jeudi 11 avril 2019

L'hommage à Michel Doury des Amis de l'Ardenne

Tiens, oui, Who's afraid of Michel Doury?

Je ne suis pas peu satisfait d'avoir commis un article sur Michel Doury, « trop absent des dictionnaires », et beaucoup moins fier en le comparant avec ceux des autres neuf contributeurs (dont une, Sylvie Doizelet) de ce dossier d'hommage à l'écrivain et traducteur, Ardennais d'adoption...
J'ai éprouvé comme une légère frayeur en découvrant le titre de l'article de Sylvie Doizelet dans le numéro 63 de la revue Les Amis de l'Ardenne. J'étais près de lui donner un dressing-down pour qu'elle ait an earful (pas au point de battre the tar out of her) : quoi, titrer sur le vin ! Alors que chacun sait que Michel Doury était un pilier du Roy de la Bière à Sedan, où on le trouvait plus fréquemment que dans le bahut qui l'employait à enseigner l'anglais. Sylvie Doizelet est romancière et traductrice, et certes, tout comme le derrière d'Arletty fut « international » et que l'amour de la patrie, en littérature, on s'en contrefout (je ne sais plus quel maître gendelettre au procès de Brasillach), il reste quand même des choses que l'on ne saurait admettre. Mais, bon, il était difficile de s'étendre sur la traduction de beer en mousse puis digresser sur celle d'Alsace comparée au linceul de Lorraine ; ce qui aurait été hors de propos. C'est donc de la transmutation traductologique de wine en pinard, jaja, picrate, reginglard, et dérivés (guinguet, rouquin... j'en passe), voire de noms de marques lexicalisés (Goulou®, Kiravi™, &c.), dont elle traite, non point en goujate imprécatrice mais avec justesse et concision. Comme je l'envie ! 
Autres participants à l'évocation des mânes de Doury, himself (« La Chasse », « À propos de Chandler »), Philippe Mellet, le chaleureux Thierry Doudoux, Daniel Casanave, Hervé Carn, Édouard Gaède, Patrick Mouze (que je salue au passage), sans oublier bien sûr Stéphane Balcerowiak, qui, en rubrique « Livres et revues » cisèle une critique élogieuse du dernier Gisèle Bienne (La Malchimie, Actes Sud, « livre en tout point vital »). De quoi pâlir du voisinage...
Tiens, Mouze, à propos du Mallory de Doury (La Chasse en octobre), évoque le regard froid de Roger Vailland. Il est notoire que Vailland... Manchette, Djian, Queffélec, Madeleine Chapsal, évidemment Philippe Lacoche, tant d'autres... J'y reviendrai, mais cela attendra (procrastination ET impossible tentative d'exhaustivité qui m'occupera un moment). Celui de Doury, qui laissait entrevoir la flamme de son feu intérieur, mériterait aussi de figurer plus souvent dans la prose des littérateurs.
Édouard Gaède revient sur les échanges entre André Dhôtel et Doury. Bon, je ne vais pas vous détailler le sommaire, ni vous éclairer sur Michel Doury. Parcourez donc La Toile, faites grimper Doury au classement de Google et des autres.
Les Amis de l'Ardenne, c'est une association trilatérale, un peu comme le groupe Blderberg, mais son influence, patente, n'a rien d'opaque. Elle couvre et couve l'Ardenne (la Belge, la ducale, la celte hexagonale...), et c'est Les Amis de l'Ardenne, « revue trimestrielle », qui comporte cette fois 122 pages dont pas moins de 75 canonnent sur Doury. Quelles salves pour l'ex-officier de la Royale !
On ne monte pas en ligne pour rejoindre la revue. Il faut envoyer un chèque à Stéphane Collet (72, av. Charles-Boutet, 08000). Mais en bas de casse sans espace, voyez Facebook (« À propos », page de contacts). Si Yannick et Daniel Gaucher lisent cela... (aparté). C'était comment déjà le prénom du colonel Gaucher, l'Ardennais, l'évadé, le condamné à mort par le préfet (pas Papon, un autre...). Mémoires d'Ardennes...
Les Ardennais... En tant que membre de la diaspora bretonne, j'ai pu les apprécier à Reims. Quand je débarquais en Alsace, ce furent les Lorrains. Mais dans la Marne, ils (pas les Lorrains) sont presque partout, et se lient facilement aux allophones (ne pratiquant pas le champenois), tandis que les autochtones sont souvent plus lents à la détente. Souvent adeptes de la « chouille champennoise », ils fraternisent à l'aise, et ne sont guère long(ue)s à vous adopter. Je m'honore toujours d'être chevalier du Boudin blanc de Rethel, son berceau, à peine plus coloré que d'autres, mais qui les fait tous pâlir (d'aucuns se bourrent d'éclats de truffe, de cèpes, pour vous la jouer parvenus, en vain). De quoi snober la Confrérie du pied de cochon de Sainte-Menehould et tant d'autres gastronomiques & vineuses. La patrie de Louis Jouvet vous accueille aussi bienveillante qu'elle le fût pour maints autres, et Jean-Claude Drouot s'en souvient, pour n'en citer qu'un... Parfois d'ailleurs aux sons des cornemuses locales (mais je m'étendrai plus tard... cherchez... trouvez...).
Allusif, fin pratiquant de l'understatement, tel était Michel Doury, qui pourtant ne mâchait guère ses mots (ses élèves, Philippe Mellet en particulier, s'en souviennent). C'était un homme, ou plutôt un personnage qui, que, quoi, dont et pas trop ou, car entier.


