mardi 11 février 2020

Révisionnisme : après l’Holocauste, la colonisation

Alain Ruscio étrille les Hubner et les éditions Lafont Presse

Le trimestriel Spécial Histoire consacre son troisième numéro à l’empire colonial français. Pourquoi pas. Avec l’amant scandinave de la reine Marie-Antoinette, la colonisation, pour les revues d’histoire, c’est recettes assurées. Mais, selon divers spécialistes du domaine ce numéro ne mérite que de grossir le bouillon des invendus finissant au pilon. Je ne peux que leur donner raison.
Les journalistes éprouvent quelques difficultés à préserver des amis de longue date. Parfois, répliquer à un « ma parole ne te suffit pas ? » par le rituel « mais j’ai obligation de tout vérifier, recouper »., peut accoucher d’une brouille. Ce ne sera pas le cas avec Alain (Georges) Leduc, collaborateur d’Alain Ruscio pour une Encyclopédie de la colonisation française, en cours d'achèvement aux éditions Indes savantes. D’’une part parce que l’argument lui est recevable, d’autre part, car, habilement, au lieu de reproduire le texte d’Alain Ruscio avec ou sans examen préalable ou recoupements, d’autres l’ayant fait, et reproduit, vous pouvez en prendre connaissance sur divers sites, dont celui de la Libre pensée ou de l’Afaspa (Association francçaise de’amitié avec les peuples d’Afrique), qui titre : « la dernière frappe du révisionnisme-crétisnisme en matière coloniale par Alain Ruscio ». Sur le fond, je n’irai pas jusque là. ERn tout cas, pas si vite...
Car, sur le fond, d’une part, je ne suis pas qualifié, et d’autre part, j’avoue, en récidive, éprouver une certaine nostalgie pour le « bon » temps des colonies et de la « bonne » colonisation (folklore des beaux uniformes, respect de la tradition des troupes d’infanterie et artillerie de marine —Bazeilles, oui, Madagascar, non— j’avais déjà avoué en traitant du hors-série de Valeurs actuelles sur « La vraie histoire des colonies’ ». Benjamin Stora ne m’avait nonobstant pas envoyé ses témoin, j’espère que Ruscio sera aussi indulgent.
Sur le fond encore, en total béotien, je me pose aussi la question qui est la justification sous-jacente de cet éloge de la colonisation par les puissances occidentales qui caractérise ce singulier numéro de ce numéro des éditions Lafont. Les peuples colonisés auraient-ils gagné au change si d’autres puissances, asiatiques par exemple, les avaient précédées pour dominer plus durablement ? J‘aggrave mon c : valait-il mieux être colonisés par les Grecs, les Phéniciens, les Scandinaves, que par les Romain ? Allez, une grosse ânerie pour me disqualifier davantage : j’eusse préféré que les Étrusques l’emportent.
Sur le fond, même sans être spécialiste, cela semble commencer fort mal dès l’éditorial ; il me semble effectivement (où avais-je lu cela ? Dans un reportage de Roger Vailland ?) que la colonialisation avait eu pour but « d’endiguer une démographie galopante » ? À la Réunion, je peux encore admettre, mais généraliser de la sorte, c’est un peu trop hasardeux.
Sur la forme, j’ai vérifié tout ce que Ruscio avance. Et il est encore loin du compte. Coquilles,  fautes d’orthographe, de syntaxe (notamment d’accords), à foison.
Mais j’ai particulièrement goûté, p. 29, ce « Napoléon III a envoyé une force navale de quatorze hélicoptères de combat, transportant trois mille soldats français et trois mille soldats philippins fournis par l’Espagne, sous Charles Rigault de Genouilly ». Ce qui m’a donné l’occasion de me documenter sur l’aéronavale, la différence de jauges entre hélico d’attaque et de transport et le gouverneur de la Cochinchine en chef d’escadrille ? Mieux, toujours sous « Le Second Empire » — cartouche surmontant la page 50 —ce « la priorité de la Navarre est de contrer ces derniers (…) Giap, pou sa part, doit choisir entre attaquer le delta du Tonkin ou relancer l’offensive sur le Laos. ». Plus loin « c'est à Diên¨Bien Phu, un lieu déjà envisagé par Salan, que la Navarrre ordonne d’établir un camp retranché » ? Je précise que Henri-Eugène Navarre ne fut jamais sénéchal de Navarre (ce que j’ai dû vérifier à tout hasard)
