vendredi 1 mars 2019

Roger Vailland nez à nez avec Thomas Mann (février 1933)


Avant son reportage en Allemagne, Vailland s’informe auprès de Thomas Mann

Non, Thomas Mann et Roger Vailland n’ont pas échangé des salutations esquimaudes à Paris, en février 1933. Mais Vailland, au nez d’oiseau de proie, ne s’intéressa sans doute pas qu’à celui de Thomas Mann…
On m’accordera l’indulgence, sans doute peu plénière, si, sur ce blogue-notes, je tente de vous distraire avec des anecdo(c)tes (prétentieuses, en cuistre). D'où ce titre et ce chapô irrévérencieux. À quoi s’intéresse d’abord Roger Vailland rencontrant Thomas Mann pour Paris-Soir le 18 février 1933 ? Au nez du Prix Nobel de littérature. Pas que, sans doute… Et nul autre (doute) ​: même s’il ignorait que, quelques jours plus tard, il devrait se rendre à Francfort constater la mise en œuvre du boycott des commerces juifs par les nazis, Vailland s’enquiert très probablement de la situation en Allemagne. Mais les lignes sont comptées : même dans les années 1930, le reporter sait la tâche et les contraintes de mise en page lui étant assignées. Par conséquent, le sujet, lors de la rencontre avec Thomas Mann à Paris, n’est qu’esquissé, allusif.
Thomas Mann vient de rédiger son discours, Souffrances et grandeur de Richard Wagner, prononcé le 11 février 1933 à l’université de Munich. C’est le cinquantième anniversaire de la mort du compositeur et le Prix Nobel est convié dans diverses villes à le « célébrer ». Il vient donc à Paris. Pressent déjà la réaction des Müncher Neueste Nachricten qui publieront, le 16 avril, une pétition réunissant les signatures de Richard Strauss, Hans Pfitznert et Hans Knappertsbusch, car Hitler vient de prendre le pouvoir et Mann critique le populisme et la démocratie de masse et le Kolossal Wagner. Il espère encore rentrer en Allemagne mais prendra rapidement la tangente vers la Suisse et ses enfants, Erika et Klaus, qui fondent à Zurich le cabaret Pfeffermühle.
         D’un côté, il n’était pas tendre pour Wagner, de l’autre, il en fait un chantre avant l’heure de la Kultubolchevist honnie dans l’Allemagne hitlérienne.
         Vailland rate-t-il le coche ? Rien dans son article de Paris-Soir n’allude à cette problématique sur Wagner. Il faut vraiment lire entre les lignes (ce que tentera Daniel Schneidermann, maladroitement, dans Berlin 1933, à propos du reportage ultérieur de Vailland à Francfort).
         Le nez sur celui de Mann (et dans le guidon du genre journalistique préconisé, au niveau des pâquerettes des rubriques mondaines de Lazareff), Roger Vailland n’élude pas tout à fait ce qui se joue à Rome et à Berlin. Un article de presse est toujours pris pour ce qu’il en paraît, publié, figé… Le carnet de notes du journaliste finit le plus souvent poubellisé (un sujet chasse l’autre, il faut faire de la place, déchirer des pages pour retrouver rapidement les plus récentes).
         Vailland aurait sans doute pu livrer une autre contribution, plus étayée, à un autre titre… Mais le temps lui est compté. Demain, une autre « actu » vous mobilise. Les conditions de production d’un Vailland ne sont certes pas les seules à prendre en compte pour appréhender ses écrits journalistiques, mais souffrez que je tente de les mettre en exergue : ce n’est pas le nez au milieu de la figure, mais l’arrière-plan, les coulisses, les ficelles du métier (qui a évolué), qui importent. J’adorerais faire une critique féroce (c’est beaucoup plus aisé d’éreinter...) de cet article « À l’heure actuelle, nous dit Thomas Mann, le penseur ne peut pas se désintéresser des problèmes politiques », mais à double-entendre. Ce qui ne créerait plus qu’un malentendu : déjà, Vailland avait compris à quel point le lectorat y était si peu perméable. Alors, l’ayant reniflé, il s’étend sur le nez de Thomas Mann.

mercredi 27 février 2019

Facebook plus pudibond que Paris-Match

Violette Nozière à loilpé défrise Facebook

Petit billet d'humeur... Ma précédente contribution portant sur Roger Vailland rencontrant des connaissances de Violette Nozière au Quartier Latin était illustrée d'une photo d'archives montrant cette dernière les seins à l'air... J'aurais dû m'en douter, Facebook à censuré.
Bref, ayant soumis derechef le visuel à je ne sais quel algorithme de reconnaissance des formes de Facebook, j'obtempère, modifie l'image (une couverture de magazine montrant Violette Nozière de profil dans sa cellule se substitue donc à la précédente). J'aurais pu aussi, comme le pratique systématiquement le Daily Mail, flouter l'aréole et le téton incriminants... Le même quotidien n'en rate cependant pas moins le moindre fait-divers quelque peu salace (en gonflant, par le titre et le style de l'article ou de l'écho, sa faible portée au besoin).
     Mais rien n'y fera... FB ne conserve que la trace de la version initiale : obsédé, va. Impossible donc de signaler le texte sur Facebook. Primat de l'image...
    C'est une censure quelque peu discutable... Situer le cas Nozière en publiant une image d'archives pour laquelle elle posa nue (à 17 ans) me semblait adéquat. Éclairait davantage la teneur des témoignages recueillis par Vailland auprès des connaissances de la parricide au Quartier Latin. Tandis que le nouveau visuel (qui présente certes un intéressant traitement typographique de la couverture de Police Magazine) n'illustre que la portée que prit « l'affaire Nozière » en 1933.
     La photo dénudée illustrait la chronique d'un dénommé Romi – sans doute Robert Miquel, à moins qu'il ne s'agisse de Gilles Martin-Chauffier  – pour Paris-Match (29 août 1991). La rubrique s'intitule « Les femmes de notre siècle ». Cela donne « Pour la première fois, une criminelle donne des états d'âme à la société » ; avec deux « chapos » : « À force de rêver palaces, Bugatti et grands couturiers, elle avait fini par ne plus supporter la médiocrité familiale. Devenue "femme" à 16 ans, Violette crut que seul un parricide la libérerait définitivement. La froideur et l'inconscience de cette meurtrière de 18 ans fascina la France. Écrivains, poètes et peintres se mobilisèrent et firent de cette petite ambitieuse criminelle un symbole. Condamnée à mort à 19 ans, graciée (avant d'être touchée par la Grâce), libérée puis réhabilitée, elle devint, dans l'indifférence générale, l'épouse respectable, conforme aux vœux de sa propre mère. ».
   Le second est en fait une légende déportée sous le titre : « Violette était fière de cette photo "coquine" (...) où elle posait nue, cadeau vivant pour Noël de riche. ».
     Le texte contextualise bien ce qu'ont dit et purent penser les trois interlocutrices de Vailland de cette « copine » de condition inférieure, qui voulut passer pour de leur monde... « Violette Nozière n'est pas contente. Ses parents l'agacent. Ils n'habitent pas avenue Georges-Mandel (...) ne l'envoient pas en classe à Sainte-Marie de Passy. C'est impardonnable. D'autant qu'ils sont enchantés de leur petit appartement, rue de Madagascar, derrière Bercy, près de Charenton. Comme si cette atmosphère toile cirée-soupe aux choux pouvait convenir à leur petite chérie. (...) elle déguerpit. Car, pour une lycéenne, elle court beaucoup à  travers la ville. Sans que ses parents, qui la prennent pour l'élève modèle du lycée Fénelon, s'en émeuvent. Dès 16 ans, elle perd sa virginité (...) avec un petit camarade de passage. Auquel succède toute une escouade d'autres petits amis. Violette n'est pas pingre : n'ayant pas d'argent à offrir, elle se donne (...) ce qui l'amène à quelques acrobaties d'alcôve, car elle a raconté à ses copains du boulevard Saint-Michel que c'était son père, ingénieur, et sa mère, directrice chez Paquin (le couturier), qui lui remplissaient les poches. ».
    En réalité, elle a de forts besoins car, comme beaucoup de jeunes gens de ces milieux, elle s'adonne à la drogue, comme Vailland lui-même. En conséquence, elle michetonne, recherche les messieurs généreux...
    Il a été prêté à Flaubert la fameuse phrase « Madame Bovary, c'est moi ». Vailland n'allait pas s'assimiler à la Visirova ou à Leïla la Stamboulioute. Mais on se demande si le portrait en miroir qu'il dépeint de Violette, à travers les témoignages de ses propres fréquentations, ne lui inspire pas cette réflexion : j'aurais pu être Violette. Il provient d'un milieu à peine plus aisé (Baptiste Nozière fut promu par la compagnie Paris-Lyon-Marseille, Vailland père resta géomètre) et la différence avec elle, c'est qu'il ne déserta pas son lycée rémois, poursuivit ses études à Paris. Violette présente plus de similitudes avec l'ami Pierre Minet, qui déserte Reims pour la capitale à 16 ans. Lequel, comme elle, finira « ordinaire », ainsi qu'il le regrette dans La Défaite (1947).
    Vailland n'allait pas, dans Paris-Soir, heurter les sensibilités du lectorat en faisant de la parricide une héroïne. Ce qu'elle devient pour les surréalistes... Elle avait laissé supposer que son père fut incestueux, ce qui pouvait induire que sa mère en était la passive complice (Violette les empoisonna tous deux). Le cofondateur du Grand Jeu dans lequel était paru ce « Nous défendons Sacco et Vanzetti, mais nous préférons Landru » aurait pu faire de Violette une figure mythologique, comme surenchérirent les surréalistes (« embrasseuse d'aubes » ; « belle comme un nénuphar sur un tas de charbon » ; « nymphe baroque » ; « métisse de la lumière et de l'ombre »). Certains supputèrent même que la mère de Violette, qui réchappa du poison, eut agi par vengeance. Vailland n'incarnera pas à leurs yeux, cette fois, comme l'écrivit Péret, « ceux qui font uriner leur plume sur le papier de journal » ; il s'abstiendra de creuser le sillon et d'exploiter le filon. Il y avait pourtant de quoi en faire un feuilleton. Avec des Jean Dabin (amant de Violette, camelot du roi-maquereau, comme l'écrira André Breton), le vicomte de Pinguet, et divers personnages hauts en couleur... En 1953, il en était encore question avec le témoignage d'un commerçant, Émile Cottet, à France-Soir. Dix ans plus tard (1963), Violette Nozière fut réhabilitée par la cour d'appel de Rouen. Elle était devenue veuve, avait recueilli sa mère, et bénéficié des graces de trois chefs d'État (Albert Lebrun, Philippe Pétain, Charles de Gaulle).
     Pourtant, Vailland, en ses Écrits intimes, avance « La truite, c'est moi-même ». La Truite, ou Frédérique, est inspirée par une jeune prostituée lyonnaise... Peut-être aussi par la Violette de 1933. Car Violette, pendant au moins deux années, devient aussi familière à qui lit la presse que le sera Christine Villemin, la mère du « petit Grégory », en 1984-1985. Il est douteux que Vailland n'y ait nullement songé à nouveau en campant sa Frédérique de La Truite. Il est du moins permis de supposer qu'en 1964, il gardait son visage, son allure, en mémoire...

mardi 26 février 2019

Roger Vailland au Quartier Latin


Quand Vailland rata de peu Violette Nozière (qu’il aurait pu lever rive gauche ; suivi d’oiseuses considérations…)


C’est un article de Roger Vailland qui, pour qui connaît sa biographie, en dit plutôt long sur lui-même et ses fréquentations de la fin des années 1920 (et suivantes) à Paris… Dans ce « En parcourant le Quartier Latin et en parlant avec celles qui ont connu Violette Nozières », même si, pour une fois, il se met peu en scène, Vailland aborde aussi des sujets qui lui sont personnels…
Mais que laissèrent donc passer les titreurs de Paris-Soir ? Avaient-ils besoin de gonfler ce titre pour équilibrer l’ensemble de la page ? Toujours est-il qu’un « En parcourant le Quartier Latin et en parlant avec celles qui ont connu Violette Nozières» (accessible en ligne) vous ferait recaler aux concours d’entrée des écoles de journalisme… « Au Quartier Latin avec des amies de Violette Nozières » (quitte à puiser dans la casse des caractères de corps supérieur, car s’il y avait des Linotype, les titreuses étaient plus rares), voire le peu commode, à la rigueur : « Les Germanopratines se remémorent Violette Nozières », voire… « la fleur des catacombes » (Breton, André). Mieux, non ? J’admets, peu importe.
         D’une part, il est patent que cet article (le sien…) puise en des angles abordés antérieurement (notamment en des articles rédigés en Espagne, au Portugal, province…). D’autre part, Vailland, qui suivit une cure de désintoxication à Clichy, et qui traîne encore, en noctambule, sait de quoi « causent » Marie-Anne, Jane et Nosfera. Peut-être de même que, alors qu’en 1928 il remportait quelques succès féminins auprès de grisettes, gigolettes, et autres « filles du peuple », en 1933, il a noté que les étudiants lui envient ses coups d’un soir de la sorte, lui qui est à présent beaucoup mieux rétribué.
         Marie-Anne, Jane, Nosfera… Filles de… Vailland a pu aussi les connaître pour avoir fréquenté leurs parents ou parce qu’il leur fut présenté par elles-mêmes. Trois jeunes filles à la fois fictives (préserver leur anonymat oblige à brouiller les pistes) et si réelles, si authentiques. Total genuine.
         Comme le seront, le furent, les personnages de ses romans. Sans doute composites (Vailland a pu connaître un coureur cycliste amateur, un ouvrier sur presse ayant eu la main écrasée, un désireux de sortir de sa condition, et n’en faire qu’un). Vailland romancier est à rechercher dans le Vailland journaliste antérieur… Daniel Rondeau, qui évoqua si bien Vailland, fut un établi (jeune intello bossant en usine). Il lui en subsiste diverses sensibilités.
         Nous avons à présent, pour accéder à la profession, la voie royale : généralement Sciences Po, une bonne école spécialisée ensuite, le carnet d’adresse (au sing.) des parents. Devenue quasi-exclusive. Mais comment parler avec justesse des Gilets jaunes, même si la précarité de la pige vous rapproche, sans les avoir jamais côtoyés dans « la vraie vie » ?
         Je me souviens de ces OS aux mains cerclées de bracelets de cuir reliés à des chaînettes pour ramener d’une saccade les bras en arrière et retirer les mains de l’emboutisseuse (les hommes étaient affectés à d’autres presses) ; mes collègues des Forges de Strasbourg que, ahuri, je découvris ô combien « à la chaîne ». Cela étant, ce n’est pas ce qui fait naître le talent, le sens aigu de l’observation, et nombre de consœurs et confrères n’étant jamais passés par là font mieux que d’autres, pétris, talés, si ce n’est meurtris, d’expériences diverses. Nul besoin non plus d’être passé par la composition froide, puis la chaude, pour produire de fort belles pages.
         C’est bête. Il est fort possible que Vailland croisât Violette Nozière à Saint-Germain sans lui prêter attention. Damned, quel titre : « Ma nuit avec l’Ange noir ». Ce sera « Pierre-François, joueur de jazz, nous conte son aventure avec Violette » (article de Marc Roussel). En fait, non… Je ne le pressens pas concéder ainsi au sensationnel, plutôt rédiger subtil en songeant que ce qu’il écrit influera sur le ressenti des jurés de la cour d’assises.
Roger et Violette ; Michèle, ma belle, « si bien ensemble » (Lennon, McCartney) ? « Pourtant les gens m’ont dit/De me méfier de toi/Car tu n’es pas ce que je crois » (version Robert Demontigny). And I will write the only words I know they’ll understand. Ce fut Boule, et non Violette. Ni mieux, ni pis.
Je sais combien tout cela peut paraître cryptique à d’aucunes et d’autres. Survient un temps ou seule l’envie d’écrire pour une Élizabeth (non pas Lisana, défunte, une autre ; la trouver sur roger-vailland.com), un Philippe Lacoche, des inconnues, des anonymes – et soi-même, accessoirement – subsiste. Comme le répétait la marionnette des Guignols de l’Info : « excusez-moi, je n’ai pu m’en empêcher ». Cela tient presque du soliloque (ou remâchage sénil ?).
         Michel Picard, féru de Vailland, m’expliqua de vive voix comment la lecture du genre romanesque fait ressurgir le passé et se projeter. Lire, relire Roger Vailland, c’est se retrouver, s’envisager. Ce qu’il fit peut-être avec Suétone (meilleur romanceur que romancier). Jalonner, baliser l’œuvre, sans suggérer des sentes de traverses, non pas en les fléchant, juste en indiquant qu’elles sont multiples, serait vain. Je ne vous en propose pas moins, à la manière d’un Éric Poindron, de muser sur le thème Vailland in bed with Nozières. Lui confie-t-elle ses différends avec ses parents, l’incite-t-il à une meilleure conciliation, lui fournit-il le poison (ou l’adresse d’un confidentiel herboriste-apothicaire de douteuse réputation) ? Laissez flotter votre imaginaire...
       Donner à lire, et à voir, les articles de Vailland me semble indispensable pour donner envie de le (re)lire. C’est pourquoi… Attendez-vous donc à savoir que le reportage de Vailland en Espagne sera le prochain volet à paraître ici. (À suivre).

lundi 25 février 2019

Roger Vailland se prend un râteau de l’impératrice Zita…


Roger Vailland, envoyé par Paris-Soir, se fait éconduire

Loin de moi l’idée de suggérer que Roger Vailland tenta d’obtenir les faveurs de Zita de Bourbon-Parme, ex-impératrice d’Autriche-Hongrie, &c. La potentielle seconde sainte Zita (après celle de Lucques, sa canonisation serait envisagée) reste au-dessus de tout soupçon : honi soit qui mal y pense !

Le plus connu des râteaux que se prit Roger Vailland fut infligé par Régine Deforges. Avec Zita de Bourbon-Parme, veuve de Charles Premier, il est patent qu’il ne tenta que de s’entretenir des visées dynastiques d’Otto de Habsbourg-Lorraine (Othon dans l’article de Vailland pour Paris-Soir).
         Il reçut une fin de non-recevoir : l’ex-impératrice – s’il tant fut qu’il s’agissait bien d’elle-même – ne lui tint que des propos anodins…
         L’anecdote n’a que peu d’intérêt, mais vaut d’être détaillée sous l’angle de la médialogie de comptoir… Expédié au château de Bost(z) – les deux graphies sont recevables – à Bessin-en-Bourbonnais (château orthographié de diverses façons dans l’article – avec un talent infini, infâme, infime, intime, allez savoir…), Vailland ne peut rentrer à Paris totalement bredouille…
         Médialogie de comptoir, sémiologie sauvageonne : les quatre colonnes de l’article de Vailland (accroche en une, en tourne en page trois) sont meublées de trois photos, supposées prises par un photographe en planque venu auparavant ou peu après le passage de Vailland, lequel ne put immortaliser la brève rencontre de l’envoyé spécial avec l’ex-impératrice.
         Vailland brode, faute de mieux, faute de « viande ». Sont évoqués : les vaches dans les prés, la complexion du fils du maréchal-ferrant (Pierrot), les propos (apocryphes ?) du curé du patelin (non nommé), et tout aussi abondamment, l’envoyé spécial se met en scène. Même un Stéphane Bern n’oserait plus…
         Comme à son habitude, Vailland s’étend sur « les gracieuses jeunes filles » (des petites cousines de la famille impériale) qui lui assurent qu’il fera choux-blanc. Bref, c’est un cas d’école de tirage à la ligne… Même sur les bords de la Vologne (affaire Grégory), aucune, aucun d’entre-nous, n’aurait osé, faute d’infos « dures », broder aussi longuement sur la couleur locale. Ce qui m’amène à digresser en glissant l’anecdote suivante. Des confrères reporters-photographes, campant et planquant depuis des semaines à Épinal, rentabilisèrent leur (trop) long séjour avec un seul cliché… d’un vol de corbeaux au-dessus d’un clocher.
         L’interlocutrice de Vailland, présumée être l’ex-impératrice, n’est pas véritablement authentifiée. Vailland évoque une jeune fille l’accompagnant qui présente « dans son visage toute cette malice et tout cet esprit qu’on remarqua si vivement lorsqu’en 1910 la princesse Zita de Bourbon-Parme fit ses débuts. ». Du très grand art : jamais Vailland n’affirme avoir conversé avec l’ex-impératrice, mais le laisse très fortement imaginer.
         Voyez aussi cette photo légendée « L’ex-impératrice Zita (…) quitte les bords de l’Allier où elle a surveillé le bain de ses enfants ». Elle aurait pu être tapée n’importe où ou presque, mais elle crédibilise le compte-rendu de l’envoyé spécial.
         Le tout est « pissotant » (patois angevin ? terme détourné pour évoquer le rire sous cape), divertissant, bien mené, et procure un réel plaisir de lecture… On y est ! On voit l’ex-impératrice (fusse-t-elle une autre…). Cet article devrait être, à mon sens, détaillé au Cuej, au CFJ-CPJ, à Lille, ne serait-ce que pour arpenter le chemin parcouru. Quelle verve ! Lire et relire « Avecl’ex-impératrice Zita dans un château du Bourbonnais » face auquel Vailland resta devant les grilles…

dimanche 24 février 2019

Novembre 1932, Roger Vailland au Portugal


Sur les traces de Roger Vailland à… Azunamento

C’est une chose de lire des articles de presse d’un grand reporter (et par la suite écrivain) dans un recueil les réunissant, une autre de les consulter tels quels… Ceux de Vailland à Lisbonne pour Paris-Soir, en novembre 1932, réservent quelques surprises…

