samedi 16 mars 2019

La grande dame anglaise vue par Roger Vailland


Un papier de « Georges Omer » pas si anodin

Au départ, je glisse dessus… Allez, encore un « article de genre » (à présent, à divers sens du terme, mais padamalgam, éviter l’anachronisme) de Vailland. Court… Furtif, même. Pas tout à fait anodin, mais… Et puis, la curiosité… Et si cette « grande dame anglaise » fut Nancy Cunard ?
Deux quasi-stéréotypes d’époque imbriqués  : le rastaquouère, et la riche anglaise.
Aussi elle-même interlope (équivoque, voire de nationalités et cultures entrecroisées, cosmopolite au sens que le communisme pudibond stigmatisait, si j’étends un sens dérivé au-delà des trois-quatre de divers dictionnaires) que son, ses amants. Et puis, François Buot risque l’hypothèse que celle qu’esquisse Vailland serait Nancy Cunard. Une éditrice qui me fait songer, en un autre domaine, au mouvement Arts & Crafts (chacun ses dadas) ; me remémore la librairie Shakespeare & Company (celle de Whitman où mon pote, le révérend Billy Hults, washbord player extraordinaire, obtenait le gîte à Paris – Cannon Beach ; The Upper Left Edge ; et la congrégation du Buddha réincarné en last cowboy, &c. – bon, plus fiscaliste que théiste, Billy, mais c’est une autre histoire…), &c. Du coup, et « en même temps », je relis Vailland/Omer, et me dis, comme Daniel Schneidermann, mais en total décalé, non pas « j’aurais pu l’écrire aussi », mais qu’est-ce que j’aurais aimé aussi bien la, les décrire.
         C’est qu’après le journalisme débridé, il a bien fallu me convertir au coincé. Là, je reviens de la soutenance de thèse d’Annette Gardet sur la Comédie de Reims. Et tout à trac, Denis Guénoun nous raconte que, de mémoire (la mienne), Touchard ou un ponte du ministère le nomme à Reims parce qu’il l’estimait plus « ficelle » (singulier, pluriel ? Tiens, j’aurais dû lui faire préciser comment il l’avait entendu) que son plus renommé concurrent d’alors. Belle expression, qui s’applique à merveille à Vailland journaliste. Qui sait en rallonger certaines, en raccourcir d’autres, jongle, fait sauter son diabolo, avec une économie de gestes (ici, mots, phrases, signes, lignes…), conciliant ce qu’attend Lazareff et le lectorat, et ce qu’il a envie de transmettre.
         Vailland et Nancy se poivraient tant le gosier que le nez (ou les veines) à cette époque. La grande dame anglaise, c’est elle, mais aussi tant d’autres. Ils fréquentaient nombre de lieux où ils se croisent, côtoient. Peut-être pas au Rendez-vous des mariniers (j’ai traqué Vailland quai d’Anjou, en vain, mais qui sait…) ; la différence d’âge ne le retient pas mais… Elle préfère de plus durs, plus tatoués. Non, je m’égare, j’extrapole. Aucune idée s’il prit un râteau. Ou non.
         Qu’importe. Mais c’est beaucoup plus drôle de l’imaginer soit snobé, soit réalisant que s’il s’accrochait, il allait mentalement dérouiller, et se préservant. Bien sûr, pas davantage que Régine Deforges mélangeant les années, les personnages, étirant ou rétrécissant l’espace-temps, il ne faut laisser brider l’imaginaire par la chronologie, la géographie, mais n’embrayez pas là-dessus…
         Fausse piste, a priori. Mais toutes les impasses et culs-de-sac doivent être suivis jusqu’aux murs, quitte à réaliser qu’aucune balise, aucune fiente ou tracée, ne vous met sur la voie de la vraie. Et ce fut farce de s’égarer sans pouvoir traquer efficacement « la grande dame anglaise », en beagle heureux de baguenauder. D’où le retour au plausible : portrait composite. Comme fut sans doute quadruple la vulve d’Irène (Aragon). Tiens, cela m’entraîne vers les mises en jambes d’Éric Poindron (pour ateliers d’écriture), Denis Guénoun et Mai, Juin, Juillet (euh, non, gourance, ce doit être Le Banquet de Platon, et ce n’est pas la faute à Voltaire, ni à Rousseau, mais à Henriot, Nicolas-Simon, de la maison de C/c-hampagne, non Georges ou Philippe, autres Rémois – dont les cols furent sablés ; celui de Philippe « sulfaté ») et La Foire aux cochons (album BD de Ptiluc).
         Et une quarantaine de lignes de Vailland/Omer vous vaut cette logorrhée ? Eh bien, chapeau l’artiste. Imagines-tu, jeune, mûr, chevronné plumitif, que ce qui n’est guère davantage qu’un billet de toi te vaille cette postérité ? Va voir ce fichier PDF, « Roger Vailland et la colonie “britannique” de Paris », et imagines, poursuis…

dimanche 10 mars 2019

Paris secret, monde interdit…

À la recherche du Mondo prohibito (film de Fabrizio Gabella)

