mardi 5 novembre 2019

Brexit : and the Speaker is… Sir Lindsay Hoyle

Curieux Anglais : insulaires avant tout ?

Au revoir John Bercow. Voici Lindsay Hoyle, Speaker des Commons pour un jour (car le Parlement sera suspendu demain, mercredi). Deux lustres de John Bercow, conservateur remuant, et… Notez que c’est un travailliste qui succède à un conservateur.
L’actu, c’est bien sûr que Lindsay Hoyle, travailliste, succède à John Bercow, conservateur, en qualité de président des Commons. Mais c’est moins important que la décision de Nigel Farage de présenter 600 candidats d’en autant de circonscriptions. Soit, marginalement, de limiter la prédominance des conservateurs. En fait, faute d’accord ratifié entre le Brexit Party et les Tories, une sorte de compromis tacite entrera en vigueur : le Brexit Party visera en priorité les circonscriptions travaillistes à dominance Leavers (pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne), mais n’endommagera pas trop les conservateurs ailleurs. Ce fut un peu la stratégie de Donald Trump lors des dernières élections étasuniennes : mettre le paquet là où c’est le plus jouable.
Qu’en résultera-t-il ?
Peut être un hung Parliament (sans majorité). Sauf que… En Irlande du Nord, les républicains (le Sinn Fein) ont passé un contrat avec les Remainers (donc, le DUP, les unionistes, peuvent craindre de perdre au moins un siège). Sauf que… Je ne vais pas vous barber avec le SNP (indépendantistes écossais), troisième formation aux Commons en nombre de sièges. Ni trop entrer dans les arcanes des prévisions de résultat des prochaines élections.
Ce qu’il faut peut-être bien intégrer, c’est ce que dit Donald Tusk de Tony Blair. Pour les Anglais (j’exclus les Écossais et les Gallois), l’Union européenne (nouzôtres), ce n’était qu’une opportunité commerciale. Du business, pas autre chose. En d’autres termes : mieux se gaver. Inversement, d’autres intérêts ont estimé que l’Union européenne était un carcan.
Hier soir, un ami, A. G. Leduc pour ne pas le citer, me dit en substance « dessine-moi le Brexit ». Simple : d’un des intérêts financiers à court ou moyen terme et des ambitions politiques, de deux, divers Anglais (et, hélas, des Cornouaillans) vaguement fêlés du bocal. Qu’en Breton (« tête de con »), je comprends. Quoique, pour les Cornouailles, je me demande encore si les très nombreux Anglais s’y étant établis ne l’ont pas emporté. Tout anglophile, dont je suis, est un poil ou en plus velu encore anglophobe (modéré) ; les francophiles anglais réciproquement.
Cela étant, je partage l’opinion de Sébastien Lacroix, de L’Union (amicaux souvenirs au passage) : « Dites-vous bien que, si vous avez compris le Brexit, c’est qu’on vous l’a mal expliqué. ». Définition du Brexit : semi-oxymore, hémi-antilogie. Simplicius Simplicissimus (le personnage de von Grimmelshausen) et le Hans im Scnokeloch auraient pu en débattre longtemps pour arriver à cette conclusion : dans le Brexit, il y a à boire (dru et de travers) et à manger (indigeste), un peu de tout et son contraire.
Vu d’ici, il faudrait peut-être comprendre que the times, they’re a-changin’, que certes la France fut le meilleur soutient des États-Unis (des origines) ; mais que, depuis, la vassalisation du Royaume-Uni… Auquel il n’est proposé d’autre choix que de choisir son « joug ». Ce que je peux exposer sans risque me faire casser le portrait dans le plus proche débit de boisson de John O’Groats mais pas dans un pub du Yorkshire. C’est un peu ce qu’exprime autrement Jeremy Corbin (faut-il mieux être à la merci clémente de Bruxelles qu’à celle léonine de Washington ?).
Rien n’est simple, ni dans les propos des uns ou des autres, ni dans les arrière-pensées. Exemple : Jeremy Corbyn promet qu’en cas de victoire des travaillistes serait organisé un nouveau référendum et « en même temps » assure que son parti se fixe jusqu’au 20 juin pour obtenir de Bruxelles un meilleur accord que le protocole de Boris Johnson. Le conservateur Michael Gove se dit à la fois assuré de signer un accord de libre-échange avant la fin 2020 et néanmoins rappelle qu’il faut se préparer à toute éventualité (dont celle d’un no-deal, et d’interminables échanges sur les échanges commerciaux).
Dessine-moi le Brexit, ardu. Un, des Brexit, envisageable.
Mais prévoir le résultat des élections, même si les sondages conservent les conservateurs en tête, et ce qui s’ensuivra, alors là…
Pratiquement tous les partis (hors Lib-Dem et SNP, DUP peut-être) sont divisés. Une vingtaine de candidats potentiels viennent de quitter le Brexit Party. Lequel présente dans le Sussex un Australien-Américain qui n’a qu’un an de résidence au Royaume-Uni mais indique qu’il obtiendra à temps la nationalité britannique. Ce qui n’est pas un requis (tout citoyen d’un pays du Commonwealth peut voter et se présenter).
Eau chaude, eau froide, eau mitigée, chantait Boby Lapointe (Le Tube de toilette). Brexit dur, mol, dièse ou bémol, de toute façon, les prolongations seront sans doute aussi importantes que le type de protocole adopté (quand ?) par le Parlement et aboutissant à un accord. Comme l’a rappelé Michel Barnier, l’objectif de l’UE est aussi « zéro dumping » (fiscal). Pas de taxes, pas de quotas réciproques, mais en sus, pas de concurrence déloyale pour attirer des entreprises et des capitaux. Il faudra près de deux ans, estime-t-il, pour parvenir — ou non — à un accord de libre-échange.
En tout cas, la campagne s’annonce plus qu’animée. Les échanges de noms de poissons-volants vont voler et plonger plutôt bas. Le chanteur Stormzy vient de qualifier le conservateur Rees-Mog de « véritable étron » (“actual piece of s***”). Cela donne le ton. C'est vrai qu'il est gluant, Rees-Mog, l'affalé des Commons. On va jouer Shitty Shitty Bang Bang ; version gore.
C’en est à se demander si les Anglais, qui brassent autant de bières que les Français affinent de fromages, ne se sont pas francisés, devenant ingouvernables. Aucun des chefs des quatre principales formations (hors SNP, 36 sièges à Westminster) n’est vraiment populaire (voir le tableau du Daily Express).
Américanisés aussi quand on voit une publicité de la Fair Tax Campaign sur Facebook affirmant que voter travailliste condamnera à payer 214 livres de plus en impôts et taxes (quoique… en 1981, on vit des Français assurer que Mitterrand interdirait le PMU). Quand on sait que Moscou affûte l’infotox.
En fait, hier, c’était hier (qui se prolonge nonobstant), aujourd’hui est incertain, encore moins que demain… Pour le moment, la libérale-démocrate Jo Swinson assure qu’elle revendiquera le poste de Premier ministre et qu’elle exclut se rallier aux travaillistes.
Mais, selon The Sun, qui hurle au complot « remainiste », Jeremy Corbyn s’est refusé à dire qu’il ne révoquerait pas l’article 50 pour obtenir l’appui de Jo Swinson afin d’accéder à Downing Street… Pas de telle coalition, répètent les travaillistes… Mais dans cinq-six semaines, entre 35 et 40 jours, voire auparavant ?
Dans ce cas, le Brexit resterait le plus fort accès de fièvre que le Royaume-Uni aura connu en ces débuts de siècle…
Ce qui ne changera sans doute pas, c’est l’attachement des Britanniques à leurs innombrables et cocasses traditions… Le nouveau Speaker, Sir Lindsay, possède divers animaux domestiques. Boris (Johnson) le perroquet ; Gordon (Brown) le rottweiler ; Maggie (Thatcher) la tortue ; Betty une chienne terrier (du nom de sa collègue Mrs Boothroyd). Il a été désigné après quatre votes successifs puis « traîné » à son perchoir en faisant semblant de ne pas vouloir le rejoindre. C’est ainsi. Us pérennes. Toutefois, on ne sait s’il se coiffera de la perruque en crins chevalins de ses fonctions dont Betty Boothroyd puis Michael Martin et John Bercow s’étaient dispensés (en 1992). Bercow était allé plus loin en enfilant une sorte de blouse en lieu et place de la robe noire à parements et poignets blancs… Croyez-le ou non, un candidat malheureux au poste avait annoncé qu’il reviendrait à la tradition (remontant aux années 1680, wig et gown d’époque). Commentant ces déplorables infractions, The Telegraph avait condamné ces fâcheuses concessions à l’Eurostyle (comprenez : continental).
Kate Hoey (travailliste), saluant le nouveau Speaker, exprima sa défiance envers la « modernisation » et en appela au respect des traditions. David Lidington a plaidé pour « la restauration et le renouveau » de la culture et des mœurs multiséculaires des Commons.
L’une des erreurs commises lors de l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE fut peut-être de ne pas doter les parlementaires européens d’une tenue solennelle, et de ne pas instaurer de rituels. Pompe et décorum.
Récemment, à Strasbourg, je vis un député européen (italien ? oublié son nom) prendre la parole, coiffé d’une casquette de base-ball portée sur le côté, tel un marlou de naguère la sienne de laine. Not cricket (incorrect) et même so shocking (indécent). Le Brexit, c’est aussi cela : proud to be a Briton… Comme le proclama George The Third accédant au trône (en 1760).
Je ne saurais dire si le sentiment majoritairement pro-Européen des Écossais reste en partie lié à la nostalgie de la Auld Alliance (avec la France).
Ce qui me semble sûr, c’est qu’au cours de cette campagne électorale britannique, Bruxelles et les autres capitales des 27 gagneront à s’abstenir de s’en mêler. C’est mal parti avec des déclarations de diplomates critiquant les déclarations « irréalistes » de Corbyn. Certes, Tusk a exprimé le regret de ne pas avoir répliqué aux mensonges et exagérations de Boris Johnson et de Gove au cours de la campagne pour le référendum. Mais il cède sa place au Belge Charles Michel, que l’on dit proche des positions d’Emmanuel Macron. Mais moins impulsif, plus modeste, que ce dernier.
Jusqu’au dénouement (fin 2020, fin 2021 ?) ne dessinons pas le Brexit…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire