samedi 29 juin 2019

Roger Vailland-Robert François au chevet de la chanteuse Eva Busch


Quand Vailland — une fois de plus — rajeunit une belle étrangère…

De Tania Visirova, Roger Vailland fit une éternelle « écolière », voire une « fillette ». Avec Eva Senta Elizabeth Zimmermann (Berlin - 22 mai 1909 ; Munich - juillet 2001), épouse Busch, son nom de scène, il se contente de la rajeunir de cinq ans. Ce à l’occasion d’une évocation de son escapade Outre-Atlantique en compagnie de l’escroc international Siegfried Wreszinsky (diverses orthographes dans la presse française).
La plupart des entrées ou contributions de ce blogue-notes relatives à Roger Vailland incluent des liens vers des documents PDF rédigés d’une manière un peu plus « sérieuse » ou s’efforçant de le paraître en regard de ce que que je consigne ici. Au passage, je ne serais pas fâché (je ne haïrais pas, litote, euphémisme, understatement, au choix…) que les chercheuses et chercheurs indépendants, voire des universitaires, s’intéressant à Roger Vailland, rapatrient ces documents dans leurs archives. Google ne renvoie plus « qu’environ 3 500 résultats » pour mon patronyme en cet été 2019. Ayant pratiqué l’Internet depuis 1992, puis sa version graphique (ouaibe-ouone-ziro, then two zero), c’est un millier de moins que circa… 2000 ? C’est dire que, même si l’étiage des mers et océans restait constant, je crains fort que tout cela parte en brumes (mes écrits de fumiste peuvent partir en fumée) et vapeurs évanescentes.
Mais revenons à notre Eva Busch voguant au-dessus des « blancs moutons » de l’Atlantique et de Charles Trenet. Elle fut autant, sinon davantage, célébrissime que Tania Visirova, et le resta surtout — largement— plus durablement. Vailland, en 1939, ne pouvait l’ignorer : elle avait été chanteuse récurrente pour Radio 37, avait déjà enregistré pour Columbia, &c. Bien sûr, il ne pouvait prévoir la suite, notamment qu’en 1947, elle sera la cible d’une manifestation d’épurateurs (elle vit déjà avec la consœur de Vailland, George — comme Sand — Sinclair, qui forma la Françoise Giroud et d’autres). Et il était où, le Vailland, qui avait siégé au comité d’épuration des intellos ? En 1947, peut-être prit-il fait et cause pour l’apatride Eva Busch, farouchement antinazie, ex-pensionnaire du camp de Gurs et de Ravensbrück, qui avait été forcée, après une libération obtenue à la (très) longue, de se produire devant les troupes de la Wehrmacht. Ce parce que Goebbels, alors qu’elle était internée, faisait diffuser ses chansons (en omettant de faire signaler que ses paroliers ou compositeurs étaient des Juifs). Son répertoire d’avant était d’inspiration plus libertaire que communiste, alors que son mari, communiste notoire, interprétait des chants révolutionnaires (il prit part aux Brigades internationales en Espagne). Il se peut que Vailland protesta en coulisses (ou par voie de presse, je chercherai ultérieurement).
Quant à Wreszinsky, c’était un anti-Maurice Joffo. Maurice faisait passer des gens en loucedé en zone libre, prenant de terribles risques. Wreszinsky, ashkénaze, promettait de faire sortir d’Allemagne des coreligionnaires contre de très fortes sommes, puis prenait la poudre d’escampette. J'ai un peu connu Maurice, vaguement aigrefin à la petite semaine à ses heures (encore que... c'était la thèse d'un certain jeune magistrat, Jean-Louis Debré, qui voulait se faire un nom : il y parvint très bien). Mais, s’il fut jamais indélicat, ce fut à mille lieues d’un Wreszinsky et la seule similitude les réunissant reste que Maurice Joffo fit dans la ferraille, comme peut-être Siegfried à Dantzig. Autre histoire (celle de Maurice, nègre de son cadet Joseph, pour le Sac de billes) que j’ai consignée et que les moteurs du Ouaibe ont peut-être fait s’évaporer. Siegfried mérite des diminutifs, Maurice, tout merlan qu'il fut, des superlatifs.
Je m’intéresse à Vailland, journaleux, en journaliste « honoraire » (totalement dédaigné de faire passer mon matricule, 47640, de mémoire, au stade de l’honorariat). Nous en sommes quelques « autres » : Lacoche, Rondeau… Mais ceux-ci (amicales salutations au passage), écrivains par ailleurs (et des meilleurs) ont parfois tendance à magnifier le défunt confrère (comme le regretté René Ballet). Mesquinement, je le replace dans un contexte. Je puise à sa gamelle en écornifleur indélicat. Pas au point de cracher dans ses gaspachos (voyez, sur ce blogue, ses reportages en Espagne républicaine), mais remettant diverses choses en place. Comparant à l’occasion les conceptions d’un Kessel avec ce que les écrits journalistiques de Vailland révèlent. Confronté à Kessel, Vailland-journaliste fut un temps plus faible (Prouvost et Lazareff trouvèrent en lui un plumitif plus docile, car davantage désinvolte, détaché, distancié, à mon humble avis).Cela évolua.
Mais cela, c’est de l’écume, bave de batracien n’atteignant pas les rémiges du falconidé aux mues multiples. Cependant, Vailland bidonna (moi pas, sauf une fois, à l’insu de mon plein gré, aiguillonné par des inspecteurs de police voulant la peau d’une connaissance d’Aïcha Lacheb, devenu écrivain reconnu à la suite de son abusivement longue détention).
Eh, je n’ai pas eu l’opportunité d’être embauché par un Lazareff… Je n’aurais peut-être pas tourné syndicaliste comme chez un Hersant... J’évoquais par ailleurs Morvan Lebesque passant de Je suis partout au Canard enchaîné (avec étapes intermédiaires). Vailland eut quelques faiblesses (à l’égard de « Jean-Fesse », le préfet Chiappe, peut-être aussi pour faciliter aux consœurs et confrères l’accès aux mains courantes de l’époque).
Bon, brisons-là. Goûtez plutôt la prose de Vailland traitant d’Eva Busch ; lisez « En marge des crédits gelés (…) Eva Bush a juré de mourir
». Promis, proféré, c’est beaucoup plus drôle que ce qui, ci-dessus, précède…

mercredi 26 juin 2019

La Loi de Roger Vailland, roman d’un « écrivain libre »


Avec La Loi, prix Goncourt 1957, Vailland a-t-il rompu avec Vailland ?

