Vers un Black November pour le Royaume-Uni
Boris Johnson a encore été désavoué par le Parlement, pour
la sixième fois. Mais il parviendra sans doute à sauver les meubles du parti
conservateur en novembre ou début 2020.
Il serait temps que les rédactions en chef des quotidiens et
hebdos français laissent des correspondants permanents à Londres traiter
plus amplement du Brexit.
It’s the
economy, stupid! L’invective
fut bénéfique à Bill Clinton affrontant Bush. Le slogan fut, avec une variante
du « le changement, c’est maintenant », assortie d’une
promesse de renforcer la protection sociale (Don’t forget health care), l’atout
majeur de la campagne électorale démocrate.
It’s the
ideology, goofy (ou
plutôt, silly). C’est peut-être le raisonnement de Boris Johnson
et de son spin doctor, Dominic Cummings. Cela relègue au xième plan le
slogan de Michael Gove et du Bojo lors de la campagne pour le referendum (le
fameux bus dont les flancs promettaient que les fonds consentis à l’Union
européenne seraient affectés à la sécurité sociale, au NHS, le National Health Service).
Moi ou Farage
Or donc : parti au combat pour des élections anticipées
le 15 octobre prochain avec 299 voix (il en fallait 434 pour les obtenir),
Boris Johnson n’en enregistra plus que 298, puis 294 (mes précédentes
contributions), et enfin, la nuit dernière, 293. Soit les voix de 283 députés
conservateurs (plus dix du parti unioniste nord-irlandais). Ils partirent
précédemment 300, mais par des promptes réfections, ils seront plus d’une
douzaine ou vingtaine de moins en parvenant au (non-re) port.
Mais s’il n’en était pas ainsi, les conservateurs seraient
réduits à peut-être moitié moins et à la merci du Brexit Party sur les bancs de
la future chambre basse (quant aux Lords, jusqu’à nouvel ordre et nominations
pro-Brexit, les Remainers l’emportent).
Car « l’idéologie » prime. Ou plus exactement des
convictions très ancrées. Je lisais ces deux dernières nuits La Mise au vert
de Philippe Lacoche (j’y reviendrai). Soit, pour caricaturer, le roman-pamphlet
d’un « populiste anti-faf » (j’affinerai). Eh bien, avec de très
notables différences, mais aussi de fortes convergences, je retrouve, dans les
commentaires des articles de la presse britannique (ou plutôt, anglo-unioniste,
faute de qualificatif plus approprié), des accents similaires.
L’Union européenne, c’est le goulag, la dictature nazie, l’abomination
la plus abjecte, le couard reniement de tout ce qui fonda la Britishness.
Excusez du peu.
Les vrais British au vrai sang rouge du cœur du Lion et du rosbiff
de red ruby Devon (pas de l’angus ou du welsh black) votant pour les Tories
allaient rallier en masse le Brexit Party de Farage. Passer un accord avec lui sauverait
les meubles et sans doute Downing Street.
Alors, qu’importent l’hémorragie, les défections, les
transfuges rejoignant les libéraux-démocrates (les LibDem), les autres traîtres
et les abstentionnistes issus des rangs conservateurs. « Traître »,
comme John Bercow, le Speaker (président), qui allait se faire limoger, mais
décoche un coup de pied en vache au Bojo. Il démissionnera de son perchoir,
mais seulement le 31 octobre au soir. Soit après la reprise de la session
parlementaire suspendue de ce jour au 14 octobre. Ce qui fait que Boris Johnson
retrouvera cet adversaire, et non l’affidé qu’il souhaitait nommer, face à lui…
Coup en vache de Bercow
John Bercow, comme désormais tant d’autres, ne briguera pas
un nouveau mandat, tandis qu’une douzaine (voire davantage) de conservateurs
débarqués se représenteront soit en tant qu’indépendants pur-jus, soit en dissidents
proclamant leur attachement à un parti autrefois « rassembleur »
(droite et centre-droit, « churchilliens sociaux », pour paraphraser
une ex-composante gaullienne, inclus).