Un peu de détente… Toujours sur les traces de Roger Vailland (et pseudonymes consorts), je retrouve qu’il fut l’inspirateur du film de Fabrizio Gabella, Questo mondo proibito (1963, sorti sous le titre Ce monde interdit en juin 1964). Un docu-fiction dirait-on aujourd’ hui, dont le prototype français reste le film Paris secret…
Paris Secret, vagues souvenirs… Des filles nues, des adorateurs du nombril réunis en cercle, des trav’ (Chez Michou ?), du vaudou… Je ne sais trop si ce film d’Édouard Logereau fut ou non interdit aux moins de… mais je sais que je parvins à m’introduire dans la salle. Circa… l’été 1965. J’avais donc dans les 14 ans. Est-ce grâce au « Grand Ségalou », mon pote d’alors, perdu de vue de longue date, avec lequel j’interprétais Toto, le personnage de Fernand Raynaud (« Ouin, c’est l’morceau que j’voulais »), sur la scène de la salle du patronage Saint-Paul, à Angers, que j’ai pu voir ce film. Proche du « Chez Laurette » de Delpech, et de la caserne des pompiers, cette salle. « Chez Laurette », j’y jouais au billard électrique, pas encore électronique, pour 20 ronds la partie (avec cinq boules alors). J’ai oublié l’enseigne réelle, qui a dû changer depuis…
         Magique, faire le gus en Toto. Dans les « loges » de la salle Saint-Laud, l’une des Collégiennes de la chanson, en soutien-gorge ! Était-ce Marie-Annick Rétif ? Aucune idée. C’était avant le « Il fait trop beau pour travailler », des Parisiennes, du temps de Juanito et de Marie Laforêt et ses « yeux d’or ». Mais pas loin…
         Ah oui, le père du « Grand Ségalou » gérait deux salles de cinématographie : Le Beaurepaire, et peut-être Le Français, rue de la gare (oui, ce devait être Le Français). Donc, les jeudis aprèms, on allait gratis au cinoche… Voir Maciste et les Trois Mousquetaires, ou des trucs du même style.
         Souvenir très, très précis sur Paris Secret. Printemps 1969, baraquement préfab’ de la fac de Droit nantaise. Assis au fond, près d’une jeune mère de famille et de la fenêtre. On cause Piaget (je m’étais aussi inscrit en socio…) en loucedé. Le chargé de travaux dirigés (costume noir, cravate idem, chemise blanche, comme tous mes péteux de condisciples ou presque) nous parle des de France (le patronyme est-il partie intégrante de la personnalité juridique ?), et de… Paris secret. Car l’une des jeunes actrices, 17 ans, donc mineure, se fit, paraît-il, prélever son tatouage sur « les lombes », une petite tour Eiffel, qui fut vendu aux enchères lors du raout de lancement du film. J’éclate de rire. Tout le monde se retourne ; le chargé de TD est le seul à sourire. Cela décida de la fin de mes études de droit (plus tard, devenu chroniqueur judiciaire, j’eus de furtifs regrets).
         Le synopsis de Paris secret se trouve sur le site d’Unifrance. Allez voir… Pissotant… 25 épisodes hilarants. Aucun souvenir de « M. Rousseau fabrique un sous-marin pour boire son pastis sous la Seine ». Cela ne m’évoque plus que l’insubmersible de Merklen, « Lucifugus », dans une courette intérieure de sa Boucherie humaine, de Pleurs (et Chauvier enflammant ses pets au briquet, et Chouf, Frédéric Chef, impavide).
         Je n’imagine même pas comment Roger Vailland put inspirer ce Questo Mundo proibito, dont les principales séquences s’énoncent ainsi :
         • Pubblicita, oppio dei popoli ;
         • Le Bal negre ;
         • Il segno del rettile (le songe du reptile) ;
         • La galerie sadiste ;
         • Il ghetto del terzo sesso ;
         • L’industria dell’erostismo ;
         • La psicologia dell’erotismo ;
         • Anatomia del sex-appeal ;
         • A twist for a virgin ;
         • I sogni e la spicanalis ;
         • La vita moderna.
Et “vietato al minori di 18 anni”, s’il vous plait…
         Au générique, Monique Watteau (Monique Dubois), qui fut la compagne de Yul Brynner de 1961 à 1967. Yul Brynner, Eddie Constantine, Paul Meurice (Le Monocle…). Regina Saiffert. Films Marceau-Cocinor. Au scénario, Christiane Rochefort. Des scènes tournées pour être montrées sur un écran de Scopitone ou de Cinebox (jukebox diffusant aussi des séquences filmées en 16 mm). Quelle épique époque !
         J’admets qu’il y a mieux à revoir. Par exemple, les films exceptionnels de l’ami disparu Claude Faraldo : Bof… Anatomie d’un livreur (« Je vis à tes crochets, j’ai tué ta mère, j’ai couché avec ta femme… Ne m’appelle plus papa, appelle-moi Paulo ») ; Themroc, avec Piccoli en nouvel homme des cavernes se dégustant une « hirondelle » (un flic à ciré et capuche) ; avec les cartouches comme « Secrétaire hautaine et galbée ». Pur bonheur ! Mais si vous retrouvez où voir Paris secret ou Ce monde interdit, faites-moi signe. Je suis preneur.