mardi 1 décembre 2020

É.-U. : démocrates & républicains, deux victimisations

 Deux misanthropies s’affrontent aux États-Unis

Si je m’intéresse d’aussi près aux suites de l’élection étasunienne, c’est que j’estime que le climat instauré outre-Atlantique finira par envenimer la perception française des enjeux politiques. Pure hypothèse, mais déjà esquissées par diverses prises de position.


J’ai déjà évoqué ici le Comité Trump France, bien aligné sur les déclarations de Trump quoi qu’il puisse dire. Et puis, récemment, j’écoutais une intervention de Linda Kebab, syndicaliste policière, soutenant en substance que certains manifestants et groupes plus ou moins coordonnés étaient constamment motivés par des militants d’extrême ou ultra-gauche, calquant argumentations et méthodes sur les exemples venus d’Amérique du Nord. Bref, exacerbant la victimisation afin de justifier les violences illégitimes dont les policiers sont les victimes. Cela me semble encore quelque peu exagéré, à moins, bien sûr d’assimiler tous les militants actifs de La France insoumise et d’autres formations à cette ultra-gauche haineuse. Et pourquoi pas aussi la Défenseure des droits et toute personne employant l’expression violences policière en lieu et place de violences illégitimes ?

On n’en est pas tout à fait déjà là en France, mais, en me plongeant chaque jour dans les médias proches de l’extrême-trumpisme (Oann, Maxnews, d’autres, et parfois même The New York Post, ou même Fox News tentant d’enrayer la désaffection de son audience trumpiste), je conçois fort bien que certains paupérisés veulent chaque jour leur dose de Trump et consorts.

Lesquels ne font pas dans la dentelle. Je viens de tomber sur un écho dans TheHill (respectable quotidien de Washington D. of C.). Un avocat de la campagne républicaine, Joe di Genova, soutenant les allégations de fraude électorale s’en est pris à Christophe Krebs, ex-fonctionnaire viré par Trump pour avoir dit et redit que la fraude électorale était restée très marginale, voire quasiment inexistante. Joe diGenova ne se contente pas de qualifier Krebs de crétin car il devrait être incarcéré à l’isolement avant d’être tiré de sa cellule à l’aube et « passé par les armes » (shot). Cela s’inscrit dans la volonté de Trump d’autoriser les pelotons d’exécution pour les peines capitales. Un pasteur de Floride, Rick Wiles, sur TruNews, a souhaité que tous les « traîtres » (démocrates, journalistes, libéraux « à la solde du parti communiste chinois », soient alignés dos au mur et fusillés. Ce qui semble sûr, c’est que, très progressivrment, la Trumpland considère que Krebs et des républicains timorés ne se ralliant pas aux visées de Trump lui en veulent personnellement, forment un État profond lui étant fondamentalement hostile qu’il faut donc éradiquer, physiquement au besoin. Des républicains modérés reçoivent des menaces de mort, et comme en Géorgie, finissent par accorder quelques concessions réclamées par Trump et son équipe.

En face, on chauffe aussi les salles. Le candidat démocrate au Sénat en Géorgie est un révérend baptiste afro-américain, Raphael Warnock. Il  aurait (le conditionnel s’impose, forte mise en garde) déclaré à ses ouailles, en 2019, que quand le crack se répandait parmi les communautés « noires et brunes », on tirait dans le tas, mais depuis que les morts en surdose d’opioïdes ou de méthadone font des victimes parmi « les blancs et les banlieues », tout soudain, cela devient « un problème de santé publique ». Proche de Bernie Sanders, Warnock lie aussi spiritualité et anti-consumérisme et dénonce les pasteurs de toute couleur qui soutiennent que placer sa confiance en Dieu permet d’avoir à crédit une plus belle maison et une plus puissante voiture que celle du voisin. C’est totalement inacceptable pour la Trumpland qui voit dans l’étalage de meilleurs produits le juste fruit d’un dur labeur qui serait amélioré si affranchi du poids des aides sociales. Air connu et souvent repris en France. Nul besoin de descendre « à la halle », soit au coin du bistrot du coin pour l’avoir entendu. De même, l’expression « racisé » a envahi les médias français. On ne peut nier aussi que, parfois, le mouvement BLM se pose ici ou là en comités d’auto-défense légitimes à leurs propres yeux et que les démocrates ont à l’occasion minoré l’ampleur (exagérée par l’autre bord) des incendies et des pillages. J’ai tenté de remonter aux sources des propos du pasteur démocrate et je n’ai abouti qu’à des sites proches de Qanon ou Breitbart et consorts. Il se pourrait donc que de tels propos lui aient été prêtés a posteriori, d’autant que la page FB de sa congrégation, l’Ebenezer Baptist Church est un peu trop fournie pour rechercher efficacement. Mais cela peut sembler crédible quand on retrouve un imam prêchant dans cette église en évoquant Malcom X (un ex-délinquant devenu pasteur ayant organisé une milice) et dénonçant la surpopulation carcérale en tant que méthode de réprimer une ou des communautés. Le parti démocrate comprend une tendance, ou courant plutôt radical qui ne s’exprime pas qu’à demi-mots.

Les maux de la société étasunienne sont exacerbés de part et d’autre. Difficile de déterminer qui a commencé à chauffer la base républicaine, entre Newt Gringrich et d’autres, antérieurs, mais il est sûr que Trump a su capter l’adhésion d’une fraction ayant des racines fort profondes. En face, sans remonter aux United Workers of the World des années 1870, ou antérieurement, de fortes influences imprègnent certains démocrates. Sont constatées à présent des surenchères. Chaque camp se persuadant d’une oppression subie et de détenir la manière de protéger les libertés fondamentales. Les excès des uns autorisant ceux des autres. D’autant que, pour les plus populaires des excessifs, cela peut finir par rapporter gros.

De manière encore sous-jacente, des causes similaires peuvent produire des résultats voisins en France. D’autant que, sans tomber dans le complotisme, cela peut favoriser des bénéficiaires extérieurs.

Le conseiller spécial Robert Mueller, en charge de tirer au clair l’interférence russe dans l’élection de 2016, laisse à présent présager que la Russie a soutenu indirectement Sanders contre Clinton et contribué à discréditer les adversaires ou concurrents de Trump. Sanders vient de condamner cette interférence russe. RT France et Sputniknews en français jouent une autre partition, plus discrète.

La part franchement trumpiste (hors milices suprématistes) s’efforce de fédérer diverses communautés, afro-américaine, latinx, et même gays pour Trump, chrétiens divers, &c., sans s’affirmer ouvertement racialiste et même au contraire. Les démocrates ont la même stratégie. Cela tourne à une sorte de misanthropie généralisée, l’adversaire (externe ou interne) étant plus ou moins fortement démonisé.

Sans rien exagérer, on peut admettre qu’une telle désagrégation puisse servir divers intérêts, endogènes et exogènes.

Et cela marque aussi le regard que les Étasuniens portent sur le reste du monde. En a témoigné l’interprétation de la laïcité française estimée à visées antimusulmanes (de manière plus ou moins explicite ou carrément délibérée). Cela peut sembler ici dérisoire, mais il ne faut pas si longtemps pour que la vision dominante de l’extérieur influe sur l’opinion qu’on se forme de soi-même.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire