mardi 25 décembre 2018

Gilets jaunes et Éloge de la politique (R. Vailland)


Gilets jaunes et l’« Éloge de la politique » de Roger Vailland
L’insurrection qui vient, repart, revient : permanence de l’utopie
Il semblerait que tous les objets connectés qu’il nous est fortement incité d’offrir ou de s’offrir en cette période des fêtes de fin d’année (2018) seraient autant dédiés à nous espionner qu’à nous faciliter/compliquer la vie (rayez la mention inutile). Bien sûr, on se remémore Blair/Orwell et 1984. En marche vers le « meilleur des mondes » (d’Aldous Huxley). À moins que la décroissance, souhaitée ou subie, change la donne…
Les « Gilets jaunes » préparent, paraît-il, les actes X ou Y, pour le réveillon du Nouvel An, Pâques et la Trinité. L’église catholique, apostolique, romaine, celle de France, appelle au dialogue, veut leur ouvrir ses édifices entretenus avec l’argent des contribuables, alors que, au Vatican, un pape un peu moins rance que celui du chanteur Québécois Jamil (Irons-nous tous au combat fustigeait « un seizième Benoît »), dénonce « l’homme devenu avide et vorace » et « les ravins de la mondanité et du consumérisme ». Étonnant alors qu’une majorité de « Gilets jaunes » veulent encore davantage de Ferrero Rocher de la réception de l’ambassadrice et consommer encore plus de fringues de marques, changer de voiture (avec un maximum d’options), et surpasser en diagonale l’étrange lucarne du voisin. La garde décroissante croise la garde montante… de loin.
Dès qu’un mouvement social émergeait, naguère – jadis, c’était Lafargue et Le Droit à la paresse, ou d’autres textes –, les médias (enfin, ceux qu’on lit de moins en moins…), nous ressortaient « Éloge de la politique » (publié dans Le Nouvel Observateur fin novembre 1964, dont l’auteur décédait début mai 1965 en ne léguant que des œuvres posthumes). Là, non. Peut-être parce que je me rattache à une génération encore imprégnée des souvenirs de guerre de ses aîné·e·s (il y avait encore des cartes de rationnement au tout début des années 1950), je me demande si ce texte ne serait pas reçu et perçu par la gente « Gilets jaunes » majoritaire comme une critique sous-jacente (de quoi inciter à rosser des journalistes). À l’adresse de la minorité de ce mouvement (celles et ceux vraiment juste au-dessus du seuil de pauvreté, dont j’ai éprouvé diverses fois les abysses), je suggère de le consulter — et de lire aussi quelques romans de Roger Vailland, disponibles en bibliothèques publiques, nul besoin de télécharger un e-bouquin et d’acquérir la liseuse de la voisine. Au cas où le lien ci-dessus ne fonctionnerait pas, le voici en clair (infra, en espérant que cela opère ; sinon, cherchez, ce texte est consultable ailleurs…). En tout cas, depuis bien avant Thomas More et la Croisade des enfants (début des années 1210, puis celle des Pastoureaux), l’utopie marque et perd des points. Au fil des ans, elle surnage… Embarquer alors qu’elle s’enfonce sous sa ligne de flottaison reste un moindre mal.


P.-S. – Pour mémoire, cet article parut dans le numéro 2 du Nouvel Observateur  « nouvelle série » (ou 760 de France Observateur). Je n'ai pu en retrouver le sommaire (mais y figurait un entretien avec Harold Wilson ainsi qu'un texte d'André Pieyre de Mandiargues, et celui de Raoul Seyries, du CNJA, « Jeunesse d'un leader »). Jacqueline Rémy, dans Le Nouvel Observateur, 50 ans de passion, citait Jean Daniel évoquant « d'innombrables encouragements » (« De Roger Planchon et de Francis Perrin (...), de Roger Vailland et de Jacques Le Goff (...), Michel Rocard, Alain Savary, Jacques Monod et Jean-Louis Barrault nous somment de nous engager »). Une réédition du texte dans Le Nouvel Observateur, témoin de l'histoire (Belfond, 1981), précéda la celle de la maison Le Temps des cerises. Parmi les collaborateurs de l'hebdomadaire, François Furet, ex-communiste, qui signe François Delcroix. Pour situer le texte de Vailland, il faut se rappeler que Sartre fit la une du numéro précédent... Le chapeau de son entretien débutait par « La presse le proclame, des enquêtes le démontrent, les dirigeants du régime s'en félicitent : la France se "dépolitise" ».