samedi 4 mai 2019

Roger Vailland, chroniqueur mondain, chez Tony Grégory


Quand Vailland estime déjà désuète « l’avant-garde » de 1931

C’est sous le pseudonyme de Georges Omer que Vailland signe ce billet paru dans Paris-Soir le 25 janvier 1931. Dont le sous-titre retient surtout l’attention : « une atmosphère tout à fait avant-garde… 1920 ! ».
Avant de vous évoquer le « danseur russe » Tony Grégory, quelques mots… Je me fais rare en ligne (soit ici ou ailleurs) : voyages… et puis, je me suis attelé à transcrire les deux « reportages-romans » ou, comme les qualifie Myriam Boucharenc, « reportages romancés » de Vailland (dans L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Septentrion éd.). Soit La Visirova ou des Folies-Bergère jusqu’au trône et Leïla ou les ingénues voraces. Non pas à partir des compositions des ouvrages les ayant auparavant reproduits (Roger Vailland – Chronique des Années folles à la Libération, éds Messidor, ou une édition Temps actuels de 1986, ou dans Écrits intimes, voire… &c.). Mais en les consultants « dans leur jus », soit tels que publiés dans Paris-Soir. Ce qui m’évite de me laisser « embarquer » par les commentaires de mes prédécesseurs (que je consulterai par après… et dont je tiendrai compte).
C’est une tâche de longue haleine, de saisie, de recherches portant sur des patronymes, toponymes, dates, &c. Les paumes m’en tombent parfois du repose-mains du clavier. Et l’envie prend de délaisser le chantier, d’intercaler avec… par exemple cet interlude sur Tony Grégory…
Grégory, que L’Aventure de la danse moderne en France, de Jacqueline Robinson (Bougé éd., 1990), présente d’origines corses, et âgé de quarante ans lors de son décès en 1947. Il n’aurait donc que 24 ou 25 ans quand Vailland assiste à une soirée dans son atelier. Lequel n’est pas déjà un lieu d’enseignement (Jacqueline Robinson indique que Tony Grégory donnera des cours à partir de 1936, à des amatrices et amateurs de toutes conditions sociales). Comme Molière, Tony Grégory mourut en scène, à Neuilly, lors d’un gala…
Corse… En tout cas Français puisqu’il fut, avec Janine Solane et Pierre Conté, l’un des trois concurrents français du concours des Archives internationales de la danse de 1932 (l’Allemand Kurt Jooss l’emporte, mais Tony Grégory se fait remarquer et est ainsi lancé à l’échelle européenne). En 1934, il se produit beaucoup à Paris (si cela vous intéresse, l’article d’Anita Estève, paru dans Le Midi socialiste du 12 juillet 1934, vous en dira davantage…).
Tony Grégory eut sans doute des homonymes (non pas le chanteur jamaïcain, plus contemporain, ou le boxeur), dont l’auteur de nouvelles du magazine pour la jeunesse de Jean Bruller (du temps de Patapouf, Pif et Paf, Plick et Plock…). Là encore, je vous laisse retrouver…
Comme vous le savez, grâce à Annette Gardet (docteure ès études théâtrales pour sa thèse sur La Comédie de Reims), je me suis intéressé à la décentralisation théâtrale. Donc au(x) théâtre(s) populaire(s). Fort peu à la danse. Or, le « populaire » avait son pendant chorégraphique. Ainsi, Tony Grégory participe au spectacle tiré du 14 juillet de Romain Rolland par Aragon. C’est en 1936 (donc hors-sujet par rapport à l’article de Vailland, mais ce qui est épatant, c’est de voir où Merpin, Omer, François et Vailland vous entraîne…). Romain Rolland consigne : « on me dit que le plus beau est l’organisation de ces danses et mouvements populaires par Grégory. ». Pendant aussi, ultérieur, des spectacles populaires de Chancerel et Ghéon ? Si intrigués, reportez-vous à la conférence de Chantal Meyer-Plantureux, « Les metteurs en scène de Romain Rolland : un itinéraire politique » (consultable sur le site association-romainrolland.org). Grégory fut-il aussi du Danton aux Arènes de Lutèce ? Je ne m’étends pas… Pascale Goetschel note aussi « Le chorégraphe de l’Utif [note : Union des théâtres indépendants de France, ou « théâtre de la Liberté », qui avait intégré les membres de la FTOF, Fédération du théâtre ouvrier], Tony Grégory, est, lui, chargé de la fête populaire à la fin de la pièce et précisément de la “ronde de la paix et de la fraternité” ». 150 « acteurs ouvriers » participent.