dimanche 7 avril 2019

Didier Daeninckx en peine de souffleur pour parler de Roger Vailland

Didier Daeninckx de retour d'enquête à « Courvilliers »

Ainsi que je l’évoquais hier, Didier Daeninckx était ce dernier samedi (6 avril), à la bibliothèque de la Goutte d’Or, conversant avec une soixantaine de personne. Évidemment, j’étais venu solliciter qu’il me livre quelques souvenirs de lectures de Roger Vailland, et d’autres anecdotes. Cela viendra… Ce n’était guère le moment, mais nous nous en reparlerons.
Interrogé sur ses lectures, Didier Daeninckx évoque spontanément les plus récentes, notamment La Capitale, de l’Autrichien Robert Menasse (col. Der Doppelgänger, Verdier éd.), dont le sujet est, pour résumer, la Commission européenne. Pour Didier, toutes les électrices, électeurs et abstentionnistes de la prochaine consultation devraient lire ce pavé de 480 pages. Il y a aussi Journal 1915, celui d’un combattant de Trieste qui déserte l’armée impériale autrichienne pour rejoindre les rangs italiens. Tout au long des années 1915-1918, et jusqu’aux mois d’octobre (bataille de Vittorio Veneto), il y eut des désertions massives de part et d’autre de la ligne de front du nord de l’Italie. Pour échapper aux combats ou, pour des irrédentistes trentains, comme Cesare Battisti (1875-1916 ; ne pas confondre ; ce Battisti déserta en août 1914 puis s’engagea dans l’armée italienne dès l’entrée en guerre, en mai 1915 ; fait prisonnier avec Fabio Filzi, il fut pendu par un bourreau autrichien) et Tullio Minghetti, remonter au front de l’autre côté des pentes de la Mamolada. Bien sûr aussi, Didier a dévoré des masses de romans noirs (et fut un pilier des festivals de l’association 813). Mention spéciale pour Octave Mirbeau, dont il a lu les romans, écrits journalistiques, et les publications de la Société Octave Mirbeau. Puis, aussi, Desnos et nombre de poètes…
         Vint mon tour, lors de la discussion, de poser ma question sur Vailland… Il fut pris de court… S’en tira par une pirouette… « Je compose un recueil de nouvelles de 800 pages avec de multiples personnages, des centaines… ». Je suis moi-même l’un des furtifs anonymes personnages, en « silhouette », de l’une de ses nouvelles antérieures (oublié le titre, et peu importe), mais Vailland est nominativement mentionné trois fois dans Missak (sur Manouchian), au moins une fois dans Raconteur d'histoires (à propos de Bel Ami, de Maupassant), et il a dû l’évoquer des dizaines de fois avec des confrères, dont certains distingués par le prix Roger Vailland, ou encore Philippe Lacoche… « Personnage intéressant, » se rattrape-t-il d’une ch’tiote litote, avant d’enchaîner, « en référence à l’un de ses personnages de syndicalistes, j’ai pris pour protagoniste principal un militant dans l’un de mes premiers romans… ». Dans la salle, personne ne donne le titre du roman de Didier, alors que Mort au premier tour serait un bon candidat, mais quelques « 325 000 francs ? » fusent. Non, c’est de Beau Masque qu’il s’agit, rétorque Didier…
         Didier Daeninckx se définit plus volontiers romancier qu’écrivain, mais c’est aussi l’un des journalistes d’investigation français de tout premier plan. Il l’a maintes fois démontré, il le confirme splendidement avec Artana ! Artana ! (col. Blanche, Gallimard, avril 2018 ; depuis reparu en format de poche, comme une quarantaine de Folio, et nombre d’autres romans de Didier). L’action se déroule à Courvilliers… Soit « Saint-Denis, Aubervilliers, Bagnolet », précise-t-il. Surtout Bagnolet… Bagnolet, dont l’ancien maire est devenu promoteur immobilier, qui a recasé Hassen Allouache à Aubervilliers, &c. Bref, avec le roman, contrairement au document journalistique, on s’évite des procès en diffamation qu’on finit par emporter, et c’est lassant… Les prétoires, Didier, pourtant il connaît… La censure aussi… Dernier épisode en date : « à Tremblay-en-France, le cabinet du maire a fait retirer l’un de mes livres des rayons de la médiathèque… Je connaissais très bien le père du maire, ancien guérilléro en Espagne, qui combattit jusqu’en 1948, sur lequel j’ai écrit. ». Comme il le résume, à propos d’Artana ! et d’autres​: « j’ai la fâcheuse manie de mettre certaines choses en lumière », dont certaines de trop actuelle actualité.
