jeudi 21 novembre 2019

Brexit : le plan Corbyn, renégociation puis référendum

Pour Jeremy Corbyn, le changement, c’est maintenant

Jeremy Corbyn a dévoilé son petit livre rouge, soit le manifeste du Parti travailliste qui prévoit la négociation d’un nouveau protocole avec l’UE, lequel serait soumis à nouveau référendum à plusieurs questions…
Je n’avais pas commenté le premier débat télévisé n’ayant opposé que Boris Johnson et Jeremy Corbin, soit sans la libérale-démocrate Jo Swinson.
Parce qu’il n’avait pratiquement rien apporté de neuf, si ce n’est marginalement et que son résultat ne fut guère décisif (ou inconclusive). Je me ralliais cependant à l’opinion majoritaire des commentateurs : très léger avantage pour Bojo.
Toutefois, depuis lors, un sondage portant sur les électeurs indécis inverse la donne. Ce serait, pour eux, 59 points pour Corbyn contre 41 pour Johnson. Cet électorat n’étant guère majoritaire, ni totalement susceptible de se rendre aux urnes, cela ne modifie globalement que fort peu le panorama.
Selon un récent sondage pour The Standard, les Tories conservent une avance de 16 points (d’autres sondages ne leur accordent que huit points).
Mais depuis, les travaillistes ont divulgué leur manifeste, intitulé, en lettres blanches sur fond rouge vif, “It’s Time for Real Change”. Soit une variante du slogan de la campagne de François Hollande : les temps sont mûrs pour le changement ou « Le changement, c’est maintenant ».
Très ambitieux programme social et écologique…
En voici les principaux points hors question du Brexit (qui sera le suivant infra).
Des millions pour la sécurité sociale (le ministère de la Santé et le système hospitalier, le NHS) ; salaire minimal à dix livres pour toutes et tous, mineurs ou majeurs ainsi que revalorisation des émoluments des fonctionnaires ; lourds investissements en Écosse ; le tout-fibre optique pour 2030 ; imposition accrue des plus fortunés et des entreprises ; plan de formation éducatif excluant les droits universitaires, réduction des effectifs des classes du primaire, gratuité des maternelles ; durée hebdomadaire ouvrée à 32 heures ; efforts environnementaux générant un million d’emplois ; HLM en veux-tu, en voilà.
Par HLM, il faut entendre logements sociaux associatifs et des collectivités (les Council Houses). 150 000 de mieux par an de council & social homes sur un lustre. Rien que cela…
Résumé de Corbyn, en substance, les riches vont détester, je et tu, ils et elles, allons nous régaler. Résumé de la presse pro-Tory : Corbyn met les « créateurs de richesses » à genoux et empruntera à tout-va.
Mais un autre point crucial pour la tournure du Brexit tient aux renationalisations : des services postaux & télécoms et ferroviaires & de dessertes routières, de distribution de l’eau (voire aussi d’électricité).
Je glisse sur la liberté de mouvement et l’immigration en provenance de l’Union européenne, dont les modalités dépendront du résultat d’un référendum (restrictions maintenues mais allégées en cas de nouvelle victoire du vote Leave). De même sur l’abaissement à 16 ans du droit de vote, l’enregistrement automatique sur les listes électorales de tous les résidents…
Cela implique quoi ? La négociation d’un nouveau protocole d’accord garantissant le maintien du libre-échange actuel, mais laissant une certaine autonomie au Royaume-Uni par rapport à diverses règles communautaires.
Ce protocole serait soumis à référendum mais la question de la révocation de l’article 50 (maintien dans l’UE) sera aussi posée.
Cela signifie quoi ? En gros, si le protocole était accepté par les 27, l’électorat devrait l’approuver, ou le rejeter, ou tirer un trait sur le résultat du référendum précédant. Toujours approximativement, si ce protocole était approuvé, un statut du Royaume-Uni proche de celui de la Norvège ou de la Suisse, « à peu de choses près » (ou à davantage, allez prévoir…).
Ce changement, c’est en quelque sorte une déclaration de guerre à la misère. Genre New Deal de Franklin Roosevelt.
Les conservateurs ont aussi beaucoup promis. Le point peu abordé est celui des retraites et de l’âge de la retraite (qu’un document gouvernemental laisse supposer que son report à 70 ans serait envisageable, alors que le Labour le maintiendrait à 66).
Boris Johnson martelait que Corbyn se refusait à dire s’il ferait campagne pour ou contre le Brexit, pour le Leave ou le Remain. On peut comprendre que, si la question n’est pas subsidiaire, les travaillistes mettront surtout l’accent sur leur programme économique, social et fiscal, proposeront un protocole beaucoup plus acceptable pour l’électorat libéral-démocrate ou écossais… Il est d’ailleurs sous-entendu que l’accord envisagé garantirait l’unité du Royaume-Uni, rendant inutile un nouveau référendum sur l’Écosse, mais que… si les Écossais le réclamaient très fort, il serait alors temps d’examiner son opportunité.
À part cela, les conservateurs ont lancé un site labourmanifesto.co.uk lançant une collecte de signatures pour « arrêter » Corbyn. Ce n’est pas encore le lock her up de Trump visant à envoyer directement Hillary Clinton en prison sans passer par la case départ des élections, mais cela risque de venir. C’est aussi une campagne de coup bas, de détournements de vidéos, &c.
Les conservateurs opposent aussi le protocole Johnson, connu, à celui, « inexistant » de Corbyn. Effectivement, on doit se contenter de deviner ses orientations.
Cela étant, si Brexit il y aura, il ne deviendra sans doute effectif qu'après une période de transition, en fait de statut quo et de négociation d'un traité de (moins) libre-échange, qui pourrait s'étendre, contrairement à ce que promet Boris Johnson, bien au-delà de la fin 2020. Aucun diplomate ne mise sur une si courte période d'un an seulement. C'est l'un des points cruciaux de la campagne du Brexit Party qui considère que le protocole Johnson équivaut au "Brino" (Brexit in name only).
Notez que le Lib Dem a aussi publié son manifeste intitulé Stop Brexit, Build a brighter future. Il ne manque pas non plus d'intérêt et les divers partis européens gagneraient, après la période de fact checking auquel se livrera la presse, à comparer les divers manifestes, en  dégager les idées nouvelles.
Vous vous souvenez du ministère du Temps Libre (période Mauroy) ? Les libdems souhaitent créer un ministère du bien-être doté d'un "wellbeing budget".
Il y a toujours quelques choses à prendre du côté de la plus vieille démocratie parlementaire, ou dont il conviendrait de s'inspirer... Et pourquoi pas, dans l'intitulé du ministère français de la Culture, remplacer communication par bien-faire & laisser dire ?
En tout cas, dans cette campagne électorale britannique, le laisser dire n'est pas de mise... Par exemple, Jo Swinson a été contrainte de démentir : non, elle ne cherche pas à blesser des écureuils avec un lance-pierres. C'était pourtant ce qu'un deepfake (montage vidéo), censé être repris par The Mirror, affirmait, en prêtant à la libdem des déclarations sadiques (genre : je ne vise pas la tête, leur mort serait trop douce). Trump et les siens ont fait école...


mercredi 20 novembre 2019

Pour et… contre Benjamin Stora ou Valeurs actuelles

De l’historiographie boursouflée de la colonisation française

Peut-on parler sans savoir tout en n’ignorant pas totalement ? Sans doute, à condition de l’énoncer. Et c’est ainsi que j’aborde la polémique opposant les soutiens de Benjamin Stora à d’autres, eux, mystificateurs de l’histoire du colonialisme français, dont qui approuve la position défendue par Valeurs actuelles.
Ai-je lu Benjamin Stora ? Sans doute un peu, mais je ne m’en souviens plus. Ai-je lu le hors-série de Valeurs actuelles sur «​la vraie histoire des colonies » ? Absolument pas.
Mais comme un peu tout le monde, je suis tombé sur divers articles ou écrits traitant d’un article de cette publication sur Benjamin Stora, et ce dont il s’ensuit.
Ce que j’ai cru pouvoir discerner, c’est que l’article reprend les arguments développés par la pétition de Khader Moulfi diffusée par le site Mes Opinions. Elle fut lancée fin septembre dernier. Khader Moulfi est l’animateur du site Coalition-harkis.
Mais l’auteur de l’article, Bruno Larebière, les assortit de considérations sur le physique du sociologue-historien.
Lequel rétorque : « cet article est antisémite ». Donc, anti-harkis aussi ? Qu’on s’interroge une nouvelle fois sur les glissements sémantiques…
Judéophobe ne serait-il pas plus approprié ?
Ce qui pourrait étonner de la part du journaliste d’un titre s’étant fréquemment manifesté cul et chemise avec la droite israélienne la plus virulente. D’un hebdomadaire dont le site propose le téléchargement d’un « magazine numérique gratuit » consacré à Éric Zemmour.
Lequel magazine s’apparente au genre publirédactionnel.
Alors, historien ou historiographe habile, Benjamin Stora ? Je ne peux répondre, mais ce n’est pas une malveillante insinuation que d’estimer que la plupart des historiens sont, de ce point de vue, ambivalents.
Mais il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos Stora et Larebière.
Je suis aussi un nostalgique du « bon temps des colonies ». Cela découle d’une histoire familiale : la plupart de mes prédécesseurs ont servi dans les troupes coloniales (des marsouins, de l’infanterie de marine), une tante institutrice au Maghreb, un cousin dans l’aéronavale en Indochine, un autre dans le Génie en Algérie. Plus lointain, ce souvenir — ô combien ambivalent — du général-baron Tombeur, colonisateur du Congo de Léopold II. Auquel mon grand-père dut sans doute partie de sa descendance puisqu’il put, grâce à son intervention, s’extraire du front d’Italie, du temps de Franchet d’Esperay.
Il y eut effectivement un « bon temps » des colonies, illustré plus ou moins bien par des figures comme Savorgnan de Brazza, le maréchal Lyautey, le père de Foucault, ou plus près de nous, feu l’ami et confrère Georges Ohayon (ancien du Premier Bataillon parachutiste de choc), Denis Guénoun…
J’ai eu, j’ai encore, des fréquentations de tous bords, des copains, des amies, de tous horizons géographiques et autres. J’atteste qu’il y eut des hommes et femmes d’honneur dans l’OAS, parmi les porteurs de valise du FLN, et même dans les rangs du FLN. Des gens intègres. J’ai eu, j’ai encore, des copains pieds-noirs ayant perdu de très proches, des copines maghrébines, ayant aussi perdu de très proches, &c.
Qu’il puisse y avoir, chez Stora (franchement, je ne saurais me prononcer), une propension à mettre davantage en valeur les mauvais temps des colonies que les bons, en toute honnêteté intellectuelle, pourquoi pas ?
Mais si j’en crois Pascal Blanchard, auteur de « Vive la nostalgie coloniale ! » dans Le Nouveau Magazine littéraire, tout ce numéro de Valeurs actuelles bascule dans le révisionnisme historiographique. Soit dans le négationnisme des mauvais temps des colonies. Au Maghreb, où j’ai voyagé, notamment en auto-stop, en train, bus… ce qui permet des rencontres contrastées, on a aussi su me parler de ces Françaises et Français du Maghreb ou de la métropole, civils ou militaires, dont sont conservés de bons souvenirs. En France, d’anciens appelés ayant été forcés de s’associer à des crimes de guerre, m’ont aussi confié leurs douleurs mémorielles, quand placés sous les ordres d’émules du père Bugeaud, franc réactionnaire, massacreur sans états d’âme (tant d’ailleurs en France qu’en Algérie), et même rançonneur (extorquant des fonds à l’émir Abd el Kader).
Dans cette affaire, on ne peut s’abaisser au relativisme, et même si Stora n’était pas tout bonnet blanc, tout comme le fait colonialiste ne peut se parer d’un panache immaculé, il y a d’un côté, celui de Stora, appel à réflexion, et de l’autre, celui de Larebière, appel à l'adhésion.
Et je préférerai toujours l’appel à réflexion, même s’il heurte certaines de mes convictions, à celui à l’adhésion sans réserve : my country, certes, mais non right or wrong. Entre se repentir dans la macération d’une éternelle contrition et s’accorder l’absolution, la rémission pure et simple par le miracle d’un déni, il n’y a certes pas de moyen terme arithmétique (fifty-fifty), des poids égaux dans les plateaux de la balance.
On peut raisonnablement estimer que Benjamin Stora a été l’un des bénéficiaires de la colonisation mais aussi que, sans elle, il n’eût pas forcément été voué à devenir cireur de chaussures ambulant.
L’histoire est en perpétuelle refonte. Non du fait de la découverte de fonds d’archives resurgis et comblant des vides, ou du moins, le plus souvent marginalement, mais du renouvellement des historiens. Le Roy Ladurie n’a pas forcément la même vision qu’un Cauchy, qu’un Tocqueville ou un Chrétien de Troyes, et cela tient peut-être moins à ce qu’ils ne disposent pas de la même matière qu’à leurs histoires personnelles et aux sociétés de leur temps. En moins d’un demi-siècle, que reste-t-il de l’influence du structuralisme, des apports d’Alexandre Kojève, de Raymond Abellio ou de Francis Fukuyama ?
Napoléon fut, de son vivant, assimilé en Angleterre et Russie, à un « précurseur d’Hitler » (ou plutôt à un successeur d’Attila davantage que d’un Alexandre le Grand, autre despote sanguinaire). Voyez ce qu’en disent à présent les historiens britanniques ou ex-soviétiques. Il y eut aussi un Mao d’avant et d’après Simon Leys.
On aimerait suggérer à un Larebière de s’intéresser d’un peu plus près aux aïeux de « nos ancêtres les Gaulois ». Ce serait inutile : il en ignore sans doute peu, mais il a choisi à la fois de figer l’histoire et de la fausser au gré des visées du moment.
Je me souviens de ce titre de l’ami Toulouse-La-Rose : Pour en finir, avec Guy Debord (chez notre défunt éditeur commun, Talus d’approche). Pour, contre… mais aussi avec Benjamin Soria. Pour ne pas finir, sombrer « avec » Valeurs actuelles

Le Gorafi : les singes récusent leur engeance humaine

Est-on vraiment responsable du devenir de nos enfants ?

On assassine un Mozart, on avorte d’un Hitler chaque jour. Voici que les singes en captivité réclament la contraception, de peur, au risque inéluctable de leur extinction, d’engendrer de futurs humains. Un sacrifice altruiste.
Une légende (urbaine) veut que le Chez nous soyez reine inspira les protos (ou paléos) situationnistes du Conseil de Nantes (les « anarcho-éthyliques » auxquels je fus assimilé, du temps du Petit Cochon, rade proche des facs nantaises excentrées et d’un foyer pour filles du Crous que je fréquentais circa 1969) entonnant le fameux « Allez, allez Nantes » montant des tribunes lors d’une rencontre de balle au pied entre Nantes et le Stade Rennais FC. Quel rapport avec ce qui suit ?
Aucun. Ou ténu, mais cela faisait longtemps que j’attendais de caser cette anecdote, c’est fait. Quoique…
On ignore tout de la genèse élaborée par les singes. De leur Ge ou de leur Yahvé. Mais je les imagine reprenant un « Ô Marie, Marie, si tu savais, tout le mal qu’on dit que nous avons fait… ».
(D’accord, je me raccroche aux lianes glissantes de manière peu convaincante).
Entendez s’élever la complainte de nos ancêtres de bien avant les Gaulois. Des temps que Yuval Noah Harari évoque dans Sapiens (dont je vous entretenais voici peu). Grand Pa, Grand Ma, selon Le Gorafi, site parodique qu’animent les Spinoza, Heidegger, Jankélévitch et consorts du temps présent, nous renient.
Orphelins, marooned, sommes-nous. Nos arrière-arrière aïeux refusent de nous considérer leur lointaine progéniture.
Je cite : « après avoir appris que l’Homme et le singe étaient des cousins proches, un des singes a demandé si les cousins du soigneur vivaient aussi dans une cage. ».
Voilà de quoi porter le Parti animaliste à présenter une guenon lors de la prochaine élection présidentielle. Et de fournir l’occasion à la presse pipeule de se pencher sur les qualités (et les goûts vestimentaires) du futur Premier Monsieur de France (si tant serait que la présidente ne soit pas polygame).
Parfois, je pense que Triboulet (le jester de François) fut aussi génial qu’un Léonard (de Vinci), différemment. Parfois je m’interroge sur ce que pouvait réellement penser le dingo d’Octave Mirbeau. Penser.
Oui, penser. Je suis d’une génération pétrie de religiosité (l’humain « égal », car créé à son image, d’un mythique créateur, faisant fructifier la terre et dominant le vivant), de certitudes inculquées, données intangibles. Allez, allez, croissez et multipliez.
J’en viendrai à m’exclamer : « Ô singes, ne nous abandonnez » ; vous en tirerez les conclusions que vous voudrez. Plus posément, j’estime tout simplement que la pochade du Gorafi procure matière à penser.

mardi 19 novembre 2019

Éric Cantona prend position sur l’immigration

Du terrorisme rampant des démocraties, selon Kuningas Eirikrin

Sid Lowe, correspondant permanent du Guardian à Madrid, s’est longuement entretenu avec « le roi Éric » (surnom de Cantona au Royaume-Uni). Lequel exprime le vœu d’une intégration des immigrés respectueuse de leurs attachements à leurs origines…
Capable de citer le Barde (Shakespeare) avec exactitude et pertinence, peut-être même La Légende du roi Arthur, dans la langue des Annales Cambriæ ou celle de Chrétien de Troyes, Éric Cantona ne laisse personne vraiment indifférent.
Avec Sid Lowe, journaliste sportif (mais non uniquement), il a parlé balle au pied, bien sûr, mais aussi abordé longuement le thème de l’immigration et de son appréhension par les « grandes démocraties ».
De par ses grands-parents, Cantona est un Hispano-Sarde; il est aussi l'époux d’une Franco-Algérienne, l'actrice Rachida Brakni, qu’il encourage à s’adresser en arabe à leurs enfants, Émir et Selma. Par conviction humaniste universaliste et souci d’une transmission nécessaire et enrichissante.
Pour lui, peut-être influencé par ses séjours au Royaume-Uni et le melting pot des équipes de footballeurs, l’intégration à la française, à visées assimilatrices, pêche par une propension à dénier aux immigrés leurs attachements à leurs origines. Plus on veut nous en éloigner, plus nous sommes incités à nous en rapprocher, considère-t-il en substance. L’incitation à trancher, à se déclarer français ou autre, est à ses yeux « une erreur », une bourde, susceptible d’aggraver des tensions.
J’en suis pour ma part aussi convaincu, par divers exemples contraires, de personnes ayant fini librement par se sentir profondément des Françaises, des Français, avant tout autre appartenance antérieure.
Une culture ne s’impose pas, on y adhère ou non. Pour Cantona, tenter l’assimilation contrainte, de manière plus ou moins coercitive ou implicite, sournoise, larvée, est contre-productif. Et prive les « grandes démocraties » des apports de salutaires diversités. Il s’inquiète donc de la résurgence de nationalismes en des — en quelque sorte — peuples se considérant d’élites, et dominateurs, pour paraphraser de Gaulle (ici quelque peu hors de propos).
Ces démocraties prônent insidieusement « une sorte de terrorisme », culturel et économique. De quoi prêter le flanc à l’accusation « d’islamo-gauchisme » (ou autre néologisme apparenté). La montée d’un désir d’épuration radicale de tout élément étranger, en vue d’un mythique retour aux sources, d’un nouveau départ « à zéro », partant de décimations menant à des holocaustes, lui semble imminemment et éminemment appelée à enfler, à déferler.
Je ne paraphrase pas Cantona, j’estime prolonger ses pressentiments. Ses propos sont plus mesurés, et il doute de lui-même, de sa pertinence. Ce n’est pas tout à fait nouveau de sa part, lui qui nous avait habitués à des exagérations langagières qu’il ne renie sans doute pas. « Parfois je pense ce que je dis », confie-t-il, plus librement « que la majorité des gens ».
Il se veut porte-parole du mouvement Common Goal qui, en date, à ma connaissance ne compte que la footballeuse Méline Gérard pour représentante de l’univers sportif français, et s’en dit proche. C’est un mouvement caritatif visant à soutenir les objectifs des Nations unies en matière de réduction de la pauvreté, de parité, d’éducation, de production et consommation responsables, &c.
Que les majorités démocratiques soient « d’une certaine façon » dictatoriales de par leurs ambitions « d’imposer leur vision » n’est pas un concept inouï. Il fut illustré, de manière sous-jacente, par celui de dictature sociologique (Maurice Duverger, De la dictature, Julliard, 1961). Tocqueville estimait déjà que le despotisme était « à redouter dans les âges démocratiques ». Mettons que Cantona l’exprime un peu plus brut de décoffrage que d’autres…
Recevant Lowe en famille, Cantona venait de recevoir Homage to Catalonia, d’Orwell, et ne l’avait pas encore lu… La suite fut Looking Back on the Spanish War (publié en 1942), une forte auto-critique. Ce qui vaut incitation à peser ses propos.
Mais il serait dommage que Cantona édulcore trop les siens. Pour idéaliste qu’il soit, son appel en faveur des immigrés est rafraîchissant, et bienvenu en cette période où se font davantage entendre des voix les stigmatisant car tous dépeints destructeurs à visées hégémoniques. Plutôt la casquette du père Cantona que celle du père Bugeaud…

