samedi 21 septembre 2019

Iris Picardie, de Jean-Charles Fauque, théâtre d'ombres

Deux romans gris pour le prix d'un...

Polar ou roman noir ? Le Jean-Charles Fauque, Iris Picardie, embrouilles à perte de vue, des éditions Wartberg (col. Zones noires), tient des deux fois deux. J'explique...
Livre attachant... Ancien de 813 (association d'auteur·e·s, critiques, grand·e·s amateuristes) je penche pour le roman noir. Polar, policier, prédominance whodunit. Intrigue policière. Noir, noirceur, l'ambiance glauque parfois, prime. Voyez côté Hugues Pagan. Ce n'est pas que l'intrigue ne soit pas essentielle, total secondaire, mais elle reste, quoique non-accessoire, finalement prétexte. 
Je ne vais pas divulgâcher ce bouquin. Déjà, d'accord, il y a un (ou deux) assassinats. Mais bon. Il y a surtout du métier (Jean-Charles Fauque est auteur de la Série Noire et d'Engrenage). 
Intrigue. Vous allez sur le site des éditions Wartberg, vous consultez la liste des auteurs, pas de Fauque. Pas d'Iris en recherche générale. Intéressante, cette maison germaine — germanique, plutôt — qui a commencé en France (fin 2010) avec une collection « Nous les enfants de... ». Devenue en partie Zones noires (exemple : Françoise Bachmann, Le Grand Ange de Strasbourg). Charly, Charles Duchêne éditeur, s'y était essayé avec un polar lillois, sans suite. Danièle Vaudrey et d'autres font dans les histoires criminelles repêchées dans les archives départementales (pour elle, bretonnes, Les Mystères des Côtes-d'Armor, en réalité, des Côtes-du-Nord, du temps de la Loire-Inférieure, Les Grandes Affaires criminelles de Bretagne). Bon filon. Bien exploité, élégamment (c'est une consœur honoraire, mais non du copinage).
Étonnement. Jean-Charles Fauque est un Lyonnais. Puis parisien. Claude Mesplède (salué amicalement au passage) n'a pas mis sa page (à lui, J.-C. F.) Wikipedia à jour. Aucune Iris. Laquelle n'est pas une Picarde. Elle vient de nulle part, ne va pas jusqu'à la Grande Pomme.
Mais Fauque connaît la Picardie. Pas la Thiérache, pas le triangle des Bermudes axonaises (Chauny-Tergnier-La Fère), enfin, pas comme Philippe Lacoche (Mise au vert, sur ce même blogue-notes). Lui, Fauque, ce serait sans doute Senlis-Compiègne. Pas du tout la même Aisne, ni les mêmes haines.
J'ai acquis ce bouquin en vente-don à la sauvette. Don genre petite arnaque à la Rostov. Vente à l'instinct. Le Marocain m'accroche face à (moi, dos à) la gare Montparnasse. Il a des bouquins de la collection dans la main. Il les offre. Bon, Marocain, ou Maghrébin, c'est un peu comme Iris. Je lui cause Maroc, le voilà Marocain. C'est pour populariser de jeunes (Fauque, jeune ? ni d'âge, ni de métier, car pas vraiment arpette, loin de là) auteur·e·s. C'est gratis. Mais une petite contribution à la cause... Bon, si Marocain, j'ai marchandé. D'un, le Maroc, cela me connaît, de deux, auteur itou, je connais les prix de fabrication.
Deux... Oui, deux noirs imbriqués. Ce qui fait à peu près deux fois 80 pages. Un en connaisseur des États-Unis, à la Philippe Labro, l'autre en faux bouseux picard, en vieux bobo d'avant l'appellation, travailleur indépendant « déporté » volontaire. À moins que ce soit sa défunte épouse (dans le roman) qui fut Picarde. Le genre de type (le narrateur) toutou domestique des femelles (un chien domestique, c'est autre chose : un clebs qui a une femme ou un homme pour domestique). J'dis cela, vu que, dans le genre macho mol, le narrateur se défend pas mal. Quant à l'auteur, eh bien, je n'en sais strictement rien.
On voit bien le personnage suivre sa maîtresse où elle le désire.
C'est même plus que patent avec Iris, que Mylène Juste ne désavouerait pas. Mylène, c'est juste pour vous mettre sur la piste (reniflez sur la Toile, sur Facebook). Pas du tout strass, mais diams, Iris.
Bref, le principal protagoniste va en prendre plein la tronche, aux deux sens. Trois catégories de harceleurs. Et lui, bonace, résigné, qui veut y croire, à la rédemption, à l'épiphanie d'une Iris-Félicie. Mais l'aramon en pichet ne tourne jamais la tête d'Iris.
Faudrait pas vieillir. Pas comme cela. Il le renifle, soupèse... Mais l'espoir. L'espérance, c'est fou, et ne vous quitte guère avant d'en avoir total marre (fugace tentation d’autolyse). Se retrouver assis sur un magot ne change pas grand' chose à l'affaire.
Ce que j'ai aimé le mieux, ce sont « les voisins ». Picards. Sudistes. Pas si différents des autres voisins nordistes pour certains.
Un roman, c'est se revivre et se projeter. Jeunes gens, lisez Fauque, cela pourrait vous advenir, surtout si devenus veufs. Vieilles gens, vous êtes peut-être passés par là (surtout si mal accompagnés). Fumeurs et pochtrons à l'occasion, aussi. Pétroleuses embobineuses idem. J'en ai trop dit. Stop...
Mais c'est plus fort que moi, je ne peux m'empêcher de poursuivre. Une écriture efficace, avec des trucs d'écrivain grosses ficelles mais plaisants (genre fumeur de gitanes, à la Gainsbarre). J'ai lu en plusieurs longues plages (je constipe : mais pas toujours, et j'ai prolongé). Je ne sais si vous avez déjà consulté le compte-rendu non pas d'un critique, mais d'un chroniqueur de bouquins, qui ne s'abstient pas de signaler qu'il n'a pas tout lu d'un trait. Bon, même des Dard supportent l'interlude.
Donc, pas haletant, haleté. Le récit. Avec de vraies trouvailles. Lisez, vous dénicherez.
Vous avez des types qui écrivent dans la presse sur des livres qu'ils ont seulement survolés. Glisser une citation sauve leur mise. J'ai tout lu (et relirai peut-être). Un truc m'a interpellé, page 70. Fauque écrit « ''le passé est une lanterne qui éclaire l'avenir", dit le proverbe chinois (...). Je me demande même si elle ne projette pas des ombres style caverne de Platon... » (suite page 71). 
En fait, le proverbe, c'est plutôt une lanterne dans le dos qui n'éclaire que le chemin parcouru. N'empêche, une version sino-hellène serait bienvenue. Si vous avez des propositions...
Tu sens quand même qu'il ne sait plus trop départir réalité de fiction.
Un autre truc que j'ai trouvé assez génial : bien marquer la nature imaginaire du récit. Dire, je vous ai mené partiellement en bateau (avec ce détail d'une beuverie tournant mal transformée en épisode d'autre nature ; « faute » avouée, aisément pardonnée : bravo l'artiste).
Lacoche est un fêlé, au sens que je partage avec lui, de Roger Vailland. Il y a du poisson, du salmonidé mâle, chez Fauque. Fario ou ferox en alternance. Il y a deux questionnaires sur le sujet en ligne. Celui de Szramowo sur Babelio (« est-ce de la ..., de la carpe ou du saumon »). Un autre, encore plus sioux, que je n'arrive hélas à retrouver. Flairez, débusquez. Un troisième aussi, mais trop fastoche (sur http://quizz-biz). Bien, je m'égare (pas si sûr, je prends les paris, Fauque fut, reste lecteur de Vailland). Alors, fin. Chute gros sel.


