vendredi 22 février 2019

Médialogie sauvagonne : Schneidermann et déformation pédagogique


Daniel Schneidermann sur Roger Vailland :
un discours approximatif

C’est l’écueil de l’oral, d’un enseignement du journalisme poussant à la synthèse en « contractant » l’analyse, de l’approximation pédagogique et de la tendance à se servir de références présumées « parler à tous ». Sur Roger Vailland, Daniel Schneidermann s’enferre en entretien, moins en écrivain. Mais ses excuses sont recevables.

Daniel Schneidermann résume : « En 1933, Vailland faisait un reportage sur le boycott des commerces juifs. Devant les devantures de boutiques, les choses avaient l’air de se passer plutôt tranquillement, les clients entrant dans les magasins malgré les piquets de garde des SA. Aveuglé par la scénette qu’il avait sous les yeux [un jeune nazi rougissant devant l'effronterie d'une jeune fille entrant dans un magasin], il a perdu de vue la dimension inouïe d’un boycott des commerces juifs systématique, encouragé par l’État. ». (Stratégies).

         Bon, on ne va pas lui ressortir La Face cachée de Reporters Sans Frontières (éds Aden, Bruxelles), de Maxime Vivas (prix Roger Vailland 1997), auteur déclarant à Le Grand Soir : « À Daniel Schneidermann de dire pourquoi il fait la sourde oreille aux multiples demandes qui lui ont été faites de me donner aussi la parole quand il traite du cas RSF. ». Ah ben, si, je viens de le faire… Mais aucune autre semi-perfidie dans ce qui va suivre, d’une part, et de l’autre, alors que les réseaux sociaux bruissent d’invectives, de développements s’appuyant sur des citations tronquées, &c., il conviendrait de vérifier si, depuis l’entretien de Maxime Vivas avec une personne du « Journal militant d’information alternative », Arrêt sur images n’a pas au moins mentionné ce livre…
         Il se trouve que le propos de Daniel Schneidermann s’adressant à Amaury de Rochegonde, de Stratégies, m’a fait bondir. Puis j’ai pris du recul… J’ai consulté ce qu’avait écrit Schneidermann dans Berlin 1933 (Le Seuil), dont le bandeau racoleur interpelle : « Pourquoi n’ont-ils rien dit ? ». D’une part, entre autres, un Xavier de Hauteclocque, pour Gringoire, avait su dénoncer la terreur nazie en octobre 1933, ce qui lui vaudra d’être liquidé en février 1935. Alors que, pourtant, Gringoire… J’en profite pour signaler l’album BD La Tragédie brune (de Thomas Cadène et Christophe Gaultier, Les Arènes BD éd.). D’autre part, si, traitant de Mussolini, puis d’Hitler, nombre des confrères disparus, dont Roger Vailland, n’ont guère fait preuve d’indignation immédiate (litote), il y a quelque désinvolture à prendre ainsi en otage l’envoyé spécial de Paris-Soir pour appuyer sa démonstration. On ne prête qu’aux riches, aux « pipeules », et à l’entendre, Schneidermann fait preuve de peu de scrupules… Berlin, 1933 est sous-titré : la presse internationale face à Hitler. Et il est juste d’estimer, après l’avoir lu, que, grosso modo, il n’a pas foncièrement tort, et même souvent abondamment raison. Sauf que, sur Vailland, en toute bonne foi, il s’égare quelque peu, tire la ficelle de la déformation pédagogique…
         À le lire, cependant, c’est différent. Largement plus nuancé. Je résume : « Si je suis honnête, je dois reconnaître que ce reportage de Vailland, j’aurais pu l’écrire ». J’abrège puisque le document « Médialogie sauvage :Roger Vailland et Daniel Schneidermann» fournit de quoi se faire une plus juste opinion.
         Ce qui amène à s’interroger : « Schneiderman pratique la déformation pédagogique » est un titre plus incitatif que « pratique l’approximation pédagogique ». Ah, il déforme, il ment, l’infâme ? Que nenni, pas plus que ces profs énonçant que la planète est ronde (l’imparfaite rotondité de la Terre, l’emplacement du Pôle Nord, &c., seront abordés par la suite).
