samedi 27 juillet 2019

Les Trois soulèvements de Denis Guénoun

Parcours de Denis Guénoun : judaïsme, marxisme, table mystique


C’est sûr : Les Leçons politiques de Game of Thrones est un titre plus vendeur que Trois soulèvements — Judaïsme, marxisme et la table mystique.
Pour qui l’ignorerait encore, Ganar o morir – Lecciones politicas… est un essai d’un certain Pablo Iglesias Turrión sorti en 2015… Une fois, j’avais commis ce titre, « Et maintenant, on peut ! », pour la rubrique « Les mariés du samedi » (c’était avant le mariage pour toutes et tous et l’écriture inclusive) du Pays de Franche-Comté. Podemos. Quel rapport avec Denis Guénoun et ses Trois soulèvements ? Ténu. Il a pu, nous pourrions… Peut-être en épousant ses lignes de réflexion. Imperceptible lien : hormis une allusion à la maternité de la formule « Socialisme ou barbarie », je m’attendais à ce que le féminisme eût alimenté l’évolution de l’auteur (dont il ne traite pas, ce qui n’implique rien), nulle référence à une autre auteure (Rosa Luxembourg est la seule mentionnée). Étonnement : et Simone Weil ? Peut-être traita-t-il de La Passion de Simone (mise en scène de Peter Sellars) dans un autre ouvrage, ou attendrait-il l’occasion de son futur essai sur la critique et la notion de classe ?
Et oui, j’allais oublier. El compañero commandante de Podemos a aussi publié un Cine y política et Denis Guénoun fut un célèbre homme de théâtre (et le reste, mais sa renommée a muté, le philosophe l'emporte désormais). Denis Guénoun est doté d’une très sommaire page Wikipedia dont la majeure partie (une soixantaine de lignes) se répartit entre les rubriques : Œuvres littéraires ; Œuvres théoriques ; Mises en scène ; Comédien… Allez voir. Voyez surtout son site denisguenoun.org qui n’annonce pas déjà, en cette fin juillet, qu’il sera le 5 octobre à Reims (16 heures, médiathèque, devant la cathédrale).
Ces Trois soulèvements ont surgi le 6 mars dernier aux éditions Labor & Fides (144 p., 11 €) et ils commencent à faire quelques vagues. Voyez déjà le sommaire (en ligne) et tentez de deviner pourquoi. Bon, je vais m’efforcer d’aider le mal comprenant qui sommeille aussi en moi comme en d’autres.
Le capitalisme saura peut-être se dépasser et ne pas ravager totalement la planète mais restera fidèle au fondamental : il faut des pauvres pour faire des riches… Tout le monde le sait (surtout les possédants), ou le subodore confusément. Guénoun vous le remémore posément, en d’autres termes, en confidence. Cela n’enflammera pas les foules qu’un Maurice Clavel tentait de rameuter à coups de formules d’indignation ardente, et les propos de Guénoun prendront sans doute autant de temps pour s’infiltrer dans les consciences que les écrits de Debord et Vaneigem…
Tiens, digression (apparente) : avec Contribution à l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande (Rivages, 2018), Vaneigem avait sorti un second Traité de savoir… à l’usage de celles et ceux qui allaient se gileter de jaune. Ce fut moins consulté sur les ronds-points que le Vers la révolution — et si la France se soulevait de nouveau (éd. J.-C. Godefroy) de Fabrice Grimal, le chouchou de la chaîne RT, mais les deux commencent à faire jeu égal.
Cela m’étonnerait que Guénoun rejoigne en danseuse ces deux têtes de peloton de sitôt. D’une part, il n’a pas d’Annie (la maman de Fabrice) pour faire sa promo — je me demandais comment je parviendrai à la caser, celle-là ; c’est fait —, et de l’autre je ne vois guère RT ou SputnikNews l’inviter à déclarer : « L’insurrection qui vient sera nourrie de bonté. ». Mais comme l’énonçait La Fontaine, chi va piano va sano (ou quelque chose du cru).
Je pourrais m’en tenir là. Vous êtes prévenus, et avec ces trois éruptions-là, vous avez de quoi vous faire remarquer dans les dîners en ville ou l’after-barbecue.
L’Insurrection qui… (Comité invisible, La Fabrique éd.) « nourrie de bonté » ?
Au fait, il en cause, des Gilets Jaunes ? Oui, en filigrane. Mais le propos est largement plus vaste.
Un latin, ce Guénoun (« Italien de cœur », glisse-t-il, Pisan d’adoption), un Africain qui revient de loin. Fils d’un ex-israélite d’Algérie (ex car devenu hussard noir athée et communiste, mais resté aussi Juif que moi Breton), passé comme son père par le PCF, et à présent, de par « l’hospitalité eucharistique » des réformés, entré dans leur communauté (la maison genevoise Labor & Fidès fait dans le sociétal et le spirituel, pas vraiment dans le scabreux ou l’hilarant, quoique le Dieu otage de la pub ? est fort divertissant). Comprenez que, comme le sommet d'un volcan s'élève, ces soulèvements successifs se cumulent.
« Pied noir » (non, rapatrié, oui, mais plutôt tata-ti-tata-ta : Algé-rie, algé-… et non fran-…) et tête chercheuse, donc. Féru d’« universalisme juif », et autres, farci de philosophie allemande, congru en tout. Ce n’est pourtant pas un auteur si ardu. Ni coincé (Denis… comme Diderot). Les livres traitant de théologie me sont tombés des mains voici belle lurette, celui-là décoiffe : le judaïsme un « a-théisme » ?
Trois temps, trois mouvements : l’enfance et l’adolescence oranaises ; le marxisme à la Roger Vailland libertin (ici, libre-penseur), mais en plus libertaire (là, moins stal') ; l’introspection spirituelle. Qui le porte à mentionner la Méditation grisâtre de Jules Laforgue (le gendre, et seconde digression, celui dont je recherche l’éloge funèbre prononcé par La Kollontaï). Cela vole parfois assez haut mais reste toujours dans l’accessible, l’ici et maintenant, et l’advenir. Guénoun ressuscité n’est plus tout à fait le même et il l’explicite. Mais cela n’a rien, mais alors rien à voir avec ces bouquins de convertis ressassant dans le prêchi-prêcha, le lève angélisme, l’extatisme béat.
D’accord, ce n’est pas tout à fait un livre de plage, mais je le relirai bien volontiers, mollement détendu à une terrasse… Je vais aussi le faire « tourner ». Pas mon exemplaire, un autre. Très utile, par exemple, aux parents ayant placé leurs enfants dans une école confessionnelle d’autre obédience que la leur (qu’elle soit monothéiste ou animiste, agnostique, voire limite anticléricale à débords). Et plus tard, à leur progéniture.
Embarqué par l’amie qui l’invite à Reims (5 octobre, bis), je suis allé une fois écouter Guénoun et d’autres, réunis pour parler de charité (au sens de partage, voire redistribution) : donc d’espérances déçues parfois, mais persévérantes, car il s’agissait très concrètement d’échanger à propos des attitudes à tenir dans les rapports avec les sans toit, avec ou sans loi (voire Loi, comme Guénoun l’explicite). Hic et nunc, sur le champ, au ras du bitume. Pas commodes, parfois, les gaillards (surtout quand vous êtes de leur nombre à une soupe populaire de l’Armée du Salut, par exemple, croyez m’en). Cette anecdote situe aussi l’auteur.
Une chute ? Et bien voilà : chut (interj.). Lire Guénoun et ne pas se laisser choir.
Et à propos : si déjà épuisé, les éditions Labor & Fidès réimpriment à la demande…