Brexit : Downing Street joue aussi la montre...

Épais brouillard sur Muir Éireann, l'Ulster isolée

Le fameux commentaire britannique « le continent isolé » est peut-être apocryphe mais, avec le Brexit, on pourrait l'adapter : alors que l'opposition au gouvernement britannique exige de Boris Johnson qu'il sollicite le report de la date du Brexit jusqu'à fin janvier ou plus tard, voici que Downing Street (The Cabinet) voudrait obtenir de l'Union européenne un report d'application d'un an au moins, pour l'Irlande du Nord seule, voire pour le Royaume-Uni...
Le gong a (très faiblement) sonné. Angela Merkel avait suggéré à Boris Johnson qu'il présente un plan alternatif à celui de Theresa May sous trente jours. L'échéance, c'était hier. La presse française s'en contrefiche, elle n'a pas si tort, c'est quasiment un non-événement...
La presse britannique le mentionne incidemment mais s'intéresse davantage aux suites des bisbilles parlementaires et à celle agitant les travaillistes.
Ainsi qu'à cette annonce qui vaut aveu de la part du gouvernement s'exprimant par la voix du ministre chargé du Brexit (Stephen Barclay, le Brexit secretary) : le Royaume-Uni a besoin d'un délai d'un an pour trouver une solution à l'instauration d'une frontière « physique » entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord (soit la partie britannique de l'Ulster ; mais en cas de brouillard, on peut employer cette dénomination, par laxisme).
Ce qui laisse présager qu'en fait, quoi qu'il advienne, Boris Johnson n'aura rien de sérieux à proposer au Conseil européen. Tout indique qu'il prépare le Royaume-Désuni à un Brexit très dur (ou sans accord, ce qui revient à peu près au même).
Et pour mieux y parvenir il serait même disposé à redemander à la reine de suspendre de nouveau le parlement si la Cour suprême lui intime de renoncer à prolonger sa mise en congé. Sous son long règne, Élizabeth (sauf erreur de mémoire) ne s'est jamais rebiffée quand un Premier ministre sollicitait son assentiment royal. Elle s'offusque même quand un David Cameron se targue d'avoir obtenu qu'elle ait pris position sur l'indépendance écossaise (peu avant le référendum en Écosse, elle avait espérer que les Écossais réfléchir « avec prudence à leur avenir »). Cameron s'est vu exprimer  voici peu le déplaisir et la contrariété de Sa Majesté... Laquelle onc n'intervient — j-a-m-a-i-s de chez Never — dans le débat politique même si, à chaque début de session parlementaire, elle lit sans broncher le discours que lui communique le Premier ministre.
Bonne princesse, l'Union européenne a pardonné le (léger) camouflet infligé à Angela Merkel. Hier, c'était hier, l'échéance pour éviter le « tilt » est reportée au 30 septembre. Tic-tac-tic-tac, c'est dans neuf jours.
Restons circonspects, cet ultimatum pourrait encore voir son application différée, à la date de la réunion du Conseil européen, si ce n'est jusqu'à la veille d'Halloween (le 31 octobre, mais c'est fort improbable). Emmanuel Macron et Antti Rinne (président du Conseil européen, accessoirement en l'espèce Premier ministre finlandais) considèrent que le Bojo fait lanterner l'UE, la mène en bateau, l'emberlificote, bref que la bourrique se lasse de tourner en rond dans les orties du ''garden path" britannique. Cela fait un moment qu'elle n'est plus sa dupe et que la carotte qu'il prétend pouvoir brandir est une roupie de sansonnet alors qu'elle détient le bâton. Bon, je reprends à mon compte ce que disait David Cameron à la BBC : « des gens doivent penser que j'en dis trop » (sur la reine pour lui). Mais je ne fais que paraphraser.
Plus significatif pour la presse d'outre-Manche, l'incident marquant la conférence du Labour. Les travaillistes sont fortement divisés par la perspective d'un Brexit dur, mollet, avec ou sans un accord qui conviendrait à la majorité d'entre eux.
Sauf surprise, les opposants à Boris Johnson n'obtiendraient pas une majorité en cas d'élections anticipées. Les conservateurs devraient rester en tête, leurs alliés unionistes nord-irlandais seraient reconduits, et la quatrième ou cinquième force politique parlementaire serait le Brexit Party.
Mais il ne peut être exclu que le Labour et le Lib-Dem l'emportent (les libéraux-démocrates faisant jeu égal avec Farage et son Brexit Party). Avec l'assentiment du SNP (nationaliste écossais) et des figurants d'autres composantes, il pourraient former un gouvernement transitoire de coalition.
Transitoire car libéraux et travaillistes s'opposent sur le Brexit. Les premiers ne veulent pas que l'article 50 s'applique, les seconds tenteront de ménager la chèvre et le chou, soit d'obtenir un Brexit plus mou que... allez savoir au juste.
Or donc, des travaillistes voulaient débarquer leur vice-président, Tom Watson, que Jeremy Corbyn porte tiédasse en son cœur. Watson pousse à administrer son remède, soit un second référendum qu'il espère voir annuler le résultat précédent. Corbyn n'est pas d'accord, l'a dit publiquement, mais il a consenti à une voie médiane. Watson reste dans son cabinet de consultation (le « gouvernement fantôme », le plus fort parti d'opposition nommant des « contre-ministres » chargés de coller aux bottes et mordre la cheville de leurs homologues du Cabinet). Mais ses attributions seront révisées (ou revissées à bloc, comme on voudra, ou ce n'est en fait que du blabla : Watson redira ou non que des élections anticipées sont périlleuses, qu'un référendum devrait les précéder afin de ne pas avoir à composer avec les libéraux-démocrates). En réalité, le Lib-Dem a le vent en poupe, tout comme le SNP : les conservateurs écossais risquent de se retrouver sans parlementaires, les libéraux-démocrates peuvent espérer progresser d'un tiers de sièges.
Pour Corbyn, la priorité c'est d'éviter une sortie sans accord, puis de virer le Bojo lors d'élections... peut-être vers février-mars... ou novembre-décembre. Ou de voir Bojo et Farage s'acoquiner au risque pour les conservateurs de voir des têtes d'affiche les déserter, passer sur les bancs des indépendants ou du Lib-Dem. Rebelote dans ce cas : nouveau gouvernement minoritaire. 
En fait, le Labour, majoritairement, veut tourner les pages Blair et Miliband et revenir à un socialisme à la... Mauroy ? Aubry ? Chevènement ? Mélenchon ? Gilets Oranges ? Sauf que, pour ce faire, les règlements de l'Union européenne resteraient de fortes contraintes. Corbyn ne se fait pas d'illusions, une Europe beaucoup plus sociale n'est pas tout à fait pour demain ou après-demain.
Il reste que Boris Johnson a — enfin — communiqué aux chefs des 27 États des propositions préliminaires. Trop floues a-t-il été estimé. Il veut remettre cela à New-York où il entend converser en coulisses avec Macron, Merkel et le Premier ministre irlandais, Leo Vardkar (le Taoiseach), demain dimanche ou lundi, voire mardi. Donald Tusk sera aussi de la partie puisqu'il se rend de même à l'AG de l'Onu. Le Bojo se fera aussi photographier en compagnie du Donald (Trump), de Modi (Inde), Erdogan et Ardern (Nouvelle-Zélande).
S'il ne ressort de sa poche que ce qu'il a envoyé jeudi dernier à Bruxelles, ce sera un nouveau four mais il prétendra nonobstant qu'il avance...
« On avance, on avance, on avance (...)
On a pas assez d'essence
Pour faire la route dans l'autre sens (...)
Tu vois pas tout ce qu'on dépense. On avance. »
Sauf qu'Alain Souchon et Boris Johnson ne vocalisent vraiment pas pareil...
D'ici là, les travaillistes vont batailler dur. Certains considèrent même qu'il ne faut pas bloquer le Bojo. Ils parient sur une sortie l'UE sans accord et donc chaotique, qui sèmera la zizanie dans les rangs conservateurs, montera l'opinion contre le « bunker » de Downing Street (Johnson-Cummings-divers ministres ou secrétaires d'État pro-Brexit dur, et non tous).
L'idéal pour les travaillistes serait un statut « Norvège-minus » ou « Suisse-moins », en quelque sorte. Union douanière, quelques sièges dans des comités. Mains libres sur le plan social, voire des renationalisations (chemins de fer). Dans l'immédiat, ils voudraient abolir l'exemption fiscale bénéficiant à quelque 80 000 personnes étrangères résidant au Royaume-Uni mais étant nées ailleurs  (eh, si étrangères... mais un Brit peut naître où sa mère accouche) ou issus de parents étrangers. Mais en attendant, les Remainers veulent que Corbyn se prononce pour un maintien dans l'Union. Et pour John Rentoul, de l'Independent, le Labour est entré en « guerre civile » (carrément). Cromwell-Corbyn contre les légitimistes européens.
Ah, j'oubliais, le Bojo va aussi converser avec Zelensky l'Ukrainien. Nul besoin de lui demander, tel un Donald, d'activer ses services pour trouver des poux dans la tête de Corbyn. Nombre de travaillistes s'y emploient...



vendredi 20 septembre 2019

Enseignes : à l'article du mot unique...

Bouffe que tu bouffe à Bafre (la eaterie tendance)