         Sauf que… Schneidermann, avec des scrupules qui l’honorent, se fourvoie quelque peu. Si, comme je le présume, il n’a lu l’article de Roger Vailland envoyé spécial à Francfort que dans une compilation de retranscriptions ultérieures, eh bien, moi aussi, sous les mêmes conditions, je pourrais reprendre à mon compte, honnêtement, que je dois reconnaître que ce qu’il en rédige, j’aurais pu tout aussi (mal) l’écrire.
         Ce « mal » n’a rien de polémique. L’interprétation de Schneidermann n’est pas si mauvaise. Simplement, il saisit au vol un texte sans trop se préoccuper du contexte. Dans les agences de presse, revenait parfois un débat : faut-il laisser se brûler un seul en poste dans un pays étranger, accepter qu’il offre le prétexte à se faire expulser (et ne pouvoir être remplacé), en dénonçant trop crûment une dictature (de nos jours, africaine ou asiatique principalement) ?
         Ensuite, et c’est le plus important, la correspondance téléphonique de Vailland depuis Francfort s’insère – au milieu en mise en pages de une puis de tourne – entre d’autres. Celles de Robert Lorette (depuis Berlin) et Jean Marèze (depuis la frontière ouest allemande). Qui connaît la presse de l’intérieur peut avancer qu’ils avaient reçu pour consigne de s’en tenir aux « choses vues », tout en se répartissant la tâche. À Vailland la couleur locale, à Marèze les entretiens avec les Juifs fuyant les nazis, à Lorette le soin d’évoquer les implications du boycott, notamment sur le plan international.
         C’est semble-t-il ce qui a pu échapper à Schneidermann et il serait outrancier de lui en tenir rigueur, de monter en épingle un grief déplacé. Le reproche d’avoir fait elliptique en entretien est un peu plus fondé. Mais ce n’est ici nullement une mise en accusation, une sommation de rendre des comptes, une (vaine) mise en demeure de rectifier adressée à son éditeur.
         Il importe nonobstant de tamponner cette petite tache sur le revers du col de Vailland journaliste. Non pas mû par une sorte de confraternité-grégarité posthume. Si on veut chercher des poux dans la tête de Vailland, on en trouvera dans la presse communiste de l’époque postérieure, celle d’après la Libération. Encore que… C’est là aussi une exagération : convaincu de la justesse de la ligne du Parti communiste, Vailland se révéla teigneux avec modération.
         Pas davantage qu’on ne doit placer sur le même plan la contribution de Vailland à la revue Le Grand Jeu (en ne se méprenant pas sur le titre « La bestialité de Montherlant ») et ses multiples articles dans la presse à fort tirage (L’Humanité incluse alors), il ne faut pas sombrer dans l’amalgame. Vailland représentatif d’une presse timorée, si ce n’est complaisante à l’égard des dictatures fascistes des années 1930 ? C’est aller trop vite en besogne, s’emparer de la réputation ultérieure de l’écrivain pour faire un exemple. Qu’on se rassure, Schneidermann n’a pas maltraité son otage, qu’il relâche rapidement… en lui concédant des excuses.
P.-S. – L’intégralité de l’article de Vailland dicté depuis Francfort se trouve en ligne, et Google Livres publie de larges extraits du livre Berlin, 1933. Très bonne lecture. Et sur Vailland et Schneidermann, la conclusion aurait pu être : « Say anything you want about me as long as you spell my name right… » (aurais-je laissé passer un « Vaillant » ? Ouf, non.).

jeudi 21 février 2019

Quand le Grand Jeu (Roger Vailland et alii) pensaient percer…

Le Grand Jeu, « fanzine » d’hier devenu revue culte ?

