lundi 15 juin 2020

Qui, que, quoi donc statufier ?

Vers la statuaire 3D généralisée ?

Emmanuel Macron s’est exprimé sur la vandalisation et le déboulonnage de statues :« La République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire . Elle n'oubliera aucune de ses œuvres, elle ne déboulonnera pas de statu e». Sauf qu’on ne sait trop si les préfets ont ces pouvoirs de préservation ou si toute statue est classée automatiquement monument historique.
Hier, mode cancre près du radiateur, je blablatais sur la statuaire et les personnages historiques. Je constate que le sujet reste d’actualité puisqu’un buste du général de Gaulle a été vandalisé à Haumont (Nord). On aurait pu attribuer ce manifeste à un Mitterrandiste ou à la famille d’un réel Résistant victime des excès partisans de l’épuration. Pour Mitterrand, de Gaulle avait surtout combattu les FFI, la Résitance intérieure (in Attali, J., Verbatim t. 3). Mai non, pour la ou le profanateur/trice, Badingaulle ou « Qui vous savez » (Canard enchaîné) aurait été un « esclavagiste ». Pourquoi pas ? : de nos jours, tout et son contraire se défend, s'illustre, s’autojustifie.
Tenez, jusqu’à présent, soit récemment et provisoirement, Charles Chaplin fut tenu pour un symbole de l’humanisme. Demain, n’importe quel brillant esprit pourra soutenir qu’il incarnait la xénophobie, la propagande tayloro-stakhanoviste. Il se trouve que, sauf erreur d’inattention, Charlot n’a jamais, grimé, interprété de personnage Afro-Américain. Il y eut bien un acteur afro-américain pour interpréter Charlot (Jaleel White, en Steve Urkel dans la série Family Matter’s) et « pire » encore une artiste britannique, Jean Alexander (Al Johnson grimé en Charlot blackfaced dans Coronation Street, indique Wikipedia), cela pourrait servir de prétexte, mais Wikipedia ne liste pas Chaplin dans sa recension des entertainers who performed in blackface. Ouf, enfin, jusqu’à nouvel ordre… Après Jeanne d'Arc (mon billet d'hier, déboulonnons Charlot, la postérité reconnaîtra les siens).
Des actrices grimées en noir, il en est tout plein cette liste : fussent-elles suffragettes ou militantes féministes, il importerait à présent d’en gommer ou au moins estomper la mémoire ?
Verra-t-on aussi les Identitaires se lancer dans la victimisation du fait que des esclaves caucasiens, il y en eut tout plein, tout plein, dans l’histoire antique ou même contemporaine (après tout, les janissaires, même affranchis, hein ? Et je ne vous parle même pas des galériens sous la férule de Levantins ou de Barbaresques, dont des Numides). N’est-il point ?
Comme on disait naguère : élevons le débat. La question, urgente, primordiale, de l’instant, c’est qui ou quoi statufier ? Tout peut être suspecté, y compris les dispositifs de Jean Tinguely ou les assemblages de Calder (car mobiles, girouettes changeant d’opinion selon les vents) ou ses stabiles (car prônant le statut quo).
Et puis, les insignifiances de l’art dit moderne, qui n’est en fait qu’un art récent jusqu’à future catégorisation divergente, on conviendra qu’il laisse froid et impavide le plus grand nombre.
Pour le moment, mais je pourrais tout aussi bien soutenir bientôt l’inverse pour contribuer à ma minable notoriété, je ne vois qu’une voie. Un mondial tirage au sort d’individus, pourvus qu’ils puissent passer pour rigoureusement anonymes là ou leurs statues (en 3D pour couper court aux disputes esthétisantes) seront érigées. Avec des plaques les désignant tels Untel ou Untelle en diverses langues.