Tiens donc, les enseignes de bars (à cocktails surtout), les restaurants-concepts, se doteraient massivement d'enseignes élidant tout article et se contentant d'un mot isolé... Genre Brexin (je viens de l'inventer, mais c'est plus fort que moi : à force de traiter du Brexit qui semble à présent faire volte-face, je n'ai pu m'en empêcher), au lieu de Le ou La Brexin, d'un Chez Brexin, de la trop commune appellation précédée d'un À la, Au(x), ou je ne sais plus trop quoi...
J'aimais bien les enseignes à l'ancienne... Genre À l'Équipement de la pensée (librairie devenue Mona Lisait, puis Boulinier à Paris) ou Au profit du travailleur (vêtements de travail, Belfort). Ou des Le ou Au Pas Sage (bar, cour des Petites-Écuries, Paris, devenu Jésus Paradis, du prénom de sa patronne et peut-être d'une rue proche, puis Tuk Tuk).
Question enseignes inventives, voyez merlan ou diminutif (mais dites à présent artiste capilliculteur ; merlan, c'est parce qu'ils se la jouaient Black Face à l'envers, dérivé du blanc de leurs perruques de perruquiers-barbiers). Je ne sais plus si c'est Fluide Glacial ou un autre mensuel bédéphile dont le courrier des lecteurs s'est fait une spécialité de les recenser. Bidonnant. Vaudrait un maousse album illustré, avec cartes pour les situer et créer des parcours thématiques.
Toujours est-il que j'ai détesté la période « rie » (La Meublerie) et « thèque » (style La Chocolathèque) et autres rallonges qui ne me reviennent plus à l'esprit. Si vous en trouvez encore c'est que la boutique a été créée ou reprise circa 1970-1980 ou que la patronne, le tenancier sont soit des nostalgiques, soit des attardés, soit des feignants (ayant conservé l'ancienne enseigne au lieu de Allitération, pour un commerce de matelas, par exemple).
Tout cela pour vous dire que Télérama et le site Slate nous font tout un plat de l'enseigne de bistrot à tartines à mot unique. Ce serait « la grosse tendance du moment », selon Jean-Laurent Cassely,  tandis qu'Esterelle Payany remarque, sans le déplorer, que La Strasbourgeoise deviendra Batifol, et Chez Jenny, Bouillon République.
Flo rallonge 
Bon, l'enseigne à mot unique, ce n'est quand même pas si nouveau, et question bouillon, Julien est redevenu Bouillon Julien. Mais c'était souvent dû à... quoi ? Un  processus de suppression de quoi au juste ? Il me semble qu'il y aurait un mot pour ces prépositions et articles minces ou maigres, et je suis bien en peine de m'en souvenir ou de néologiser. Bref, Bofinger, Floderer, et autres brasseurs, ont fait dans le mot unique, voire mieux en abrégeant leur patronyme (Flo est d'ailleurs redevenu Floderer, du nom de son fondateur, sous l'égide de Jean-Noël Dron, à l'été 2018).
Au Rendez-vous des Tant Danseurs sera peut-être la future enseigne d'un bistrot sis à proximité d'un conservatoire : plus ça va, plus ça change, et retour... Donc Rétro reviendra peut-être Chez Rétro, ou Au Rétro, genre note vintage qui refera la distinction (Bourdieu, revient, ils sont devenus... précieux).
À l'enseigne Back to the Future (Au Retour vers le futur), il y aura du monde... 
Tenez, histoire de faire un clin d'œil ironique à toutes les enseignes de pubs aux dénominations ronflantes du passé (style Aux Armes des Chevaliers, et autres équivalents en anglais), la chaîne Scottish & Newcastle avait lancé des Rat and Parrot. Je connaissais celui de West Hampstead. Et bien maintenant, ce serait « daté ». Comme l'a indiqué le chef de la division je ne sais quoi du groupe Punch, successeur de Scottish and Newcastle, « le concept était absolument adapté aux années 1990, mais avec l'essor des concepts davantage féminins, plus orientés restauration... » (''more female-friendly, food-led concepts...''), eh bien, cela devient connoté ringard, comme tout ce qui paraît bath un temps semble surfait celui d'après. Le Wimpy (le restaurant rapide à la Fram'cheese, la franchise Borel) fit beaucoup de petits, d'émules... Mais l'air du temps, Nina, fit que le vent tourna.
Je ne sais plus quel indépendant concoctant des pan-bagnats à la viande de bœuf  (des hamburgers si vous préférez) avait eu la brillante idée de se doter d'une enseigne en français assortie de la mention « maison fondée au siècle dernier ». Ce devait être vers 2001, je ne sais plus où... Côté rue Oberkampf (lieu de raouts noctambules à présent déclassé par le quartier de la porte Saint-Denis, Tenth Side District ou borrough, dont l'attrait s'étiolera sans doute bientôt). 