Avec le numéro deux de la revue Le Grand Jeu, les « phrères simplistes » espéraient une renommée internationale. Rien de moins. Il leur fallait donc sortir un numéro de bonne tenue, et soutenue par les moyens classiques de l’édition…
En témoigne cette publicité pleine page parue dans la revue Les Cahiers du Sud, qui avait alors une large diffusion. Mais le coup manqua, faute à – peut-être – la concurrence d’autres revues éphémères, lancées aussi par de très jeunes auteurs, toutes aussi « révolutionnaires » et « innovantes » (disait-on plutôt novatrices à l’époque, 1929 ?) se disputant le même public, lequel s’en lassa ?
         Tout littéraire féru de ce qui marqua le siècle dernier n’ignore rien, ou peu, du Grand Jeu. Sa postérité a sans doute fortement dépassé sa renommée dans les années 1930. Laquelle fut forte… dans le cénacle de diverses chapelles, dont celle(s) des (ex-)surréalistes. Mais jamais au point de se faire une vraie place au soleil, et si, tardivement, un troisième numéro parut, les textes du quatrième restèrent dans des cartons.
Je ne peux m’empêcher de songer à l’actuel graphzine Couverture, porté par Jean-Jacques Tachdjian, lequel, pourtant, par le relais des réseaux sociaux, bénéficie sans doute d’une notoriété supérieure à celle du Grand Jeu d’alors (quoique la « grande presse » en fit au moins état, ce qui n’est guère le lot de Couverture). Les deux « supports » ne sont guère comparables : l’un (Grand Jeu) comportant des tirages de tête adressés à des « personnalités », l’autre (Couverture) se voulant au plus proche du prix coûtant et ayant renoncé par avance à séduire celles et ceux « qui font l’opinion » (et bien sûr le premier donnant la primeur aux textes, le second à l’illustration).
         Avantage pour le dernier en date (cinquième numéro, contre trois), mais dans les ventes aux enchères, le prédécesseur atteint des cotes que les détenteurs d’un numéro de Couverture ne peuvent espérer de sitôt (mes oreilles sifflent : Tachdjian est total rétif devant l’art spéculatif).
         Les archives de Michel Random ont fini dispersées par Artcurial. Des dessins de Vailland ont trouvé preneur à l’Hôtel Drouot. Peut-être pour finir dans des coffres. Denis Moscovici (qui fait dans la finance) est l’un des collectionneurs bibliophiles amateurs du Grand Jeu depuis 1992 et il se plaint de l’inflation des prix des documents, autographes et autres, des membres du mouvement.
         J’espère que « Jiji » Tachdjian trouvera sa Madame Firmat, tenancière d’un modeste café du 19, rue Bardinet (xive arr. de Paris) qui recueillit Roger Gilbert-Lecomte en 1943. Je ne sais trop pourquoi, à Avrillé, près d’Angers, dans le quartier de l’Adézière, se trouve depuis 1982 une rue René Daumal, qui finit en impasse. Je ne serais pas étonné qu’une rue Jean-Jacques Tachdjian l’honore un jour, à Lille ou dans une localité périphérique.
         Mais risquer de tels hasardeux rapprochements n’a guère de sens. D’autant que les différences sont flagrantes entre qui n’a jamais vraiment été tenté par Paris ni recherché à se faire connaître, sinon du grand public, du moins de celui censé « compter », et ces « phrères » et consorts très insérés en divers milieux parisiens et pour certains d’entre eux soucieux d’asseoir leur réputation. Dans des lettres, Gilbert-Lecomte reproche à Daumal de ne pas savoir assurer efficacement la notoriété de la revue, assure que, s’il n’était pas retenu à l’étranger, il ferait plus et mieux en matière de publicité.
         Il est impossible d’estimer (sauf à se plonger dans des archives comptables sans doute disparues) si l’encart pour Le Grand Jeu dans Les Cahiers du Sud bénéficia d’une très forte ristourne. Antan et naguère comme à présent, des magazines, des publications, cassent les prix à l’approche du bouclage : mieux vaut un ou deux placards bradés que laisser entrevoir que les annonceurs ne se pressent guère à passer des ordres. Cela ne semble pas le cas des Cahiers du Sud qui bénéficient de clients d’un tout autre niveau (automobiles Voisin, maisons d’édition parisiennes ayant pignon sur rue, revues longuement établies).