Il faut, non, on doit tout déboulonner pour faire de la place à ces anonymes. Y compris les statues du chevalier de la Barre (Fréolles-Attily et square Nadar à Paris). Ne fut-il point glorifié par un certain Voltaire, qui racialisait les albinos, se montra homophobe et méprisant, y compris à l’encontre de la du Châtelet (une érudite féministe ou, du moins, à présent revendiquée ainsi, par l’Institut Émilie du Châtelet, entre autres). Un antisémite anti-mahométan de surcroît. S’il se livra à la défense et illustration du personnage, c’est bien (cela ne tombe-t-il pas sous le sens ?) que ce dernier, François-Jean Lefèbvre, ci-devant chevalier, ayant eu pour aïeul un gouverneur des Antilles, puis adversaire des Amérindiens du Québec, ne doit surtout pas être honoré.
Grattez-le un peu fort, et vous verrez bien que votre chien à la rage. Posez-vous en victime, par exemple en Breton des hussards noirs de la République, il se trouvera toujours des sympathisants pour clamer et hurler plus fort que vous-même. Et puis, histoire d’atteindre le point Goodwin, du fait qu’un certain Hitler fut un peintre autrichien, que penser de qui s’adonne, à sa suite, à la peinture ?
En fait, l’historiographie effectue tout et n’importe quoi. Ne vit-on point Viktor Orban honorer l’envahisseur Attila le Hun (et non Jozsef, désormais banni, come Lajos Kossuth), statufié aussi au Kazakhstan. Il en subsiste même une (histoire de développer le tourisme) à La Cheppe (Marne), une autre à Serik (Turquie). La Roumanie célèbre à présent les Daces, alliés des Romains, reléguant les Gépides, alliés des Huns, à l’oubli. Et, à la prochaine occasion, inversement ?
N’oublions pas non plus que l’estatuario (statuaire) est une passe de tauromachie. La statuaire est donc à bannir, dans son ensemble. CQFD.
Bien, que l’Afrique célèbre la reine Amina (de Zazzau, ou Zaria), ou Candace l’éthiopienne, Makeda de Saba, Yaa Asentewaa des Ashanti du Ghana, grand bien lui fasse… Évidemment, dans son L’Esclavage raconté à ma fille, Christiane Taubira s’attarde sur la traite « arabo-musulmane », éludant l’esclavagisme interr-ethnique infra-Africain. De là à faire de son insistance sur la malédiction de Cham (Chanaan) un indice d’un prétendu antisémitisme de sa part, il y a un pas. Qui finira bien par être franchi (je n’y incite absolument pas : ce n’est qu’une niaiseuse « prophétie », mais quand on voit ce qu’on voit, qu’on entend… et surtout ce qu’on lit, tout et son contraire peuvent paraître plausible et non plus improbable, je le pense et m’en félicite).
Je relisais les conceptions théâtrales farfelues d’Yves Klein dans Dimanche (éphémère irrégulomadaire). Un sacré roublard, Klein. Vénéré jusqu’à voici peu, mais, c’est une prédiction plausible, en passe d’être honni. L’IKB 75 (International Klein Blue) bientôt décroché des musées ? Je m’en voudrais de réclamer qu’on procède à l’éclatement de reproductions de ses sculptures aérostatiques (1001 ballons bleus disparus depuis 1957). L’une de ses « œuvres », le Bac à sable, fut par deux fois foulée aux pieds (au printemps-été 2017). Tout le monde s’en contrebalance à présent.
Un sujet d’indignation chassant l’autre, de ces histoires de statues, on n’en parlera bientôt plus, jusqu’à résurgence du thème.
Mais pour l’animation des dîners en ville chez des Dugommier déconfinés, je me devais de m’étendre sur ce brûlant sujet d’entretien. Maladroitement, j’en conviens, mais j’ai confiance, vous saurez enjoliver, l’exégèse littéraire ou artistique restant un sport de combat prisé. Un ange passe ? Relancez avec ce diabolique questionnement : « qui, que quoi statufier ? ».

dimanche 14 juin 2020

Vite, déboulonnons Jeanne d’Arc !


Les statues de la sœur d’armes de Gilles de Retz sont une offense.

N’allez pas croire que de vils motifs politiciens ou anticléricaux m’animent. Mais il est plus qu’urgent que les quelques 150 statues de Jeanne d’Arc de France, soient abattues, et si possible par la petite jeunesse, comme on dit. Et que leurs débris soient précipités au fond de gouffres abyssaux.
D’accord, faute d’être un anticlérical acharné (car je reconnais des qualités à nombre d’hommes et de femmes d’illusions déistes pernicieuses, y compris des aumôniers militaires ou de la police), d’où je parle, en appeler à déboulonner les statues de « la Jeanne » peut sembler suspect. Je vais aggraver mon cas : je finis par me demander si Pétain n’était pas à la fois duplice et sincère, désintéressé et vénal. Et puis, vaguement apparenté au général Tombeur, « sbire de Léopold, boucher du Congo belge », suspect, forcément suspect, je présente toutes les qualités pour me faire socialo-résoto-harcelé. Dont acte.
Je relis le Candide, de Voltaire, un sacré moult-roué, qui me rappelle ô combien divers de nos ancêtres furent des esclavagistes. Dont de très nombreux Africains et Orientaux qui réduisaient des Aryens et Aryennes (ou Caucasiens, Caucasiennes) à des conditions abjectes. De ce fait, nombre d’entre nous, y compris des blond·e·s au yeux bleus ont des ancêtres, comment dire ? « colorés » ? L’être de couleurs, comme l’écrivait Senghor (cherchez, cela vous fera passer le temps), c’est plutôt le « visage pâle » qui vire du blême au pourpre selon ses émotions. On comprend que le chanteur Nougaro, qui aurait voulu (je n’en sais rien, j’affabule) devenir joueur de poker professionnel, aurait aimé renier sa blanchitude.
Cependant, c’est bien sûr en totale ingénuité que je réclame que toute statue de Jeanne d’Arc doit être abattue, découpée, déchiquetée, pulvérisée, selon sa composition. Comme cela, elle s’effacera des mémoires, on ne se souviendra plus qu’elle fut tour à tour un symbole républicain et anti-républicain. Ce n’est pas pour faire parler de moi (sinon, je lancerai une énième pétition). Mieux, j’en ferai, de la sainte ointe, un symbole de l’internationalisme prolétarien. N’était-elle point native des Vosges, et nonobstant acoquinée avec des Picards et des Bretons. Dont l’infâme Gilles, baron de Retz, natif de Champtocé (les ruines de son château restent une offense hideuse à qui ne veut emprunter l’autoroute pour rejoindre Nantes). Dit Barbe bleue. Tueur en série et violeur d’enfants des deux sexes. Mécréant, forcément, car sodomite.
Comment tolérer encore que sa compagne d’armes (voire sa comparse, allez savoir…) offense encore, outrage de par ses multiples représentations ?
L’histoire est sans cesse réécrite par les vainqueurs du moment (souvent vaincus antérieurement ou victorieux des lendemains). Lesquels n’ont de cesse de glorifier de prétendus ancêtres parés de toutes les vertus que leurs descendants autoproclamés prétendent incarner. L’humanité n’a de cesse de se réclamer de grands personnages. De revendiquer une filiation symbolique.
En fait, en fait, en vérité, je vous le prédis, je suis, par une Algérienne (mais autrefois, elle ne se définissait pas ainsi), un authentique descendant du fabuleux Tartarin de Tarascon, C’est pourquoi j’exige que les socles des statues détruites de Jeanne d’Arc soient, par mesure d’économie, laissés intacts afin d’ériger de nouvelles statues à la gloire de mon faramineux ancêtre qui périt en apportant la civilisation occidentale aux Papous (lire ou relire Port-Tarascon, de Daudet).
Une tartarinade nouvelle finissant toujours par chasser la précédente, je ne doute pas qu’un jour viendra où les monuments aux morts seront remplacés par des œuvres d’un futur émule d’un Jeff Koons. Parrainées par les marques en faveur boursière du moment.
Souffrez, alors que d’innombrables penseurs et penseuses, déblatèrent à tort et à travers, à raison et déraison, sur le mémoriel et ses conséquences ou inconséquences, je leur adresse la réplique atttribuée à Diogène de Sinope s’dressant à Alexandre dit le Grand (car massacreur de forte ampleur, et non si haut de stature ce n’est que sous les ciseaux des sculpteurs Lysippe et autres, dont celle de la septentrionalo-macédonienne de Skopje, Valentina Karnfilova-Stevanoska) : « otez-vous de mon soleil ! ».
En sus, voyez donc les statues équestres de cette Jeanne d’Arc, martyrisant les flancs de ses chevaux de ses éperons. J’en appelle, en mon combat, à Brigitte Bardot et à toutes les grandes consciences soucieuses du bien-être des équidés. Comment tolérer plus longtemps une telle pernicieuse propagande ?