Il me semble que la première fois que j'ai été surpris par ce mot unique au panneau d'un restaurant, c'était non loin, rue des Petites-Écuries, chez Pierre Jancou. J'avais chopé en ligne une invective du dit Jancou à l'endroit de je ne sais plus quel redchef ou directeur d'un magazine qui comptait se faire inviter gratos par l’amphitryon alors en très grande vogue. Dare-dare, je file voir Jancou recueillir ses plus amples protestations. Et je titre : « Écornifleur et bienvenu chez Pierre Jancou » (sur Come4News). Ah oui, l'écornifleur (outre moi-même qui fut rincé gratis, merci M'sieur Jancou), ce fut l'éconduit Jean-Paul Lubot, de Marie-Claire. Vivant, c'était donc 2012. Précurseur (du mot unique) ? Je ne sais... Dans le coin, sûrement.
Le choix de Jancou découla-t-il déjà d'un monstre graphique ?
J'explique. D'un pré-projet visuel.
Le confrère de Slate rapporte judicieusement les propos de Romain Tellier, cofondateur de Gramme (cantine du Marais) : « Avoir un seul mot est aussi plus facile à travailler pour un logo et plus généralement pour la communication visuelle que de s'appeler, par exemple, Le Café de la gare. ». Ne dites plus S.N.C.F, mais dites OUIgo. 
Cela se discute...
Prout, plus Prout-Prout 
Dans mes souvenirs, un fameux canular. Des typographes (ici, créateurs de caractères) prônant l'ultime, indépassable police de signalétique. Conçue à partir d'une batterie de tests à différentes distances et vitesses, auprès de mal-voyants et autres bigleux. C'était je crois, à l'ATypI-Roma et nous eussions cru que tous les chemins menant à Rome ou Pétaouchnok-sur-Gange allaient être balisés de panneaux et pancartes ayant recours à ce lettrage. Un peu comme si la toute-toute meilleure police d'apprentissage de l'écriture ou pour dyslexiques allait supplanter toute concurrente.
Ah-ha, il ne faut pas s'arrêter là... « A » et non plus « À A », B et non plus Le B, C au lieu de Chez C (arrêtez-moi tout de suite, voire immédiatement). Mettons que j'ouvre un (ou une ?) boulom (« boulange-ouskon-mange »), la Sarl À l'Émoticon blanc. O suffirait, non ? Une lettre de très belle eau, ne pouvant être confondue avec un zéro. Z pour Au Signe de Zorro (sans doute à conditions de verser des droits à la Johnston McCulley Foundation).
Ce qui est sûr, c'est qu'avant que le bouiboui pas chérot du coin de la rue adopte la fameuse tendance et ne fasse pas grimper ses prix du jambon-beurre ou du menu entrée-plat du jour-dessert ou fromage à moins-plus dix euros, dès que j'apercevrai une telle enseigne, je passerai mon chemin. Pas envie d'une addition salée pour un trois-fois rein péteux à croquer en compagnie de prout-prout-ma-chère déguisés en geeks ou modeuses.  
Aux Dames de France (ex-grand magasin de fringues et autres) a disparu, Le Grand Bon Marché (devenu le très mal nommé mais toujours si « bien » fréquenté) a subsisté. Quelques autres homonymes aussi.
Quant à la suppression similaire la plus répandue, à mon humble avis, elle remonte à l'utilmus sæculum. De Spar, abréviation, (ou acronyme ? J'hésite) de Door Eendrachtig Samenwerken Profiteren Allen Reglmatig, coopérative épicière mode rémoise, fut fondée en 1932 et devint Spar dès 1940. Avant d'être revendue et renommée Au Mini-Profit ? Et Elf Aux Bons Carbus pas chers ? Plus cela change...
Je ne sais plus quel grand créateur de caractères américain débuta dessinateur d'étiquettes de prix dans un supermarché... Il fut un temps où les peintres en lettres d'enseignes étaient rétribués au caractère réalisé, à la pige... Le lettreur, même littérateur lettriste inspiré, gagnait peu. Là, cela deviendrait plutôt l'inverse. Pour faire court, il faut un directeur artistique, un concepteur-rédacteur, un directeur de la typographie, et le plus souvent, un sous-traitant indépendant, lui payé au lance-pierre, pour interpréter les briefs et exécuter au final. Tout cela pour ça... Faut se presser l'agrume pour accoucher d'un Citron (l'enseigne de Simon Porte Jacquemus et Ramon Mac-Crohon au premier étage des Galeries Lafayette des Champs ; noms à rallonge, courte appellation, et prix coton pour une soupe au pistou).
Bientôt, Alpha (ou plutôt Alf), resto-concept ne servant qu'une déclinaison démultipliée de pâtes alphabet ? Avec mini-semi de lettres au Carambar pour dessert ? Gare à l'addition... Moins t'en as au-dessus du porche et dans l'assiette, plus tu casques.
Alors que... À Clichy-la-Garenne, un Au Chameau savoyard. Couscous ou fondue, boulaouane ou fendant, j'y vais. Mais Jygo, sans agneau, je fuis.
   