jeudi 14 novembre 2019

Brexit : Taisez-vous, Tusk !

Donald Tusk a certes raison, mais qu’il s’abstienne

L’Union européenne et le Royaume-Uni, ou plutôt l’Angleterre, c’est un peu comme la France et l’Algérie. Quoi que la France dise… Donc, « Taisez-vous, Elkabbach ! » (Georges Marchais, apocryphe, 1978). Oui, fermez-la, Donald Tusk.
Je comprends très bien que Donald Tusk regrette fortement de s’être trop abstenu de dénoncer les mensonges de la campagne pro-Brexit d’avant le référendum britannique. Cela me serait aussi (mais qui suis-je pour m’exprimer ainsi ; et comme ce qui suit ?) resté en travers de la gorge. Cependant, dans le contexte actuel qui voit des travaillistes en désavouer d’autres, des conservateurs idem, des lib-dems ibidem, et je vous en passe (vérifiez par vous-mêmes), des détails qui n’en sont pas, encore une fois, toute prise de parole « continentale » est mal advenue. Bien sûr, je partage l’opinion de Donald Tusk.
Selon laquelle le Royaume-Uni sera relégué en division 2, vassalisé par les États-Unis, quel que soit le futur président des United States of America.
Bien évidemment, citer Hannah Arendt n’est pas incongru (rien n’est irréversible tant que l’opinion s’en persuade). Et assurément, la tentation impériale irréaliste motive les Brexeeters. Irréaliste, même vue de différents pays du Commonwealth. Car si la Francophonie pèse encore quelque peu (plutôt peu), c’est parce que la France reste un élément majeur de l’Union européenne.
Donald Tusk s’était refréné, à juste raison. Il se sent à présent plus libre de s’exprimer. Je conçois. Remisé en coulisses, comme John Bercow, il peut s’estimer délivré d’obligations liées à ses fonctions antérieures.
Mais puisque Bercow, ex-Speaker des Commons, suffit à dire que le Brexit est la plus grosse bourde du Royaume-Uni depuis la dernière guerre, quel besoin d’en rajouter, venu d’ailleurs ?
Toute déclaration, un tant soit peu autorisée (pour mon compte, je sais ô combien je pisse dans un violon et que ma parole, de Tombeur, compte pour une coquillette), exacerbe des tensions.
Renforcer — silencieusement — les partenariats irlandais, écossais, cornouaillais, gallois et bretons, en tous domaines, sera bien plus efficace. C’est certes plus facile dans le cadre européen actuel. Mais cela se produira, plus difficilement, certes, en cas de no-deal, mais encore plus assurément. Alors, hush, Tusk, ne leur vends pas la mèche. 😉

mercredi 13 novembre 2019

Islamophobie : l’étoile verte déjà dans les têtes ?

