Objets inanimés, vous avez une âme (lanternes SNCF en particulier)
Avant qu’elles soient mises en vente (ou proposées à un
brocanteur), voici une évocation de deux lanternes (ou fanaux) de la SNCF. J’ai
beau m’occuper d’un chien dénommé Ouigo, je ne suis pas un passionné du rail.
Mais d’histoire, si…
De quoi s’agit-il ?
• Lanterne SNCF Eug(ène). Halard, 17, rue
Richard-Lenoir, Paris — 1945 ;
• Lanterne SNCF Fabrique Poyard, 48, rue des Cendriers, Paris
— sans date.
Le fanal arrière (rear beacon) ou avant des
locomotives à vapeur des années 1940 (et antérieures) avait des usages
polyvalents. Essentiellement, il se fixait en haut de l’arrière de cabine ou en
queue de train pour être vu de loin ou faciliter des manœuvres en marche
arrière.
Mais il pouvait aussi être fixé à l’avant, posé sur une voie pour en interdire l’accès ou fournir l’éclairage lors de travaux d’intervention.
Mais il pouvait aussi être fixé à l’avant, posé sur une voie pour en interdire l’accès ou fournir l’éclairage lors de travaux d’intervention.
Ces deux fanaux-lanternes pratiquement identiques ne
proviennent pas du même fabricant. L’un est issu de l’atelier d’Eugène Halard,
l’autre de la maison Poyard. Laquelle fournissait aussi des fanaux et feux de
position pour péniches et bateaux.
Cette fabrique Poyard, située rue des Cendriers à Paris,
comme d’autres ferblanteries et métalleries, fournissait des falots, des
plaques, des jetons, &c.
Du fait de leur provenance et de la date du fanal Halard, il
est probable que les deux modèles n’aient pas été « acquis »
ensemble.
La gare de Tergnier fut le cadre de nombreux sabotages,
vols, destructions diverses lors de la Seconde Guerre mondiale. Outre les réseaux
de cheminots-résistants, d’autres coexistaient, et des maquis étaient actifs
dans l’Aisne.
Le détenteur des deux fanaux était un Résistant recueillant
notamment des aviateurs britanniques qu’il cachait avant d’obtenir de l’aide d’autres
camarades ou de Londres pour les exfiltrer, soit vers l’Espagne, soit lors de
vols de nuit.
Le fanal Poyard a vraisemblablement servi à signaler aux
appareils anglais l’emplacement de terrains d’atterrissage improvisés (balisés
par d’autres moyens). À mon sens, et humble avis, la portée (près d’un
kilomètre) du fanal devait réserver son usage à des signaux intermittents, histoire
de ne pas être repéré par la Wermacht. Cela étant, je fabule peut-être.
Tergnier fut un important pôle de Résistance où se sont
montrés particulièrement actifs les mouvements FTP, Libération-Nord, Défense de
la France et l’Organisation civile et militaire (OCM). D’où aussi la création
de trois Frontstalags dans la ville voisine de La Fère. La ville de Tergnier reçut
une citation militaire en décembre 1948, et en 1986, le musée de la Résistance
et de la déportation de Picardie fut inauguré dans l’un de ses bâtiments
municipaux.
Le fanal Halard fut sans doute acquis pour faire pendant à l’autre :
les deux étaient disposés de part et d’autre du foyer de la cheminée de la pièce
principale d’une demeure située dans une localité proche de Tergnier.
Les deux modèles sont fortement similaires, à quelques
variantes près (ainsi la forme de la poignée de transport).
Divers sites et forums d’amateurs sont consacrés aux
lanternes et fanaux de chemins de fer et de la SNCF, ainsi qu’aux lampistes
(préposés à leur maniement et leur entretien). La revue Historail d’octobre 2010 leur consacra un numéro spécial, « 130 ans de lanternes
ferroviaires ». Divers types d’ensembles mobiles de signalisation (EMS)
équipent encore les cabines et les postes ou gares, mais ils sont alimentés par
des piles.
Bizarrement, alors que des modèles antérieurs à peu près
semblables (même type de lentille, même volume, mais à poignée fixe soudée ou
rivetée, et capot supérieur très bombé) peuvent encore être trouvés, ceux-ci
semblent beaucoup plus rares. Cela pourrait découler des bombardements
successifs (Luftwaffe, RAF, USAF) des gares, postes, et installations ferroviaires,
puis, après la Libération, de l’adoption de nouveaux modèles. La dernière
locomotive à vapeur construite en France date de l’année 1953. La raréfaction
des lampistes (exposés à des accidents du travail, progressivement réaffectés à
d’autres postes), l’abandon de la traction à vapeur, eurent sans doute raison
de ces types de modèles.
Bref, on l’aura compris, avant qu’elles ne s’éloignent, je
souhaiterai en savoir davantage sur ces lanternes… Peut-être parce que les
promenades dominicales de mon enfance me conduisaient sur le pont de la gare d’Angers-Saint-Laud,
à regarder passer les trains, que sans nourrir la nostalgie des escarbilles
(des compartiments, des cabines des trains de nuit, oui… les meilleures subsistantes
se trouvent, à mon sens, en Roumanie), et que… Que je partage avec Éric
Poindron une approche particulière de l’univers poétique, et avec Philippe
Lacoche (autre écrivain) une vénération pour la Résistance – éclairée, car ô
combien de faux résistants, de tortionnaires épurateurs aussi véreux qu’avides
– et une forte affection pour les terroirs (bretons, picards, alsaciens,
comtois en particulier).
Tenez, la prochaine fois, je vous entretiendrai de mon
Epson portable de 1980 (8 ko de mémoire, livré avec quatre programmes sur
eprom). Il fonctionne toujours, lui, comme ces deux lanternes.
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