Deux misanthropies s’affrontent aux États-Unis
Si je m’intéresse d’aussi près aux suites de l’élection étasunienne, c’est que j’estime que le climat instauré outre-Atlantique finira par envenimer la perception française des enjeux politiques. Pure hypothèse, mais déjà esquissées par diverses prises de position.
J’ai déjà évoqué ici le Comité Trump France, bien aligné sur les déclarations de Trump quoi qu’il puisse dire. Et puis, récemment, j’écoutais une intervention de Linda Kebab, syndicaliste policière, soutenant en substance que certains manifestants et groupes plus ou moins coordonnés étaient constamment motivés par des militants d’extrême ou ultra-gauche, calquant argumentations et méthodes sur les exemples venus d’Amérique du Nord. Bref, exacerbant la victimisation afin de justifier les violences illégitimes dont les policiers sont les victimes. Cela me semble encore quelque peu exagéré, à moins, bien sûr d’assimiler tous les militants actifs de La France insoumise et d’autres formations à cette ultra-gauche haineuse. Et pourquoi pas aussi la Défenseure des droits et toute personne employant l’expression violences policière en lieu et place de violences illégitimes ?
On n’en
est pas tout à fait déjà là en France, mais, en me plongeant chaque jour dans
les médias proches de l’extrême-trumpisme (Oann, Maxnews, d’autres, et parfois
même The New York Post, ou même Fox News tentant d’enrayer la
désaffection de son audience trumpiste), je conçois fort bien que certains
paupérisés veulent chaque jour leur dose de Trump et consorts.
Lesquels
ne font pas dans la dentelle. Je viens de tomber sur un écho dans TheHill (respectable
quotidien de Washington D. of C.). Un avocat de la campagne républicaine, Joe di
Genova, soutenant les allégations de fraude électorale s’en est pris à
Christophe Krebs, ex-fonctionnaire viré par Trump pour avoir dit et redit que la
fraude électorale était restée très marginale, voire quasiment inexistante. Joe
diGenova ne se contente pas de qualifier Krebs de crétin car il devrait être
incarcéré à l’isolement avant d’être tiré de sa cellule à l’aube et « passé
par les armes » (shot). Cela s’inscrit dans la volonté de Trump
d’autoriser les pelotons d’exécution pour les peines capitales. Un pasteur de
Floride, Rick Wiles, sur TruNews, a souhaité que tous les « traîtres »
(démocrates, journalistes, libéraux « à la solde du parti communiste
chinois », soient alignés dos au mur et fusillés. Ce qui semble sûr, c’est
que, très progressivrment, la Trumpland considère que Krebs et des républicains
timorés ne se ralliant pas aux visées de Trump lui en veulent personnellement,
forment un État profond lui étant fondamentalement hostile qu’il faut donc éradiquer,
physiquement au besoin. Des républicains modérés reçoivent des menaces de mort,
et comme en Géorgie, finissent par accorder quelques concessions réclamées par
Trump et son équipe.
En face,
on chauffe aussi les salles. Le candidat démocrate au Sénat en Géorgie est un
révérend baptiste afro-américain, Raphael Warnock. Il aurait (le conditionnel s’impose,
forte mise en garde) déclaré à ses ouailles, en 2019, que quand le crack se
répandait parmi les communautés « noires et brunes », on
tirait dans le tas, mais depuis que les morts en surdose d’opioïdes ou de méthadone
font des victimes parmi « les blancs et les banlieues », tout soudain,
cela devient « un problème de santé publique ». Proche de
Bernie Sanders, Warnock lie aussi spiritualité et anti-consumérisme et dénonce les
pasteurs de toute couleur qui soutiennent que placer sa confiance en Dieu permet
d’avoir à crédit une plus belle maison et une plus puissante voiture que celle
du voisin. C’est totalement inacceptable pour la Trumpland qui voit dans l’étalage
de meilleurs produits le juste fruit d’un dur labeur qui serait amélioré si
affranchi du poids des aides sociales. Air connu et souvent repris en France.
Nul besoin de descendre « à la halle », soit au coin du bistrot du
coin pour l’avoir entendu. De même, l’expression « racisé » a
envahi les médias français. On ne peut nier aussi que, parfois, le mouvement
BLM se pose ici ou là en comités d’auto-défense légitimes à leurs propres yeux
et que les démocrates ont à l’occasion minoré l’ampleur (exagérée par l’autre
bord) des incendies et des pillages. J’ai tenté de remonter aux sources des
propos du pasteur démocrate et je n’ai abouti qu’à des sites proches de Qanon
ou Breitbart et consorts. Il se pourrait donc que de tels propos lui aient été
prêtés a posteriori, d’autant que la page FB de sa congrégation, l’Ebenezer
Baptist Church est un peu trop fournie pour rechercher efficacement. Mais cela
peut sembler crédible quand on retrouve un imam prêchant dans cette église en évoquant
Malcom X (un ex-délinquant devenu pasteur ayant organisé une milice) et
dénonçant la surpopulation carcérale en tant que méthode de réprimer une ou des
communautés. Le parti démocrate comprend une tendance, ou courant plutôt
radical qui ne s’exprime pas qu’à demi-mots.
Les maux
de la société étasunienne sont exacerbés de part et d’autre. Difficile de déterminer
qui a commencé à chauffer la base républicaine, entre Newt Gringrich et d’autres,
antérieurs, mais il est sûr que Trump a su capter l’adhésion d’une fraction
ayant des racines fort profondes. En face, sans remonter aux United Workers of
the World des années 1870, ou antérieurement, de fortes influences imprègnent
certains démocrates. Sont constatées à présent des surenchères. Chaque camp se
persuadant d’une oppression subie et de détenir la manière de protéger les
libertés fondamentales. Les excès des uns autorisant ceux des autres. D’autant
que, pour les plus populaires des excessifs, cela peut finir par rapporter gros.
De manière
encore sous-jacente, des causes similaires peuvent produire des résultats voisins
en France. D’autant que, sans tomber dans le complotisme, cela peut favoriser
des bénéficiaires extérieurs.
Le
conseiller spécial Robert Mueller, en charge de tirer au clair l’interférence
russe dans l’élection de 2016, laisse à présent présager que la Russie a
soutenu indirectement Sanders contre Clinton et contribué à discréditer les
adversaires ou concurrents de Trump. Sanders vient de condamner cette
interférence russe. RT France et Sputniknews en français jouent une autre
partition, plus discrète.
La part
franchement trumpiste (hors milices suprématistes) s’efforce de fédérer
diverses communautés, afro-américaine, latinx, et même gays pour Trump, chrétiens
divers, &c., sans s’affirmer ouvertement racialiste et même au contraire. Les
démocrates ont la même stratégie. Cela tourne à une sorte de misanthropie
généralisée, l’adversaire (externe ou interne) étant plus ou moins fortement démonisé.
Sans rien
exagérer, on peut admettre qu’une telle désagrégation puisse servir divers
intérêts, endogènes et exogènes.
Et cela
marque aussi le regard que les Étasuniens portent sur le reste du monde. En a
témoigné l’interprétation de la laïcité française estimée à visées antimusulmanes
(de manière plus ou moins explicite ou carrément délibérée). Cela peut sembler ici
dérisoire, mais il ne faut pas si longtemps pour que la vision dominante de l’extérieur
influe sur l’opinion qu’on se forme de soi-même.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire