Valentine et Valentin Kaufmann indiscernables tels des saints…
Après Marcel Aymé (Les Sabines), Claire Wolniewicz (Ubiquité), voire Alphonse Allais (Deux et deux
font cinq), Le Monde s’est lancé dans l’ésotérisme en réussissant
à dédoubler le sociologue Jean-Claude Kaufmann.
Et voilà que Le Monde « écrit
pour Google » en usant de la grosse ficelle de la redondance des
mots-clefs… Dans la rubrique « Opinions », le site du quotidien de
référence/révérence (daté 12 fév. dernier) a confié une tribune intitulée « La
Saint-Valentin fut longtemps une fête des célibataires et de la rencontre »
à deux sociologues : Jean-Claude Kaufmann et Jean-Claude Kaufmann. Mieux
que les Dupont et Dupond d’Hergé, deux pour le prix d’un, rigoureusement
identiques.
La page d’accueil
indique qu’un quidam (Jean-Claude Kaufmann), et un sociologue (Jean-Claude Kaufmann)
ont co-signé la dite tribune. Cliquer révèle que Jean-Claude Kaufmann 1
(sociologue) et Jean-Claude Kaufmann 2 (sociologue,
en gras) nous expliquent que la fête de la Saint-Valentin est bimillénaire (ah
bon ? Le premier Kaufmann se réfère peut-être à Valentin de Rome, le
second à celui de Réthie, et en additionnant leurs antériorités respectives, à
quelques siècles près, cette approximation se conçoit… enfin, grosso modo).
Il est vrai
que Wikipedia nous indique que ces Valentin « seraient en fait une même personne ». C’est peut-être
pourquoi, dans le châpo de la tribune, la ou le sec’ de rédac’ énonce : « Dans une tribune au Monde, le sociologue Jean-Claude Kaufmann revient sur
l’histoire méconnue de la fête des amoureux de février. ». Les deux ne
font donc bien qu’un. C’est fusionnel, la Saint-Valentin !
C’est plutôt
vers avril que les Romains célébraient Vénus, mais admettons qu’une fête des
amoureux ait pu l’être avant même que Jésus Christ et Marie-Madeleine l’aient
(rien n’est moins sûr, la photographie n’existait pas et nous ne disposons pas
de documents visuels affirmeraient les « Décodeurs » du Monde) mise à profit, mais plus tard
selon le calendrier hébraïque (voir infra).
Toujours
est-il que, sans doute, l’aspect fête des couples légitimes ou non aurait pu
prendre son essor en Europe vers les années 1950. L’auteur de Quand Je est un autre (Armand Colin éd.) et de Saint-Valentin mon amour (éds Les Liens qui libèrent) était tout
indiqué pour évoquer – en duo – cette aubaine pour fleuristes et marchands de cartes de vœux. On ne sait si la ou les amoureuses du sociologue
sont adeptes du triolisme, mais Le Monde leur
a offert l’occasion de recevoir deux fois leurs hommages (ceux du Je et de l’autre). Si les deux Kaufmann
sont pluriamoureux, leurs budgets jumelés doivent être copieux.
On comprend fort
bien d’ailleurs que pour se démultiplier (sur France Info, TV5, NRJ, &c.), on
fasse mieux à deux…
Pour Myriam
Lebret, de L’Yonne républicaine, la
dizaine de saints dénommés Valentin ne font plus qu’un : « Il y a eu plusieurs saints Valentin et ils n’étaient
pas patron (sic) des amoureux ».
Pour Cathy Lafon, de Sud-Ouest, les
dix de L’Yonne n’étaient plus que sept : « pas moins de sept saints de l’église chrétienne répondent à ce nom ! ».
Vérité en deçà, mensonge au-delà (de la rivière yonnaise). L’un des Kaufmann
(mais lequel ?), pour ChEEk Magazine,
fait une moyenne : « certaines
sources disent huit, d’autres disent même plus. ». La maladie des
vignes serait devenue, selon lui, maladie d’amour (enfin, à Saint-Valentin,
dans l’Indre). Il nous précise aussi qu’en Angleterre « chacun devenait valentin et valentine et
avait alors une double identité » (même source) et que « en tant que valentin, on avait
beaucoup plus de libertés sexuelles que durant la vie habituelle ». Et
en qualité de valentine ? Espérons que J.-C.-Valentin et J.-C. Valentine en
profitent ! Qu’en pense Marie-Hélène Bourcier ? Finaude (éléphantesque)
transition pour « élargir le débat » car M.-H. Bourcier voudrait que Valentin
et Valentine Kaufmann partagent des ouécés à « genre neutre ».
Depuis que la
sociologie s’est intéressée aux lieux d’aisance (Harvey Molotch et Laura Norén),
ou de commodités (Roger-Henri Guerrand), de nécessités (Sian James et Morna E.
Gregory), et que les feuillées ont généré de multiples bonnes feuilles et pages
et nourri leurs auteur·e·s (pour le Maroc médiéval, ils s’étaient mis à quatre :
J.-P. Van Staëvel, Marie-Pierre Ruras, Admed Saleh Ettahir et Abdallah Fili – Tu quoque fili…), le moindre fait de la
vie quotidienne (Dis-moi comment du fais
– toilettes : histoire(s) & sociologie, Simone Scoatarin) – et je
vous passe Norbert Elias (1897-1990), auteur de La Civilisation des mœurs, Claude Maillard (Les Précieux Édicules), et d’autres – fait l’objet d’une
publication.
Pour en
revenir à la fête de ce 14 février, Jean-Claude Bologne, historien, auteur d’Histoire du couple (Perrin) et Histoire du coup de foudre (Albin
Michel), fait remonter les origines françaises à Charles d’Orléans, fils de
Valentine Visconti.
Dans la presse
et l’édition déchaînées, on trouve à boire et à manger…
Il est quand
même dommage que, pour Le Monde,
Kaufmann et son jumeau n’aient pu dialoguer, l’un soutenant que l’estivale Tou
Beav (ou Tu B’Av) biblique était à l’origine de la pré-printanière
Saint-Valentin, et l’autre se récriant. Le premier soutenant que le monde
islamique bannit cette fête, le second pointant qu’elle est désormais célébrée
en… Afghanistan. Bah, d’ici quelques années, l’hivernale chinoise Fête des
célibataires supplantera peut-être les autres…
Comment
conclure ? Par, allez, cette citation de la chute d’Olivier Perrin, dans Le Temps (Genève) : « La Saint-Valentin (…) c’est surtout tellement inutile. Aussi
inutile que cet article. ». Pirouette, cacahuète, terminé ; mais
sur un autre sujet, je vais récidiver