         Sur cet encart, un détail retient l’attention : le prix du numéro est identique pour la France, la Belgique et le Luxembourg (passe encore), mais aussi pour la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie, la Roumanie, la Pologne et la Tchécoslovaquie… C’est deux francs de plus pour tous les autres pays… C’est à croire qu’il est fait une fleur aux amis d’amis et connaissances de certains collaborateurs ou proches de la revue (voire à leur parentèle…). Solomon Bouli (Monny de Boully) est Serbe ainsi que Dida de Mayo, Sima Tchèque, Nezval (Vitezslav Nezval) de même, Antoine Mayo de père grec, des proches (Claude Sernet et Benjamin Fondane) sont roumains. Certes, ces pays sont francophiles et la revue tchèque ReD a porté attention au premier numéro du Grand Jeu. Soutient de la revue, Léon Pierre-Quint est très lié à La Revue européenne, et il a sans doute des contacts cosmopolites. Mais sans doute autant en Espagne ou Italie que dans les pays d’Europe centrale.
         Consacrer l’essentiel de ce numéro à Rimbaud ne constitue plus guère une forte audace. Paul Claudel a préfacé un recueil de poèmes pour le Mercure de France en 1912, les surréalistes s’y réfèrent dans la revue Littérature (mai 1922, juin 1924). Alfred Jarry, Antonin Artaud en ont fait l’éloge. On peut donc supputer que ce choix n’ait pas tout à fait été exempt d’opportunité commerciale. Il se peut aussi qu’il ait été estimé que l’étude d’André Rolland de Renéville, Rimbaud le Voyant, publié par l’éditeur Au sans pareil en avril, ait fourni l’ossature de ce dossier central. Et ce peut-être dans la perspective d’un renfort mutuel (la revue popularisant l’auteur et le livre, le livre contribuant à susciter l’intérêt pour la revue).
         Bref, outre le fait qu’il ne s’agit pas d’une publication ronéotypée, il ne faut pas assimiler la revue à ce qu’on appelle communément aujourd’hui, depuis la fin du siècle dernier, un fanzine… Léon Pierre-Quint, conseiller occulte des jeunes fondateurs, n’était pas tout à fait un éditeur « alternatif », et l’ambition était bien de se faire connaître au-delà d’un cercle restreint. L’assimilation abusive tient surtout au ton du premier numéro, au fait que la parution fut rare et éphémère, à l’addiction aux drogues de nombre de protagonistes, à leur jeunesse… Aussi sans doute à l’intérêt porté aux sagesses orientales un demi-siècle avant l’émergence du mouvement hippy.
         Comme l’a relevé Anne-Marie Havard (« Le Grand Jeu, entre illusio et lucidité », Contextes nº 9, 2011), les jeunes membres du mouvement sont conscients de leur capacité d’intégration dans le champ littéraire. En 1929, Gilbert-Lecomte publie d’ailleurs à Bruxelles le texte de l’une de ses conférences, « Les chapelles littéraires modernes ». Anne-Marie Havard estime que « les Rémois (…) jouent donc, sur-jouent même, à la fin des années 1ç20, les règles du jeu littéraire. ». Même s’ils ne les jouent pas « jusqu’au bout ». Vailland s’étant éloigné, ne se consacrant plus qu’au journalisme, Gilbert-Lecomte ne prend pas sur lui : il cède trop à son naturel indolent pour redresser la barre, fédérer. Quant à Daumal, il déserte, se replie sur lui-même, en quête de spiritualité.
         Même si ce second numéro avait été véritable succès commercial, les liens distendus entre les trois fondateurs ne leur auraient sans doute pas permis de recréer une sorte de ligne éditoriale cohérente. Dans une contribution (« Aux frontières du surréalisme : le Grand Jeu », Mélusine, nº 3, « Marges non-frontières », L'Âge d’Homme éd.), Viviane Couillard estime que « le Grand Jeu dans toute son exigence et sa pureté (…) ne s’est vraiment joué qu’à l’époque du Simplisme. ». C’est aussi l’un des éléments contribuant à la perception postérieure de la revue : près de 80 ans plus tard, les mouvements simpliste et du Grand Jeu se sont amalgamés dans les mémoires de qui ne s’y est pas intéressé de près. Les jeunes adultes parisiens restent perçus tels les adolescents rémois qu’ils ne sont plus.
P.-S. – pour qui s’intéresserait davantage à ce numéro, le document PDF « Le Grand Jeu, revue internationale et « luxueuse », fournit des indications complémentaires…