J’ai aussi perdu pas mal de temps à recopier des phrases afin de vérifier s’il ne s’agissait pas de copiées-collées. Ce qui m’a conduit à me demander si les propos prêtés (p. 59) au gouverneur général de l’Indochine Pierre Pasquier n’étaient pas issus des Recherches sur la France qu’Estienne Pasquier fit paraître en 1723. Cela étant, que Pierre Pasquier ait pu reprendre à son compte les réflexions d’Estienne Pasquier ne peut être exclu.
En revanche, dans son texte, Ruscio s’étonne, à propos d’une photo de la p. 44 : « Même page, sous un portrait de Ho Chi Minh jeune (1921) : il est affublé du nom de “Nguyen Aïn Nuä C”, probablement une mauvaise transcription de Nguyen Ai Quoc, reprise sans distance critique aucune. » Tès simple. La photo, libre de droits, provient d’une page Wikipedia, sur laquelle figurent les trois patronymes, mais le premier (Nguyen Aïn)est composé en corps plus fort que le suivant (Ai Quoc).
Ni l’éditorial (attribué au collectif «  la rédaction » ), ni aucun article n’’est (ne sont ? le verbe suivant ce « ni, ni », j’opte pour le singulier à pile ou face) signé. Mais l’ours mentionne que la maquettiste ayant fait que le Second Empire couvre de la page 42 à la 60 (je relève, p. 59 , un « dans les années 1920 et surtout les années 1930 ») se nomme Jessica Hubner. Si elle fut aussi chargée du secrétariat de rédaction et de la relecture-correction, Maxyme Hubner risque de devoir se confronter à un cas de conscience. Va-t-il l’employer de nouveau pour un numéro de Science et paranormal (autre titre Lafont Presse) consacré aux colonies martiennes ?
Maxyme Hubner peut exercer son droit de replique. Il pourra d’ailleurs paraphraser ce qu’il adressa à la rédaction du Virus informatique à l’été 2018 : « En fait le problème avec les blogs, les donneurs de leçons, et Internet en général, c’est que l’on peut dire tout et n’importe quoi sans impunités! [sic] Enfin jusque maintenant ! Donc, pour ses propos diffamatoires et mensongers, nous allons déposer plainte contre cette personne ! Il est temps de calmer tous ses personnes [sic bis] qui abusent des réseaux sociaux pour diffamer des entreprises qui ont plus de 35 ans d’existence. ». Virus info avait trouvé un qualificatif idoine pour caractériser un autre titre des éditions Lafont Presse : « verrue dans les kiosques ». Pour celui-ci, prurit semble plus adéquat. Ou furoncle. Mais, en raison de la teneur de la prose, c’est anthrax qui s’impose.
Un autre titre du même groupe, Science magazine, prévoit que la Lune sera habitée en 2028. Pour le’ prochain numéro de Spécial Histoire, je suggère : Gibraltar et Les Malouines repris aux Britanniques en 2022.
Bref, on comprend que colonialisme et décolonialisme font vendre. Pas vraiment à tout le monde : en tant qu’indigéniste breton, donc descendant de colonisateurs (les marches bretonnes s’étendirent bien avant le grand remplacement du quartier parisien de Montparnasse) et maints colonisés (par les uns, les autres, les troisièmes, j’en passe…), je n’ai rien à vendre, donc plus de quoi acheter.
Je veux bien croire que les motivations du groupe Lafont presse ne soient que mercantiles, mais il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : récemment on assiste à une offensive idéologique tendant à faire de la colinisation une parenthèse qu’il convient de vite refermer ou de magnifier pour mettre en valeur « le fardeau de l’homme blanc », non pas tel que le définissait Rudyard Kipling, mais tel qu’il fut détourné pourjustifier la colonisation des Philippines. Comme l’avait commenté Bruce Gilley, auteur de “the Case for Colonialism” (Third World QUaterly, octobre 2017), pour se dédouaner : « le but n’était pas l’exactitude historique mais un plaidoyer pour l’instant présent. ». Ou plaidoyer pour l’instant futur désiré d’un régime autoritaire, réhabilitant Mussolini, civilisateur de l’Éthiopie, et Hitler, émancipateur des Sudètes et de l’Alsace-Lorraine ? Cette chute facile me vaudra-t-elle un « bon-point » Godwin ?
N’empêche, souvent, réfutation de la Shoah et réhabilitation des colonisations, c’est souvent mêmes auteur·e·s, mêmes combats.