Boris Johnson pense aussi débaucher les électeurs
travaillistes favorables au Brexit. Ce à coup de promesses de subventions, d’allocations,
de mesures sécuritaires et sociales.
Le reste, soit les conséquences d’un Brexit sans accord, n’est
pas tout à fait subsidiaire, car cela jouera sur les options des indécis, mais
c’est le risque à prendre. Celui d’un novembre noir : difficultés économiques,
élections risquant de déboucher sur l’ingérable.
Donc, Boris ou un figurant se présentera — ou non — au sommet
du Conseil européen, le 17 octobre, ou enverra un ultimatum du genre à prendre
ou à laisser, ou encore une incitation à expulser le Royaume-Uni de l’UE.
S’il cédait à l’injonction de la majorité parlementaire, et
sollicitait un report de la date du Brexit, Farage le désavouerait. Et ce ne serait
plus Bojo ou le chaos… Mais le chaos sans lui (ou réduit à faire de la
figuration en backbencher, avec un temps de parole restreint qu’il
utiliserait ou non).
Pour les uns, c’est suicidaire, pour lui et d’autres
conservateurs, c’est devenu le seul pari envisageable.
Le reste, c’est… Diverses choses marginales.
Comme par exemple la flopée de nominations honorifiques (l’anoblissement)
répartie par Theresa May entre ses anciens collaborateurs gouvernementaux (une
vingtaine) et des députés « copains-coquins » (favorables à un Brexit
négocié) ou des financiers du parti.
Ou encore des joutes judiciaires (une partie de l’opposition
traînant Boris Johnson devant la High Court pour outrage au Parlement, la
saisine de la Cour suprême pour contester la loi obligeant le gouvernement à
solliciter un report à fin janvier du Brexit assorti d’un accord).
Double-entendre
La nuit dernière, les débats furent houleux. Donnant l’occasion
de commenter de multiples anecdotes. Je n’en retiens qu’une, savoureuse. John
Bercow concédant aux parlementaires ne voulant quitter Westminster que par la
force des baïonnettes qu’ils avaient toute sa sympathie mais qu’il se plie à la
volonté royale. Puis, répondant à un député conservateur lui lançant un « bon
débarras » (du fait de sa démission), ce fut cette réplique (très librement
adaptée) : « la bave du flamand rose n’atteint pas la blanche colombe »
(I couldn’t give a flying flamingo what your view is). Ou cause toujours…
Je m’en balance. Voire « va te faire… ».
Subtil. Boris Johnson a été qualifié de marionnette, de
bouffon de Donald Trump.
L’expression
originale, c’est I don’t give a flying fuck. Et non pas a flying
f…, ce qui pourrait évoquer un ventilateur bréneux au xième degré. Il
pourrait s’agir de l’appellation générique triviale d’un volatile inapte au vol.
Mais le Donald a vu de nouveau sa langue fourcher (c’est
plus que récurrent à présent). Il a qualifié un opposant républicain de s’associer
avec un “flaming dancer” argentin, après s’être emmêlé avec des “flamingo
dancers from Argentina” (au lieu de danseurs argentins de flamenco ; flamingant lui restant un vocable inconnu).
Les truculents Edgar Faure et André Santini manquent
beaucoup à l’Assemblée nationale pour relever le niveau cocasse des débats. Les
Commons regretteront John Bercow. Petit fils d’émigrés roumains, il avait débuté
proche de la droite xénophobe avant de se positionner au centre, reniant des
errements de jeunesse.
Ce double-entendre (en ang. ici), me ravit. Qu’il ait
été pesé ou impromptu. Le Bojo en danseuse du Donald (faut-il s’interdire des
expressions à connotation machiste ? Philippe Lacoche estime, ce me
semble, que le second degré reste permis). Et puis, que j’extrapole ou non, le
Brexit reste certes tragique, mais il faut sourire de tout… Ber, « accroche »
de navire, cow, vache. S’accrochant au perchoir, Bercow a su jusqu’au
bout demeurer vachard.
Il restera aussi celui qui, en 2017, abolit le port de la
perruque pour les dignitaires des Commons. Et il présidait souvent depuis les
cheveux en bataille et le verbe haut.
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