lundi 18 février 2019

Macron Lajoie, le tout, tout, tout dernier livre de Charly


Emmanuel Macron dévêtu pour quatre saisons par Charly (Charles Duchêne)

Surprise ! Parti ! Après ce Macron Lajoie (JBDiffusion éd.), vingtième essai-pamphlet politique de Charly, le voilà qu’il nous jure ses grands dieux qu’on ne l’y reprendra plus…

Ce serait donc le tout, tout, tout dernier opus de Charly. Là, on a envie de se teindre en blond·e pour rejoindre le chœur scandant « laissez-lui une chance, laissez-lui une chance ! » (retrouvez la blague sur divers sites humoristiques…). Perso, je n’en crois pas un mot : ce sera plus fort que lui, il récidivera (finaude allusion subreptice à son Il présidera, sorti en 2005, premier de la série). Avant de parvenir au grand âge atteint par Aznavour, il nous réitérera ses adieux. Cabotin, va, chemine, trottine, et pêche et repèche encore !
         Quand même, ils sont forts, Charly et Delambre, le dessinateur du Canard enchaîné. Après la première de couverture, dès le bas de la page 12, on trouve cet aphorisme de Confucius : « Le bonheur ne se trouve pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir. ». Rassurez-vous, la langue de Charly n’est pas celle de Lao Tseu et consorts. C’est sur le mode conversationnel, entrecoupé de brèves de comptoir, que Charly nous démolit Emmanuel Macron. Comme toujours avec lui, c’est soigneusement documenté, ciselé (hormis un « j’entends les cris de vierge effaroucgée (sic) de l’Élysée ; la coquille ayant été corrigée à la main sur mon exemplaire, ce qui est dommage, car ce sibyllin néologisme est savoureux).
         Mais commençons par le milieu, situé aux trois-quarts (vers la page 120). L’un des tics sympathiques de Charly est que son grand (nerf trisplanchnique, qui se titille via les narines, ce pour éviter la répétition) a le chic pour dénicher de bonnes adresses de restaurants. Donc, se glisse dans chaque bouquin un chapitre consacré à la bagnole (radars, limitations de vitesse, macroéconomie de l’automobile…) et aux étapes casse-graine. Celles qui proposent des plats du jour goûteux, copieux, à 8-11 euros. Là, mentionnons La Renaissance des Halles (Saint-Quentin), La Cigale (Nantes), L’Ardoise (Abbeville), La Graineterie (Amiens), &c. Cela vous indique aussi « d’où cause » le Charly sillonnant la France pour rejoindre de petits salons du Livre depuis l’ancienne gare où il réside et élève des poules améliorant le chiche ordinaire. Ex-habitué des très bonnes tables, tombé dans la dèche, récent retraité limite impécunieux, s’il traite des Gilets jaunes, ce n’est guère de plus haut que celles et ceux auxquels il ne reste qu’entre plus ou moins vingt euros à la fin du mois. Je glisse au passage qu’avec mes potes à la ramasse financière, obligés de résider à l’étranger ou en caravane délabrée, les autres, qui manifestent en jeans Diesel, veulent pouvoir acquérir une télé et une tire plus spacieuses que celles du voisin, nous gonflent quelque peu. Quand Charly en traite loyalement, ce n’est pas de celles et ceux-ci dont il se soucie…
