mercredi 13 novembre 2019

Islamophobie : l’étoile verte déjà dans les têtes ?

Droit au blasphème et sur-indignation

Quelques manifestants du défilé contre l’islamophobie portaient un autocollant associant croissant et étoile jaune. Blasphème, se sont empressés de clamer nombre de celles et ceux dénonçant que les musulmans surjouent la victimisation…
Je réagis de manière un peu plus développée à ce qui m’a valu des commentaires critiques (et non vindicatifs). Je venais de prendre connaissance d’un texte vibrant d’indignation au sujet du fameux autocollant que de rares manifestant·e·s arboraient lors de la manifestation contre l’islamophobie. Texte intitulé « La bête immonde au service de l’islamisme cool : abject, innommable, impensable ! ». Peu au fait des tenants et aboutissants (origine de l’autocollant juxtaposant croissant et étoile, nombre de personnes l’affichant, analyse sémiologique…), je me suis contenté de consigner : « ne rien exagérer, ne rien surinterpréter. ». Je maintiens, et cela ne vaut pas que pour ce dont il est ici question. L’époque tourne à la prédominance de l’invective et de la surenchère à tout propos.
Je peux comprendre que, après la propagande négationniste un temps répandue en France (et toujours plus ou moins en vigueur dans le monde musulman sans réaction des autorités, enfin, que je sache…), voir des musulman·e·s utiliser un tel symbole, l’étoile jaune (qu’elle soit à x ou y branches ne change pas grand’ chose), hérisse nombre de consciences.
Mais question détournement, en faire un symbole sournois de l’antisémitisme dépasse la mesure. La plupart des locuteurs de langues sémitiques sont des sémites (encore que, d’un point de vue anthropologique, Juifs et autres se sont tellement mélangés depuis plus de deux millénaires…). On pourrait donc aussi interpréter cet autocollant comme la revendication d’une appartenance au groupe sémite. D’une proximité excluant l’agressivité, comme le renforce la présence, sur les photos les plus répandues, de la sénatrice Esther Benbassa, séfarade levantine. Tolérée par qui l’entoure, y compris pour ses convictions d’athée.
Dans un texte précédent (« Islamoréification : la marche pour le droit au blasphème »), je saluai le cran de cette jeune femme, sans doute issue de l’immigration, comme on dit, qui, copiant le mode d’action des Femen (mais ne se rattachant pas à elles), put brandir un panonceau soutenant « le droit au blasphème ». Serait-ce aussi une manifestation du communautarisme athée « qui vient » (s’ébauche), du fait de la montée des communautarismes ethnoreligieux, et se renforce ?
Ne pas surinterpréter…
Religiophobe, je suis donc islamophobe, ne craignant pas les (des, certes) musulmans (je redoute les radicalisés), mais l’islam et d’autres croyances, pour ce qu’elles peuvent porter en germe.
Je déplore aussi un certain communautarisme « juif » (qui n’est pas forcément israélite, et auquel adhèrent des évangélistes nord-américains partageant peu de racines avec des groupes sémites) qui utilise la victimisation pour justifier tout acte de l’actuel État d’Israël (et dénonçant les « traîtres » au sein de la nation israélienne). Cela ne va pas au point de soutenir les escrocs réfugiés en Israël au motif que leurs pères et mères furent spoliés dans leurs divers pays d’origines, ni à harceler celles et ceux, coreligionnaires ou censés se rattacher à la communauté, heureusement.
Tandis que les musulman·e·s ou abusivement assimilé·e·s du fait de proches ou lointaines origines, ayant dénoncé des islamistes, risquent leur vie, doivent changer d’identité.
Je partage ce sentiment islamophobe de nombreux « Juifs » (ou abusivement assimilés du fait d’un patronyme, d’une apparence). Craindre les, ou plutôt des, musulmans, en généralisant cependant, n’est guère, de leur part, condamnable. Surtout pour qui se souvient que la fameuse fraternité-sororité entre Juifs et autres habitants du Maghreb se vit parfois démentir (pogroms de Fès de 1033, puis de 1912, émeutes d’Oujda de 1948, pour n’évoquer que le Maroc où un récent concert d’Enrico Macias fit des remous).
Mais une islamophobie haineuse de développe aussi et agrège, par l’utilisation de mêmes formes d’expression, divers courants. Dont l’un se revendique du sionisme actuel, « dominateur » comme le qualifiait de Gaulle. Lequel devrait peut-être se méfier du backlash, comme l’exprima Daniel Bensoussan-Bursztein dans Regards (publication belge du Centre communautaire laïc juif) dès septembre 2010.
Après les mosquées, les synagogues ? Ne rien exagérer…
Ce à quoi on assiste de plus en plus, c’est au déni de distinguer l’islam de l’islamisme (lui-même multiple, approuvant, confortant ou non le terrorisme, quiétiste ou guerrier). Ce qui peut conduire certain·e·s d’entre les musulman·e·s à se radicaliser. Est-ce ce qui est insidieusement recherché : accélérer les crispations, amener l’ensemble de la société majoritaire (laïcs, chrétiens, athées, autres… que musulmans) à développer progressivement une islamophobie haineuse ? Ne rien exagérer… Celles et ceux s’étant sur-indignés (avec sincérité ou arrière-pensées) à propos de cette étoile jaune jouxtant un croissant n’en sont pas à réclamer le port de l’étoile verte par tout·e musulman·e ou présentant des « traits sémitiques » (assortie au besoin d’un triangle rose). L’antisémitisme ne se réduit pas à la judéophobie, il s’agit bien d’une sémitophobie.
La convergence des discours virulents peut et doit inquiéter.
Tout comme peuvent alarmer des revendications musulmanes pouvant conduire à des surenchères (près de chez moi, une inscription très voyante : « Jésus est le seul Dieu », donc plus akbar qu'un autre).
Je déplore, comme tant d’autres, l’intitulé de cette manifestation contre l’islamophobie. Laquelle fut, de même, marginalement, une manifestation contre l’antisémitisme au sens propre et premier, de solidarité avec… des Françaises et Français, non pas que musulmans, mais considérés de « cultures musulmanes » ; et malheureusement aussi un défilé islamophile revendicatif. On ne peut peser précisément le pour et le contre, ni à chaud, ni en se projetant, mais elle a eu au moins l’intérêt de susciter la revendication du droit au blasphème. Lequel ne s’applique nulle part « à l’intérieur », et reste proscrit en Alsace-Lorraine (comme en Allemagne). Ce que dénonçait d’ailleurs Jean-Luc Mélenchon dans le Dictionnaire de la laïcité (Armand-Collin).
Il peut m’être rétorqué que prôner la mesure quand l’intolérable prédomine, que se produiront d’autres attentats islamistes, confine à la démesure, au déni de réalité. C’est une opinion, que je persiste à considérer avec… modération, en me méfiant des effets pervers qu’elle peut impliquer. Quant à la manière de l’exprimer, en particulier.
Je relève aussi que des commentaires visant Esther Benassa s’en prennent à elle en tant qu’athée, féministe présumée faux-nez du masculinisme, marquée à gauche, &c. Cette manifestation n’a pas été instrumentalisée que par les musulmans fondamentalistes. Ce fut sans doute d’ailleurs aussi l’un des objectifs induits recherchés par certains d’entre les organisateurs : débusquer la fachosphère et l’ultra-sionisme apparenté. C’est assez réussi. Avec pour corollaire de la populariser, de lui permettre de recruter. Est-ce là exagération de ma part ? La suite l’établira ou non.

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