La police du Capitole est restée du côté du manche
Il me semble idoine de faire état ici de l’entretien entre
ma consœur Masada Siegel et un policier chargé de protéger le Capitole pour The
Independent. Histoire d’apporter un éclairage sur l’historiographie à
venir. Et prendre date de l'évolution de la Trumpland.
Très sérieusement, je mets un poil en doute la conclusion du témoignage de Ben, policier de la Capitol Police, selon laquelle ses collègues n’ont pas du tout été complices de l’invasion du Capitole. Aucun, pas le moindre, vraiment ?
Cela ne met pas en doute la sincérité du témoignage. Un peu
comme en France, nombre de policiers se sentent, à juste titre, dénués de
préjugés xénophobes et totalement au service de la population. C’était aussi
sans doute vrai du temps des années 1940 en Europe. Avec des interprétations
diverses.
J’avais précédemment ici indiqué que parmi les black blocks
(et sans doute les identitaires) se trouvent des allumés s’imaginant qu’ils
jouent en temps réel des scénarios de jeux vidéo. Ce fut aussi le cas le cas au
Capitole où des trumpistes buvant des cannettes voulaient surtout se prendre en
photo sur leurs portables.
Mais d’abord, le
lien vers The Independent (pour qui lit l’anglais).
Ce que je retire de ce témoignage, c’est que les choses ne
sont jamais simples, univoques. J’ai beau (ou laid) considérer toute la
Trumpland telle une large bande d’écervelé·e·s, de sectateurs manipulés par des
religieux avides de pognon, force m’est de reconnaître qu’il ne faut pas
mélanger torchons et serviettes. Comme chez le BLM ou les “woke” (il se
trouve bien des gens sincères et pas totalement dupes).
Ou chez la, les polices. Ce n’est pas
« embrassons-nous, Folleville », mais il est sans doute temps de ne
plus considérer tout métis-blanc ou tout quarteron-noir (ou vice-versa, c’est
la langue française, non des considérations ethnicistes).
Il ne s’agit pas de laxisme, mais de prendre en compte la
complexité. Je me souviens aussi de Roger Vailland minimisant la haine des
jeunes chemises brunes à l’encontre des populations hébraïques (ou assimilées).
Il ne voyait que des adolescents fiers-à-bras se haussant du col et finalement
piteux. Formidable erreur de perspicacité, la suite finit par lui ouvrir les
yeux.
Ce qui est certain, c’est que parmi les marcheurs pour Trump
(en général, et non en particulier les émeutiers), se trouvaient divers
policiers : deux de Seattle, sept de Philadelphie aux dernières nouvelles.
Les divers états-majors cherchent aussi à évaluer le nombre des militaires qui ont
participé à la marche. Sont-ils venus en trumpistes convaincus ou, comme divers
marcheurs, en s’imaginant se mêler à un spectacle festif ? Parce que les
gesticulations de Trump présentaient aussi un côté ludique. Sans suggérer le
moindre parallèle : Georges Marchais ne faisait pas sourire que des militants
communistes.
L’imbécile légèreté des trumpistes de base et de leurs
suiveurs refusant de porter un masque dans des rassemblements, mettant en
danger leur vie et celles d’autres et la stupide crédulité de celles et ceux
écoutant des pasteurs leur garantissant que la prière et le denier du culte sont supérieurs à la distanciation,
sont davantage criminelles de par leurs conséquences que leurs intentions.
Il restera sans doute des trumpistes pour faire de Trump ce
que les mormons font de l’ange Moroni. Il faudra faire avec. Comme aurait pu le
dire de Gaulle, le programme serait trop vaste. On peut se dire que, pour le
moment, elles et ils ne persécutent pas les athées, se contentant de les
dénoncer dans leurs propos divers (haineux ou simplement réprobateurs).
Cela étant, voyant la presse dite dominante reprendre un report
du FBI prévoyant des assauts contre les parlements des 50 États par des groupes
armés, j’avoue m’être un peu rapidement alarmé. Bien que Parler et les groupes extrémistes
de Twitter soient inaccessibles, on ne trouve pas d’appel à envahir des parlements
fédéraux sur gab.com ou Revolver News.
Il semble que le seul appel à cette fin ait émané des
Boogaloos Boys, une milice quelque peu fourre-tout fédérant vaguement diverses
tendances anarchistes de droite aux opinions diverses voire parfois
antagonistes. Cette milice n’a pas de chapitres dans chaque État, c’est plutôt
une mouvance de style spontex aux actions éparses et mal coordonnées. Une large
majorité des trumpistes est plutôt à l’image de dames sexagénaires brandissant
l’attirail pro-Trump en se souvenant de leurs jeunesses de cheerleaders
ou de pratiquantes du twirling baton.
Des conservatrices, assurément. S’excitant telles des fanas
de ballon rond reprenant les clameurs des ultras du PSG ou d'autres équipes.
Si un mouvement trumpiste insurrectionnel voulait s’en
prendre aux parlements des États, plus d’une semaine après l’assaut du Capitole
à Washington, les craintes exprimées par le FBI se seraient déjà concrétisées.
Le fait est que tous les boutefeux trumpistes du parti
républicain, sans renier Trump, ont dénoncé les actions violentes, se reniant
eux-mêmes et perdant leur crédibilité aux yeux des plus déterminés. Et leur
base, privée de chefs de monomes, est désormais désemparée. Faute de
personnages emblématiques pour les galvaniser, les trumpistes (dont certains
ont compris qu’ils se sont fait rouler dans la farine, ont dépensé de lourdes
sommes pour se rendre à des rassemblements pour finir s’entendre dire qu’il n’y
plus qu’à circuler et plus rien à voir) se résignent. Ceux qui pensaient profiter
du trumpisme financièrement vont commencer à brader les attirails qu’ils
commercialisaient.
Sur leur site, les meneuses des Women for Trump larmoient :
elles reçoivent des menaces de mort. Mais leurs demeures et véhicules n’ont pas
été encore vandalisées et c’est tout juste si certains restaurants refusent de
les servir. Elles n’ont plus du tout l’intention d’affréter des bus pour le 20
prochain. Sans possibilité de se fondre dans les foules trumpistes de base, et
attendus par vingt milliers de gardes nationaux lourdement équipés, et armés,
les candidats émeutiers risquent fort de traquer au malheur la malchance de
présumés antifas dans les rues de Washington. Et puis, risquer vingt ans de
prison pour un type qui vous a lâché, cela peut faire réfléchir, même les plus
coléreux. Cela n’a certes pas empêché un milicien des Proud Boys de New York d’appeler
à remonter à l’assaut du Capitole, mais il a été promptement arrêté. Alors que
la famille Trump se replie sur la Floride (après Ivanka, Donald Jr et sa compagne),
la Trumpland commence à se sentir blousée par des gens ayant promis de les
mener au combat puis qui se sont réfugiés dans un bunker.
L’un des organisateurs des manifestations Stop the Steal,
Ali Alexander, a diffusé une vidéo affirmant qu’il avait reçu le soutien de
trois élus républicains, Andy Biggs, Mo Brooks et Paul Gosar. Les trois se sont
bien gardés de confirmer. Un manque de cran qui les déconsidère aux yeux des
plus virulents.
C’est au pieds des murs du Capitole que les Sauveurs de l’Amérique
étaient attendus mais aucun — en fait, un seul — des élus les plus
vociférateurs ne s’y trouva aux côtés de la piétaille. À présent ils se contentent
de déclarer que les émeutiers patriotes sont plus mal traités que ceux de BLM.
Un service trop minimal pour les plus résolus. Lesquels finiront par en
convaincre les plus mous.
Sur Gab, on saluait encore hier l’avènement d’un Trump
Party, il est question ce soir d’un illusoire Patriot Party. Subsistent bien
sûr la nébuleuse QAnon et Steve Bannon (qui émet toujours avec ses mini-chaînes
War Room et Real America) pour sauver
la mise des Trump. Et faire de la révocation une seconde Affaire Dreyfus (pas
moins, et manigancée par George Soros). Des sites comme The National Pulse
restent alignés sur Trump. Mais si la famille Trump, qui assurait leur
publicité, s’abstenait (ce que semble faire Jared Kushner), ils finiront par se
rallier à un nouveau héraut. Si, du moins, il est capable de réunir des fonds.
Le mouvement Maga ne profitait pas qu’aux hôtels et golfs des
Trump et s’il devient moins juteux, il s’étiolera lentement. Se faire suer pour
du pognon, d’accord, mais pour des idées qui rapportent moins, cela n’a qu’un
temps.
Après le vote de la chambre basse, Trump a de nouveau dénoncé la violence dans une vidéo du compte Twitter de la Maison Blanche. L’ancien animateur télévisuel devrait se souvenir que les films d’action font de meilleures recettes que la guimauve. Il a revendiqué d’avoir fait appel à la garde nationale pour le jour de l’inauguration de Joe Biden, lequel aurait pu prononcer la même allocution. L’amuseur se retire piteusement. De moins en moins jubilatoire. Ce Trump-là, même Hanouna sur C8 ne voudrait plus l’inviter et Zemmour n’en ferait plus qu’un falot faire-valoir. La sortie du sinistre pitre fut trop fade.