mardi 19 novembre 2019

Éric Cantona prend position sur l’immigration

Du terrorisme rampant des démocraties, selon Kuningas Eirikrin

Sid Lowe, correspondant permanent du Guardian à Madrid, s’est longuement entretenu avec « le roi Éric » (surnom de Cantona au Royaume-Uni). Lequel exprime le vœu d’une intégration des immigrés respectueuse de leurs attachements à leurs origines…
Capable de citer le Barde (Shakespeare) avec exactitude et pertinence, peut-être même La Légende du roi Arthur, dans la langue des Annales Cambriæ ou celle de Chrétien de Troyes, Éric Cantona ne laisse personne vraiment indifférent.
Avec Sid Lowe, journaliste sportif (mais non uniquement), il a parlé balle au pied, bien sûr, mais aussi abordé longuement le thème de l’immigration et de son appréhension par les « grandes démocraties ».
De par ses grands-parents, Cantona est un Hispano-Sarde; il est aussi l'époux d’une Franco-Algérienne, l'actrice Rachida Brakni, qu’il encourage à s’adresser en arabe à leurs enfants, Émir et Selma. Par conviction humaniste universaliste et souci d’une transmission nécessaire et enrichissante.
Pour lui, peut-être influencé par ses séjours au Royaume-Uni et le melting pot des équipes de footballeurs, l’intégration à la française, à visées assimilatrices, pêche par une propension à dénier aux immigrés leurs attachements à leurs origines. Plus on veut nous en éloigner, plus nous sommes incités à nous en rapprocher, considère-t-il en substance. L’incitation à trancher, à se déclarer français ou autre, est à ses yeux « une erreur », une bourde, susceptible d’aggraver des tensions.
J’en suis pour ma part aussi convaincu, par divers exemples contraires, de personnes ayant fini librement par se sentir profondément des Françaises, des Français, avant tout autre appartenance antérieure.
Une culture ne s’impose pas, on y adhère ou non. Pour Cantona, tenter l’assimilation contrainte, de manière plus ou moins coercitive ou implicite, sournoise, larvée, est contre-productif. Et prive les « grandes démocraties » des apports de salutaires diversités. Il s’inquiète donc de la résurgence de nationalismes en des — en quelque sorte — peuples se considérant d’élites, et dominateurs, pour paraphraser de Gaulle (ici quelque peu hors de propos).
Ces démocraties prônent insidieusement « une sorte de terrorisme », culturel et économique. De quoi prêter le flanc à l’accusation « d’islamo-gauchisme » (ou autre néologisme apparenté). La montée d’un désir d’épuration radicale de tout élément étranger, en vue d’un mythique retour aux sources, d’un nouveau départ « à zéro », partant de décimations menant à des holocaustes, lui semble imminemment et éminemment appelée à enfler, à déferler.
Je ne paraphrase pas Cantona, j’estime prolonger ses pressentiments. Ses propos sont plus mesurés, et il doute de lui-même, de sa pertinence. Ce n’est pas tout à fait nouveau de sa part, lui qui nous avait habitués à des exagérations langagières qu’il ne renie sans doute pas. « Parfois je pense ce que je dis », confie-t-il, plus librement « que la majorité des gens ».
Il se veut porte-parole du mouvement Common Goal qui, en date, à ma connaissance ne compte que la footballeuse Méline Gérard pour représentante de l’univers sportif français, et s’en dit proche. C’est un mouvement caritatif visant à soutenir les objectifs des Nations unies en matière de réduction de la pauvreté, de parité, d’éducation, de production et consommation responsables, &c.
Que les majorités démocratiques soient « d’une certaine façon » dictatoriales de par leurs ambitions « d’imposer leur vision » n’est pas un concept inouï. Il fut illustré, de manière sous-jacente, par celui de dictature sociologique (Maurice Duverger, De la dictature, Julliard, 1961). Tocqueville estimait déjà que le despotisme était « à redouter dans les âges démocratiques ». Mettons que Cantona l’exprime un peu plus brut de décoffrage que d’autres…
Recevant Lowe en famille, Cantona venait de recevoir Homage to Catalonia, d’Orwell, et ne l’avait pas encore lu… La suite fut Looking Back on the Spanish War (publié en 1942), une forte auto-critique. Ce qui vaut incitation à peser ses propos.
Mais il serait dommage que Cantona édulcore trop les siens. Pour idéaliste qu’il soit, son appel en faveur des immigrés est rafraîchissant, et bienvenu en cette période où se font davantage entendre des voix les stigmatisant car tous dépeints destructeurs à visées hégémoniques. Plutôt la casquette du père Cantona que celle du père Bugeaud…

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