Droit au blasphème et sur-indignation

Quelques manifestants du défilé contre l’islamophobie portaient un autocollant associant croissant et étoile jaune. Blasphème, se sont empressés de clamer nombre de celles et ceux dénonçant que les musulmans surjouent la victimisation…
Je réagis de manière un peu plus développée à ce qui m’a valu des commentaires critiques (et non vindicatifs). Je venais de prendre connaissance d’un texte vibrant d’indignation au sujet du fameux autocollant que de rares manifestant·e·s arboraient lors de la manifestation contre l’islamophobie. Texte intitulé « La bête immonde au service de l’islamisme cool : abject, innommable, impensable ! ». Peu au fait des tenants et aboutissants (origine de l’autocollant juxtaposant croissant et étoile, nombre de personnes l’affichant, analyse sémiologique…), je me suis contenté de consigner : « ne rien exagérer, ne rien surinterpréter. ». Je maintiens, et cela ne vaut pas que pour ce dont il est ici question. L’époque tourne à la prédominance de l’invective et de la surenchère à tout propos.
Je peux comprendre que, après la propagande négationniste un temps répandue en France (et toujours plus ou moins en vigueur dans le monde musulman sans réaction des autorités, enfin, que je sache…), voir des musulman·e·s utiliser un tel symbole, l’étoile jaune (qu’elle soit à x ou y branches ne change pas grand’ chose), hérisse nombre de consciences.
Mais question détournement, en faire un symbole sournois de l’antisémitisme dépasse la mesure. La plupart des locuteurs de langues sémitiques sont des sémites (encore que, d’un point de vue anthropologique, Juifs et autres se sont tellement mélangés depuis plus de deux millénaires…). On pourrait donc aussi interpréter cet autocollant comme la revendication d’une appartenance au groupe sémite. D’une proximité excluant l’agressivité, comme le renforce la présence, sur les photos les plus répandues, de la sénatrice Esther Benbassa, séfarade levantine. Tolérée par qui l’entoure, y compris pour ses convictions d’athée.
Dans un texte précédent (« Islamoréification : la marche pour le droit au blasphème »), je saluai le cran de cette jeune femme, sans doute issue de l’immigration, comme on dit, qui, copiant le mode d’action des Femen (mais ne se rattachant pas à elles), put brandir un panonceau soutenant « le droit au blasphème ». Serait-ce aussi une manifestation du communautarisme athée « qui vient » (s’ébauche), du fait de la montée des communautarismes ethnoreligieux, et se renforce ?
Ne pas surinterpréter…
Religiophobe, je suis donc islamophobe, ne craignant pas les (des, certes) musulmans (je redoute les radicalisés), mais l’islam et d’autres croyances, pour ce qu’elles peuvent porter en germe.
Je déplore aussi un certain communautarisme « juif » (qui n’est pas forcément israélite, et auquel adhèrent des évangélistes nord-américains partageant peu de racines avec des groupes sémites) qui utilise la victimisation pour justifier tout acte de l’actuel État d’Israël (et dénonçant les « traîtres » au sein de la nation israélienne). Cela ne va pas au point de soutenir les escrocs réfugiés en Israël au motif que leurs pères et mères furent spoliés dans leurs divers pays d’origines, ni à harceler celles et ceux, coreligionnaires ou censés se rattacher à la communauté, heureusement.
Tandis que les musulman·e·s ou abusivement assimilé·e·s du fait de proches ou lointaines origines, ayant dénoncé des islamistes, risquent leur vie, doivent changer d’identité.
Je partage ce sentiment islamophobe de nombreux « Juifs » (ou abusivement assimilés du fait d’un patronyme, d’une apparence). Craindre les, ou plutôt des, musulmans, en généralisant cependant, n’est guère, de leur part, condamnable. Surtout pour qui se souvient que la fameuse fraternité-sororité entre Juifs et autres habitants du Maghreb se vit parfois démentir (pogroms de Fès de 1033, puis de 1912, émeutes d’Oujda de 1948, pour n’évoquer que le Maroc où un récent concert d’Enrico Macias fit des remous).
Mais une islamophobie haineuse de développe aussi et agrège, par l’utilisation de mêmes formes d’expression, divers courants. Dont l’un se revendique du sionisme actuel, « dominateur » comme le qualifiait de Gaulle. Lequel devrait peut-être se méfier du backlash, comme l’exprima Daniel Bensoussan-Bursztein dans Regards (publication belge du Centre communautaire laïc juif) dès septembre 2010.
Après les mosquées, les synagogues ? Ne rien exagérer…
Ce à quoi on assiste de plus en plus, c’est au déni de distinguer l’islam de l’islamisme (lui-même multiple, approuvant, confortant ou non le terrorisme, quiétiste ou guerrier). Ce qui peut conduire certain·e·s d’entre les musulman·e·s à se radicaliser. Est-ce ce qui est insidieusement recherché : accélérer les crispations, amener l’ensemble de la société majoritaire (laïcs, chrétiens, athées, autres… que musulmans) à développer progressivement une islamophobie haineuse ? Ne rien exagérer… Celles et ceux s’étant sur-indignés (avec sincérité ou arrière-pensées) à propos de cette étoile jaune jouxtant un croissant n’en sont pas à réclamer le port de l’étoile verte par tout·e musulman·e ou présentant des « traits sémitiques » (assortie au besoin d’un triangle rose). L’antisémitisme ne se réduit pas à la judéophobie, il s’agit bien d’une sémitophobie.
La convergence des discours virulents peut et doit inquiéter.
Tout comme peuvent alarmer des revendications musulmanes pouvant conduire à des surenchères (près de chez moi, une inscription très voyante : « Jésus est le seul Dieu », donc plus akbar qu'un autre).
Je déplore, comme tant d’autres, l’intitulé de cette manifestation contre l’islamophobie. Laquelle fut, de même, marginalement, une manifestation contre l’antisémitisme au sens propre et premier, de solidarité avec… des Françaises et Français, non pas que musulmans, mais considérés de « cultures musulmanes » ; et malheureusement aussi un défilé islamophile revendicatif. On ne peut peser précisément le pour et le contre, ni à chaud, ni en se projetant, mais elle a eu au moins l’intérêt de susciter la revendication du droit au blasphème. Lequel ne s’applique nulle part « à l’intérieur », et reste proscrit en Alsace-Lorraine (comme en Allemagne). Ce que dénonçait d’ailleurs Jean-Luc Mélenchon dans le Dictionnaire de la laïcité (Armand-Collin).
Il peut m’être rétorqué que prôner la mesure quand l’intolérable prédomine, que se produiront d’autres attentats islamistes, confine à la démesure, au déni de réalité. C’est une opinion, que je persiste à considérer avec… modération, en me méfiant des effets pervers qu’elle peut impliquer. Quant à la manière de l’exprimer, en particulier.
Je relève aussi que des commentaires visant Esther Benassa s’en prennent à elle en tant qu’athée, féministe présumée faux-nez du masculinisme, marquée à gauche, &c. Cette manifestation n’a pas été instrumentalisée que par les musulmans fondamentalistes. Ce fut sans doute d’ailleurs aussi l’un des objectifs induits recherchés par certains d’entre les organisateurs : débusquer la fachosphère et l’ultra-sionisme apparenté. C’est assez réussi. Avec pour corollaire de la populariser, de lui permettre de recruter. Est-ce là exagération de ma part ? La suite l’établira ou non.