vendredi 26 juillet 2019

Roger Vailland au service des étrangers de la préfecture de police

Plus cela va, plus... : Roger Vailland fait la queue à la Préfecture de Police

Bon, je ne vais pas, pour chaque article de Roger Vailland, mettre en ligne un PDF. N'en cherchez donc pas infra. Mais cet article sur le service des étrangers de la préfecture de police, dans Paris-Midi daté du 19 novembre 1928, vaut bien d'être reproduit.
Voici peu, effectuant une recherche sur les « bals nègres », je tombe sur une caricature de la fin des années 1910. Il semble qu'avant le Bal Blomet (le Bal Nègre de Desnos), il en existait d'autres, des antérieurs peut-être plus informels, confidentiels, mais n'ayant pas échappé à la sagacité de la presse. Sur la même planche, la case finale montrait un Noir père de famille accompagnant son épouse française précédé d'une ribambelle de petits métis. La légende : dans 20 ans, tous les petits Français seront café au lait. Comme quoi, le « grand remplacement », cela ne date d'hier, ni, au siècle dernier, seulement d'avant-hier...
La queue pour obtenir une carte de séjour ou la renouveler en préfecture, ce n'est pas non plus très nouveau.
Voici donc le texte de cet article de Roger « Vaillant » (un de plus). C'est l'un des tout premiers de Roger Vailland puisque, grâce à Desnos, il intégra Paris-Midi en 1928. Ne manque, à la Prévert, qu'un Ratonné-Lessivé (citoyen de la balkanique Raton-Lessyvie, à la Hergé, comme la Transsubie de La Visirova).
* * * *
Au carrefour du monde
La Préfecture de Police est le rendez-vous des étrangers de Paris
La fille du pasteur, le nouveau-né polonais et le révolutionnaire indou
J'accompagnais ce matin-là mon amie Nancy Coogan, qui accompagnait son élève Mohamed Dahidulad à la Préfecture de police pour qu'il fasse viser sa carte d'étranger.
Nancy est Anglaise. Son père est pasteur. Voici sept ans qu'elle a quitté le cottage familial. Elle vit au Quartier Latin, en donnant des leçons d'anglais à des Français et des leçons de français à des Indous et à des Allemands.
Il y a une centaine de filles de pasteurs anglais au Quartier Latin.
Nous arrivâmes à la Préfecture de police. On faisait la queue le long des barrières de bois.
Tous les étrangers sont égaux devant la loi française. Le parfum à 200 francs le flacon de la divorcée américaine venue en manteau de ragondin, se mêle aux diverses odeurs qui se dégagent des couches du dernier-né de la femme d'un manœuvre polonais, pour constituer l'atmosphère unique au monde de la salle des étrangers de la Préfecture de police.
Un étudiant serbe, qui croit avoir perdu, grâce à son costume d'étoffe et de coupe anglaise, toute trace de sa provenance balkanique, sourit à l'Américaine au manteau de fourrure.
Mahumed (sic) Dahidulad attend sans dire une parole. Petit, barbiche noire, figure maigre, yeux brillants, c'est assez bien l'Indou des images d'Épinal.
Depuis deux ans, il prépare une thèse sur des textes sanskrits, et se perfectionne en français auprès de Nancy.
— Je suis parvenue à capter sa confiance, m'a-t-elle dit un jour. Il a fallu un an pour qu'il m'avoue qu'il déteste l'Angleterre et qu'il juge bon de venir en Europe « afin de s'éduquer et mieux pouvoir lutter contre elle. ».
» Moi, je lui ait dit que j'étais bolchevik.
» Alors le lendemain il m'a remis un devoir qui débutait ainsi : « Oui, je suis un révolté. Ô rois qui êtes assis sur vos trônes, tremblez ! Je porterais à travers les campagnes le flambeau de la destruction !... ».
— J'en fais ce que je veux, a conclu Nancy.
La divorcée américaine s'en va. Le petit Polonais pleure. Dahidulad attend patiemment son tour et la fin de la domination anglaise sur les Indes.
Roger Vaillant.
* * * * 
Bon, j'ai corrigé quelques coquilles, en ai peut-être commis d'autres, et je ne me relis pas... J'ai interraclé (zut, voici donc que Donald Trump déteint déjà sur moi) un (sic), omis de transcrire Hindou(s). Pas voulu accorder « étoffe », « coupe » et « anglaise(s) ».
Au passage, si mon ex-girlfriend étasunienne, fille de de pasteur, qui prodiguait des massages du côté de Saint-Germain sur un tabouret pliant, qui me rejoint à Reims et me plaqua à Grenoble, passe par ici : many kisses.
Mais on ménage comme on peut une transition, le temps de vérifier si le nom de Nancy Coogan apparut ailleurs dans la presse de l'époque. Eh bien non...
C'est effectivement un article de jeunesse : le seul personnage décrit physiquement étant le jeune Hindou alors qu'il y a au moins deux femmes dans la salle. Vailland se rattrapera amplement, détaillant à l'envie l'aspect vestimentaire et physique des femmes qu'il peut rencontrer par la suite...
Or donc les « barrières de bois » sont à présent en ferraille, les Hindous et autres citoyens de l'Inde sont moins nombreux que d'autres ressortissants d'autres pays, et on lit moins de nos jours Passage to India (d'E.M. Forster). Dahidulad aurait pu en être issu si Forster l'avait retrouvé de retour en Inde (nan, anachronisme, le livre sortit en 1924).
Cette Nancy (pseudonyme ?), bolchevique, puisque nous en sommes aux anachronismes, m'en évoque singulièrement une autre, Américaine de même, que Tania Visirova retrouva du côté de Saint-Tropez (ce n'est pas dans le feuilleton de Vailland, mais dans les mémoires de La Visirova recueillies par Maria Craipeau). Emma Goldman (anarchiste proche de Makhno et non de Lénine). Et puis aussi « la riche anglaise » cumulant les amants (autre article de Vailland, ultérieur). Nancy, des années plus tard, fournit-elle partie du portrait de cette Anglaise ?
Journalisme... La place est comptée à Vailland (p. 5, rubrique des spectacles, pour combler le pied de page sous le bloc publicitaire). Je me serai certainement (hum... pas à mes débuts) enquis de la marque du parfum de la dame en ragondin. Je serais allé voir le petit dernier de la Polonaise pour savoir combien il compte d'aînés. J'aurais embrayé sur un reportage sur les Hindous de Paris. &c. En fait, pas du tout. Tu ramènes de quoi fournir la copie au nombre de signes assignés et tu passes à autre chose. Un sujet chasse l'autre... Tu te dis : « tiens, c'est un sujet ». Puis l'agenda prend le dessus (les trucs à couvrir, assignés à l'un ou à l'autre).
Et très sérieusement, le « Dahidulad attend patiemment son tour et la fin de la domination anglaise » ne me serait pas venu. Or, cela, c'est aussi Vailland. Qui a certes commis des chutes passe-partout, convenues, mais là, chapeau l'artiste.
Dois-je vous remémorer que La Visirova et d'autres textes sont disponibles en libre-accès via ce blogue-notes ? Lesquels peuvent établir que si je joue le pion des retenues en salle d'études, je n'en reconnais pas moins le talent du confrère qui ne nous régalera plus aujourd'hui (tiens, on entonne encore un ala... lors des enterrements ; il m'étonnerait que cela dure encore dix ans — à moins que le mien soit ultérieur et la partition sera jointe au testament).
Journalisme... Bientôt, les patrons de presse exigeront que ne soit plus employé que l'étendue du vocabulaire d'un Donald Trump, histoire que le lectorat saisisse encore ce dont il sera question. Journalisme ? Ah non, élucubration d'éditorialiste : voyez supra la mention du « grand remplacement ». Le journalisme, ce n'est pas déblatérer sur des présupposés. Mais bon, ce n'est qu'un blogue-notes. Non tenu à la même tenue.
  





