samedi 9 mars 2019

Quand Roger Vailland se réfugiait dans les salles obscures


Vailland : jeune homme des cinémas « permanents » du Sébasto

Allez, j’extrapole… Je vois dans Georges Omar ce jeune homme, Roger Vailland, en proie à des angoisses (dues aussi aux stupéfiants) se réfugiant dans les cinémas permanents des boulevards Sébastopol et Saint-Martin…
C’est mon quartier… J’allais parfois à L’Albatros de Jean-Pierre Mocky dont je connaissais le projectionniste (L’Albatros, c’est Le Brady, boulevard de Strasbourg). Roger Vailland fréquentait d’autres salles et en restituait les ambiances pour Cinémonde. J’ai donc réuni trois de ses articles cinématographiques dans un document PDF... Assortis sans doute de commentaires ahurissants, purement hypothétiques. Pas seulement, car ils sont en partie documentés, remémorant les cinoches de quartiers qui ont trop bien ou trop mal changé, c’est selon… les avis qui se succédèrent, se succèdent et se succéderont.
Se rappeler la littérature d’hier ou d’avant-hier (Michel Picard l’a exprimé bien mieux que moi), c’est ce reprojeter dans son passé, et jusqu’à un certain âge, préfigurer son avenir. Ce que fit Vailland, en lisant, mais aussi en allant voir des films. Je laisse à d’autres, véritables spécialistes (serait-ce un appel du pied à Guy Scarpetta ? Je ne l’imagine pas enseignant à Reims et ne se penchant pas un peu sur les scénarios de Vailland…), le soin de disserter des rapports de Vailland avec le cinéma. Ce fut fait, cela se refera.
J’essaye de le voir tant par le petit que par le gros bout de la lorgnette… Déformant. With a narrow view ; no mas allà de mi narices ; mit tunnelvisie hebbenBah. Il fut, reste, sera bien écrit d’autres inepties sur Roger Vailland. Il ne m’objectera aucun droit de réponse, et tout autre est nul et non avenu (quoique… il se peut qu’il y en soit de recevables, que je ne tairai pas).
1929, pas encore né. 1964, l’ami Ségalou (le grand Ségalou) avait pour père l’exploitant de deux salles angevines. L’une près de la gare, l’autre dans la Doutre. Aussi, le jeudi, avec l’ami Chabasse et d’autres, on voyait des westerns, des Maciste, gratos. Émois. Je ne sais si un Vailland trentenaire ressentait quelque chose de similaire devant un grand écran. Pour nous, encore mioches, le cinoche, le parlant, c’était de consommation courante. Pour Vailland en 1929, itou. Mais pas vraiment le même. Pourtant… Peut-être se retrouvait-il dans cet enfant du premier rang qui « n’avait pas même pensé à ôter son capuchon ».
Connaissez-vous l’histoire de ce Mexicain au large sombrero et aux longs pistoleros qui prend place au premier rang ? Toute la salle, d’abord inquiète, puis s’enhardissant, réclame, dès les premières images du film, qu’il se décoiffe. « Señor, por favor, el sombrero ! ». Et alors, il se lève, se retourne, et profère : « À la demande générale, je vais vous chanter El Sombrero ! ». C’est un peu comme la blague du type qui demande un whisky dans un speakeasy et voit un chimp se rincer les testicules dans son verre. La chute : le pianiste lui dit « fredonne-la, cela va me revenir ». Cryptique, n’est-il point ? Cela me vaut un flop à chaque fois. Eh bien, mes divagations sur Vailland m’en vaudront un autre. Mais j’me comprends. Et peut-être qu’on s’comprend, lui et moi. Et puis, quel mal y aurait-il à c’que j’me l’imagine ?

vendredi 8 mars 2019

Étienne Merpin/Roger Vailland : souvenirs d’Abyssinie

Roger Vailland snobé par le ras Hailou Tecla Haimanot

Cet Aïlou auquel Roger Vailland, signant Étienne Merpin dans Paris-Soir, rend visite en sa demeure de la capitale de l’Éthiopie est alors le leul (prince, titre supérieur à celui de ras) de la province de Godjam. En 1940, Aïlou est assigné à résidence et Vailland le considère hors-jeu ; la suite lui donna tort…
Robert François, Étienne Merpin, Georges Omer, autant de pseudonymes de Roger Vailland journaliste avant son passage à la littérature. Avec ce portrait du présumé « dernier des “rois nègres” », Vailland/Merpin ne fait pas dans le subtil. Il est possible que, pour préparer son reportage sur le couronnement du Négus, le jeune Vailland ait lu le comte Arthur de Gobineau (lequel évoqua Gondar, capitale du royaume éthiopien d’Amahara). Lorsqu’il dépeint Aïlou de mémoire, dix ans plus tard, il se peut qu’il ait lu les carnets africains de Michel Leiris (qui séjourna à Gondar). Il se souvient d’un roitelet richissime plus soucieux de l’éblouir que de lui livrer ses pensées sur ce qu’implique l’accession au pouvoir du Négus pour le pouvoir féodal qu’il détient.
         En 1940, Vailland ne pouvait prévoir que, selon les Italiens, Aïlou ambitionna l’année suivante de devenir Négus avec leur appui, avant de se retourner contre eux, ce qu’il finit par faire. Empochant à chaque retournement de copieuses prébendes… Il eut été possible, si cela avait été le cas, qu’il en aurait dressé un tout autre portrait. Mais il s’en tient à ce qu’il avait ressenti, sans trop s’interroger… Il est vrai qu’il a d’autres préoccupations puisque, parallèlement, sous le même nom de Merpin, Vailland/Robert François va publier son Suède 1940, une suite de portraits d’éminents Suédois qu’il traite avec fort peu de désinvolture. Il peut sembler que, de 23 à 33 ans, le regard que Vailland porte sur l'Afrique n'ait guère évolué. La guerre, d'autres voyages lointains, modifieront ses perspectives sur les pays de l'ex-monde colonisé ou se dégageant de l'emprise des puissances occidentales. Il n'en est pas encore là, comme en témoigne cette esquisse simplificatrice d'un grand seigneur féodal africain...
P.-S. – Sur cette photo du couronnement du Négus, il se pourrait que le dignitaire l'accompagnant eut été Aïlou/Hailou Tecla Haimanot (ou Tekle Aymanot). Il correspond à l'homme que décrit sommairement Roger Vailland (un « Hercule »).

mercredi 6 mars 2019

Robert Vailland/Roger François ? Leni Stolt et son double…


Quand Vailland fait de Leni Stolt un singulier symbole

L’un des plus célèbres articles de Robert François (Roger Vailland) reste sans doute celui qu’il consacre à une jeune fille allemande, Leni Stolt. Fantasmée peut-être, mais si vivante, si représentative d’une époque…
J’ai rarement aussi raté une mise en page, celle de ce PDF retranscrivant l’article de Robert François/Roger Vailland sur Leni Stolt. Au moins me suis-je rattrapé aux branches, aux brindilles ou drageons, tendrons et scions, plutôt, et la transcription de l’article reste correcte… Leni Stolt ? La vraie ? Énigme… Helena Stolt, fille de… Mais de qui au juste ? Duelliste à Heidelberg (1931), suicidée ou exécutée par… son fiancé britannique ou la Gestato à Londres (1939). À quel âge exactement ? Jeune. 22 ans. Trop jeune. Morte au trop jeune âge… Celui des promesses d’avenir brisées.
      Je laisse aux historiennes et historiens le soin de faire le départage du réel et de la fiction. Elle n’a pas laissé de journal, Leni. Scotland Yard n’a pas retrouvé la moindre lettre d’adieux. Sans doute maintes, maintes confidences éparses, véridiques ou fantasmées, que celles et ceux les ayant recueillies, trépassés, n’ont pas consignées mais qui ont contribué à son éphémère légende.
   Je vous laisse aussi comparer la version Robert François avec celle de Camille David, correspondant de Ce Soir, en poste à Londres... Pas d'évocation d'un duel à Heidelberg dans l'article de Camille David téléphoné le 16 janvier 1939. D'un paragraphe à l'autre, les circonstances de l'exécution du père de Leni, « député au Reichstag », emprisonné puis fusillé, ou brutalisé puis assassiné, varient. Pas d'amant nommé si ce n'est un bourgeois marié d'un quartier nord de Londres... Le passé de « Leny » semble avoir été reconstitué d'après les récits de ses amis du Pheasantry Club, un pub de King Street, dans Chelsea, quartier où elle loue une petite chambre. Si elle dispose d'un appareil photographique, c'est qu'elle a suivi des cours avant d'être embauchée par une agence ou « une maison londonienne » (peut-être un couturier) qui lui faire suivre une tournée en Europe. Elle disposait sans doute à l'époque du « passeport Nansen », celui des réfugiés et apatrides, et elle n'aurait sans doute pas été reconduite en Allemagne.
         Mais comment se détacher de Leni après avoir lu ce que Vailland en fit ?
Lisez « Vie et mort de Leni Stolt – Mademoiselle Scandale du IIIe Reich » et vous en deviendrez aussi persuadés…

