mercredi 6 novembre 2019

Néologisation : la dictionnairique trouvera-t-elle un générique ?


Question à deux balles : quid des dicos des mots inventés ?

Mots-valises, néologismes, mots inventés, mots imaginaires, mots inexistants, néovocables, mots tordus, mots tarazimboumants… Nombre de synonymes, mais existe-t-il un terme pour désigner les dictionnaires les compilant ?
Quand je suivais les cours du Déss ILTS (Industrie de la langue et traduction spécialisée, Paris-Diderot, campus de Jussieu), sa directrice était une spécialiste de la néologisation et nous avions aussi une professeure de dictionnairique.
Cette dernière (primo-dernière en date pour moi ? je n’avais jamais abordé auparavant sa discipline) nous avait soumis tout une série de vocables peu fréquemment (litote) recensés par les dictionnaires contemporains.
Ainsi de celui désignant un patriarche de je ne sais plus quelle église catholique non-romaine (syro-malabare, syro-malankare ?).
J’ai tout oublié de ce titre ecclésiastique (toujours en vigueur ou non ?).
Toute phobie ou presque est désignée par un mot ; mais la… quoi ? Dicophilie, philodico-kekchoz-nimportnawak ? Souffrez que je renonce à basculer en italiques divers mots allant suivre. Bref, ces innombrables dictionnaires de mots sortis des remue-méninges ébulliants de littérateurs, écrivains, et absents (jusqu’à nouvel ordre) des autres, les dictionnaires « autorisés », de référence et révérence, n’ont point (à mon humble connaissance et incommensurable ignorance) de mot pour les désigner. S’il en était un, en français hexagonal, ultramarin (québécois ou cajun aussi), sabir francophonisant, ou dans une langue étrangère, merci de m’en faire part.
J’avais collaboré, circa 1980, à je ne sais plus quelle édition du Harrap’s Slang & Colloquialisms. J’allais à la halle, près de carburo-stations-services, pour trouver les équivalents français du jargon des cibistes. Je relisais Paul Wenz (dit Paul Warrego) — non, ce n’est qu’une décennie plus tard que je lus son Diary of a New Chum, mais je le glisse en cuistre — pour tenter de trouver des mots australiens qu’il aurait pu franciser. Là, flemme de consulter la contribution d’Arnaud Léturgie (univ. Cergy-Pontoise), « Une pratique lexicographique émergente : les dictionnaires détournés ». Il semble s’être retenu de créer les mots diconéomorphologique, diconéomorpho-sémantique et diconéosémantique.
Dans sa biblio, je trouve Robert Galisson et ses « dictionnaires de parodie ». Pas de mention d’abutyrotomofilogène (ou niaisoxyloglotte, faibloxyloglotte, déficientissimoxyloglotte ?).
Comment vous vient ce questionnement ? Eh bien, je vais vous le dire…
Aux multiples dictionnaires de ce type vient depuis peu de s’ajouter un nouveau dictionnaire apocryphe (suggestion d’Alain G. Leduc). Il s’agit du Livre des mots inexistants (éds Globe) ou Dizionario inesistente (Mondadori). 256 pages traduites de l’italien par Nathalie Bauer. Je ne m’imagine même plus traduire de l’anglais un ouvrage similaire (ni même de l’espagnol). Tour de force. On songe aux traducteurs de Joyce.
L’auteur, Stefano Massini, qui ne sera pas « absent de Paris » (formule tombée en désuétude) le 26 novembre prochain, à 19 h 30 au musée d’Art et d’histoire du judaïsme (ou MahJ, rue du Temple à Paris), évoquera aussi son précédent ouvrage, Les Frères Lehman (prix Médicis de l’Essai 2018). Qui traite de Bavarois émigrant aux États-Unis. Ariel Wizman sera son interlocuteur. Comme quoi j’avais tort de présupposer que l’auteur et dramaturge florentin venait au musée en marge des interventions d’Alessandro Guetta (c’était le 15 septembre dernier) et d’Arnaud Bikard (tous deux de l’Inalco, et ce sera pour lui le 15 janvier) sur les juifs d’Italie à la Renaissance (pour le premier) et Élia Bahur Lévita, poète yiddish de Nuremberg qui se fixa à Rome et Venise après 1500 (pour le second).
C’est érudit, ce Livre des mots. En témoignent ces quelques exemples :