La famille Trump a la langue fourchue…


The Donald félicite un « enfant soldat »

Les dernières gaffes langagières de Donald Trump laissent entrevoir qu’il léguera un florilège de néologismes.

Avant-dernier exemple en date de l’inventivité sémantique de la famille Trump : Ivanka Trump saluant Bojo devenu Premier ministre de “The United Kingston” (dont le dauphin, selon son père est « le prince des Baleines », “of Whales”.
Mais on avait eu droit aussi aux « bourreaux légistes » (“lawmurkers” au lieu de “lawmakers”, soit législateurs). La dernière gaffe en date, c’est le tout aussi insolite “infantroopen”.
Le Donald saluait les mérites militaires de Mark Esper, son ministre de la Défense. Médaille de bronze et citation pour ses services dans le corps des enfants soldats à pied.
Le petit-fils d’Elisabeth Christ et Frederick Trump, tous deux natifs de Kallstadt en Bavière, semble avoir préservé des connaissances approximatives de la langue de Goethe. Laquelle emploie Infanterie pour désigner l’infanterie, mais aussi, plus rarement, dans des livres d’histoire, Fußtruppen. Ce qui reste usité en français dans le cadre d’un défilé (des troupes à pied et motorisées ; avec en tête, le 14 juillet, les polytechnicien·ne·s).
Voici donc Mark Esper ancien « bébé soldat » (et non cadet ou puîné d’un royaume ibère, à moins que le Donald se soit mis au castillan mexicanisé).
C’est quand même gênant, notamment pour discuter avec The Queen ou des chefs d’États anglophones sans avoir à recourir à une traductrice (même la traduction automatique resterait inopérante).
Ou c’est pire : qu’Ivanka Trump ait pu commettre un lapsus de saisie en tweetant, passe encore.
Mais là, Donald Trump s’exprimait oralement. Que les mots lui manquent, c’est patent. Son vocabulaire courant, hors domaine économique, est celui d’un gamin consanguin des sommets des Appalaches, un Hillbilly (vague « équivalent » : crétin des Alpes). Mais le fait qu’il ne domine pas le corpus restreint d’un Hillbilly laisse présumer qu’il n’ait plus toute sa tête. Ce n’est pas sa langue qui fourche, c’est son cerveau qui disjoncte.
Son niveau de langage a été estimé statistiquement par des linguistes : c’est celui d’un écolier de huit ans redoublant son Fourth-Grade et privilégiant les mots les plus courts (hell, ass, crap, win, sad…, et au-delà de quatre lettres, on peut s’attendre à tout).
C’est tout un champ d’investigation qui s’ouvre à la suite de l’ouvrage de Jennifer Sclafani, Talking Donald Trump: A Sociolinguistic Study of Style, Metadiscourse, and Political Identity.
Il semble qu’il n’y ait que l’intéressé à ne pas trop s’en rendre compte. Lors d’une allocution en Caroline du Sud, en 2015, il s’était auto-congratulé : « je connais les mots, j’ai les meilleurs mots ». À l’écrit, quand un mot dépasse quatre lettres, il en rajoute, comme avec ce fameux forrest (forest, forêt) ou en élide et brasse (peach pour speech). Ou il s’embrouille (agreemnet pour agreement).
Et selon les observateurs qualifiés, cela empire avec le temps. Les origines deviennent des oranges (si, il l'a fait). Il y a la sémantique, mais aussi la syntaxe. Elle était à peu près correcte jusqu’à la fin des années 1990. Depuis shlong (yiddish pour chibre) est devenu un verbe. J'te shlong, abruti.
Ses exploits recouvrent press covfefe (coverage, couverture de la presse). Il y a eu aussi my military (mon armée, mais sur le mode du « mon légionnaire » d’Édith Piaf). Quant aux toponymes ou noms de pays, on eut droit à la Nambie (Namibie) et à quelques autres.
Mais il dispose d’un truc qui lui permet de penser à la suite des propos qu’il improvise… Il prolonge la prononciation de la première voyelle d’un mot (looooser, moooron, Chiiiina). En revanche, son mot favori étant Trump après « je », il l’avale pour le placer le plus souvent possible.
L’ennui, c’est qu’à la longue, le cancre fait école… Et qu’une large partie de l’électorat étasunien votera pour celle ou celui « ki coz com nouzôt’ ». Du coup, l’opposition risque de se mettre à l’imiter… Et que cela s’étendra peut-être au monde entier. J’explique.
Lorsque les premiers films parlants américains furent diffusés au Royaume-Uni, les Britanniques ne comprenaient que peu (voire rien) des dialogues du fait du fort accent des acteurs ou doubleuses. Puis ils ont fini par adopter nombre d’américanismes. Imaginez l’effet boule de neige…
Bon, Bojo, issu d’Oxbridge, n’est pas déjà trop contaminé et son anglais reste compris à Bruxelles (la réciprocité n’est pas garantie : Boris Johnson comprend surtout ce qui lui convient). Mais imaginez la suite…
Bah, de toute façon, avec le réchauffement climatique, nous deviendrons toutes et tous avares de mots. Trop fatigant de s’étendre sur un sujet sauf dans un environnement climatisé… lequel contribue à l’effet, euh, non, pas boule de neige, mais bouffée étouffante.
Même « parler avec les mains » exigera des efforts. Bon, le vocabulaire s’appauvrissant, cela pourra durer un certain temps. Merci la famille Trump…