mardi 12 novembre 2019

D’un dingo à un dingue, tout aussi meurtrier…

Dingo, ou le portrait d’un carnassier en évoquant un autre

Les prochains Cahiers Octave Mirbeau traitant de l'anticolonialisme de l'écrivain, voici une modeste piste de réflexion à propos du livre qu'il consacra à son chien. Il y aurait quelque mauvaise foi, et une navrante propension à tirer par les cheveux la prose d’Octave Mirbeau dans Dingo, pour n’en faire qu’une manifestation de son anticolonialisme… Mais ce livre témoigne que ce thème récurrent ne fut pas délaissé.
Dingo traite peu de la question coloniale. Quoique… Qu’on se rapporte aux descriptions pseudo-anthropologiques des colonisés, soit des « indigènes » de l’époque, ou aux écrits d’Arthur de Gobineau. Dingo (le chien de Mirbeau) est un cadeau d’un Britannique, au visage « très rouge… un de ces froids portraits britanniques qu’on voit, toujours le même (…) dans les magazines illustrés de la plus grande Bretagne. ». Fort stéréotype. Il s’agit de Sir Edward Herpett qui est « exagérément haut de jambes, et ses bras maigres d’orang-outang (…) se terminent par deux fortes mains couleur de brique. ».
Il est décrit « curieux de toutes les excentricités coloniales ». Il explore « les cocotiers de Monte-Carlo ». Il a commis un essai intitulé La Dentition des Grands singes.
Le chiot fut mis bas par une chienne « sauvage » australienne — animal peut-être alors considéré exotique, tel un coton de Tuléar — le soir même de son débarquement en Angleterre. Un chiot austral tenant « un peu (…) du renard de Guinée » et « surtout du loup, du loup de Russie. ». Herpett, dans sa lettre à Mirbeau, fait référence à Darwin. Ce dingo n’est « ni chien, ni loup ». Destiné, bien avant le labradoodle actuel (ou « labraniche », croisement d’un labrador et d’un caniche), à devenir la coqueluche de la bonne société britannique.
Un peu comme un Nègre ou un Amérindien devenu valet de pied ? Une vénus hottentote ?
« Il est vrai que les dingos sont, avec les colons, les seuls animaux féroces de ces contrées pacifiques (…) seuls aussi, avec les colons toujours (…) qui n’aient pas une origine marsupiale, » poursuit Herpett.
Sur le bateau, la chienne, confiée à un « boy malais », déjoue sa surveillance et extermine poules et moutons embarqués, ainsi que des oiseaux destinés à des zoos, dont l’un d’eux présente « un bec charnu de juif »… Et elle compose un tableau de chasse (triant moutons et poules, autres volatiles, pour en aligner les cadavres).
Mais, « les jours des dingos sont comptés ». Du fait de la « guerre exterminatrice » que les affreux colons leur mènent, « la même que les Yankees firent aux Peaux-Rouges. ». S’il devait en subsister, « les dingos redeviendront des chiens comme tous les chiens domestiques ». Puis Herpett évoque un chien venu de l’Alaska, peu décontenancé par la harangue d’une femme, qui, peut-être à Hyde Park Corner, « prêchait à des eunuques du Soudan l’excellence des doctrines malthusiennes. ».
Ces chiens sauvages d’Australie ou d’ailleurs, « très doux à l’homme, pourvu que l’homme ne les embête pas », ne sont-ils pas une métaphore de l’indigène aux prises avec le colon, exploitant agricole, forestier, minier, administrateur, militaire, missionnaire ?
On peut toujours émettre les plus hasardeuses hypothèses, et voir dans le détachement du facteur (Vincent Péqueux, dit La Queue), annonçant que quatre poules et le coq ont crevé — « ne vous inquiétez pas », il en reste suffisamment — une allusion aux esclaves mourant en des cales ou aux employés des plantations congolaises du roi belge Léopold… De très doctes vous en pondraient des paragraphes. Ce n’est qu’une timide suggestion.
Mirbeau, par la suite, se qualifie de « barbare » en matière d’acclimatation de son dingo. Je passe sur les considérations anthropomorphiques de Mirbeau et fortement, dirait-on à présent, écologiques. Voire « végan ».
Mirbeau, décrivant le comportement de Pierrot, chien qu’il éleva précédemment, s’exclame : « Et nous appelons cela de la supériorité humaine ! ». Nulle allusion ici à la prétendue supériorité des « civilisés », si ce n’est, quelques pages plus loin, à propos de ce dingo « bien trop vierge de toute civilisation », pour être contaminé.
Il pourrait être aussi relevé que la description de Ponteilles-en-Barcis (Mirbeau, résidant en Bretagne, avait eu aussi des mots très durs à l’encontre des Bretons, surtout du fait de leur dévotion ostentatoire) peut être rapprochée de celles des gourbis et douars par des auteurs peu enclins à vanter les mœurs, us et modes d’habitat, des peuples colonisés.
Il serait sans doute abusif de voir dans la confrontation entre le dingo et les bas-rouges (les bergers beaucerons locaux) une allusion à l’opposition entre les dociles serviteurs, prolétariat canin, et le « bon sauvage ». Voire à l’apartheid.
Mais on retrouve plus loin le personnage de Pierre Piscot, le journalier, qui se moque de l’instinct grégaire et quelque peu xénophobe des villageois. Car lui a « vu du pays », a « fait l’expédition de Chine avec les gars russes, les gars allemands ». Expédition pendant laquelle « on pillait, voilà… Tout le monde pillait… On pillait… On pillait… Soldats, officiers, généraux ? Et les curés donc… » Et on massacrait « des gueules jaunes comme ça… (…) c’est tout de même pas des hommes, dites… ».
Le dingo finira par faire des carnages d’autres animaux et se gagner l’appellation de « sale étranger ». « L’étranger ? (…) Refrain barbare, refrain éternel du paysan. ».
Sur quelque 420 pages, de ce roman, ou plutôt suite de nouvelles anecdotiques, les allusions au colonialisme sont fort peu abondantes. Mais comme il s’agit, paru en 1913, de l’ultime récit développé de Mirbeau (certes suivi de La Pipe de cidre, ouvrage posthume paru en 1919), il est sans doute judicieux de relever que le thème fut récurrent dans son œuvre, jusque quatre ans avant son décès.
Je m’abstiens de pousser plus loin, si ce n’est qu’en remarquant que Mirbeau ne fait pas de son chien un bon ou mauvais « sauvage ». Mais quelle autre créature, quel autre mammifère, compose de tels sanglants « tableaux de chasse » ? L’anticolonialisme de Mirbeau dépasse largement la défense et l’illustration d’une cause circonscrite à son époque, à l’expansion colonialiste… Son anticolonialisme s’inscrit dans une conception plus étendue, historiquement et géographiquement, de l'humanité (ou de l'inhumanité). C’est sans doute ce qu’illustre ce Dingo.
Tant que j'y suis, quelques mots sur cette espèce, présumée provenir d'Asie puis de Papouasie environ 10 000 ans avant (selon les études les plus récentes) de se reproduire surtout en Australie, et qui fut peut-être auparavant domestiquée.
L'ouvrage débuta sous forme de feuilleton dans Le Journal et fut achevé par Léon Werth. Ce chien est sans doute fictif mais inspiré d'autres, antérieurs, ayant partagé la vie de Mirbeau (dans sa préface à une réédition, aux éditions du Boucher, Pierre Michel fait état d'un certain Canard, provenant de Norvège), et d'un Dingo qui fut sans doute un croisé (ou bâtard), mort à Veneux-Nadon à l'automne 1901.
Dingo est peut-être aussi un demi-constat d'échec. Mirbeau a mis beaucoup de lui-même dans le portrait de ce chien. Sans parvenir, après de multiples écrits antérieurs, à faire durablement évoluer la société, l'humanité, il dresse un constat. Il se décrit tentant d'éduquer ce chien selon des principes convenus de sociabilité. Il échoue. C'est peut-être par ce biais qu'il faudrait plus largement évoquer la question coloniale dans l'ouvrage : les colonisateurs les mieux intentionnés, prônant l'émancipation des colonisés, ne devraient-ils pas s'abstenir ?
Les références directes au fait colonial n'abondent pas... La problématique plus vaste est sans doute à déceler dans l'attitude de Mirbeau écrivain, Mirbeau personnage de ce Dingo, qui oscille entre dresser ce chien et lui laisser exprimer ce qui le motive (dont un plaisir de tuer pour tuer, et non que pour se repaître). La colonisation, comme le furent les invasions, les croisades, les conquêtes, &c., et des colonisations bien antérieures à celles du demi-millénaire passé, eut aussi pour ressort l'envie d'ensanglanter, violer, piller, asservir. Ce dingo qui finit par dominer son territoire campagnard, à se jouer des hommes et de leurs chiens domestiques, impose aussi sa loi, celle du plus fort, du plus astucieux et habile. Sur les terres australes, le dingo chasse seul, mais aussi en meute. Et celui de Mirbeau peut évoquer un conquistador esseulé. L'aborder ainsi pourrait suggérer qu'à la fin de sa vie, Mirbeau se serait résigné, non pas à justifier le fait colonial, mais à le considérer quasi-universel, non celui d'une civilisation particulière, mais de multiples, passées, présentes et à venir.
Mais, comme me l'exprime un éminent spécialiste de Mirbeau, ce ne sont que supputations d'un ignoramus, trop peu qualifié pour en traiter, et alignant des billevesées. Cela tombe bien : il y a tant d'autres choses à faire et traiter.

