mercredi 23 février 2022

Ukraine et Poutine : Méluche moins Déat que l’original…

 Volte-face ou poudre aux yeux de distanciation ?

Pour ne pas sombrer dans le ridicule, tentons d’éviter, au sujet de la crise ukrainienne, l’usage d’invectives visant à discréditer les prises de position des candidat·e·s à la présidentielle. De toute manière, ce que d’aucunes et certains peuvent déclarer à présent ne les engageront pas ultérieurement. En revanche, tenant compte du rapprochement sino-russe, les orientations de l'Union européenne méritent que toutes les opinions soient soupesées.

Ce n’était point la résultante d’un abus de Ricard™ (en fait, au réel, de Lidanis® ou d’un breuvage anisé moins coûteux), ni d’une intoxication au Voleur dans la maison vide (de Jean-François Revel, père de Matthieu Ricard), mais dans la semi-hébétude d’un hémi-sommeil, me vint confusément un soupçon d’amalgame entre Jean-Luc Mélenchon et Marcel Déat. Force m’est faite de revenir au réel et de constater que le Méluche a fait évoluer la teneur de ses propos sur Vlad (euh, Volodia) Poutine et l’annexion du Donbass élargi.

En revanche, il subsiste des convergences entre les propos de l’Insoumis maximo et des alignés moscovites apparents (stipendiés ou non ? Je ne vois guère le Kremlin soutenir financièrement un Dupont-Gnangnan, pour la Marine et le Zorro-Zéro, son féroce usurpateur en devenir, je ne saurais fonder des supputations). L’approche du point Godwin, c’est de rappeler que les maréchalistes soutenaient que l’intérêt de la France avant tout reléguait au second plan d’autres aspects et respects des principes (Sauver la France en la protégeant du pire). Bref, pour un peu, il nous serait soutenu que demander notre rattachement à la Confédération helvétique (entraînant avec nous la Wallonie aussi ?) nous épargnerait les conséquences de l’hostilité russe. C’est exclure par avance que la Russie de Poutine puisse se déliter de l’intérieur. Ou que les sorts et orientations du Donetsk resteront immuables. Je ne peux prévoir ce que ses populations déplacées à Rostov retiendront de leur séjour contraint et forcé. La précarité de leurs prédécesseurs en Crimée peut faire évoluer leurs appréciations.

Celle de l’oligarchie russe, quant au soutien économique devant être accordée à la Transnistrie, aux conquêtes de Géorgie, et à ces deux nouvelles républiques de fait annexée, me semble — confusément, je l’accorde volontiers — quelque peu plus cruciale que ce qu’on tente d’imputer à la psychologie de Volodka Poutine. Mais bon, ce type d’approche farfelu devra attendre quelque temps pour se voir différemment qualifié ou non.

Souffrez que j’en revienne à Revel, qui, page 750 de ses Mémoires (voir le sous-titre supra), feignait de s’offusquer que Régis Debray, dans Les Empires contre l’Europe, l’ait comparé à Marcel Déat. Selon Revel, son antitotalitarisme doublé de son libéralisme lui valaient seuls cette comparaison abusive. « Ben voyons ! » rétorqua-t-il en substance avant Zemmour.

L’Union européenne semble dans une impasse. Les plus fortes sanctions visant la Russie proviendront du Royaume-Uni où les capitaux russes balisent la Tamise. L’Allemagne risque de se montrer circonspecte. Quand j’étais à Rostov, du temps de Gorbatchev, on voyait les investisseurs français venir faire de l’esbrouffe et raccourcir leurs séjours alors que leurs homologues allemands restaient des mois sur place, soucieux d’aboutir à des accords solides. Et puis, Bruxelles constate que des régimes comme ceux de la Pologne ou de la Hongrie soulèvent des questions problématiques. Les ouvertures vers la Russie, que les États-Unis contrecarreraient, entraîneront des exigences de concessions supplémentaires de la part de Moscou.

J’étais encore trop jeune, à l’automne 1956, pour prendre la mesure des polémiques et de la logorrhée verbale qui suivit l’écrasement de l’insurrection hongroise. La situation actuelle est fort différente, mais l’invasion de la Hongrie eut pour conséquence indirecte la fin de l’offensive franco-britannique en Égypte (difficile d’envisager un double front et une dispersion des troupes). Les historiens ont relevé l’extrême hostilité des termes employés par les commentateurs français (et il y eut aussi quelques troubles et affrontements physiques en France). Des clivages internes aux formations ou clans politiques envenimèrent les relations personnelles. Les noms d'oiseaux volaient haut et vif.

Je peux regretter, en termes mesurés, qu’un Emmanuel Macron n’ait pas fait mieux qu’un Nicolas Sarkozy lors de la crise en Géorgie de 2008 (la Géorgie considère que la Russie s’est livrée à un nettoyage ethnique en Ossétie du sud ; l’Abkhazie, aussi sous tutelle russe, évoque un État mafieux). Là encore, comparaison n’est pas raison. Sarkozy s’était  fait mousser à peu de frais, Macron, président temporaire du Conseil de l’U.E., pouvait difficilement s’abstenir de rencontrer Poutine. Pas davantage que Daladier de retour de Munich (juin 1933), Macron ne mérite des tomates pourries ou des fleurs. En revanche, si on veut bien créditer François Fillon de n’avoir pas fait preuve de complicité avec Poutine, rien ne devrait l’empêcher de démissionner de ses fonctions dans les instances des sociétés russes Zaroufejneft et Sibur. Et on peut s’étonner que Valérie Pécresse n’ait pas songé à le lui suggérer. Mais elle peut, par le truchement de Fillon, s’empresser de rencontrer Poutine pour lui tenir un langage d’extrême fermeté. Allez, chiche !

Pour l’anecdote, les félicitations de Donald Trump à Poutine pour sa conduite stratégique « géniale » n’ont encore obtenu aucun écho dans la presse russe. Trump s’est aussi déclaré convaincu que l’invasion de Formose (Taïwan) était imminente (manière élégante de pointer que Biden est pusillanime et ventre mou). Républicains et démocrates n’en sont pas au point de s’accuser mutuellement d’être la cinquième colonne du Kremlin, mais, comme disait Geneviève Tabouis, « attendez-vous à savoir… » que ce ne peut être exclu. Espérons que cela ne déteindra pas sur le débat (ou pugilat) interne à la France.