lundi 16 septembre 2019

Brexit : le Luxembourg humilie le Bojo


Hulk le nain camouflé sur le continent

Préambule : je peux trouver que Mimi Mathy gagnerait à se déguiser en Hulk avec la tignasse de Boris Johnson sans pour autant être irrespectueux à l’endroit des personnes de petite taille auxquelles j’adresse tous mes égards.
Autre préliminaire, je ne confonds pas camoufler et camouflet(-ter)… Bon, Boris Johnson, qui la fin de semaine dernière se prenait pour Hulk brisant les chaînes européennes s’est dissimulé derrière des déclarations creuses pour faire oublier la nasarde que lui a infligé Xavier Bettel, Premier ministre luxembourgeois.
En guise de prodrome, un clin d’œil à Andrew Sparrow, du Guardian, qui a présenté en continu ses plates excuses à son lectorat en ligne et rectifié : non, le Luxembourg n’est pas le plus petit pays de l’UE, c’est Malte, a-t-il écrit. Et Andorre, elle sent le pâté ? Et San Marino (qui siège à l’Onu), c’est une non-entité ? Et le Liechtenstein, il compte pour du beurre ? Et c’est sans compter quelques îles britanniques…
En lieu et place de… D’ac’, le Boris Johnson est un bouffon, un jester, mais cela ne doit pas me porter à pousser le bouchon trop loin.
Entrons dans le vif du sujet : c’est le point mort entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Quoi qu'en puisse dire le Bojo.
À Luxembourg, il a refait son Donald (Trump). Tout va très bien, Madame la marquise, j’ai le Macron et la Merkel dans la poche, j’obtiendrai un (comprenez « mon ») accord avant même le Conseil européen des 17 et 18 octobre, et le Royaume-Uni filera à l’anglaise et fera éclater le carcan européen avant le 31. Cause toujours…
Oui, Luxembourg est une petite capitale européenne et de ce fait, n’aurait pas de salle assez volumineuse pour abriter les pressers et les journos (mes honorables consœurs et confrères, les journaleux) ainsi que Xavier Bettel et Boris Johnson. Le premier a donc maintenu une conférence de presse à ciel ouvert (avec deux extrades et pupitres pour lui et son homologue britannique) et le Bojo, qui n’a aucune envie d’affronter la presse, a préféré arguer qu’il aurait mal à ses petites oreilles (eh, t’es le Hulk insulaire, ou quoi ?) en raison du chaos sonore prévisible et de protestataires lui scandant « English, go home » de loin, à l'écart. Du coup, Xavier Bettel a désigné éloquemment du geste la « chaise vide », le pupitre déserté par le Bojo préférant pérorer face à de complaisant micros (de Sky News, d’autres). Il préfère s’adresse directement à « son » peuple, en Maximum Leader aux commandes symboliques d’un avion (Air Force Cam, un Airbus 330 Voyager, surnommé Bo Force One ?) censé fendre l’air loin du continent. C’est un peu comme le président Mao « locomotive rouge lancée à toute vapeur sur les rails du socialisme », mais avec des réacteurs Rolls-Royce et le cap du libéralisme à la Trump.
Xavier Bettel a insisté sur le fait que les citoyens européens vivant au Royaume-Uni vivent « un cauchemar » et que le bla-bla du Bojo ne vaut pas un dossier argumenté, déposé à Bruxelles. Depuis l’accord négocié avec Theresa May, et rejeté par le Parlement britannique, tout le monde attend en vain. Il n’a pas mâché ses mots, Bettel : le parti conservateur a décidé de plonger le Royaume-Uni dans le chaos, à lui de l’en sortir. En clair : Bojo, ne tente pas de nous refiler le bâton breneux.
Il a juste donné raison à Boris Johnson sur un seul point : à rien ne sert de différer (au-delà d’Halloween), ce que veulent les Brexpats et les Européens vivant au Royaume-Uni, ce sont des certitudes, du noir sur blanc, pas des paroles en l’air…
Il n’a pas utilisé l’expression « Boris le menteur », mais clairement indiqué que la campagne du camp Leave pour le referendum fut de l’esbrouffe
Pour Boris Johnson, un accord resterait « faisable ». Ah bon ?
Ian Blackford, du SNP (nationaliste écossais) a résumé, lapidaire : “Not so much Hulk as sulk”. Soit moins Hulk que gamin boudeur tapant du pied et se roulant par terre. Le Bojo, pour l’Independent, est devenu The Incredible SulkGuy Verhofstadt s'est empressé d'embrayer... 
Après s’être gargarisé des progrès obtenus, Boris Johnson a fini par admettre qu’il était « un petit peu, mais pas beaucoup » plus optimiste quant à l’éventualité d’un accord convenant aux conservateurs et aux unionistes nord-irlandais.
Comme si la coupe n’était pas assez pleine de fiel, David Cameron lui en a remis une dose : le Bojo était sûr que le referendum n’avait pas la moindre chance d’accoucher du Brexit, ce qu’il espérait en privé, mais que, pour sa gloriole, et la possibilité de se poser en négociateur musclé, en futur chef de file des conservateurs, il avait fait campagne pour ce qu’il estimait perdu d’avance.
C’est au pied du mur qu’on voit le maçon : Boris Johnson est à présent sommé par l’opposition de jouer cartes sur table, de publier ses propositions de négociation, sous quatre jours.
Il va derechef répéter qu’il ne peut négocier utilement à Bruxelles s’il dévoile à l’avance ses arguments devant l’opinion britannique.
Mais quand on est de mauvaise foi, la méthode Coué ne suffit pas à soulever une montagne.
Et si le Bojo passe désormais, aux yeux des électeurs conservateurs prêts à voter Brexit Party, pour une girouette, il pourra toujours arguer, comme Edgar Faure, que le vent a tourné, cela ne suffira pas. Et là, après avoir traité Jeremy Corbin d’être un poulet, un ventre jaune, un plumé blanc (la plume blanche était remise à qui ne s’engageait pas en 1914), il risque de passer pour un pleutre. Un couard sans réelle conviction autre que de croire à sa bonne étoile.
Dominic Cummings, son Steve Bannon, aura les plus grandes peines à lui sauver la mise.