Roger Vailland et les « bals nègres »

Roger Vailland pas si disert que prévu sur les « bals nègres »

Je savais que Vailland avait fréquenté le Bal Blomet (de la rue où logeait Desnos), pensait qu'il l'avait évoqué dans « des » articles... et aussi les « bals nègres » en général. Bon, la chasse fut maigre : un billet davantage qu'un article... Je repartirai à l'affût. Mais j'ai quand même ramené dans ma besace un reportage de l'un de ses confrères (de L'Intransigeant) en trois volets.

L'ex-Bal Colonial (devenu « Bal nègre ») de la rue Blomet, et d'autres du même genre, recevaient certes la clientèle de Vailland. Mais à consulter des ouvrages et des sites, je m'étais formé l'impression qu'il en dissertait abondamment. Notamment, un extrait de l'un de ses articles est souvent repris par divers sites traitant du sujet : le jazz, les musiques afro-américaines, des Caraïbes, des Antilles... ; ainsi que de troupes de danseurs et danseuses. Le Swinging Paris des années 1920-1930.
J'ai bien retrouvé l'extrait en question « dans son jus » (un billet de Georges Omer, alias Vailland, signé des initiales G. O.) mais pas de quoi le poser en gentil organisateur des virées nocturnes qu'il semblait avoir été censé copieusement décrire.
La visite (la lecture du dit papier) vaut quand même de s'y attarder un peu. 
Mais j'avoue que restant sur ma faim, j'ai voulu en savoir davantage, et que ma curiosité a été surtout satisfaite par un reportage de Raymond Thoumazeau, de L'Intransigeant. Une fois n'est pas coutume, vous le trouverez à la suite de ce « Deux nouveaux bals nègres se sont installés à Paris ».
On ne peut juger de la prose journalistique de Roger Vailland avant-guerre (1928-1944) sans voir ce que publiaient Paris-Midi et Paris-Soir et les titres de la concurrence. Comparaison n'est toutefois pas raison (en gros, en qualité stylistique, Vailland l'emporte peut-être d'une courte tête sur Thoumazeau ; sinon, on reste sur sa faim, c'est mignardise contre plat de résistance).
Le sujet reste sensible : un bar lyonnais qui voulait ouvrir à l'enseigne de La Plantation coloniale s'est vu récemment contraint de renoncer. Vais-je devoir surveiller si mes thés de La Compagnie coloniale (une adresse pour en trouver en vrac du côté du bout de la rue de Rennes, vers Montparnasse ; sinon, il faut commander en ligne) changeront d'appellation après 170 ans de loyaux services ?
Je fus « nègre », me voici désormais « prête-plume » (retraité, mais actif bénévole). Si, c'est officiel... On retouche déjà les films et les photos pour que n'apparaissent plus de pipe, cigare ou cigarette (va-t-on faire numériquement mâchouiller des Malabars au commissaire Maigret ?), devra-t-on retoucher des textes pour faire apparaître « n...* » (l'astérisque renvoyant à « prête-plume », ce qui aura l'avantage de plaire peut-être à nos consœurs hésitant à employer « négresse » comme Senghor). Pour l'infanterie et l'artillerie coloniales, j'ai admis (cela devenait tartignole), pour le reste, eh bien, j'aviserai. Au fur ou à mesure. Dommage, avec des « Afro » de rencontre, je pouvais lancer un « mais j'en suis un autre. ».  
Je ne sais quand on a cessé d'employer « bal nègre ». Pas déjà en 1940 en tout cas (voir la lettre de Sartre à Wanda Kosakiewicz : « samedi soir, jour de bal nègre (...) je pensais que tu étais en train de danser la rumba avec les nègres, que tu étais dans ton monde nègre, ce monde rougeoyant et sensuel... »). Il doit certes en subsister sous d'autres appellations actuelles mais je me demande quand, a l'occasion de la fermeture (ou de l'ouverture pour un dernier en date) d'un établissement, on employa pour la dernière fois « bal nègre ». Vers les années 1950 ?
J'imagine (ce n'est plus tout à fait de mon âge de faire le tour des boîtes, ou plutôt, cela ne m'amuserait plus guère) que les « boîtes de nuit afro » (ou afro-antillaises) peuvent s'apparenter à ces établissements (sauf que, souvent, il s'agissait de bars-restaurants où l'on dansait). Et puis, la « musique du monde » a un peu tout envahi. Les temps ont sérieusement varié.
En témoigne aussi ce petit écho, non signé, de Paris-Soir, sur la rue de Lappe, où, en avril 1931, la java et la biguine, adoptées par « les gens du monde » ont aussi obtenu « la faveur des gens du milieu ». Entendez, des apaches et leurs compagnes du moment. À présent, je nourris la confuse impression, pas vraiment fondée sur une mise à jour récente, que ce serait plutôt ambiance « branchouille ». Le temps est révolu où, en arrière-cour de la rue de Lappe, on pouvait manger pas cher du tô et du mafé en s'asseyant sur des bancs. Sans avoir l'air de débarquer de la planète Mars... Je ne sais si c'est encore possible du côté de Château-Rouge sans avoir montré « patte blanche » (avoir fréquenté un temps le quartier, être un visage pâle vaguement déjà repéré).
For the times, they are a-changin', qu'il chantait Bob Dylan.
Cela étant, comme je ne me suis pas rendu sur place pour vérifier, ne prenez pas ces propos pour argent comptant. 


mardi 23 juillet 2019

My Goodness! Les Trump tweetent plus vite que leur sombre

Donald & Ivanka Trump : le Prince of Whales succède à la couronne de l'United Kingston

Lucky Luke tirait plus vite que son ombre. The Donald et fifille tweetent plus vif que leur sombre maîtrise de l'orthographe...


Jusqu'à présent, ce blogue-notes ne « pipeulisait » pas. Là, ce fut plus fort que moi. Désolé...
Or donc, après le prince des baleines (pas les stretchers, les cows — fig. — et je n'ai pas retrouvé la traduction de ces autres, de parapluie, de corsets, de cols de chemise), voici le Kingston uni (pas écossais, jacquard, prince de Galles).
Mais jusqu'où iront-ils ? 
Les Trump père et fille.
Je ne veux accréditer la présomption qu'ils manient mal l'orthographe (quoique... The Donald, voyez un peu ses crédits académiques : plus doué pour les sports que pour les humanités).
Or donc, Bojo, le Boris-bis (aussi tonitruant qu'un Eltsine, vain et vaseux imbibé de vodka), le Trump-like, se voit « felliciter » (félicité) par Ivanka Trump pour avoir pris les reines, euh, les rênes, du Royaume-Uni. De mettre le mors aux rennes pour que l'Auld Alliance ne réunisse pas le chardon écossais au continent.
Ce qui succède au tweet de Dad, se disant à tu à toi avec Charly (pas le toutou de Steinbeck, Charley), mais le Tywysog Cymru.
Voici donc un coup de baleine porté à l'unité de la pierre angulaire de... Que l'on se rassure, Her Majesty n'a pas de prostate, et les reins solides. N'y voyez donc pas le moindre calcul de la part de ces descendants de Germains comme elle-même.
Nous en sommes-là. Un ado attardé, Donald Trump, sa fifille qu'il pousse sur les devants et dessous de la senne internationale (grouillante de requins, d'espadons...), à chaque sommet (sous-marin), postant à la va-vite. Sans prendre la peine de cacheter. Impulsifs. Expédiant leurs poulets au monde entier, à des millions de suiveuses et suiveurs. Caquetant à l'envie.
Ô sombres héros de l'amer... Partant joyeux pour des courses lointaines répercutant au ixième de seconde leurs insanités aux antipodes.
Les bras m'en tombent (et partant, mes doigts du clavier). Sans autre commentaire...


