Question à deux balles : quid des dicos des mots inventés ?
Mots-valises, néologismes, mots
inventés, mots imaginaires, mots inexistants, néovocables, mots tordus, mots
tarazimboumants… Nombre de synonymes, mais existe-t-il un terme pour désigner
les dictionnaires les compilant ?
Quand je suivais les cours du Déss ILTS (Industrie de la langue et traduction spécialisée, Paris-Diderot, campus
de Jussieu), sa directrice était une spécialiste de la néologisation et nous
avions aussi une professeure de dictionnairique.
Cette dernière (primo-dernière en
date pour moi ? je n’avais jamais abordé auparavant sa discipline) nous
avait soumis tout une série de vocables peu fréquemment (litote) recensés par
les dictionnaires contemporains.
Ainsi de celui désignant un patriarche de je
ne sais plus quelle église catholique non-romaine (syro-malabare, syro-malankare ?).
J’ai tout oublié de ce titre ecclésiastique (toujours en vigueur ou non ?).
Toute phobie ou presque est
désignée par un mot ; mais la… quoi ? Dicophilie, philodico-kekchoz-nimportnawak ?
Souffrez que je renonce à basculer en italiques divers mots allant suivre.
Bref, ces innombrables dictionnaires de mots sortis des remue-méninges
ébulliants de littérateurs, écrivains, et absents (jusqu’à nouvel ordre) des
autres, les dictionnaires « autorisés », de référence et révérence, n’ont
point (à mon humble connaissance et incommensurable ignorance) de mot pour les
désigner. S’il en était un, en français hexagonal, ultramarin (québécois ou
cajun aussi), sabir francophonisant, ou dans une langue étrangère, merci de m’en
faire part.
J’avais collaboré, circa 1980, à je ne sais plus quelle édition du Harrap’s Slang &
Colloquialisms. J’allais à la halle, près de carburo-stations-services,
pour trouver les équivalents français du jargon des cibistes. Je relisais Paul
Wenz (dit Paul Warrego) — non, ce n’est qu’une décennie plus tard que je lus
son Diary of a New Chum, mais je le glisse en cuistre — pour tenter de
trouver des mots australiens qu’il aurait pu franciser. Là, flemme de consulter
la contribution d’Arnaud Léturgie (univ. Cergy-Pontoise), « Une pratique
lexicographique émergente : les dictionnaires détournés ». Il semble
s’être retenu de créer les mots diconéomorphologique, diconéomorpho-sémantique
et diconéosémantique.
Dans sa biblio, je trouve Robert Galisson et ses « dictionnaires
de parodie ». Pas de mention d’abutyrotomofilogène (ou
niaisoxyloglotte, faibloxyloglotte, déficientissimoxyloglotte ?).
Comment vous vient ce
questionnement ? Eh bien, je vais vous le dire…
Aux multiples dictionnaires de ce
type vient depuis peu de s’ajouter un nouveau dictionnaire apocryphe
(suggestion d’Alain G. Leduc). Il s’agit du Livre des mots inexistants
(éds Globe) ou Dizionario inesistente (Mondadori). 256 pages traduites
de l’italien par Nathalie Bauer. Je ne m’imagine même plus traduire de l’anglais
un ouvrage similaire (ni même de l’espagnol). Tour de force. On songe aux
traducteurs de Joyce.
L’auteur, Stefano Massini, qui ne
sera pas « absent de Paris » (formule tombée en désuétude) le 26
novembre prochain, à 19 h 30 au musée d’Art et d’histoire du judaïsme
(ou MahJ, rue du Temple à Paris), évoquera aussi son précédent ouvrage, Les
Frères Lehman (prix Médicis de l’Essai 2018). Qui traite de Bavarois
émigrant aux États-Unis. Ariel Wizman sera son interlocuteur. Comme quoi j’avais
tort de présupposer que l’auteur et dramaturge florentin venait au musée en
marge des interventions d’Alessandro Guetta (c’était le 15 septembre dernier) et
d’Arnaud Bikard (tous deux de l’Inalco, et ce sera pour lui le 15 janvier) sur
les juifs d’Italie à la Renaissance (pour le premier) et Élia Bahur Lévita,
poète yiddish de Nuremberg qui se fixa à Rome et Venise après 1500 (pour le
second).
C’est érudit, ce Livre des mots.
En témoignent ces quelques exemples :
Mapucher : ce verbe
transitif, dérivé de la longue guerre d’Aurauco, menée par le peuple Mapuche de
1536 à 1881, indique une forme extrême d’engagement dans une cause. Ainsi « mapucher
une dispute familiale » signifie « transformer un conflit en hostilité acharnée
et permanente ».
Grantairique : adjectif,
dérivé de Grantaire, personnage des Misérables, qui définit un pacte
d'amour, d'amitié ou de collaboration l'emportent sous toutes sortes de liens.
Hearstien : adjectif,
dérivé de William Randolph Hearst (1863-1951), qui définit l'attitude contradictoire
de qui se voit contraint d'agir contre ses principes, valeurs ou opinions.
Parksien : adjectif, dérivé
de Rosa Parks (1913-2005). Qui définit une conquête mémorable née d’un petit
geste.
Faradien : adjectif, dérivé
de Michael Faraday (1791-1867), qui désigne l’état d’âme de ceux qui se sentent
sous-estimés. Car, quoi que vous fassiez dans la vie, il y aura toujours quelqu'un
pour vous traiter comme un domestique.
Je fus un éminent faradien, ce qui
est plus honorable que faiseur…
Pour Rosa Parks, je subodore confusément
(son petit geste consista à se caler les fesses dans un bus, à contester une
amende avec l’appui de Martin Luther King ; petit fessier, grande
conséquence).
Pour le magnat de la presse Hearst,
promoteur du yellow journalism, j’avoue patauger. Je vous laisse deviner
ce que désigne le hookisme, la fusagie et le dottisme, l’adjectif caransébique.
Allegro dottissimo serait-il un oxymore ? En tout cas, festina
lente de venir à bout de ces quelque 250 pages pesant presque leur
livre (et vous allégeant de 24 euros).
Cela étant, ce livre est moins un
dictionnaire qu’une réunion de récits, d’évocations de personnages (le
substantif birisme découle du nom des inventeurs hongrois du stylo à bille, et
le bichisme du patronyme du baron franco-italien dont les rasoirs « rasent
plus blanc » et qui acquit le brevet). Le spilungone hongrois (l’échalagesque
ou échalasique magyar ?) vous est présenté en long (et à travers ses pérégrinations
sud-américaines).
En Déss ILTS, nous traitions aussi
du traitement automatique du langage (correcteurs, traducteurs, textomètres, &c.).
Je vous suggère vivement, surtout
si vous pratiquez l’italien, de trouver les pages des sites ayant traité de ce dizionario
et de le passer à la moulinette Google.
Cela donne par exemple :
« Parmi les autres bières,
pas pour rien, László est connu - plus que pour ses longs silences - pour ces
plaisanteries éblouissantes et très justes qui le déclarent soudain, non
seulement vivant et bien, mais plus féroce et fouetteux que jamais. ». Sferzante,
ici cinglant, devient fouetteux… Et ces « bières » sont des comparses
de libations du bon-vivant. Et non des linceuls lorrains ou des suaires souabes.
Je ne sais comment la consœur a pu
traduire l’entrée liarismo. Il ne s’agit pas de King Lear, mais de l’empereur
des hâbleurs, l’Australasiano-suisse Louis de Rougemont (en fait, Henri Louis
Grin, un Vaudois).
Un personnage qui a sans doute
ravi l’ami Éric Poindron (amateur de girafes, animaux qui passèrent un temps
pour des chimères). S’il en est un qui se délectera de ce Livre des mots
inexistants, ce sera très certainement Poindron (assurément lecteur de
Chifflet et Jean-Marie Gourio). Alain (Georges) Leduc — grand amateur de bières
— ne saurait non plus rester insensible à cet éloge de László Biro, pilier de bistro.
Et je pourrais mentionner maints et maints autres compères, picaros de
comptoirs, amateurs de Villon, Rabelais, Boby Lapointe et tant d’autres. Je
devrais d’ailleurs ici les mentionner tous car, lors d’étrennes ou d’anniversaires,
l’ouvrage risque de circuler (bah, elles, ils, trouveront bien à offrir à d’autres
ce second ou troisième exemplaire…).
Avis aux aminches houblonistes, évitez
le doublonisme : de cette maison, Globe, offrez-moi plutôt Nomadland,
de Jessica Bruder (trad. par Nathalie Peronny). Cela me ravivera des souvenirs…
d’hoboisme (nord-américain).
Au fait, quel néologisme pour un
collectionneur-collecteur d’imaginaires, comme Massini (Bernard, fameux amateur
de peinture) ou Massini (Stefano) ?
Cogitez.
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