samedi 27 mars 2021

Ce siècle devient celui du savonarolisme

 Le saccage des librairies, nouvelle pandémie ?

Selon André Frossard, André Malraux aurait bien dit que ce siècle « sera mystique ou ne sera pas. ». Déjà, auparavant, en 1955 notamment, il évoquait « le problème religieux ». Approximations prémonitoires ? Il semble bien que, non le mysticisme, mais les religiosités aient pris le dessus, comme en témoigne le saccage des librairies.

Bien avant le régime théocratique de Calvin à Genève (circa 1540), Savonarole avait institué (vers 1495) une dictature religieuse à Florence. Le moine catholique instaura les autodafés sur le bûcher des Vanités. Avec le saccage des librairies et les trumpismes (pro-aveuglé et anti-exacerbé), emprunts de religiosité, qui ont fini par contaminer les esprits en France, comme je le pressentais de longue date, nous y sommes presque. Le saccage des librairies n’en est pas un signe avant-coureur, mais l’un des symptômes de la pandémie qui s’étend. Cela commence par les livres cela finit par faire liquider ou pousser au suicide des Walter Benjamin (1892-1940).

Le vandalisme visant les librairies, qu’il soit anonyme ou manifestement attribuable, caractérise ces années 2010-2020. Cela relève davantage d’une pensée magique, de la manifestation de cultes, que d’autre chose. Tant la culture de l’annulation déjantée que sa dénonciation fanatique tendent à s’apparenter à des rites. Il faut s'exaspérer et s'indigner plus fort qu'en face. Psalmodier. 

Je ne vais pas renvoyer dos à dos celles et ceux s’étant attaqué à la librairie « Les Deux Cités » de Nancy (au nom du féminisme et de l’antifascisme) et leurs pendants (homophobes et néo-nazis) s’en étant pris à la librairie « La Plume noire » de Lyon. Les dégâts et agressions ne sont pas du même niveau.

Mais je rappelle qu’un libraire stagiaire parisien d’une librairie libertaire fut attaqué au couteau voici quelques temps. Invectives (Nancy) et lourdes dégradations (à Lyon, en 1997, 2016 et à présent) ne sont pas de même nature.

Mais à vouloir  — ou contribuer à — exciter (consciemment ou non) — des illuminés, ou motiver des nervis au niveau de réflexion fumeux, on finit par instaurer un climat insupportable. On ne débat ou ne confronte plus, on invective, on insulte. S’instaure puis s’installe un climat délétère.

Au nom d’idéaux se muant en convictions indiscutables, on encourage de fait la violence ordinaire. Qui peut se répercuter en rixes aussi banales que celles opposant des automobilistes en venant aux mains pour des différents dérisoires.


Entre un ayatollah Erdogan voulant faire condamner des collaborateurs de Charlie Hebdo (pour se poser en chef de file des défenseurs de son prophète), et qui orchestre les jets d’anathèmes, la limite devient incertaine, provisoire, fluctuante.

La satire, même outrancière (je pense tant Mila qu’à Charlie, sans doute plus réfléchi dans sa démarche), ne doit pas exposer à des représailles visant les personnes. Rien ne les justifie. Le droit à la critique, même vigoureuse, doit être préservé.

Mais quand je lis « fachos au bûcher ! » collé à la vitrine de la librairie de Nancy, cela me remémore aussi quelques mauvais souvenirs. D’autant que « La Plume noire » fut auparavant l’objet d’un incendie criminel.

Les totalitarismes, quelles que soient leurs motivations, poussent à la déraison, à des climats de violences. Les cultes des chefs qui vitupèrent plus fort de même. J’éprouve le mauvais pressentiment qu’ils gagnent du terrain. Que s’instaure une religiosité de boutefeux cultuels. La prédominance d’obnubilés par des causes devenues intangibles.

Est-il trop tard pour en sortir ? Ce qui semble sûr, c’est que vouloir détruire des livres, y compris ceux qui vous déplaisent, ou censurer à tout-va, n’est jamais un bon point de départ pour tendre vers l’apaisement. Ni d’ailleurs pour faire valoir et prévaloir durablement ses propres idées.

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