Roger Vailland avait « pigé » (et sur...) la cloche

Roger Vailland avec les clodos d'août 1928

Certains ne passent pas l'hiver, pour d'autres, c'est l'été...  Les pères Corps et Bard, deux clochards, n'ont peut-être pas vécu l'automne. Ne subsistent sans doute de leurs mémoires que ces deux articles de Roger Vailland parus dans Paris-Midi. Articles de prime jeunesse, moins mineurs qu'il y paraît...
Dans un premier temps j'avais considéré que je ne consacrerai pas un document (voir le lien vers le PDF, infra) à ce « mini-reportage » de Roger Vailland (encore une fois signé Vaillant par les compositeurs). Dans un second mouvement...
De même, mouvant mon curseur vers l'icône du logiciel de mise en pages, m'étais-je promis de rester factuel, de ne pas faire état de mes souvenirs. Puis, comme l'apôtre Pierre, par trois fois...
Et ci-dessous, de quatre. Est-ce par pudeur que je n'ai jamais commis un seul reportage sur les biffins, les clopinards ? Ou du fait d'une inavouée angoisse (celle que sut vaincre le roi Salomon d'Émile Ajar, signant l'ultime roman de Gary) ? Que l'on fut ou non chemineau, on n'écrit pas sur la cloche de même manière.
Vendant à la criée l'International Times et le Black Dwarf, j'ai survécu à Londres dans les années 1967-1968... Ramenant à l'occasion un plein sac de grains de maïs n'ayant pu ou trop mal éclater aux autres beatniks se massant autour de la statue de Piccadilly Circus. Je n'ai mendié qu'une seule fois, à Milan, de retour du Moyen-Orient, et pas longtemps, juste le temps d'avoir de quoi manger sans entamer la seule livre sterling nous restant, à Curcuru et moi. Finalement, j'ai pu atteindre Paris avec, au fond d'une poche, une pièce de cinq ronds (une Lavriller, en alu, valeur de l'époque : un roudoudou ou un carambar).
Puis ce fut Strasbourg, et la criée du Monde devant le F.E.C. (le  restaurant universitaire). Et un autre père Corps, moins érudit, certes, mais aussi moins démuni, ex-gradé retraité, qui avait choisi cette vie, et en mourut sous les coups de poivrots en voulant à son kil de rouquin (Goulou, Kiravi ? j'ai oublié). Nous conversions parfois longuement, de l'actualité du jour ou de tout autre chose.
J'ai aussi traîné aux États-Unis avec quelques anciens du Nam à la dérive.
Puis Paris... Les copines russes en galère, parfois sans toit jusqu'à ce qu'une compatriote libère un lit juste en-dessous. Moussa le Stanbouliote, décédé depuis peu (pratiquement aucun échange hormis des signes de tête), du Sentier Turc (ou de la Petite Turquie, comme on voudra). Le Serbe... Lui reste propre, on peut échanger une poignée de mains. Il est remonté rue de Paradis.
La rue. Mais aussi les combles. Ces enfilées de lots de greniers séparés par des cloisons de planches à claire-voie tapissées d'affiches, de journaux superposés, à l'étanchéité sonore nulle, ce qui fait qu'on perçoit l'eau tirée au broc, celle de la chasse, les pleurs des mioches, les claques balancées aux plus grands ou entre adultes. Ou le matelas dans le couloir, à un étage inférieur, parce que les tiques de lit sont devenues trop nombreuses dans le galetas. J'en étais déjà préservé de longue date.
Non, on n'écrit pas la mouise de la même manière, et partant, on ne lit pas Down and out (Dans la dèche... d'Eric Blair-Orwell), on ne commente pas ces deux évocations de clochards par Roger Vailland, selon que l'on fut ou non misérable.
De Pierre Minet (ci-dessus, Des Âges téméraires) percevant la montée coassante de la voix avinée d'un clochard de la porte Saint-Ouen...
« Je sentis que magiquement, incompréhensiblement, j'aillais devenir un être nouveau, pétri d'angoisse, le cœur blême, prêt à s'engager dans ce quartier misérable dont il serait le dieu, l'incarnation errante. » (La Défaite : confessions, paru en 1947).
L'autre jour, devant la gare Montparnasse, un vendeur ambulant proposait des livres « gratuits » de jeunes ou moins jeunes auteurs peu connus. Alentours, vers 1927-1928, Minet déclamait des poèmes aux terrasses puis exigeait dix francs pour faire bombance.
Et Adamov, donc. C'est pour l'extraire au moins un temps de la précarité que Jean-Marie Boëglin le convia à Reims sous un prétexte quelconque, lui offrant gîte et couvert, et parvenant à s'en faire accompagner jusqu'au festival de la Loreley, en 1951. Minet et Adamov tapaient les potes, dont Lumbroso et sans doute Roger Vailland. Fils de riches, Arthur. Mais souvent très désargenté, créchant chez l'un, chez l'autre, ou en des hôtels sans étoile (jusqu'en 1967, il resta, connaissant des hauts et des bas, sans véritable domicile fixe). Et puis, Henry Miller débarqua à Paris en 1928. Edmond Buchet qui fut l'éditeur de Vailland (et l'un des ses voisins au Vésinet), évoquera Miller se remémorant « ses expériences de clochard et de mendiant ». 
Je ne saurais dire (ou même penser) si Vailland voyait en eux de futurs pères Corps (et s'il rencontra ou non Miller à cette époque, mais ce n'est pas impossible).
À trop vouloir lire entre les lignes, on finit par écrire des âneries. En voici un copieux échantillon dans ce « Quand Roger Vailland emménageait à la cloche de bois... ». J'ose même laisser présager que Vailland, qui vécut un temps très chichement avec Lisina Naldi (il se rattrapa copieusement après La Loi), aurait confusément pressenti qu'il se sustenterait d'escargots et de champignons. Certains osent tout, j'en suis. Bah, si la littérature se permet n'importe quoi, pourquoi la sous-littérature ne se l'autoriserait pas ?
Et parfois, subrepticement, à la lecture d'autres articles de Vailland, je m'interroge. Il lui fallut longtemps pour se réconcilier avec le journalisme, et se muer en un autre journaliste, en 1944. Auparavant, il s'autorisa beaucoup.
Ici, il ne triche pas. Sauf peut-être avec lui-même. Il n'allait quand même pas conclure, dans Paris-Midi, avec un « partagez la chopine avec les damnés de la Terre ». Peut-être s'en était-il muni et bût-il au goulot pour favoriser les confidences. Au moins, je le crédite d'avoir risqué de choper des totos dans ces cafés où l'on pouvait s'assoupir sur une table (à cette époque, « pucier » et « clochard » restaient synonymes) jusqu'au petit matin et l'heure du coup de balai et torchon.
Boulevard Bonne-Nouvelle, de temps à autres, un clochard hébété de sommeil et de libations offre la vue de son postérieur dénudé. Allongé au travers du trottoir, il a « fait sous lui ». Dans un coin proche, un plus jeune et plus malin était parvenu à ériger une sorte de duplex de toiles, cartons, palettes, chariots Caddie®™. Insolite édifice. Si Christo l'emballeur concédait quelques bâches aux sans-logis, l'art s'éparpillera vite dans Paris.
Vailland s'intéressa peu aux galériens du pavé par la suite... Il mentionna toutefois « les clochards de la place des Patriarches », ceux du temps où il habitait rue Mouffetard, en voisin de palier de Charles Péguy. Mais il prêta sans doute main secourable à divers « clochards célestes » (dont Joyce Blau, amie d'Henri Curiel). Il laissa aussi de quoi fournir de la matière au spectacle Assommons les pauvres (de la troupe Rise People, textes adaptés par Évelyne Pieiller).
Peu à voir avec le schlimblick : en janvier 2013, le corps d'un homme de 57 ans fut découvert dans un box à l'abandon de la rue Roger-Vailland à Sainte-Geneviève-des-Bois. Il aurait pu trépasser en un meilleur hospice, sa vie lui échappa sous de posthumes auspices. 

lundi 22 juillet 2019

Bojo (Boris Johnson) Premier ministre d’un jour ?

Boris Johnson, un premier ministre intérimaire...