dimanche 3 mars 2019

Des mots d’Octave Mirbeau en voie d’obsolescence


Lexicologie sauvage : Octave Mirbeau, vocables oubliés

Histoire de délaisser un peu Roger Vailland (se ménager des alternances, des respirations, n’est jamais vain), un texte sur le vocabulaire d’Octave Mirbeau…
Avant d’aborder les vocables de Roger Vailland possiblement en passe de ne plus être employés dans la conversation courante, je m’étais intéressé à ceux, répertoriés dans la dernière édition électronique du dictionnaire Le Grand Robert, risquant d’être expurgées des parutions suivantes.
         Certes, un Grand Robert, c’est du copieux, du lourd (sept-huit gros volumes pour mes éditions bleue et verte), mais en dictionnairique, il faut quand même faire du ménage. Et je ne sais ce qu’il adviendra, d’amphibologique à vileté (pour youpin, sans doute, d’aucunes et divers autres s’en délecteront encore trop longtemps…), de divers mots employés par Octave Mirbeau.
         J’en ai répertorié une bonne vingtaine figurant dans le corpus des citations que consigne ce dictionnaire. Glissant au passage un baby (non de ouiski, un nourrisson, que je n’imaginais pas si facilement passé dans la langue de l’avant-dernier siècle). Vous trouverez donc ce texte, « Mirbeau dans Le Grand Bob » en PDF. J’avais déjà fait état du texte de l’académicienne Dominique Bona s’inquiétant de la difficulté, pour de jeunes enfants, de lire encore la comtesse de Ségur. Et Mirbeau, Vailland, dans peut-être moins de deux décennies ? Lectures réservées aux étudiantes et étudiants en licence de Lettres ? En éditions abondamment annotées, multipliant les notes de bas de page ?
         Allez savoir, prévoir…
     J’ai aussi cru comprendre que la Société Octave Mirbeau connaissait quelques soubresauts internes. Je ne sais si c’est à elle que l’on doit que Marie Laranjeira (que je salue amicalement au passage), assurant la notoriété d’une conférence sur Claude Monet (au Négresco de Nice, en mars 2015) citait Mirbeau. Peut-être, peut-être pas… Mais Marie, alors de l’agence de communication Virgules, n’aurait sans doute pas choisi une citation de Mirbeau si son souvenir s’était estompé. En com’, années 2000, on s’assure qu’une référence n’est plus déjà devenue obscure. Et si le nom d’Octave Mirbeau dit encore « quelque chose » à beaucoup, c’est à la Société qu'on le doit. Ah oui, relire Mirbeau, c'est encore humer du Roquefort™. Puissant, Mirbeau, pugnace. Allez (re)voir, (re)lire.

Roger Vailland, reportages en Espagne


Roger Vailland en Espagne : mantilles, manzanilles & séguedilles

Avant d’arpenter les rues chaudes de Lisbonne (précédents articles ici), Roger Vailland avait fait de même à Madrid, et surtout Séville. Ce fut début novembre 1932. S’il n’évite pas divers poncifs, Vailland apporte un éclairage original, voire prémonitoire, sur la période de la Seconde République espagnole.
Chez Vailland, l’Espagnole est aussi… tartignolle. Quelque peu figée de réminiscences littéraires. Les yeux des Andalouses, les jambes nerveuses des Ibères, &c. S’intéressant bien plus aux mœurs qu’à l’actualité politique, qu’il laisse à l’arrière-plan, et sans doute à ses confrères envoyés spéciaux, comme lui, à la suite d’Édouard Herriot en visite officielle, il n’en restitue pas moins le climat.
         Les reportages à Madrid (ici la Castille) et Séville (l’Andalousie là) ont été retranscrits séparément. C’est assez logique… À Séville, Vailland a beaucoup plus les coudées franches, ses deux articles ne s’insèrent pas aux côtés de ceux des deux autres envoyés spéciaux de Paris-Soir. Cela étant, sans doute cornaqué, à Madrid, il a le flair de s’intéresser à la troupe ambulante de théâtre universitaire, La Barraca, qui joue en alternance un répertoire classique et d’avant-garde dans les bourgs éloignés de la capitale.
         Si l’idéal d’un théâtre populaire ambulant fut longuement évoqué par Catulle Mendès en 1905, concrétisé par Firmin Gémier avec le Théâtre national ambulant (1911), prédécesseur du TNP puis des Tréteaux de France, La Barraca, de par sa programmation et ses modes de fonctionnement, évoque très fort, en 1932, ce que seront les troupes nationales de la décentralisation théâtrale française d’après la Libération. Gaffe à l’anachronisme : créée en novembre 1931, soutenue par le ministère de la Culture et de l’Information publique, la troupe se disperse en 1936, et reconstituée en 1937, ses activités restent épisodiques au cours de la Guerre civile. André Malraux n’a sans doute pas croisé ses camions…
         Comme à son habitude, Vailland s’intéresse aux étudiantes, exclusivement ou presque. Le garçon qu’il mentionne brièvement aurait pu pourtant être Federico Garcia Lorca. Mais il est vrai que son renom en France, au début des années 1930, reste faible, et que ses Noces de sang ne seront créées qu’en 1933. Mais le texte parut en 1931 et il n’est pas impossible que sa Novia (la fiancée) ait pu inspirer à Vailland sa conception de la mentalité des jeunes Andalouses.
         Si Vailland évoque ses contacts avec des « personnalités » (masculines), la seule qu’il met en valeur est la féministe Clara Campoamor, l’une de la demi-douzaine des députées de la Seconde République. Car, « bien que féministe, Mme Clara Campoamor est une femme », aux yeux verts, aux belles mains, aux lèvres minces, &c. C’est tout juste s’il ne s’attarde pas sur ses jambes.
         Un étonnement : à Madrid, si les trois envoyés spéciaux se répartissent vaguement les rôles et les angles abordés, J.-J. Tharaud (les frères Tharaud), Élie Richard et Vailland se rendent séparément à l’Ateneo, le club intellectuel madrilène. C'est là que Vailland se fait présenter Pepita, la jeune communiste…
         Si Vailland s’intéresse surtout aux (jeunes) femmes, et ne rechigne pas à glisser des clichés, ses confrères ne restent guère en retrait. Élie Richard qualifie une fille de général de « pure Castillane », dépeint ainsi une jeune fille : « jambes nues, d’un bronze embué, velouté (…) Elle est belle, bien vêtue, 15 ans, femme. ».
         Encore une fois, un article de presse ne peut être estimé per se, sans tenter de prendre en compte ses conditions de production, son contexte (y compris spatial, dans la mise en pages), la ligne éditoriale du titre (Lazareff veut qu’on s’intéresse autant aux réfrigérateurs des ménagères de New-York qu’aux questions diplomatiques), et un certain « mimétisme » d’époque (le style de Colette, chroniqueuse judiciaire, diffère peu de celui de Robert François – Vailland – en compte rendu de procès d’assises).
         Sur la page 3 de l’édition du 1er novembre, les trois reportages couvrent cinq colonnes sur sept, les deux de droite étant dévolues à des publicités. Dont pour deux stylos. Le Gold Starry « ininflammable » et le Kaolo (« avec la plume Kaolithe, plus douce que la plume en or [qui] permet 3 et 4 copies avec carbone »). La plume du Vailland d’alors ? Gold Starry ou Kaolo ? Son style est aussi celui d’une époque.
P.-S. – Ne pas se méprendre, le Cortès de Vailland est ultérieur... Mais peut-être que les reportages en Espagne et au Portugal (et à Lisbonne, la rencontre avec l'amiral...) influeront sur l'imaginaire de Vailand.