Quel rapport avec Vailland ? Peut-être aucun. Sauf que… En 1936, Vailland se rapproche des protagonistes de la sphère culturelle du Front Populaire. Rencontre-t-il Tony Grégory ? Ce dernier s’adresse-t-il à lui en russe ? Risque-t-il un calembour (« Grégory, dit le Vert zélé ») ? Car le titre de l’article le qualifie de « danseur russe » aux « vers ailés ». Toujours est-il que dans l’année suivant la parution de l’article, Les Archives internationales de la danse, rendant compte du concours, ne considèrent pas Grégory si has-been que Vailland le laisse supposer : « Dans l’évolution actuelle de la danse (…), M. Tony Grégory fait figure de précurseur. Pour employer un terme dont on a abusé, il est “d’avant-garde” (…) Dégagé ainsi des conventions paralysantes, il a imaginé un mode d’expression d’une objectivité directe. ». Et plus loin : « Le danseur Tony Grégory s’est toujours éloigné des formules acquises ». Grégory, en avril 1936, présenta aussi un ballet Palais de la Mutualité interprété par le « groupe populaire Regards de Bobigny ». Aragon revendiquera la conception d’ensemble (ou l’idée originale, comme on voudra) de ce « spectacle-ballet » dans la revue Commune (nº 34).
On sait Vailland/Omer à l’occasion critique cinématographique. Peu après sa visite en son atelier, Tony Grégory avait participé au gala de la revue L’Image, le 18 mars, « Le cinéma et la chanson ». Il est aussi qualifié à cette occasion de créateur d’avant-garde.
Petite digression au passage (forcément…) : Vailland, dans cet article, nous épargne une allusion au nez de Grégory (du fait du sien, Vailland fut assez coutumier de telles remarques), tout à fait remarquable (photo ci-contre).
Il semble que Tony Grégory avait plusieurs cordes à son arc. Le Ménestrel le qualifie ainsi : « M. Tony Grégory est d’abord un peintre, il est ensuite un danseur (…) il dessine lui-même ses costumes, règle lui-même ses éclairages… ».  (26 juin 1931). Il crée aussi des masques, ou on – Picasso  – en crée pour lui. C’est aussi un mime réputé, un interprète et compositeur musical.
Robert Desnos, pour Gags, spectacle inspiré de « gags cinématographiques », dont ceux des Frères Marx, reprend une musique de Darius Milhaud, et choisit Grégory pour chorégraphe, en août 1937, dans le cadre du Théâtre 1937 (doté d’une scène circulaire) avec Les Ballets de Paris..
Reste « l’essentiel » (hum…) : pourquoi, comme le fait titrer Vailland/Omer, « danseur russe » ? Pour le savoir (ou pas), reportez-vous à la transcription de l’article (en PDF) et à mes laborieux commentaires. Mais quelque chose cloche là-dedans, et je retourne immédiatement (ou presque) aux Leïla et Tania me restant sur la planche…
Ah, et puis à quoi bon relever qu'au lieu de s'intéresser au sujet principal, Vailland, comme à son habitude, s'étend sur une belle Allemande ? Enfin, s'étend. Ou laisse entendre qu'il voudrait s'étendre sur, par la suite... Dès qu'une sémillante étrangère se trouve dans l'assistance (ainsi de l'Égyptienne d'un certain dîner pascal qui doit pouvoir être retrouver sur ce blogue-notes), Vailland frétille, détaille, oublie même ce pourquoi Lazareff ou un confrère lui suggère de fournir un papier sur Untel ou tout autre. À moins qu'il ne choisisse ses sujets qu'en fonction des jolies femmes qu'il pourrait rencontrer (et tenter de séduire). J'en viens à me demander s'il ne délaissa pas – en partie, bien sûr – ce « type » de journalisme pour la carrière de romancier parce que, bien davantage que Tony Grégory, il devint has-been... Il qu'il valait mieux, pour retrouver des Leïla et des Tania, changer de registre.