dimanche 15 septembre 2019

U.S of A. : Donald Trump emploie un correcteur (enfin !)


Le Donald et ses « liaisons » dangereuses… 

Enfin ! On ne compte plus les pataquès, fautes de langage, substitution de mots du Donald à l’oral comme à l’écrit. Mais, au moins, désormais, une correctrice ou un orthotypographiste maîtrisant l’orthographe corrige ses tweets…
C’était la dernière en date d’une très longue série de gaffes et impairs de langage… Une autre la chassera vite.
Liable, soit (aussi) coupable, prévenu, forcé de comparaître, au lieu de libel, soit diffamation, calomnie, médisance, voire même, en droit maritime ou ecclésial, porter plainte… Termes vaguement voisins en certains cas, mais non tout à fait polysémiques et en aucun homonymes…
La nouveauté n’est pas que Donald Trump soit archi-coutumier du fait, mais que, depuis que de nouveau, il est insisté sur sa santé mentale ou sa sénilité précoce, il fait corriger ses tweets.
Un temps, alors que pourtant on se demandait déjà, lors de sa campagne électorale, s’il avait bien toute sa tête, on avait pris son manque de vocabulaire pour un truc oratoire. En fait, il ne terminait pas ses phrases lorsqu’il montait à la tribune et discourait sur sa prestance, sa puissance, son immense intelligence, et accessoirement sur des questions politiques.
Ses silences ont été pris pour des « points de suspension », aussi dénommés points de suite, par de doctes experts en tout domaine et nimportenawak : il aurait ainsi laissé l’auditoire conclure à sa place, et bien entendu « entendre » (sous-entendre plutôt) ce que ses diverses composantes voulaient comprendre. Brillant. Qui voulait qu’il dise noir était satisfait, qui pensait qu’il disait blanc se sentait de son bord.
En fait, il cherchait ses mots et ne les trouvait pas.
Jusqu’à peu, il s’en contre-fichait… Là, fiché plus fréquemment foldingue, dérangé, tant par des démocrates que par des républicains, il a fini par se méfier. Certes, on ne peut l’empêcher de gribouiller sur des cartes, de tweeter quand et comme bon lui semble… Mais au moins, ses malvais espelages (misspellings s’emploie en anglais tant pour l’oral que l’écrit, en variante de typo, soit coquille) sont rectifiés.
Là, il s’agissait de Brett Kavanaugh, juge de la Cour suprême, qui se voit encore suspecté d’exhibitionnisme et de harcèlement sexuel. C’est que des menteries, twitte le Donald qui voudrait que si l’intéressé ne porte pas plainte un procureur se charge de poursuivre les médisantes. C’est un coup bas des ultra-gauchistes démocrates et des canards boiteux (toute la presse, sauf celle qui encense Donald Trump) avait-il d’abord décrété. Les faits initiaux incriminés remontent à l’époque où le magistrat était encore étudiant à Yale, mais deux femmes en ont rajouté depuis.
L’ennui pour Trump, ce n’est pas tant de voir un juge qu’il a nommé se faire épingler, mais que, auparavant, lorsqu’il rédigeait ou animait des émissions de télévision, personne ne le qualifiait de dyslexique. Or, depuis son élection, son cas s’est franchement aggravé. Il limoge à tout va, et développe une novlangue toute personnelle. Parfois, c’est poétique (oboselel au lieu d’obstacle). Toujours original (orange pour origine). Mais cela peut tourner à la bouillie (les législateurs lawmurkers, ou juristes bouseux, comme vous voudrez). Des vocables allemands lui reviennent (Infantroopen), mais sans qu’il en soit conscient.
Bref, une réinsertion non-professionnelle, en institut spécialisé, semble devoir le guetter. La plus grande chance de la ou du candidat démocrate serait qu’il ne renonce pas à se représenter, qu’il mène campagne, bute sur des mots des topos préparés pour lui, voire bave en bavassant on ne saurait trop quoi… Et puis, on ne lui connaît pas de sosie crédible pour jouer son rôle. C’est realDonaldTrump ou rien. Un prompteur, mais pas de doublure. Et il pourrait faire preuve de difficultés de lecture autant que d’élocution. Seule solution, casquer tout l’auditoire et recourir à la traduction simultanée par un excellent imitateur.
À l’écrit, c’est plus coton. Correctrice ou correcteur du Donald Trump, à la Maison blanche, c’est du travail posté, en trois huit. Santé, bonheur, tweet à tout heure (mais il pourrait écrire « pipe à toute heure » et des Américaines pourraient mal le prendre).
Il s’embrouille dans les noms propres et patronymes à la Lucky Luke maniant un smocking gun automatique. Pas vraiment un pistolet tuxedo quand même, mais cela pourrait surgir. Tout cela au moindre rot après un « berger » au jambon (non point un hot-dog, mais un hamberder ; en anglais, un hamburger).
Earnest (sincère, et cela importe, pensait Oscar Wilde), non, mais consistent (conséquent plus que cohérent, ici), et surtout persistant… dans l’erreur, ô combien.
P.-S. — dans le chapô, « orthotypographiste », c'était de la parodie mal placée. Orthotypographe suffit largement. Le Donald ne sait même pas de quoi qu'on cause. Dommage, il pourrait trouver un truc comme « rectocoquillardeux ». J'adore ses néologismes vaseux, et croyez-le ou non, je le regretterai. Mais quand même, MacMahon, c'était d'un autre niveau.

