jeudi 26 novembre 2020

Thanksgiving, commémoration d’un massacre ?

 Banquet ou sanguinaire action de grâce

Angliciste (enfin, ancien…) et non américaniste, je me garderais bien de me prononcer sur les réelles origines de la fête de Thanksgiving. Si la question vous intéresse, je vous laisse poursuivre vos propres investigations.


Bien, Donald Trump, président en exercice, a accordé deux grâces présidentielles en quelques jours. Celle de la traditionnelle dinde (en fait des dindes) de Thanksgiving, et celle d’un condamné le général Michael Flynn, celle de Steve Bannon pourrait suivre. Je ne sais plus qui (Nancy Pelosi ?) a considéré que gracier le général équivalait à attester qu’il avait été coupable. De fil en aiguille, je me suis demandé de quoi la, les dindes de Trump (Carrots, précédemment, et là, Corn et Cob) étaient au juste coupables. De là, j’ai voulu me rafraîchir la mémoire à propos de la fête. J’en étais resté à la vulgate historiographique courante voulant que les Pères pèlerins, aidés par un Indien anglophone, avaient pu survivre grâce à la tribu indigène voisine, leur ayant enseigné la culture du maïs, et rendaient grâce à leur dieu (et non à ceux des Indiens). Me vint alors l’idée de comparer les versions francophone et anglophone de la page Thanksgiving. Sur la page anglophone, je vois bien que les Nations indigènes considèrent cette fête comme un jour de deuil, mais rien sur le romancier Benjamin Whitmer, crédité par la version francophone pour avoir fait remontér la fête à une vengeance ou vendetta entraînant l’extermination d’une tribu voisine, celle des Pequots (ou Mohegans-Pequots) de Plymouth et alentours. Bref, bien avant Custer, les pieux pères fondateurs ne se contentaient pas d’évangéliser. Ils réduisirent les survivant·e·s en esclavage (les enfants étant exterminés car inutiles) ou les vendirent. La page anglophone sur les Pequots ne fait pas non plus état du meurtre du colporteur John Oldham ayant entraîné l’élimination des Pequots. De même, l’entrée William Bradford (en ang.) ne mentionne pas ce que rapporte la page (en fr.) selon laquelle il aurait décrété une journée d’action de grâce pour célébrer la victoire sur les Pequots.

Les deux versions sont conciliables parce que les Pequots ne s’étaient pas fait que des amis parmi les tribus amérindiennes concurrentes alliées des pères fondateurs.

J’ai voulu comprendre d’où ce récit de massacre rapporté par wikipedia.fr provenait. Je suppute que la source en est un article du magazine Géo qui fait état de l’article de Whitmer dans America. L’américaniste Virgine Adane convient que « le fait de savoir si Thanksgiving commémore le banquet de 1621 ou le massacre de 1637 ne fait pas concensus. ». La vérité tient-elle un peu des deux en ce sens qu’elle aurait amalgamé les deux événements ? Je ne me prononce pas.

Ce qui fait concensus, c’est qu’au fil des années, la très pieuse nation des États-Unis a imposé une perception univoque de la fête, il s’agit de rendre grâce au dieu des chrétiens qui a donné (Colomb ou autres n’étant que des mortels) le territoire aux Étasuniens, lesquels sauvent le monde entier (du nazisme, du communisme, et à présent, avec Trump, des démocrates) de tous les périls, par la foi et les armes.

Pour la Trumpland, Donald Trump est l’élu de ce dieu, et il sauvera les États-Unis et l’univers connu (autres planètes incluses) des terrifiants dangers que constituent l’athéisme et ses dérivés économiques et sociétaux. Trump incarne l’éconationalisme, seule réponse aux dérives délétères.

Il subsiste pourtant, dans l’électorat républicain ou s’y assimilant, la faible possibilité que d’autres prophètes puissent remplir son rôle.

En témoignerait un sondage d’Echelon Insights, repris par Breitbart, selon lequel quand même, ils seraient 16 % à vouloir se distancer de Trump et même un tiers à souhaiter que d’autres que lui défendent les thèses de l’éconationalisme. Mais attention, pas question de le marginaliser trop vite, pour 53 %, il doit rester le porte-voix de cette bonne parole. Il s’agit de moyennes et sans surprise, l’électorat n’ayant suivi qu’une formation secondaire est plus trumpiste que celui ayant accédé (peu ou prou) à l’université. On pourra donc toujours compter sur lui pour éliminer ses concurrents et agonir ses détracteurs.

Je n’ai retrouvé qu’une source primaire sur ce sondage, qui ne porte pas sur la pratique religieuse des répondants, lequel laisse aussi penser que la Trumpland doute que le parti républicain reste sous l’emprise de Trump et affidés (ils ne seraient que 13 % à l’estimer). Le devenir du parti ne serait donc pas forcément lié à la devise Trump et son droit. C’est un peu rassurant. Mais le même institut considère par ailleurs que Trump a 52 % de chances d’emporter la primaire républicaine de 2024 (devant Mike Pence ? Ted Cruz et le Donald junior).

Dans son discours accordant son pardon aux deux dindes, Trump a fait diverses fois référence au divin, à la foi, aux prières. En fait, il a davantage fait référence aux Pères fondateurs, ne mentionnant qu’incidemment la tribu amérindienne Wanpanoag. Son discours marque une inflexion de la signification de cette fête. La phrase initiale laisse penser que ce serait dieu qui aurait conféré « les principes de liberté et démocratie » qui rendent ce pays « exceptionnel dans l’histoire du monde ». La fête commémorerait davantage la première moisson qu’autre chose. J’ai bien sûr la flemme de comparer les allocutions présidentielles depuis celle de George Washington d’octobre 1789 (celle de Trump ou de ses ghost writers semble quelque peu pompée sur la lettre de Washington).

Alors que la France véhicule un discours universaliste laïque, les États-Unis en cautionnent certains principes mais les déclarent dons de dieu, donc ne devant pas s’imposer par la raison, mais de par la volonté divine à toutes les nations. Toutefois, Thanksgiving est aussi devenue une fête commerciale. Elle est devenue aussi une fête de la récolte comme une autre (bien qu’un peu plus tardive par rapports aux contrées européennes). Ou une occasion, comme les réveillons, de se réunir en famille ou entre amis. Et puis, la Trumpland ne recouvre pas tous les États-Unis

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