         Il y parvient – à s’en préoccuper – sans chuter dans les pires égarements des ras-du-front (padamalgam’ ici) désinformateurs qui se comptent hélas un peu trop en leurs rangs. Mettons que, sur les journalistes, par exemple, il sait (aussi un peu de l’intérieur, il fut pigiste à l’occasion antan), en honnête homme lucide, faire la part du grain et de l’i-vrai(e) – avec un i privatif. Cependant, sur Macron, oh-là-là, c’est volées de bois verts (au pluriel) sur râclées de verges humides (sans jeu de mot déplacé sur les prétendues tendances du président, jusqu’à nouvel ordre infondées). Imprécateur, soit, avec quelques mots plus hauts que l’autre (René-Victor Pilhes), mais précis, pertinent, multiples exemples scrupuleusement vérifiés à l’appui. « J’ai bien vu, bien relu. J’ai bien cherché, je n’ai vu… [diverses promesses électorales se concrétiser] ». C’est San Tommaso mettant les doigts dans les plaies du nouveau quinquennat avec la gouaille d’un San Antonio, dare-dare. De quoi dessiller les mirettes des incrédules, rendre la vue au laser aux mal-voyants encore abusés par le capillaire (sanguin) « social » d’un président qui ne pulse que fortement pincé au forceps (c’est une image ; mieux vaut avoir recours à d’autre instrument).
         En connaisseur de la langue française et un peu d’autres, glissant çà et là une locution latine qu’il explicite, Charly résume : la macronnie ambitionne « de nous convertir au grec. ». Nous z’autres ; quant « à eux, à eux, à eux » (chanson communarde ?), entonnant « le youppie tralalère des traders », ils multiplient les grosses astuces que Charly dénonce savamment. Cela, avec une verve désabusée qui me remémore le Jean Yanne, complice de Siné, au micro d’Europe 1, du temps, je crois de Les Routiers sont sympa (de Max Meunier, sur RTL). Mais en plus désincaustiqué (ou moins incaustiqué, selon les chapitres ou les pages).
        
N’empêche, si je ne crois absolument pas que ce Macron Lajoie sera l’ultime de Charly, je lui trouve comme une tonalité testamentaire. Car il aborde un peu tout les sujets (laïcité, technologie envahissante, écologie poudre au yeux, fuite du temps…) comme s’il n’allait plus les prolonger.
         Un sur lequel il ne reviendra pas, c’est Méluche. Un Mélanchon qui, « en matière d’Europe, danse la samba » (un en avant, l’autre en arrière, sur l’air du sans-pas de Gotainer). Il lui suggère de passer élégamment la main… Ce ne sera pas, pour Charly, afin de palper d’autres fesses de sitôt… S’il pressent bien quelques émergeants, c’est sans trop d’enthousiasme…
         Bon, ce n’est pas tout cela, mais je dois filer écouter Bruno Daraquy évoquer Gaston Couté (trop tard pour vous en faire part avec une avance raisonnable, mais Daraguy remettra cela : cherchez). Ah si, j’allais oublier.
Comme précédemment, Delambre cloute ces 180 pages de ses caricatures (une douzaine de respirations), et Tym, autre dessinateur, ponctue par deux fois. Et c’est au prix de dix euros le tout. Et attention, tout cela muni d’un ISBN (979-10-93509-07-6) à 13 chiffres à la douzaine, frais comme chez le marchand de primeurs…

dimanche 17 février 2019

Le regard froid de Roger Vailland vu par Thérive et Bertherat


Roger Vailland « libertin » ? C’est à (re)voir…

Trioliste, certes… Libertin, c’est moins sûr, quoi qu’il ait pu en dire et écrire, si ce n’est au sens philosophique du terme… N’en déplaise à divers auteurs qui qualifieront d’inepties ce qui suit, Roger Vailland fut aussi un « aligné », ne dénonçant jamais frontalement, si ce n’est de manière ô combien précautionneuse et détournée, contournée, les Jeannette Vermeersch et autres thuriféraires de la morale bourgeoise du Parti communiste.

