Le saccage des librairies, nouvelle pandémie ?
Selon André Frossard, André
Malraux aurait bien dit que ce siècle « sera mystique ou ne sera pas. ».
Déjà, auparavant, en 1955 notamment, il évoquait « le problème religieux ».
Approximations prémonitoires ? Il semble bien que, non le mysticisme, mais
les religiosités aient pris le dessus, comme en témoigne le saccage des
librairies.
Le vandalisme visant les
librairies, qu’il soit anonyme ou manifestement attribuable, caractérise ces
années 2010-2020. Cela relève davantage d’une pensée magique, de la
manifestation de cultes, que d’autre chose. Tant la culture de l’annulation déjantée que
sa dénonciation fanatique tendent à s’apparenter à des rites. Il faut s'exaspérer et s'indigner plus fort qu'en face. Psalmodier.
Je ne vais pas renvoyer dos à
dos celles et ceux s’étant attaqué à la librairie « Les Deux Cités »
de Nancy (au nom du féminisme et de l’antifascisme) et leurs pendants (homophobes
et néo-nazis) s’en étant pris à la librairie « La Plume noire » de Lyon.
Les dégâts et agressions ne sont pas du même niveau.
Mais je rappelle qu’un libraire
stagiaire parisien d’une librairie libertaire fut attaqué au couteau voici
quelques temps. Invectives (Nancy) et lourdes dégradations (à Lyon, en
1997, 2016 et à présent) ne sont pas de même nature.
Mais à vouloir — ou contribuer
à — exciter (consciemment ou non) — des illuminés, ou motiver des nervis au
niveau de réflexion fumeux, on finit par instaurer un climat insupportable. On
ne débat ou ne confronte plus, on invective, on insulte. S’instaure puis s’installe
un climat délétère.
Au nom d’idéaux se muant en
convictions indiscutables, on encourage de fait la violence ordinaire. Qui peut
se répercuter en rixes aussi banales que celles opposant des automobilistes en
venant aux mains pour des différents dérisoires.
Entre un ayatollah Erdogan voulant faire condamner des collaborateurs de Charlie Hebdo (pour se poser en chef de file des défenseurs de son prophète), et qui orchestre les jets d’anathèmes, la limite devient incertaine, provisoire, fluctuante.
La satire, même outrancière (je
pense tant Mila qu’à Charlie, sans doute plus réfléchi dans sa démarche),
ne doit pas exposer à des représailles visant les personnes. Rien ne les
justifie. Le droit à la critique, même vigoureuse, doit être préservé.
Mais quand je lis « fachos
au bûcher ! » collé à la vitrine de la librairie de Nancy, cela
me remémore aussi quelques mauvais souvenirs. D’autant que « La Plume
noire » fut auparavant l’objet d’un incendie criminel.
Les totalitarismes, quelles que
soient leurs motivations, poussent à la déraison, à des climats de violences. Les
cultes des chefs qui vitupèrent plus fort de même. J’éprouve le mauvais
pressentiment qu’ils gagnent du terrain. Que s’instaure une religiosité de
boutefeux cultuels. La prédominance d’obnubilés par des causes devenues
intangibles.