lundi 11 novembre 2019

Brexit : Le Brexit Party se retire devant les conservateurs

Farage retire 317 candidats des prochaines élections

Cédant à d’amicales pressions (de Donald Trump ?), Nigel Farage retire les candidats du Brexit Party dans les circonscriptions les plus favorables au vote conservateur. Pas d’alliance électorale, concession unilatérale. Ce en vue d’écarter la perspective d’un second référendum sur le Brexit, promis par le Labour et les Lib-Dem.
Les spéculations sur une complète alliance électorale entre les Tories et les Brexiteers de Nigel Farage ont tourné court. Boris Johnson avait écarté cette éventualité, Farage avait continué d’insister jusqu’à ce jour.
Le Brexit Party va donc se concentrer sur les circonscriptions ayant à la fois voté pour la sortie de l’Union européenne et pour les travaillistes. Ce qui devrait mener à reconduire une majorité conservatrice au Parlement.
Les quotidiens favorables aux conservateurs assurent que c’est désormais dans la poche pour Boris Johnson, les autres que rien n’est gagné d’avance (le Parlement compte 632 sièges, et il faudrait que les conservateurs laminent le Labour dans 50 circonscriptions pour être sûr de former une majorité).
Cet élément nouveau a mis deux faits en lumière. D’abord que les Tories (dissidents bien sûr inclus) et le Brexit Party estiment qu’un second référendum aurait de fortes chances d’inverser les résultats du premier. Ensuite que le no-deal, une sortie sans accord, reste possible tant bien même le protocole Johnson serait approuvé par le Parlement et accepté par l’Union européenne. Car s’ensuit de toute façon une période de transition d’un an (ou deux, si prolongations, ou…) pendant laquelle un accord de libre-échange doit être négocié. Farage a laissé entendre que Johnson poursuit en fait un échec de ces négociations et une rupture totale avec l’UE, au plus vite.
Ce qui pourrait faire réfléchir les conservateurs Remainers, votant pour des candidats ex-conservateurs se présentant en indépendants, ou pour des libéraux-démocrates, ou s’abstenant.
Cette reddition sans condition de Farage signifie aussi que le Brexit Party restera une formation marginale, sous-représentée : les candidats de ce parti avaient largement plus de chances de se voir élire par un électorat conservateur favorable au Brexit que par son équivalent travailliste. Cela étant, individuellement, quelques candidats conservateurs déclarés se sont retirés pour le favoriser. On ne sait trop s’ils seront remplacés et par qui (de parfaits inconnus ?). En revanche, des candidats du Brexit Party sommés de se retirer pourraient se présenter en indépendants.
Jeremy Corbin a déclaré que la décision de Nigel Farage découlait d’un ultimatum de Donald Trump. Cela peut aussi influer sur une partie de l’opinion considérant qu’à tout prendre, mieux vaudrait rester « vassalisé » par l’UE que par les États-Unis.
Autres concessions unilatérales : les Verts ont déjà retiré deux candidats dans des circonscriptions conservatrices gagnables par les travaillistes. Les Verts, le Lib-Dem et le Plaid Cymru (Wales) ont passé un accord formel.
Le jeu reste en fait assez ouvert, même si les sondages accordent toujours aux Tories qu’ils resteront le premier parti britannique (enfin, hors Écosse ; et les Nord-Irlandais unionistes commencent à comprendre que le ”mainland” se désintéresse de leur sort). Les politologues restent d’ailleurs prudents. Mais les bookmakers ont remonté la cote des conservateurs. Alors… Alors ? Alors, on verra bien

Roumanie : la diaspora n’a pas repêché son « Macron »

Le président sortant roumain confronté à Viorica Dăncilă (PSD)

Sans surprise, Klaus Ionhannis, actuel président, est arrivé en tête du premier tour des élections présidentielles roumaines. Mais la défaite de la candidate du parti « sortant » n’est pas si éclatante…
On me pressait, la nuit dernière, de faire état des élections présidentielles roumaines… D’une part, il ne s’agit que du premier tour, d’autre part, sauf improbable retournement, le Saxon Klaus Iohannis, président sortant, devrait être reconduit.
Et puis, soyons réalistes, vue de France — hormis pour les apparentés (familiaux) roumains et qui affectionne ce pays — la Roumanie, c’est un peu le Honduras ou Ceylan. Grand et magnifique pays, fort peu peuplé, du fait d’un exode massif des jeunes et des plus qualifié·e·s dans le monde entier, la Roumanie intéresse surtout du fait de ses intellectuels (surtout les expatriés) de renom. Bien sûr, ce n’est pas le cas de Pierre Moscovici, ex-commissaire européen, fils de Serge, dissident du PCR, réfugié en France en 1947, et de maints autres Français ayant conservé des attaches (familiales, sentimentales, culturelles, autres…) avec la Roumanie. Et qui suivent de près son actualité.
Donc, j’ai procrastiné en toute quiétude et surtout attendu les résultats définitifs de la diaspora, que voici, que voilà :
Clasamentul votului din diaspora:
Klaus Iohannis – 52,94 % (335.712)
Dan Barna – 27,51 % (174.464)
Theodor Paleologu – 6,4 % (41.000)
Mircea Diaconu – 3,65 % (23.119)
Viorica Dăncilă – 2,75 % (17.430)
Il en manque (14 candidats s’affrontaient, dont celui des Hongrois, Kelemen Hunor).
Mais au final, Iohannis ne recueille qu’un peu plus de 39 % des suffrages, et Dăncilă plus de 22. Alors qu’on donnait le président sortant largement plus en tête, et la candidate du PSD, ex-Première ministre contrainte à la démission, plus proche de la barre du cinquième des suffrages.
Car, jusqu’au dernier moment, il fut supputé que la diaspora la ferait devancer par Dan Barna.
Ce dernier est jeune, talentueux, et à la tête d’une formation attrape-tout, l’USR, qui évoque très fort La République en marche. En sus une autre formation, le Parti de la liberté, appuyait sa candidature.
Sauf que, ancien de l’ONG Transparency International de 1996 à 2014, il semblerait que, par la suite, ses affaires n’auraient pas été très claires et que son élection en tant que député de Sibiu (ou Hermannstadt, autre grande ville saxonne avec Brasov/Kronstadt), fin 2016, n’a guère changé la donne. Sa fortune provient essentiellement de fonds européens pour des projets sociaux et autres qui lui ont permis d’embaucher des proches et de faire tourner ses diverses sociétés (ou celles de familiers). Gênant quand on s’était fait le chantre de la lutte anticorruption.
Certes, la candidate du PSD, parti estimé ô combien corrompu et clientéliste, et dénoncé pour tel, a fait reculer l’influence de sa formation. Mais elle résiste néanmoins fortement, et ce n’est pas le bourrage des urnes dans de petites localités rurales qui en est la cause. L’ancrage des caciques, les slogans populistes et eurosceptiques, les réseaux remontant à la période communiste, le fort quadrillage (de la Ligue des élèves à celle des retraités), le conservatisme, concourent à son pouvoir de nuisance, maintes fois dénoncé par d’immenses manifestations dans les principales villes. De même, sous les gouvernements PSD, l’église autocéphale orthodoxe roumaine a pu étendre son emprise sur les consciences (et créer des écoles, des centres sociaux, s’enrichir considérablement).
La réélection probable du président sortant ne changera pas fondamentalement la donne politique roumaine. La présidence roumaine est, contrairement à la couronne britannique, libre de s’exprimer, mais le régime est très fortement parlementaire. Il fut un bon maire, a les mains à peu près propres (comme tant d’autres, il avait pu s’approprier une demeure grâce à des documents douteux), est un libéral affirmé (quoique prudent : luthérien, il ne peut s’opposer frontalement au clergé orthodoxe). Pour l’anecdote, la candidate parle encore moins bien le roumain que Trump l’anglo-américain et Gorbatchev le russe. Ce qui, dans certaines parties de l’électorat, contribue à sa popularité (tout comme ses nombreuses bourdes garanties involontaires et non feintes). L'opposition au PSD la considère telle une potiche (son mentor, l'homme fort du parti, étant inéligible pour faits de corruption).
La diaspora a voté « utile ». Elle est aussi vieillissante et rétive à retourner en Roumanie tant que la corruption, l’incurie des pouvoirs locaux, ne régresseront pas. Mais d’ici quelques années, si la situation s’améliore, elle pourrait contrecarrer le système PSD. Mais cet espoir reste fragile.
On peut nonobstant relier ce résultat à ce qui se produit en Slovaquie et Hongrie : un recul des populistes.
À présent, le PSD veut que le président concède deux débats avec sa candidate avant le second tour. C’est peut-être accorder trop d’importance à Viorica Dăncilă. Laquelle, désavouée dans ses principaux fiefs, limoge à tour de bras.
Autre enseignement de ce premier tour : Dan Barna n’est arrivé premier dans aucune circonscription. C’était pourtant l’étoile montante.
Peut-être est-ce à présent l’étoile filante de la vie politique roumaine.

