunt ce dernier va quitter Avignon pour la Côte d'Azur...
Croyez-le ou non, j'ai tenté de retrouver ce nom, ou du moins la localité ou Louis Ribière s'établit loin d'Avignon (le fit-il jamais ? la question peut être posée...). En vain. En revanche, j'ai appris qu'un baculard fut jadis un condamné à se faire fesser, que la « Sablonnaise » Jeanne Baculard, épouse Ribière, n'était ni native de l'Isère, ni de la Gironde, ni du Mans (quartier des Sablons), mais peut-être de Robion ou Sarrians, proches de la cité des papes. Avec moi, désormais, Bouvard et Pécuchet ne font plus qu'un...
« Traqué par la curiosité, Ribière, le charbonnier d'Avignon, doit fuir sa ville natale » (et se réfugier « dans une villa acquise sous un faux nom »). Telle est la titraille du papier de Roger Vailland/Robert François, en première page de Paris-Soir. Avouez que cela donne envie d'en savoir davantage... Oui, mais...
Une fois de plus (ou de mieux, c'est selon l'angle que l'on retient...), Vailland/François prend ses aises avec la réalité locale en province. Son charbonnier n'est pas un fouchtra provençal, mais un notable ayant hérité avec ses trois frères d'un commerce de bon rapport. Un chef d'entreprise... à la tête d'une affaire employant peut-être, outre des manouvriers, un comptable (là, franchement, je suppute aussi).
Il n'est pas non plus vraiment établi qu'il fut un flambeur risquant son gain dans les maisons de jeu locales (ou alors, pas davantage qu'auparavant et son gain de cinq millions de francs). Et puis, et puis....
Mais pour le lectorat parisien, après un coiffeur de Tarascon devenant multi-millionnaire, un simple charbonnier s'offrant une limousine, et une villa à la mer, fuyant Avignon après avoir été rossé par d'anciens comparses de bamboche, c'est plus « seyant », voire émoustillant... Ou habile, comme on voudra. Et puis, ponctuer de té ! des dialogues présumés (pour Bonhoure, j'ai pu recouper, il employait fréquemment le parler provençal ; pour Ribière, ce n'est pas sûr), c'est plus pittoresque...
Bah, au suivant... Des tarazimboumants articles d'Omer, Merpin, François... 

Roger Vailland à Saint-Omer au procès du pinceur de homards

Roger Vailland/Robert François : la guerre du homard (Saint-Omer)


Pince-mi et Pince-moi n'étaient pas dans le même bateau. Pince-mi (Charles-François Trabuchet) pinça les homards de Pince-moi (son concurrent, Savary). Mais les homards Savary étaient munis de pinces à pinces identifiables. Et il fut prouvé que Trabuchet en revendit... Que croyez-vous qu'il advint ? Trabuchet fut acquitté par les jurés, Savary, partie civile, débouté, pour n'avoir pas « spécifié le montant des dommages-intérêts demandés ».
Procès « truqué » que celui opposant, devant les jurés de Saint-Omer, deux négociants en homards et langoustes ? Eh, c'est le lot des procès d'assises : en dépit de preuves matérielles, d'aveux de complices, Trabuchet, qui avait organisé une expédition pour vider les viviers de son concurrent, l'autre « roi du homard », fut acquitté... Et la chambre civile débouta sa victime...

Cela Roger Vailland, signant Robert François dans Paris-Soir, ne le dit pas... Il quitta la salle d'audience avant la plaidoirie de l'avocat de la défense, pourtant un ancien ministre de l'Agriculture par ailleurs... Son article, « Le roi de la langouste vidait les casiers de son seul concurrent » nous laisse donc sur notre faim... Mais votre serviteur, votre Rouletabille ovalisé, votre Pierre Bellemare au petit pied, a retrouvé l'épilogue dans les archives (de la presse régionale de juillet 1939). 
Petit rappel tout d'abord. Un vol est généralement passible de la correctionnelle. Sauf si commis de nuit, en bande (« en réunion »), « avec effraction ou escalade  », ou encore « par ruse », car alors (depuis 2000 et quelques, je ne sais plus ce qu'il en est), ce vol aggravé était passible des assises, des foudres de l'avocat général.
Mon petit doigt me dit que magistrats, jurés, accusé et victime étaient plus ou moins de mèche (Trabuchet avait dû dédommager son concurrent en loucedé). Et puis, le sort des complices, cinq matelots de Trabuchet père et fils, pour certains chargés de famille, a sans doute dû émouvoir...
Quant aux magistrats, infliger un désaveu à un avocat gardant « le bras long » dans les couloirs du pouvoir, donc susceptible d'appuyer une demande de décoration ou un avancement, a peut-être été soupesé... Telle était aussi, parfois, localement, la justice de l'époque (zut, y a-t-il prescription pour outrages à magistrats depuis longtemps défunts ? Tant pis, je prends le risque ; attention, je n'ai jamais écrit « tous pourris », hein !).
Toujours est-il que le compte rendu d'audience de Vailland/François laisse peu de place au doute... Il prend nettement parti pour l'accusation. Pour une fois, il ne fait pas trop dans la couleur locale (parle d'un canot, et non d'un flobart ou flobard, bateau utilisé du côté d'Ambleteuse et Audreselles, sur la Côte d'Opale). Il brode à l'occasion, et c'est plus savoureux ainsi... 

mardi 2 avril 2019

Quand Frédéric Pottecher félicitait Roger Vailland pour son reportage

Roger Vailland sur Belle-Île-en-mer pour la « chasse aux enfants » (1934). 