lundi 29 avril 2019

Gérard Guégan marqué par Roger Vailland

 Gérard Guégan, grand lecteur de Roger Vailland (rappelle la presse)

Petit billet sans prétention: je reviens de voyage(s), il ne s'agit que d'une mise en jambe (sing. pourquoi donc ? on avance à cloche-pied ?) avant de me remettre à mes farfouilles sur Roger Vailland. Or donc, Gérard Guégan, quand les journalistes et critiques se documentent, est fréquemment associé à Roger Vailland...
C'est peut-être parce que Gérard Guégan « fut » journaliste (passés quelques années de pratique, on le reste à vie) qu'il s'intéressa de près à Vailand : on se cherche des prédécesseurs à émuler. J'écris ici « au fil de l'eau » (de l'encre d'Internet), piochant dans ce qu'il fut écrit de Guégan et Vailland... Philippe Lacoche (décidément, il coince, insère, du Vailland dès qu'il en pressent l'occasion), écrivait dans Le Courrier Picard « il avait imaginé une manière de procès improvisé à l'attachant Drieu La Rochelle, par des résistants, dont, of course, Roger Vailland. ». Là, Lacoche chronique Nikolaï, le bolchevik amoureux (« tout aussi épatant » — éd. Vagabonde). Chronique datée du 17 mars dernier (« Chapka Basse, Gérard Guégand ! ». Et je me demande si Étienne de Montety (dans Le Figaro, 24 avril), n'y a pas été piocher sa chronique du même livre (« son roman (...) qui doit plus à Roger Vailland qu'à un discours de Maurice Thorez »), chez Lacoche donc. Si c'était le cas, il aurait fort bien fait. Si ce n'était, les esprits bien faits se rencontrent.
Digression : je finis de lire en ces instants Un certain M. Pieckielny (Folio), de François-Henri Désérable. Lecture d'aéroports et de vols, piochée au hasard dans les rayons avant d'embarquer (un Écho des Savanes pour tromper l'attente, puis un bouquin une fois la ceinture bouclée... et ensuite). C'est sur Romain Gary... Et à un moment, évocation furtive du « regard froid » de Vailland. Parfois, les vaillandophiles (pas forcément vaillandolâtres) s'interrogent : leur dada s'évanouit-il dans les limbes de la littérature estompée par l'Éducation nationale et la gendelettre réunies ? Que nenni...
Retour à Guégan. Adrien Le Bihan, qui, lui, comme Lacoche, a lu Tout a une fin, Drieu (Gallimard), a su déceler que les noms « sont empruntés au Roger Vailland de Drôle de Jeu (...) et d'Héloïse et Abélard». Lamballe, en particulier. Et Marat.
Je n'ai pas lu Guéguan (ou alors, j'ai oublié, comme j'ai oublié tant d'autres livres et auteur·e·s), mais cela viendra (ou reviendra). En commençant peut-être par Appelle-moi Stendhal (Stock), car certain de n'avoir pas lu celui-ci, où Vailland serait évoqué (divers commentaires m'en assurent). 
Est-ce parce que Gérard Guégan se vit confier par Gallimard, en 1975, le soin de relancer les éditions du Sagittaire qu'il s'est intéressé au fonds de la maison disparue et à Vailland ? Lui seul pourrait répondre. Peut-être le fit-il déjà dans Ascendant Sagittaire (Parenthèses éd.) ? Ou cela date-t-il de son embauche à L'Humanité, fin 1963 ? De son intérêt pour Vailland scénariste lors de son passage aux Cahiers du cinéma ?  D'une réflexion sur les revirements (Fontenoy ne reviendra plus, Stock, livre sur Jean Fontenoy, écrivain marqué à gauche, opiomane, passant au fascisme), et les désillusions (Vailland et le stalinisme) ? Ou lorsqu'il s'intéressa à Aragon (Qui dira la souffrance d'Aragon, Stock), qui fit tant pour marginaliser Vailland (avec Breton, puis le PCF) ? 
Nikolaï, c'est Boukharine, qui, comme Vailland sans doute, aimait l'idée de révolution, sans être totalement certain (en dépit des gages qu'il donna au PCF) d'y trouver place « lorsqu'elle aura triomphé ».
Seconde digression : et association farfelue d'idées, avec un homonyme (Guégan, Gérard ; lui aussi journaliste honoraire, et non CRS retraité militant du Front national, autre homonymie), ayant collaboré à un album de BD sur Maurice Tillieux, créateur de Gil Jourdan, le détective privé (éd. Dupuis). J'y songe car, sauf omission involontaire, Vailland ne se rencontre pas en personnage, même secondaire, de bande dessinée. Étrange. Le Boukharine de Gérard Guégan ne devrait guère, à mon sens, tarder à passer en planches. En compagnie d'Ilya Ehrenbourg (dont la fille, Irina, traduira le 325 000 francs de Vailland).
Mais retour sur Gérard Guégan... Vailland estimait (formule facile, un peu moins quand même que celle de Séguala sur les Rolex...) que votre visage, passé un certain âge, reflète ce que fut votre existence. Retiré dans le Gers, comme Vailland dans l'Ain, Guégan semble donner raison à Vailland. Un visage plus marqué par le doute que celui de Vailland, à mon sens (qu'on se rassure, je ne suis pas adepte des théories de Cesare Lombroso, et plutôt du côté d'Alexandre Lacassagne sur la morphologie). Sur la couverture de Les Cannibales n'ont pas de cimetières (Grasset), le regard n'est pas si froid... Refroidi, sans doute. Oh, et puis, las, je n'en tire aucune conclusion : ce n'est là qu'une pirouette avant de  passer à (tout, peut-être) autre chose...