         Courvilliers… C’était parti. Les questions sur Aubervilliers se succèdent. « Quand les usines sont parties, les syndicalistes et les militants associatifs ont quitté la ville qui a perdu 12 000 habitants, a vu le revenu de la taxe professionnelle chuter. Des gens très qualifiés résidaient dans les HLM qui sont devenus des ghettos de la misère… Depuis, Aubervilliers est une ville extrêmement rugueuse. J’ai eu nombre de voisins venus de Paris, car ne pouvant plus y rester du fait des loyers, des charges, du prix de l’immobilier. Ils sont pris pour des bourgeois, et presque la moitié repartent au bout de deux ans. ». Avis aux amateurs. Pour les arrivants qui restent ou affluent encore, l’institution privée Notre-Dame-des Vertus ne cesse de s’étendre. « Ils construisent à tout va autour du collège de la rue des Noyers ». Une intervenante : « Il y a eu des enseignants contaminés par la tuberculose ! ». Cela m’évoque les lendemains des années Thatcher dans les villes ex-industrieuses d’Angleterre, et la résurgence des maladies contagieuses…
         « Oui, il y a des problèmes sanitaires, confirme Didier, beaucoup de gens avec enfants vivant dans des combles loués par des marchands de sommeil… ».
         Si La Capitale éclairerait les votants aux européennes, en prévision des municipales, Artana ! est plus qu’édifiant. Les collecteurs de voix se monnayent cher, les concessionnaires des bulletins de vote ramassent les miettes : c’est ce qu’on pourrait surnommer le ruissellement électoral.
         Le Campus-parc Condorcet, qui regroupera l’EPHE de la Sorbonne et nombre de séminaires et ateliers de recherche ès sciences humaines en sa Cité des humanités et des sciences sociales génère encore nombre de projets immobiliers… Fera-t-il vraiment « corps avec la ville », comme le promettent les architectes et urbanistes ? Ou rentabilisera-t-il surtout la ligne 12 (station métropolitaine Front populaire) et celle du T8 poussant jusqu’à Rosa Parks ?
         Pour le moment, la misère à Aubervilliers, « vous arrache des larmes », résume Didier, qui, de Vailland, n’a pas « le regard froid », mais l’humide. Ou peut-être les deux, alternativement… Ce sera l’une des questions qui lui sera bientôt posée.
En attendant, si vous lisez ou relisez Missak, la première référence au Roger, c’est page 37 (édition Folio). Quant à la Bigouden, tapinant du côté des Halles, je vous en avais précédemment entretenu, crois-je me souvenir. Ah, j’allais oublier, Didier cite aussi Batailles pour L’Humanité, la pièce de circonstance de Vailland dramaturge (Valère Starselski prit la suite en 2010, avec un documentaire sur les 80 de la fête de L’Huma…).
         Outre Didier Daeninckx (et sans doute d’autres lecteurs assidus, congrus et férus comme l’était Jack Ralite), existe un autre lien entre Aubervilliers et Roger Vailland : Gabriel Garran, naguère du Théâtre de la Commune, auquel Adamov et Vailland mirent le pied à l’étrier théâtral. Mais il nous reste certainement diverses connexions à (re)découvrir. Et nous n’aurons guère, cette fois, besoin de souffleur pour nous rafraîchir la mémoire.
        J'ai été ravi de constater que, même si les têtes blanches formaient la majorité de l'auditoire de Didier, nous n'en formions pas les trois-quarts, comme trop souvent lors de telles rencontres... Et que peut-être, comme y fit allusion Patrick Le Claire, dans cette diversité, pouvaient se trouver des adeptes occasionnels des collections Arlequin et Le Masque (j'ai traduit pour cette dernière, qui ne démérite pas). Syndicaliste et bibliothécaire d'un comité d'entreprise, il poussait les Daeninckx ; les emprunteurs revenaient en disant sobrement : « Ah oui, c'est autre chose, un cran au-dessus ». Didier, comme Roger, est, écrit un cran plus haut, et encorde qui le lit.