mardi 30 juillet 2019

Flat Earth : Que sont devenus Amira Kharroubi et Jamel Touir ?


L’aplatisseuse évanouie, son Soleil resplendit toujours

L’affaire qui parcourut tout le rayon de la Terre plate en avril 2017, soit la soutenance envisagée d’une thèse sur le sujet à l’université de Sfax passerait à présent pour un canular. Pourtant. Vérité antérieure, mensonge postérieur ?
Comme d’autres, en avril 2017, j’avais répercuté une information de la presse tunisienne. Des sommités universitaires s’alarmaient que, pendant cinq-six ans, la chercheuse Amira Kharroubi, sous la direction de Jamel Touir, avait poursuivi une thèse tendant à démontrer que le rond Soleil tournait autour d’une plate Terre comme l’enseigne le Coran. Aurais-je eu tort ? Fus-je naïf ?
J’ai depuis repéré deux sites affirmant qu’il s’agissait d’un canular, l’un américain (Flat-Earth PhD Hoax in Tunisia), l’autre lusophone (“Há reais possibilidades de que esta história seja um hoax (…) não é um aluno, senão aluna”), et j’ai tenté depuis de déceler la naine blanche ou rouge au firmament. Tâche ardue, car Amira Kharroubi semble s’être éteinte. Il en reste une trace sur Lindkedin, plus du tout sur les pages académiques de Si Jamel Touir ou celles de l'université de Sfax.
On retrouvera aisément Jamel Touir… Après le tollé suscité début avril, premier caillou fin septembre 2017. Des titres tunisiens se firent l’écho d’un communiqué de l’Académie tunisienne des Sciences, des Lettres et des Arts (Beït Al-Hikma) déplorant que ses membres soient « consternés » que « des sanctions exemplaires » n’aient été prises à l’encontre du distingué professeur. Lequel fit valoir qu’on avait en quelque sorte exagéré, gonflé toute cette affaire pour lui nuire (pour des raisons politiques ? le professeur fut un temps élu député). Son nom n’apparaît plus, entre ceux de Torjmen et Toumi sur la liste des enseignants de l’Enis de Sfax… Sa page Facebook est muette depuis le 29 septembre 2017.
Selon lui, l’étude « ne parle pas de l’aplatissement de la Terre, comme le disent certains » (ce que réfuta Sonia Naccache et d’autres universitaires), et toute l’affaire a été outrancièrement gonflée pour jeter le doute sur ses compétences scientifiques.
Il soutenait d’ailleurs que « les résultats préliminaires de cette étude ont été publiés dans une revue scientifique internationale ». Dont acte, la communication dans The International Journal of Science & Technoledge, revue demandant une participation pour faire paraître des publications, reste en ligne. Une partie de la thèse aurait été publiée dans une revue indienne (hélas, je n’ai pu la retrouver).
L’étudiante en question a bel et bien existé sauf à admettre que Jamel Touir lui-même l’aurait inventée… En tout cas, elle cosigna avec lui une intervention en mai 2016 lors de la conférence internationale de géologie appliquée de Mahdia. Et publia en sa compagnie dans Geobios (vol. 44-1) en janvier 2011.
De plus, on trouve bien encore en ligne la référence d’un ouvrage étant attribué à Amira Kharroubi et s’intitulant The Flat-Earth Model. Plate, totalement, non. Le Coran aurait simplifié : la chercheuse la voit plutôt « plate comme un œil de poisson », sans doute après avoir observé le lointain de la Méditerranée.
Cette thèse pose d’autres questions. D’une part, elle était truffée de fautes de français, tout comme, précédemment, la communication publiée par la revue américaine (dirigée par un détenteur d’une licence en « homéopathie et biochimie ») abondait en coquilles, francismes (Lactic Way et non Milky Way), et erreurs flagrantes (voir l’article de Yaël Nazé, universitaire belge, dans The Skeptical Inquirer, May/June 2008, vol. 42-3).
Il fut aussi constaté que des sites évoquèrent une chasse aux sorcières, que la Terre est bien plate (selon la Fondation Jean-Jaurès, 9 % des Français considèrent que la Terre est plate). Et pourtant les auteurs ne considéraient pas comme Amira Kharroubi que planètes ou étoiles servent à chasser les djinns et les mauvais sorts. Ce en quoi elle contredit d'autres éminences scientifiques musulmanes qui considèrent que l'on pourrait capter leur énergie et de se passer du nucléaire.
Au passage, cette chercheuse n’est sans doute pas totalement stupide… Mais sans doute pas non plus trop au fait de certaines réalités scientifiques (mais absolument congrue en d’autres), ni de théologie et sciences islamiques (Al-Ghazâlî semble lui avoir échappé en ce qu’il aurait pu inspirer à Copernic).
Faut-il voir dans cette histoire une tentative brouillonne de favoriser l’islamisation de la science (ou de la connaissance), soit une forme de concordisme tiré par les cheveux d’ange ?