Vaste question, à laquelle de multiples réponses ont déjà été apportées… Elle sera donc ci-dessous esquivée… Mais la critique d’Émile Biollay dans Le Nouvelliste valaisan du 13 janvier 1958 me l’a remémorée et il m’a semblé, par ce temps de canicule, judicieux de tenter de m’en entretenir.
Autant l’avouer : ce qui suit doit tout à ma paresse aggravée par la température quasi sub-saharienne qui engloutit Paris. Je me devais (ainsi qu’à d’autres…) de reprendre le document « Les lieux de Vailland » – enfin, celui portant sur les principaux que fréquenta Roger Vailland – mais la tâche m’a semblé trop fastidieuse. D'où cet énième écart qui fait qu’au lieu de chercher à préciser où fut écrit La Loi (certainement près de Gargano, dans les Pouilles, ce qu’Élisabeth Vailland indiqua à Daniel Rondeau), je remonte à la relative fraîcheur de Sion et de son Nouvelliste (1903-1960, depuis 1968 Le Nouvelliste & Feuille d’avis du Vailais).
Cela parce que je venais de redécouvrir un avis de Morvan Lebesque portant sur Un jeune homme seul, dans Climats (« hebdomadaire de la communauté française » ; « grand hebdomadaire colonial », créé par Maurice Chevance, dit « Bertin » en 1945) : « Quel écrivain pourrait être M. Roger Vailland si seulement il était un écrivain libre… Je sais bien que ce livre est destiné à me convaincre, à me démontrer la supériorité d’une idéologie sur les autres… Mais, enfin, je voudrais bien qu’un jour M. Vailland écrivît selon son cœur, et rien de plus. ». C’est l’époque à laquelle Vailland recommence à faire de l’entrisme pour adhérer au PCF (ce qu’il obtient l’année suivante).
Survient le rapport Khrouchtchev puis l’écriture de La Loi, roman qui fut dit formaté pour remporter un prix littéraire. Le vœu de Lebesque est partiellement exaucé comme en témoigne cet article d’Émile Biollay : Vailland « s’est refusé à l’engagement ». D’autres, qui ne s’y étaient pas refusés, suivront, comme Lenù Greco, l’héroïne d’Helena Ferrante (la saga napolitaine L’Amie prodigieuse). Or Vailland n’a jamais cessé d’être engagé et l’année – 1964 – où Vailland publie son « Éloge de la politique » dans Le Nouvel Observateur, il promet à Lucien Bodard son soutien alors que ce dernier est vivement critiqué en raison de son livre La Chine du cauchemar (1961) et des articles qu’il publie sur Mao et le maoïsme… Bodard et lui se retrouvent au bar du Port-Royal et… Zut, encore un lieu revenant à la surface.
Le lieu de La Loi, c’est Porto-Manacore… Proche du golfe de Manfredonia… Et peut-être, mentalement, ce Gargano isolé, inspire cette appellation qui évoque, à une voyelle près, le monachorum (des moines et moniales) : exposant l’élaboration de La Loi avec Madeleine Chapsal, de L’Express (12 juillet 1957), Vailland insiste sur l’ascèse du temps de l’écriture ; pas d’alcool, juste du café, pas de distractions, et retour à la fréquentation des autres « quand le roman est fini ». En fait, j’extrapole car un lieu-dit Baia di Mancore se situe à proximité de Peschici (et est devenu Manacore del Gargano).
Émile Biollay (qui signait parfois Paul Herbriggen) est un ancien professeur d’université au Caire devenu enseignant au lycée cantonal de Sion, historien et chroniqueur. C’est un écrivain « progressiste », proche d’Albert Béguin (des Cahiers du Rhône puis successeur d’Emmanuel Mounier à la tête de la revue Esprit en 1950) et de son épouse, Raymonde Vincent.
La Loi (et sa traduction La Legge, sa transposition à l’écran, qui irrita les censeurs italiens) a suscité d’innombrables commentaires. Je tiens celui d’Émile Biollay pour l’un des meilleurs, en dépit d’une conclusion sévère et que j’estime erronée. Peut-être parce que divers personnages féminins me font penser à Lina Cerullo, l’alter ego de la Lenü Greco de Ferrante : ces femmes se mobilisent dans leur village comme elle, Lila, pour son quartier, pour les siennes et les siens.
Vailland ne cotisa plus au PCF mais il resta proche des militantes et militants de son entourage. Et puis, j’en viens à me demander si, sans La Legge, les Lenù-Lila de Ferrante seraient devenues ce qu’elle en fit. Et quand je lis dans la presse italienne que Vailland et ses œuvres seraient à présent “quasi dimenticati” (oubliés, délaissés), je me dis que c’est fallacieux mais aussi que cette approximation outrancière est toute provisoire. Le temps est propice à lire ou relire La Loi dans la fraîcheur d’un trullo de l’Aia Piccolla d’Alberobello. En attendant de vous y rendre, consultez peut-être l’article d’Émile Biollay dans Le Nouvelliste valaisan