En revanche, oui, il tenta de rester un esprit libre… Mais on le vit de même décalquer la ligne officielle du Parti communiste à propos de Pierre-Mendès France, et d’autres sujets.
      Comme un pétri de catholicisme, ce qu’il fut sans doute comme tant d’autres au temps de sa prime jeunesse, Roger Vailland avait sans doute intégré une notion du « respect humain » qu’il interprétait à sa manière changeante. Peut-être jouait-il en son for intérieur un complexe double jeu. Certes, dès Drôle de jeu, comme le relève Jean-Pierre Tusseau dans son Roger Vailland : un écrivain au service du peuple, le personnage de Rodrigue, « le pur, le petit jésuite du communisme, enfermé dans ses certitudes par peur de la vie, nous est dépeint sans tendresse. ». De Rodrigue, Vailland-Marat dit : « Je n’aime pas qu’on entre dans le communisme comme on entre dans les ordres. ». S’il vécut tôt et finit en libre penseur (sa mise en terre en témoigna), et désabusé par les crimes staliniens (mais en revanche, il s’exprima bien peu sur les exactions de prétendus FTP de l’ultime seconde[1], adhérents du PCF, contre les femmes, les adolescents et les enfants en bas-âge liquidés, tout comme les Résistants opposants à la ligne du parti ou les anarchistes espagnols non conformes), Roger Vailland n’en resta pas moins pour une longue période l’un des plus ardents laudateurs du stalinisme. Ce que résume ainsi Jean-Pierre Tusseau : le bolchevik triompha du libertin ; avant que le naturel, ou plutôt une introspection rétrospective, ne reprenne le dessus.
En 1963, quand André Thérive présente Le Regard froid dans La Revue des deux mondes, il conclut « Tout ceci est littérature ». Soit en quelque sorte, une pose, une posture, voire une autojustification. Thérive voit en Vailland davantage un jouisseur « immoraliste » (« terme mis à la mode par André Gide il y a plus de cinquante ans »). C’est bien sûr ce « mis à la mode » qui retient l’attention. De Vailland « écrivain très distingué et romancier de grand mérite », il décèle principalement, dans ce Regard froid, l’expression d’un « amour-propre ».
      C’est fort discutable, vaut d’être disputé, et dans la revue Esprit il est relevé que s’il se constate en littérature et dans le cinéma de l’époque « un engouement pour le libertinage », Vailland « veut déboucher sur d’autres perspectives et peut-être n’est-il que le cheval de Troie d’un auteur désireux de nous faire entendre une musique beaucoup plus radicale. ». Yves Bertherat voit dans ce recueil d’essai l’expression d’un « idéal du moi que nous portons tous ».
Ces deux textes, réunis en un document PDF, et rapidement commentés, sont consultables en ligne. Ils témoignent d’une partie de la réception par la critique d’un Regard froid lors de sa parution.
(visuels : en h. à d., André Thérive ; et ci-dessus, Yves Bertherat)




[1] Sur la question, un exemple plus que probant, L’Honneur perdu d’un résistant – un épisode trouble de l'épuration, de Jean-Pierre Perrin et Rémy Lainé, sur Maurice Giboulet (en accès libre sur Gallica), et bien sûr, les livres de Philippe Gourdrel, La Grande Débâcle de la collaboration (Cherche-Midi éd.), et L’Épuration sauvage (éds Perrin).