À l'été 1934, une soixantaine de pupilles de la maison de correction de Belle-Île-en-mer s'évadent. Par enfant retrouvé, les pékins (insulaires et touristes) touchent 20 francs par tête (ramenée vivante). Prévert en fera un poème. Vailland (signant Robert François pour Paris-Soir) livre un reportage remarqué par Frédéric Pottecher.
Évidemment, il faudrait retrouver la plupart des papiers des confrères (en 1934, on ne compte que quatre femmes grandes « reporteuses » en vue) pour estimer si Frédéric Pottecher; le neveu de l'autre (Bussang), loua le reportage de Vailland/Robert François à bon escient. Il le trouve supérieur à d'autres car Vailland laisse filtrer que la maison de correction est un bagne, que certains gardiens ne se comportent pas très bien avec les gamins. En fait, Vailland est largement en deçà de la réalité, de la brutalité du régime pénitentiaire infligé, des brimades, &c. Il se concilie même le directeur de la « maison ». Mais bon, expédié à plus de 450 km de Paris, devant embarquer pour traverser sur ce qui n'est pas un Hoovercraft™®, téléphoner son papier pour la première édition de Paris-Soir (article sans doute annoncé par Paris-Midi), eh... 
En 1972, je m'intéressais aux « Filles du Bon-Pasteur ». Des « difficiles », selon leurs parents, et les juges pour mineures, parfois. Les religieuses de Notre-Dame de Charité du Bon-Pasteur les « tenaient » un peu trop sévèrement pour les « civiles » (monitrices, éducatrices laïques). Mais par rapport aux bagnes d'enfants (mâles) de 1934, cela n'avait plus rien à voir (ni sans doute avec ce que les « bonnes » sœurs irlandaises de l'époque faisaient subir à leurs pensionnaires). Mais je pouvais prendre mon temps (pour un hebdomadaire d'expression locale, Uss'm Follik). Pas la même tombée de copie qu'un Vailland. Donc sur Belle-Île, il ne téléphone pas son meilleur papier (mais peut-être le meilleur d'entre tant d'autres). Mais c'est un bon conteur. Au style, à mon sens, relâché (pour mon compte, à présent bénévole, j'opte pour la facilité maximale, le foutraque assumé, le relu mode survol : donc, rassurez-vous, il resta très loin de ce que je peux commettre). 
N'empêche, il aurait pu davantage enfoncer le clou. Oui, mais lui n'est pas Pottecher. Un reporteur n'est pas un éditorialiste. Pas un « Premier Paris » aurait écrit Balzac. Beaucoup de lectrices, encore plus de lecteurs, se prononcent sur les journaleuses et journaleux sans trop saisir les contraintes, les statuts, &c. Dont j'ignore d'ailleurs l'essentiel pour les années 1930. Mais en lecteur lambda, je me crois assez malin pour glisser mon grain de sel (ce qui me rappelle la célèbre blague : « et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti »). 
Ce qui me semble pertinent : Pottecher bosse pour un hebdo, Vailland pour un quotidien (à quatre ou cinq éditions/jour). C'est ce qu'il faut saisir en prenant connaissance du PDF (Vailland_Belle_Ile ; reportage sur une maison de correction). Et puis, Pottecher, lui (tiens, on dirait du Isabelle Horlans, le « lui » en incise était l'un de ses tics ; d'ac, là, j'écris pour Google, dropping names), ne doit pas se retrouver devant un sbire lui interdisant l'accès à je ne sais quel supérieur parce que son dernier reportage n'a pas été tendre pour les autorités. Il ne risque pas ce que j'ai pu vivre (« Ah, journaliste ? Eh bien, vous l'avez bien arrangé, le commissaire Untel. Allez hop ! Monte dans le panier, garde à vue... » ; ou encore, six semaines tricard de main-courante, interdit de commissariat ; ce fut plus tard, ailleurs). Pottecher tutoie un ministre (ou un autre), et peut lui dire : « c'est comme cela ou je t'étrille ». Pas Vailland. Dessous des cartes...
Bon, je lasse, je sais... Le prochain, le reportage de Vailland sur la marquise de *** sera plus divertissant... Moins verbeux (sauf si... car tel est mon bon plaisir).
Un dernier mot sur le visuel : la colonie de Mettray n'avait rien à envier à celle du Morbihan. Le type en casquette n'est pas un gardien, mais un chef d'atelier, et le personnage en noir est peut-être un curé (peu de femmes dans ces colonies). Bon, les « assistés » n'ont pas l'air d'être trop mal nutris. Car il fallait qu'ils puissent assurer du rendement...