Brexit : Boris Johnson ou le Démesuré Duplice

Le Bojo, ou le nain Hulk, va serrer la ceinture 


Sérieusement, bien malin qui peut prédire ce que dira le Bojo demain lundi après avoir rencontré Michel Barnier et Jean-Claude Juncker. Tout va très bien, tout va très bien, Madame Sa Majesté, et pour que je n’ai pas à le déplorer, il faut que je vous taise ces tout petits riens qui pourraient vous défriser…


Pas de couleuvre au menu du déjeuner de Jean-Claude Juncker et de Boris Johnson ce lundi à Luxembourg. Mais des escargots d’abord. Bourguignons ? Tout un symbole. Bon, la Bourgogne, ce n’est pas l’Alsace-Lorraine des Brits, mais luma, petit-gris ou cagouille riment avec (cuisses de) grenouille. J’avais été surpris de constater que les Écossais ne mangeaient pas les abondants bigorneaux de leurs plages et criques. L’Anglais s’est mis aux escargots, un peu par attrait de l’originalité, mais ils restent associés à la cuisine française.
Ensuite, saumon. Norvégien ? Pas si discrète allusion au statut de membre associé de la Norvège ?
Puis, fromages. Il ne manquerait plus qu’un plateau de 28 fromages, avec un français qui s'étale et pue, un bleu européen bien fait, un edam hollandais jaune (étoilé ?), un cascaval, un parmigiano, &c., et pour l’Allemagne un emmentaler helvète (mais Allgäuer, ce qui ferait coup double, la Suisse étant comme la Norvège associée). Et juste un tout rikiki bout de cheddar à l’écart.
Virevoltant Bojo
Mais des couleuvres, Boris Johnson a dû en avaler ce samedi-dimanche… On lui rappelle fréquemment qu’il avait approuvé le Withdrawal, le plan de retrait de Theresa May… Plus vachard encore, David Cameron, son pénultième prédécesseur, qui sort son bouquin très attendu au moment où l’on passera les plats luxembourgeois, lui a décoché un coup de pied.
Non seulement le Bojo ne croyait pas à la viabilité du Brexit, mais il penchait pour un second referendum, lequel, après avoir bien fait mijoter l’opinion dans les affres des défavorables conséquences inéluctables, annulerait le premier. Quand même plus élégant que la magouille sur le traité de Maëstricht en France, mais déjà gonflé (j’y reviendrai infra). Et énorme raffinement de duplicité.
Pour installer ses pénates sur Downing Street, il a d’abord fait campagne pour la rupture, promettant monts et merveilles sanitaires, châteaux de stilton et pork pies vendus aux États-Unis (pour l’Espagne, des rock cakes, transitant par le Rocher, Gib’ ? ; non, là, il n’a pas osé), et flots de bières artisanales britanniques débités dans tous les bars de la planète. En cas de second referendum, il mettait un bémol, mais si le résultat confirmait celui du premier, il serait resté du bon côté, et s’il l’infirmait, il se serait campé en colosse capable de mieux renégocier les rapports et contributions du Royaume-Uni avec et à Bruxelles. Ce, fort d’un nouveau faible… écart de voix pour ou contre.
Libérée, délivrée… par le chef d’escadrille
Là, avant de se rendre sur le continent, il a comparé le Royaume-Uni à un Hulk menotté. L’Union européenne, c’est le policier du Monopoly qui vous enferme à vie. Mais Hulk brise toujours ses menottes sans que la moindre perle de sueur lui glisse du front. Il se la joue Géant Vert non-transgénique… Le bon docteur Robert Banner se fait passer les pinces au Parlement, on lui promet des fers à Bruxelles, hop, il se transforme en Incroyable Hulk. « Hulk s’est toujours échappé, peu importe combien il est étroitement ligoté… ».
Tant pis si rat et rates quittent son navire… Il y eut un député conservateur qui rejoignit les bancs des libéraux démocrates en plein débat parlementaire. Un autre a suivi, non des moindres, l’ex-secrétaire d’État à l’enseignement supérieur. Il y avait déjà eu Sarah Wollaston, une autre, et un « défectionnaire mystère » de plus est annoncé par les LibDem. Ce qui ferait six conservateurs tournant casaque en l’an de disgrâce 2019. Et quasiment deux par trimestre vers la mi-octobre, soit depuis que le Bojo est devenu Premier ministre… Car il s’en trouvera bien une ou un autre d’ici-là à quitter le parti Tory.
Le voilà qu’il proclame qu’il veut un accord avec Bruxelles et le fait répéter par sa ministre de l’Intérieur. Soit en fait qu’il arrachera fastoche un hyper-deal avant le 31 octobre. Vers cinq heures du mat’, sans frisson de sa part, mais claquements de dents des 27 ? « L’précipice on s’en fout, chacun fait, fait fait c’qui lui plaît, plaît, plaît », chantaient Grégory Ken et Valli Kligerman (Chagrin d’amour). Ils feront c’qui me chante, assure-t-il.


Il poste aussi un clip de lui dans un avion et annonce « Fasten your seabelts (…)This is your captain speaking ». Il y a un pilote dans l’avion grand-breton du Magical Flying Mistery Tour. Ce fut du Donald Trump dans le texte, avec tout plein de great, big, wonderful, amazing, fantastic, mais en beaucoup plus long, sans le moindre pataquès (pas comme le Donald qui multiplie les impairs de langage). Le naturel reprenant toutefois le dessus, il a employé un mot « franglais » comme « métaphore » par deux fois (« là, vraiment, on va décoller (…) pas mal cette métaphore »). 6,6 min de vrai, total bonheur en altitude.
Sauf qu’il avait oublié de passer la ceinture de sécurité de son siège passager et que, s’il se transformait en Hulk il lui faudrait défoncer la porte de la cabine (et risquer de casser le manche à balai).
L’opposition veut la lui boucler, mais ne s’accorde pas sur la manœuvre. D’abord le museler puis le ceinturer ou le ceinturer puis le museler ? Comme ils causent toutes et tous à la fois, j’ai du mal à comprendre. Emporter les élections et former un gouvernement d’union nationale ? Révoquer l’article 50 ? Nouveau referendum avant les législatives, après ? C’est un peu le Bojo aux commandes en survol, et plusieurs Haddock à la barre (les uns ayant dormi barbe au-dessus, les autres en dessous du drap aux couleurs du Disunity Jack).
Le Donald vient à la rescousse du Bojo : il fait fuiter que si le travailliste Corbyn devenait ministre d’un gouvernement d’unité chaotique, il se ferait l’indic des Russes et qu’il faudrait éjecter le Royaume-Uni de l’Otan. The Nato, tu l’aimes ou tu le quittes.
Voter avec les pieds
Sur la page d’accueil de l’Evening Standard, j’ai bien aimé la publicité de la Nouvelle Aquitaine : « Votre avenir se joue maintenant ! » (en français). Apparentement terrible (c’est en fait une réclame pour les jeunes voulant étudier dans cette région, non une invitation lancée aux Brexpats en puissance).
Brexpat est entré dans le dictionnaire MacMilland vers février 2019. Nous avions détesté la May, nous abhorrons le Bojo, qu’ils disent depuis le continent, le nôtre et d’autres. Mercredi dernier, 23 Britanniques ont obtenu la nationalité française à… Limoges. Et Le Populaire du Centre n’indique pas le nombre de dossiers en instance. En 2018, ils furent 435 pour le seul Luxembourg, une dizaine de mieux qu’en 2017, et plus de 200 dossiers restent en instance. On en était à déjà plus de 6 000 en France sur 2017 et 2018. Et nous faisons petite joueuse derrière l’Allemagne, voire la Belgique (environ 4 000 prévus pour début novembre depuis janvier dernier).
Macron ou Castaner n’ont pas exigé des préfets qu’ils accélèrent les procédures (c’est même le contraire pour les cartes de séjour ; les préfectures ont du mal à faire face et tempèrent, font traîner, voire dissuadent, indiquent les sites des Brexpats de France). On va se faire larguer par le Bénélux. Voire la Scandinavie (dont les écoliers parlent tôt un anglais presque parfait).
Je n’ai pu savoir ce que faisait — ou glandait — la préfecture du Bas-Rhin (des fonctionnaires européens britanniques sont en poste à Strasbourg et s’ils ne deviennent pas français ou allemands, ce sera la porte).
Oui, mais comme la Marine (Le Pen) amalgame Afghans et Gallois, Congolais et Écossais quand elle brandit ou vocifère les chiffres des nouvelles cartes de séjour et naturalisations, on se montre frileux.
Mais il n’y a pas que des British pur jus qui rejoignent le continent. Les Polonais qui fuient l’île ne retournent pas forcément en Pologne, les Roumains en Roumanie, &c. Quoi qu’ils en disent, les fonctionnaires anglais du Home Office font le tri, et poussent vers la Manche les commerçants, les moins qualifiés des citoyens européens installés, même de longue date, en Angleterre (Écossais et Gallois sont plus accommodants pour délivrer des titres de séjour).
Bojo sait qu’avec un Brexit dur ou sans accord, il lui faudra serrer la ceinture de ses compatriotes, et pour emporter les élections pas trop de justesse, il conviendra de faire valoir discrètement que des Européens superflus prennent le large (quitte à perdre des plombiers qualifiés, remplacés par des apprentis anglais ne sachant pas trop comment convertir les diamètres des écrous importés s’ils ne sont pas aussi gravés en inches).
Bah, il s’en moque : la prochaine fois, il coiffera une casquette de la RAF pour un nouveau clip s’adressant « au peuple ». Il retournera, tel un Jacques Chirac, tâter le cul des vaches écossaises et galloises. Gare au coup de sabot si la bête n’a pas été à moitié endormie en prévision de son numéro en bottes de caoutchouc.
L’objectif n’est pas de réussir le, un Brexit, mais de retenir les électeurs conservateurs prêts à virer Brexit Party. Lequel présente des candidats ne mâchant pas leurs mots, qualifiant de crétins, attardés, débiles mentaux, sacs de merde (sack of sh**) l’adversaire (ainsi James Heartfield, qui affrontera Jeremy Corbin à Islington North). Bojo, oublie “metaphore” la prochaine fois. Emploie British Home fries et non plus French fries. Remember, real men don’t it (ne pas prononcer eat) broccoli. Et vas-y Punch, file sa rouste à Judy (Punch étant un Gnafron à long bâton, Judy son épouse) et à ce Rital de Scaramouche.
Fais ton zigoto, mais évite d'endosser le costume de Kermit la grenouille, c'est trop connoté.