Banquet ou sanguinaire action de grâce
Angliciste
(enfin, ancien…) et non américaniste, je me garderais bien de me prononcer sur
les réelles origines de la fête de Thanksgiving. Si la question vous intéresse,
je vous laisse poursuivre vos propres investigations.
Bien, Donald Trump, président en exercice, a accordé deux grâces présidentielles en quelques jours. Celle de la traditionnelle dinde (en fait des dindes) de Thanksgiving, et celle d’un condamné le général Michael Flynn, celle de Steve Bannon pourrait suivre. Je ne sais plus qui (Nancy Pelosi ?) a considéré que gracier le général équivalait à attester qu’il avait été coupable. De fil en aiguille, je me suis demandé de quoi la, les dindes de Trump (Carrots, précédemment, et là, Corn et Cob) étaient au juste coupables. De là, j’ai voulu me rafraîchir la mémoire à propos de la fête. J’en étais resté à la vulgate historiographique courante voulant que les Pères pèlerins, aidés par un Indien anglophone, avaient pu survivre grâce à la tribu indigène voisine, leur ayant enseigné la culture du maïs, et rendaient grâce à leur dieu (et non à ceux des Indiens). Me vint alors l’idée de comparer les versions francophone et anglophone de la page Thanksgiving. Sur la page anglophone, je vois bien que les Nations indigènes considèrent cette fête comme un jour de deuil, mais rien sur le romancier Benjamin Whitmer, crédité par la version francophone pour avoir fait remontér la fête à une vengeance ou vendetta entraînant l’extermination d’une tribu voisine, celle des Pequots (ou Mohegans-Pequots) de Plymouth et alentours. Bref, bien avant Custer, les pieux pères fondateurs ne se contentaient pas d’évangéliser. Ils réduisirent les survivant·e·s en esclavage (les enfants étant exterminés car inutiles) ou les vendirent. La page anglophone sur les Pequots ne fait pas non plus état du meurtre du colporteur John Oldham ayant entraîné l’élimination des Pequots. De même, l’entrée William Bradford (en ang.) ne mentionne pas ce que rapporte la page (en fr.) selon laquelle il aurait décrété une journée d’action de grâce pour célébrer la victoire sur les Pequots.
Les deux
versions sont conciliables parce que les Pequots ne s’étaient pas fait que des
amis parmi les tribus amérindiennes concurrentes alliées des pères fondateurs.
J’ai voulu
comprendre d’où ce récit de massacre rapporté par wikipedia.fr
provenait. Je suppute que la source en est un article du magazine Géo qui
fait état de l’article de Whitmer dans America. L’américaniste
Virgine Adane convient que « le fait de savoir si Thanksgiving
commémore le banquet de 1621 ou le massacre de 1637 ne fait pas concensus. ».
La vérité tient-elle un peu des deux en ce sens qu’elle aurait amalgamé les
deux événements ? Je ne me prononce pas.
Ce qui
fait concensus, c’est qu’au fil des années, la très pieuse nation des États-Unis
a imposé une perception univoque de la fête, il s’agit de rendre grâce au dieu
des chrétiens qui a donné (Colomb ou autres n’étant que des mortels) le
territoire aux Étasuniens, lesquels sauvent le monde entier (du nazisme, du
communisme, et à présent, avec Trump, des démocrates) de tous les périls, par
la foi et les armes.
Pour la
Trumpland, Donald Trump est l’élu de ce dieu, et il sauvera les États-Unis et l’univers
connu (autres planètes incluses) des terrifiants dangers que constituent l’athéisme
et ses dérivés économiques et sociétaux. Trump incarne l’éconationalisme, seule
réponse aux dérives délétères.
Il
subsiste pourtant, dans l’électorat républicain ou s’y assimilant, la faible possibilité
que d’autres prophètes puissent remplir son rôle.
En
témoignerait un sondage
d’Echelon Insights, repris par Breitbart, selon lequel quand même, ils
seraient 16 % à vouloir se distancer de Trump et même un tiers à souhaiter que
d’autres que lui défendent les thèses de l’éconationalisme. Mais attention, pas
question de le marginaliser trop vite, pour 53 %, il doit rester le
porte-voix de cette bonne parole. Il s’agit de moyennes et sans surprise, l’électorat
n’ayant suivi qu’une formation secondaire est plus trumpiste que celui ayant
accédé (peu ou prou) à l’université. On pourra donc toujours compter sur lui
pour éliminer ses concurrents et agonir ses détracteurs.
Je n’ai
retrouvé qu’une source
primaire sur ce sondage, qui ne porte pas sur la pratique religieuse des
répondants, lequel laisse aussi penser que la Trumpland doute que le parti
républicain reste sous l’emprise de Trump et affidés (ils ne seraient que 13 %
à l’estimer). Le devenir du parti ne serait donc pas forcément lié à la devise
Trump et son droit. C’est un peu rassurant. Mais le même institut considère par
ailleurs que Trump a 52 % de chances d’emporter la primaire républicaine
de 2024 (devant Mike Pence ? Ted Cruz et le Donald junior).
Dans son
discours accordant son pardon aux deux dindes, Trump a fait diverses fois
référence au divin, à la foi, aux prières. En fait, il a davantage fait
référence aux Pères fondateurs, ne mentionnant qu’incidemment la tribu amérindienne
Wanpanoag. Son discours
marque une inflexion de la signification de cette fête. La phrase initiale
laisse penser que ce serait dieu qui aurait conféré « les principes de
liberté et démocratie » qui rendent ce pays « exceptionnel
dans l’histoire du monde ». La fête commémorerait davantage la
première moisson qu’autre chose. J’ai bien sûr la flemme de comparer les
allocutions présidentielles depuis celle de George Washington d’octobre 1789
(celle de Trump ou de ses ghost writers semble quelque peu pompée sur la
lettre de Washington).
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