En novembre 1932, venant d’Espagne, Roger Vailland dicte ou envoie depuis Lisbonne quatre articles à Paris-Soir… J’ai pris plaisir à les retranscrire et en monter les visuels dans un fichier PDF que vous trouverez en ligne… Mais ils m’ont ménagé des interrogations…
         Je suis quasiment certain de pouvoir retrouver le terme technique désignant le pataques produit sur Linotype de la ligne qui suit :
« je me suis aperçu qu’on est davantage au courant, à Lisbonne, des mouvements littéraires ou artistiques français les p_sulerdcésdréd_nééyssrn_j_sdrétu_sdr (sic)
plus récents qu’on ne l’est à Lille ou à Bordeaux. » (voir le commentaire ci-dessous).
         J’ai eu beau me creuser la cervelle, imaginer qu’il s’agissait des plus… je ne saurais dire (marquants ?), mais ce n’est pas si important. Glissons, comme les doigts sur un clavier de Linotype qu’il suffit d’effleurer pour composer.
         En revanche, la mention de la localité d’Azunamento, cité andalouse, m’a causé quelques soucis – qui perdurent – et remémoré un épisode des plus ardus.
         La translittération, dont Serge Aslanoff est l’un des plus éminents spécialistes pour la langue russe, peut dérouter les traducteurs. J’avais dû traduire vers le français, pour Patek Philippe Magazine, un article de je ne sais plus quel auteur levantin, transcrit en anglais par une ou un collègue… Il traitait de la ligne de chemin de fer – confiée aux soins d’ingénieurs allemands – partant de la Turquie pour rejoindre Bagdad en Irak (la Bagdadbahn de 1903 et années suivantes) puis le Koweït. Je butais sur la mention d’une gare dans une localité d’Anatolie dont le nom me laissa perplexe… La littérature sur le sujet (thèses de géopolitique, de polémologie, &c., documents sur le génocide arménien, guides touristiques d’époque impossibles à retrouver) est abondante mais nulle carte du tracé exact de la ligne, rien permettant de retrouver le toponyme actuel… Finalement, depuis son université de Tel-Aviv, le fils de Serge Aslanoff me confirma mon hasardeuse intuition… Il s’agissait de l’ancienne appellation arménienne, fort mal translittérée (voire affublée d’une coquille).
         La, j’ai bien cherché, je n’ai pas retrouvé Azunamento (si ce n’est, en tant que nom commun, dans un document officiel brésilien mal numérisé). Aucune ville frontalière du Portugal, aucune ciudad comportant des minaretes et mezquitas et desservie par un bac dans la provincia de Huelva (qui compte, de Aroche à San Silvestre de Guzman, 11 localités frontalières, dont aucune n’aurait eu pour nom antérieur quelque chose d’approchant).
         En revanche l’avocat Manuel Paula Ventura a bel et bien existé ; il avait porté secours à des personnes ayant (mal) fabriqué des bombes, et il fut contraint de fuir en Espagne – avec son épouse, Francisca Alves – où il mourut, à Huelva, comme le rapporta ABC dans son édition du dimanche 4 août 1935, soit moins de trois ans après sa rencontre avec Roger Vailland. Une rue d’Olhão  (Portugal) porte son nom. Mais Huelva est assez distante d’Ayamonte, ville frontalière…
J’en suis à me demander si Vailland, ayant vu une large inscription Ayutamiento au fronton de la mairie de la ville en question, ne se serait pas mélangé les pinceaux, comme on dit… Il se peut que Vailland ait emprunté la partie andalouse de la ruta de al-Mutamid, mais Huelva (qui ne compta qu’une mosquée transformée en église) ne peut être cette Azunamento (« ville blanche et hérissée de minarets comme une cité maure »). Jusqu’à mieux informé (et toute suggestion est bienvenue), le mystère reste entier…