« Reine d’un jour », c’était l’émission de Jean Nohain sur RTL en 1951, puis le film homonyme de Marion Vernoux en 2001. Quant à Bojo, Boris Johnson, ses quarts d’heure de célébrité cumulés, depuis 1987, lui vaudront sans doute, demain, une entrée au 10 Downing Street. Mais son bail pourrait expirer le lendemain…
Plus personne ne conteste que le corps électoral conservateur (0,3 % de l’ensemble national) se prononcera majoritairement demain pour investir Bojo afin de remplacer Theresa May…
Mais il lui faudra trouver un autre voisin pour le 11 (résidence du Chancelier, ministre des Finances et du Budget, numéro deux du gouvernement).
Et des remplaçants peu expérimentés pour de‌ multiples postes ministériels. Dont, depuis aujourd’hui, celui du Foreign Office. L’actuel titulaire, sir Alan Duncan, vient d’annoncer qu’il rendra ses clefs si Bojo devient Premier ministre…
Ce n’est ni le premier, ni, allez savoir, le dernier avant ce soir…
Mais, en sus, même si des députés conservateurs ne passaient pas dans le camp des LibDem (les libéraux-démocrates), il risque de se retrouver aux Commons avec une majorité d’une voix seulement… Celle de Theresa May était de quatre, mais Charlie Elphicke (Dover) pourrait jeter l’éponge, renonçant à se représenter la semaine prochaine lors d’une élection partielle.
Bref, le risque est grand (immense serait approximatif, mais dans quelle mesure ?) que Boris Johnson soit le Premier ministre « d’un seul jour » ou, tout du moins, le plus éphémère de toute l’histoire du royaume. Soit depuis 1700 (le titre n’existant pas auparavant). Le précédent record était détenu par George Canning (119 jours, en avril-août 1827). Pour des raisons similaires : ni le duc de Wellington, ni sir Robert Peel ne voulurent entrer dans son gouvernement et le casse-tête conduisit à sa mort subite le 8 août…
Qu’on se rassure, Bojo survivra, peut-être chenu en ses pantoufles.
Mais s’il survit au 10, ce sera entouré de ministres sans grande expérience et Alan Duncan ne se cache pas de vouloir l’en sortir. Dès demain, il présentera une motion devant les Commons en procédure d’urgence.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une motion de censure French style, puisque la décision finale reviendra à Sa Majesté la Reine. Si le speaker (John Bercow) acceptait qu’elle soit mise aux voix (c’est exclu, semble-t-il), si elle aboutissait à un vote de défiance contre l’impétrant, il appartient à Theresa May de recommander ou non Bojo à Elisabeth, de lui suggérer un autre nom. La souveraine décidera… souverainement. En fait, la situation serait inédite et on ignore même si Her Majesty devrait se prononcer sur le champ ou prendre tout le temps de réflexion lui semblant nécessaire. Cette option semble exclue, mais elle donne l'ambiance.
Cela aurait pu offrir le temps à Bojo de réfléchir à l’opportunité de mettre en vente sa résidence privée (pour un peu moins de quatre millions d’euros).
Prime naked
Selon le Daily Mail, six autres députés conservateurs envisageraient de passer aux LibDem, Quant aux ministres, après celui des Affaires étrangères, des Finances, et de moindres détenteurs de portefeuilles, comme celle de la Culture (ou équivalent), ceux de la Défense, de la Santé, et quelques autres, dont celui délégué à l’Énergie ou au Commerce extérieur, se tâteraient.
Bref, c’est un lit « en portefeuille » (comme ceux des bleus du temps de la conscription) qui attend Bojo au  10. Aura-t-il le temps de s’en apercevoir ?
Même s’il se maintenait un temps, il lui faudrait, soit se renier (et demander à ce que la date butoir du 31 octobre soit repoussée), soit obtenir des chefs d’État de l’Union européenne un petit quelque chose n’ayant pas été arraché par Theresa May pour ne pas perdre tout à fait la face.
Or pour négocier, il faut être deux, et à peu près de force égale. Un Boris Johnson trop peu assuré de ses arrières pourrait être accueilli par une indifférence polie à Bruxelles : cause toujours… ta tête est malade, ton postérieur breneux, et on bâton mouscaille...
S’il peut se maintenir, il viendra sans doute faire de la figuration à Biarritz, le 24 août, lors du sommet du G7… Les 17-18 octobre se tiendra celui du sommet européen. Avec lui en coulisse, sans même un strapontin.
Et son maintien dépend essentiellement de la position du parti loyaliste d’Irlande du Nord, le DUP (le Parti unioniste démocrate). Mais le DUP ne veut pas du rétablissement de mesures douanières strictes de la part de la République d’Irlande.
Ce même jour, la chambre haute, les Lords, a appuyé l’amendement des Commons stipulant qu’un Brexit dur (Hard Brexit) ne pourra entrer en vigueur sans leur accord.
Duncan considère que Bojo “flies by the seat of his pants” (improvise, ne réagit qu’en fonction de son inspiration de l’instant, voire fonce tête baissée sans trop savoir s’il risque des bosses ou pire). Boris Johnson est effectivement imprévisible, un Trump-bis, mais Duncan lui souhaite cependant bonne chance…
L’ennui, c’est que les gouvernements de l’Union européenne et le britannique sont en train de dépenser des sommes considérables à tenter de se préparer à un Brexit qui, de toute façon, coûtera tant au « Continent » qu’aux Îles (qui pourraient se fracturer si l’Écosse, le Pays de Galles, voire… prenaient le large). Le Continent reste isolé par le brouillard, mais n'en a cure.
Dès l'annonce de la nomination de Bo Swinson, la nouvelle cheffe de file des LibDem, le SNP (Scottish National Party) l'a enjointe de ne plus se compromettre avec les conservateurs. La question est de savoir si de nouvelles élections générales se profilent... Dans ce cas, la date butoir du 31 octobre serait sans doute repoussée. Jusqu'à quand ? Lassant et frustrant...  Fare away, Britannia.

dimanche 21 juillet 2019

Roger Vailland et les femmes : Alexandra Kollontaï

Roger Vaillant (Vailland) admiratif devant la soviétique Shura Kollontaï

Ce n'est certes pas pour relever une fois de plus que des articles d'envergure de Roger Vailland furent signés « Vaillant » que je reproduis celui de Paris-Soir consacré à Alexandra Kollontaï (Kolontaï dans le titre). Mais ce portrait de femme d'exception, qui manquait à ma recension, vaut d'être examiné de plus près.
Il a été diverses fois considéré que Roger Vailland se montra sensible aux thèses et aspirations du Front Populaire. Mais considérer que cet article sur la diplomate soviétique Alexandra Kollontaï marque une esquisse de son orientation vers le Parti communiste et le « camarade Staline » serait aller vite en besogne. Le site du Maitron ne va pas jusque là, mais peut laisser penser qu'effectivement, Vailland se distingua de ses confrères de la presse non-communiste.
Est-ce si patent ? Pas vraiment. Le destin d'Alexandra Kollontaï lui valut d'autres articles parfois élogieux dans des titres peu susceptibles d'épouser les thèses soviétiques. Mais il est vrai que le personnage fut parfois brandi tel un épouvantail ignominieux en d'autres. Cela étant, je gage que si Vailland s'était intéressé à une fasciste d'une telle trempe, Italienne ou Allemande, il aurait pu se trouver des commentateurs pour lui attribuer des penchants favorables aux composantes de l'Axe.
« La Vie prodigieuse d'Alexandra Kolontaï » parut dans une édition dominicale (diffusée dès le vendredi 28 janvier 1938), et il s'agit d'un sujet « magazine ». Annoncé en page une entre d'autres (Marie-Antoinette, le général Gamelin promu Grand Connétable de France...). Ce qui implique un certain style, d'ailleurs conforme à celui de confrères d'autres titres chargés de tels sujets. Le trait est toujours quelque peu forcé, qu'il s'agisse de grandes criminelles, d'actrices ou artistes, ou de femmes en vue pour d'autres raisons.
Cette fois, je me suis préservé de ratiociner, de traquer l'anachronisme, l'omission, l'exagération, l'approximation. Aussi parce que la vie d'Alexandra Kollontaï fut amplement documentée par des historiens scrupuleux et que le lecteur curieux pourra rectifier de lui-même si l'envie lui en prend. Inutile de faire minutieusement la part des choses... Toutefois, par acquis de conscience, je me rapporterai à des sources russes et autres (mais vous épargnerai les résultats de ces recherches).
Ce qui est frappant, c'est le peu de fiabilité de la presse de ces années-là. À deux ans de distance, Philippe Harencourt, du Petit Parisien, reprend (édition du 7 avril 1940) des éléments douteux visiblement pompés dans l'article de Vailland. Il invente sans doute d'autres dialogues vraisemblables, cohérents avec les propos que Vailland prête à son héroïne, laisse presque entendre qu'il l'aurait rencontrée à Genève (à la SDN), et ne semble pas davantage que son prédécesseur avoir pris le soin de consulter les mémoires d'Alexandra Kollontaï (traduites vers le français d'assez longue date).
Au moins ne reprit-il pas à son compte qu'il avait été envisagé de nommer l'ambassadrice à Pékin (prétexte peut-être imaginaire pour raccrocher l'article de Vailland et Henri de Val à l'actualité ; on l'avait aussi donnée, à tort, pressentie pour représenter l'Urss à Paris).
Afin de vous laisser poursuivre, qu'il me soit pardonné une nouvelle d'entre mes habituelles digressions. M'étant penché sur le théâtre de la décentralisation (les premiers centres dramatiques nationaux, &c.) et les maisons de la Culture françaises, je m'étais étonné du peu de cas fait des « Palais de la culture » soviétiques (ou des théâtres ambulants de la République espagnole sur lesquels Vailland avait pourtant attiré l'attention). Alexandra Kollontaï fut pourtant une figure féministe de tout premier plan dont diverses composantes se souvinrent dans les années 1970 à 2010. Puis vint la mobilisation pour obtenir que la pénalisation des clients (je n'ai jamais vu employer « client·e·s ») de la prostitution — à laquelle elle s'était déclarée opposée – et là, soudain, plus question de se référer à Shura Kollontaï. L'historiographie et ses méandres...
J'ai négligé, dans le document signalé supra, de préciser que la nouvelle dont fait état Vailland, mettant en scène Olga et sa fille Genia était issue de L'Amour des trois générations, publié en 1923 en compagnie de deux autres récits : Les Sœurs et Vasilisa Maygina. Elles avaient été traduites vers l'allemand sous le titre général Wege der Liebe (Chemins de l'amour) et des extraits étaient parvenus à la presse française puisque Serge de Ghessin, dans Les Nouvelles littéraires du 22 novembre 1924, dans son article « Les Garçonnes rouges » détaille le récit d'Olga, du camarade Riabkof, de sa « grande jeune fille de dix-sept ans ». Genia déclare à sa mère : « Nous ne t'enlevons rien : Riabkof t'adore toujours. Veux-tu vraiment lui interdire d'avoir un peu de plaisir en dehors de toi ? ». Vailland a donc condensé le dialogue que de Ghessin développa. Mais il s'abstient de reprendre à son compte la conclusion de son confrère : « Mme Kollontaï a beau être une grande amoureuse : elle n'éprouve que du mépris pour le sexe fort, dispensateur d'émotions passagères et agréables » ; et les hommes sont le maillon faible du bolchévisme, s'enbourgeoisent, « sombrent dans le vice, la concussion, l'opportunisme » en « révolutionnaires nantis et repus » entretenant des « donzelles bourgeoises ». 
Sur Alexandra Kollontaï et la Russie des années 1920, on lira avec intérêt les « Cinq semaines à Moscou » de Louis Weiss, la rédactrice en chef de L'Europe nouvelle (n⁰ 51, 17 décembre 1921), en accès libre sur Gallica, en particulier le chapitre 7, « Les idées d'Alexandra Kollontaï ». Il ne serait pas improbable que Vailland l'ait lu (soit adolescent, soit par après). Il est certain qu'il en savait davantage sur Kollontaï qu'il le laisse entendre, ne serait-ce que parce qu'il fut aussi (sous pseudonyme) chargé de la politique étrangère, qu'il avait postulé pour devenir correspondant à Moscou.
Mais en Vailland coexistent deux journalistes. Celui qui traite soigneusement des dépêches, s'informe de l'actualité internationale. Et celui qui doit retenir l'attention du lectorat avec du pittoresque. Et avec Alexandra Kollontaï, il ne s'attache qu'à cela : une femme de cran, de panache, haute en couleur. Dans ce cas, l'exactitude dans les détails lui importe moins que le portrait général qu'il brosse à sa guise et saura captiver lectrices et lecteurs.