Contre le monothéisme massacreur, l’animisme moins meurtrier

De deux maux, le religiophobe préférera-t-il le moindre ?

Le prochain siècle sera spirituel (dévoyé) ou ne sera pas ! Attribué à André Malraux, homme du siècle dernier. Marooned (Animal Farms). De deux maux, serons-nous condamnés à préférer le moindre, soit les sacrifices humains du polythéisme à l’extermination de masse des monothéismes ?
Je me sens forcé de revenir sur ma précédente intervention qui, avec des mots couverts, matois, chafouins, stigmatise la #ManifDeLaHonte (entendez, la manifestation contre l’islamophobie). Mais comme mon confrère (et ex-condisciple du Cuej), Oliver Biffaud (un long temps du Monde) m’incite à ne pas être un « faux nez », autant écrire « à visage découvert » : islamophobe, car religiophobe.
Non point, &c. (inutile de ressasser).
Il ne faudrait jamais écrire sous le coup de l’émotion, ni trop à chaud. Depuis, sur le site de L’Humanité, j’ai consulté l’entretien de Julia Hamlaoui avec Olivier Le Cour Grandmaison. Lequel évoque « une stupéfiante involution politique » et considère que, oui, le terme d’islamophobie est adéquat, &c.
Il n’a pas tout faux. Avec le recul (de quelques heures… c’est trop peu), m’est venu cette fugitive impression. Et si cette manifestation avait été un total flop, qu’à peine deux-trois milliers de personnes auraient défilé à Paris, qu’en aurais-je pensé ? Qu’en aurais-je déduit ? Que les sémites de culture(s) musulmane(s) agnostiques ou athées auraient finalement prédominé ? Que les Français « aryens » (belle blague), mâles ou femelles, approuvaient tacitement une stigmatisation des personnes de culture(s) musulmane(s) ?
Que mes « sœurs » et « frères » (de l’ultra-droite à l’ultra-gauche) religiophobes auraient emporté le morceau ? Notez les guillemets de distanciation (je n’ai aucune sororité ou fraternité, ou adelphijenesaiskoi avec l’ultra-droite).
Bien évidemment, ce titre, ci-dessus, « l’animisme moins meurtrier​», est une vaste blague. Voyez donc ce que les hindouistes infligent aux musulmans… En Inde, en Birmanie, &c. Ou ce que le régime chinois inflige aux Ouigours.
Et réciproquement (Iran et Bahaïs, Égypte et coptes, &c.).
Franchement, ce n’était pas mieux avant ; quand on sacrifiait sa propre progéniture, son engeance, à de multiples dieux propitiatoires. Au lieu d’aller massacrer les voisin·e·s (ce qui se pratiquait aussi).
Toute religion veut que ses fidèles plient l’échine. Au passage, aussi selon le culte dez morts : Jeremy Corbyn est critiqué pour n’avoir pas assez courbé la tête devant le cénotaphe des vétérans de la Grande Guerre. Autre sujet, mais ô combien significatif.
Seconde vue… Troisième vue… Mais que chrétiens, israélites, musulmans, et autres s’entr’égorgent. Pourvu qu’ils nous épargnent. Ce qui n’est pas du tout dans leur programme (de nous épargner) : tous pour un, un pour tous, contre tous les autres a-religieux. Bien sûr que j’exagère. C’est plus complexe. Agnostiques et athées sont pour tous croyants voués au bûcher (là aussi, je déforme, le pape François n’a pas fait empoisonner Eugenio Scalfari).
J’aimerais, biens chers frères, bien chères sœurs, que nous puissions réfléchir toutes et tous en chœur. Nos exordes à penser Raison, libre-pensée, restent autant de coups d’épée dans l’eau. Et si nous prônions l’animisme, le polythéisme ? En sus, car c’est le but de toute religion, il y a de la monnaie à se faire, des exonérations d’impôt, &c.
Non, franchement, j’ai trop de respect pour diverses individualités proches de confessions diverses pour les caricaturer à ce point.
Bien sûr, que femmes et hommes de bonnes volontés, n’avons aucune envie de sacrifier nos descendants (ou nos animaux de compagnie) pour éviter le pire. Mais, mais… mais… rappelons-nous que nos parents… la plupart se taisant… Et finissant par subir (nazisme, stalinisme…). C’est certes une boutade, mais je ne voudrais pas que mes enfants et petits-enfants se résignent à opter pour un moindre mal.