En mars dernier, un professeur de physique de Kairouan fit appel au Coran pour expliquer à ses élèves que la pression diminue lorsque l’altitude augmente : comment faire valoir que s’élever (« monter jusqu’au ciel ») « resserre et oppresse le cœur » (verset 125, sourate 6) illustrerait cette loi physique ? Je n’y étais pas, je ne me prononce pas. Toujours est-il que s’exprimèrent dans la presse tunisienne des gens estimant cela judicieux et d’autres préjudiciable.
Cela étant il y eut celles et ceux, rares, mais qui du fait de la mise cause systématique des médias, gagnent en influence, ayant véhiculé que l’affaire était un canular pour faire la distinction entre islamisation sérieuse et farfelue de la science. Du fait de la balourdise de la doctorante et qu’elle place sur un pied d’égalité les religions abrahamiques et les autres, un certain « Gumwars » de la Flat Earth Society a aussi relayé l’hypothèse non vérifiée qu’il s’agissait d’un canular.
Mais d’autres phénomènes peuvent l’emporter, entre autres :
·        – volonté de discréditer la presse à la moindre occasion semblant plausible ;
·       – se préserver de… stigmatiser… telle ou telle composante sociale (ici, les « musulmans » en général, en d’autres occasions tout autre groupe.
·       – se distraire, galéger, voir si des gogos mordent à l’hameçon…
Le problème, c’est que certains apprennent les uns des autres, que les méthodes ou tours de désinformation des uns en inspirent d’autres, d’accord ou non avec les premiers.
Je ne vais pas présumer gratuitement que, dans quelques décennies, la supputation que cette affaire n'ait été qu'un vaste canular monté pour discréditer la « vraie » connaissance scientifique islamique (ou à je ne sais quelle autre fin) passera pour vérité tangible.
Je n’avance pas non plus qu’il y ait eu absence totale de sanctions (je n’en sais rien), ou sanctions symboliques, pour ne pas donner plus d’ampleur, de prolongement à une muflerie intellectuelle et financière (thèse poursuivie pendant six ans, justifiant peut-être que Jamel Touir puisse continuer à être directeur de recherches).
Cela étant, tout ce qui précède étant quelque peu barbant, un moment de détente. Voici quelques extraits authentiques de ladite thèse (sans le moindre sic, ce serait lassant) :
« En ce qui concerne les lois physiques connue on a rejeté les lois de Newton, de Kepler et d’Einstein vue la faiblesse de leurs fondements et ont a proposé par contre une nouvelle vision de la cinématique des objets conforme aux versets du Coran (…) les étoiles se situent à 7 000 000 km avec un diamètre de 292 km et leur nombre est limité. Ils possèdent trois rôles : pour être un décor du ciel ; pour lapider les diables et des signes pour guider les créatures dans les ténèbres de la terre (…) la terre est immobile ». Forcément immobile puisque la position de la plus grande constellation par rapport à la Kaaba « est constamment fixe ».
On ne sait pas pourquoi le diamètre des étoiles n’a pas été arrondi à 300 km, ce qui aurait pu faciliter certains calculs kabbalistiques. On ne s’explique pas, comme le relève le Dr Foued Nasfi, que seuls Newton, Kepler et Einstein (Darwin, un oubli ?) sont réfutés et non Philolaos et Erastothène (pour Al-Ghazâlî, je m’abstiens de me prononcer).
Ah, au fait, pour être aussi complet que possible. En septembre 2017, le bureau de la professeure lanceuse d’alerte, Beya Mannaï-Tayech, à la faculté des Sciences de Tunis, fut saccagé…
Il est quand même déplorable que le long laïus d’Amira Kharroubi ne soit plus accessible. Partant du postulat qu’elle soutient que tout ce qu’énonce le Coran finit par être prouvé par la science, comment s’en tire-t-elle avec le Soleil dont la course serait assignée par un créateur vers un point fixe (« sous le trône d’Allah ») ? Parvenu à ce point le Soleil serait constamment renvoyé à celui de départ. Énoncer que la fonction des astres est décorative est revanche parfaitement cohérent : « nous avons décoré le ciel » (dit le Coran). Pour le reste, il aurait été intéressant de voir si elle n’aurait pas encouru une fatwa ou une autre pour avoir contredit tel ou tel théologien par inadvertance… ou méconnaissance.
Mais au fait, alors qu’on s’inquiétait de savoir « où est Steve ? » (jeune Nantais disparu depuis le 21 juin, dont le corps aurait été « très probablement » retrouvé dans la Loire ce lundi 29 juillet), on pourrait se demander « où est donc Amira ? ». Mais qu’est-il donc advenu d’Amira Kharroubi ?

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