Mapucher : ce verbe transitif, dérivé de la longue guerre d’Aurauco, menée par le peuple Mapuche de 1536 à 1881, indique une forme extrême d’engagement dans une cause. Ainsi « mapucher une dispute familiale » signifie « transformer un conflit en hostilité acharnée et permanente ».
Grantairique : adjectif, dérivé de Grantaire, personnage des Misérables, qui définit un pacte d'amour, d'amitié ou de collaboration l'emportent sous toutes sortes de liens.
Hearstien : adjectif, dérivé de William Randolph Hearst (1863-1951), qui définit l'attitude contradictoire de qui se voit contraint d'agir contre ses principes, valeurs ou opinions.
Parksien : adjectif, dérivé de Rosa Parks (1913-2005). Qui définit une conquête mémorable née d’un petit geste.
Faradien : adjectif, dérivé de Michael Faraday (1791-1867), qui désigne l’état d’âme de ceux qui se sentent sous-estimés. Car, quoi que vous fassiez dans la vie, il y aura toujours quelqu'un pour vous traiter comme un domestique.
Je fus un éminent faradien, ce qui est plus honorable que faiseur…
Pour Rosa Parks, je subodore confusément (son petit geste consista à se caler les fesses dans un bus, à contester une amende avec l’appui de Martin Luther King ; petit fessier, grande conséquence).
Pour le magnat de la presse Hearst, promoteur du yellow journalism, j’avoue patauger. Je vous laisse deviner ce que désigne le hookisme, la fusagie et le dottisme, l’adjectif caransébique. Allegro dottissimo serait-il un oxymore ? En tout cas, festina lente de venir à bout de ces quelque 250 pages pesant presque leur livre (et vous allégeant de 24 euros).
Cela étant, ce livre est moins un dictionnaire qu’une réunion de récits, d’évocations de personnages (le substantif birisme découle du nom des inventeurs hongrois du stylo à bille, et le bichisme du patronyme du baron franco-italien dont les rasoirs « rasent plus blanc » et qui acquit le brevet). Le spilungone hongrois (l’échalagesque ou échalasique magyar ?) vous est présenté en long (et à travers ses pérégrinations sud-américaines).
En Déss ILTS, nous traitions aussi du traitement automatique du langage (correcteurs, traducteurs, textomètres, &c.).
Je vous suggère vivement, surtout si vous pratiquez l’italien, de trouver les pages des sites ayant traité de ce dizionario et de le passer à la moulinette Google.
Cela donne par exemple :
« Parmi les autres bières, pas pour rien, László est connu - plus que pour ses longs silences - pour ces plaisanteries éblouissantes et très justes qui le déclarent soudain, non seulement vivant et bien, mais plus féroce et fouetteux que jamais. ». Sferzante, ici cinglant, devient fouetteux… Et ces « bières » sont des comparses de libations du bon-vivant. Et non des linceuls lorrains ou des suaires souabes.
Je ne sais comment la consœur a pu traduire l’entrée liarismo. Il ne s’agit pas de King Lear, mais de l’empereur des hâbleurs, l’Australasiano-suisse Louis de Rougemont (en fait, Henri Louis Grin, un Vaudois).
Un personnage qui a sans doute ravi l’ami Éric Poindron (amateur de girafes, animaux qui passèrent un temps pour des chimères). S’il en est un qui se délectera de ce Livre des mots inexistants, ce sera très certainement Poindron (assurément lecteur de Chifflet et Jean-Marie Gourio). Alain (Georges) Leduc — grand amateur de bières — ne saurait non plus rester insensible à cet éloge de László Biro, pilier de bistro. Et je pourrais mentionner maints et maints autres compères, picaros de comptoirs, amateurs de Villon, Rabelais, Boby Lapointe et tant d’autres. Je devrais d’ailleurs ici les mentionner tous car, lors d’étrennes ou d’anniversaires, l’ouvrage risque de circuler (bah, elles, ils, trouveront bien à offrir à d’autres ce second ou troisième exemplaire…).
Avis aux aminches houblonistes, évitez le doublonisme : de cette maison, Globe, offrez-moi plutôt Nomadland, de Jessica Bruder (trad. par Nathalie Peronny). Cela me ravivera des souvenirs… d’hoboisme (nord-américain).
Au fait, quel néologisme pour un collectionneur-collecteur d’imaginaires, comme Massini (Bernard, fameux amateur de peinture) ou Massini (Stefano) ?
Cogitez.

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