vendredi 20 décembre 2019

Brexit : pardonnez mon anglais, Verhofstadt is right


Les donateurs des Tories filent à la française

Ils sont millionnaires ou milliardaires, mais n’ont pas financé le parti conservateur à la hauteur de leur investissement à Chypre pour conserver la nationalité européenne.
Ce fut cocasse, au Parlement européen, lorsque les députés du Brexit Party ont clamés qu’ils étaient enfin des reines des neiges, libérées, délivrées.
La porte leur est grande ouverte, mais ils n’en préfèrent pas moins rester derrière les barreaux strasbourgeois jusqu’à fin janvier prochain.
Logique : ils continueront à toucher leurs indemnités versées en partie par les contribuables britanniques et de l’Union européenne et les reverseront très certainement à des œuvres charitables. Mais comme chacun sait que se vanter de ses actes de bienfaisance est de, pardonnez mon anglais, de mauvais goût, dégueulasse, ils ont gardé et garderont le silence sur ce beau geste.
S’il y avait des retraites « chapeau » conséquentes pour ces futurs ex-parlementaires, on les retrouverait sans doute bientôt citoyens chypriotes.
Car obtenir la nationalité de Chypre est une formalité peu contraignante : nul besoin de résider sur la partie européenne de l’île, tout peut se faire par correspondance… Il faut juste virer dans un premier temps deux millions d’euros, puis en investir durablement 500 000, par exemple dans une société civile immobilière chypriote.
C’est d’ailleurs ce qu’ont fait de généreux donateurs du Parti conservateur, a révélé Reuters, qui donne quatre exemples de tout premier plan. Les sieurs Alan Howard, Jeremy Isaacs, David John Rowland, James Brocklebank, tous dans la finance. À ces deux millions, il faut ajouter une petite commission à une agence spécialisée, comme la bien nommée La Vida Golden Visas, que Reuters mentionne aussi. Bizarrement, ni le Parti conservateur, ni les intéressés n’ont daigné commenter.
Ce n’est pas le cas du négociateur européen (avec un autre Flamand, et le français Michel Barnier, ils sont trois) Guy Verhofstadt : “Pardon my French (…) British citizens are being s***d by their elite”. En bon français : « Pardonnez mon anglais, ils se font baiser ».
Autrefois, quand les Anglais évoquaient par exemple « le mal français » en français, ils employaient l’expression. Qui, au fil du temps, a filé à l’anglaise vers une autre signification : excusez mon français pour l’incongruité qui va suivre (ou un mot obscène, ou vulgaire, comme la chtouille). Vous vous rappelez les Monty Python et les soldats tous moustachus, les French taunters ? Et leurs invectives moqueuses et surtout injurieuses ? Ah, les vaches !
L’ennui, pour Farage et consorts du Brexit Party, c’est qu’Andorre, Monaco, San Marino et le Liechtenstein sont un poil (de lapin de bois) plus regardants. Le Graal du passeport européen n’est pas aussi facilement accordé qu’à Chypre. Même Malte exige un casier judiciaire vierge et un certificat délivré par la police, et de s’établir pour cinq ans (après avoir versé 650 000 euros, plus de 25 000 à 50 000 euros par tête, au titre du regroupement familial).
Tiens, parlons-en du regroupement familial, qui a disparu de la seconde version du protocole du Bojo qu’il a présenté devant le Parlement. Ce serait un point de négociation avec Bruxelles, donc une sorte codicille pouvant être rétabli avant la fin 2020 avec, pour contrepartie, on ne sait trop quoi.
Sauf que le même Verhofstadt a laissé entendre qu’il faut être deux pour danser le tango et que si les droits des citoyens européens au Royaume-Uni étaient écornés, pardonnez mon anglais, mais la Belgique, par exemple, pourrait se torcher avec le document que soumettront les Britanniques (enfin, les Anglais, car ni les Écossais, ni les Irlandais du Nord, ne seront conviés par leurs voisins à la table des négociations).
Finalement, le SNP ne déclenchera pas (en tout cas, pas très prochainement) un référendum sauce catalane. Holyrood vient d’envoyer un courrier à Boris Johnson qui n’en marquera pas l’enveloppe d’un « retour à l’envoyeur » comme promis. Mais il attendra la fin de la trêve des confiseurs, ou plus tard, pour expédier sa réponse à Édinbourg (ce sera « gnon » dans la tronche, accompagné de marrons sous la ceinture). Les indépendantistes saisiront la justice. Et attendront que les sondages leur soient encore plus favorables. En fait, que les conséquences du Brexit soient ressenties, courant 2021, en Écosse.
Question politique intérieure, les conservateurs veulent que les futurs électeurs présentent soit un passeport, soit un permis de conduire, soit une carte électorale avec photographie pour accéder aux urnes. Ce qui permettra de fâcher la communauté musulmane islamiste, par exemple. Laquelle ne croit pas trop qu’un conservateur hindouiste, chargé d’enquêter sur l’islamophobie au sein du parti, se montre impartial : cet Indien préfère les gilets en alpaga ou mohair à ceux en cachemire (et s’était prononcé sur les musulmans du Cachemire en termes que ne renierait pas Narendra Modi, du parti nationaliste hindou : un dur). Cette carte électorale serait remise gratuitement. Au risque de voir la pièce destinée au Photomaton® consacrée à tout autre chose ? Un voile pudique a été laissé sur les modalités de mise en œuvre de la fameuse carte à laquelle Theresa May avait fini par renoncer.
Il a aussi été décidé d’exempter dix compagnies ferroviaires de l’obligation de se conformer aux normes d’accessibilité pour les handicapés. Cela ne concerne en fait qu’un train sur 11, mais c’est l’une des premières promesses électorales de Boris Johnson qu’il, excusez mon anglais, conchie. Il tirera la chasse sur nombre d’autres, ou en reportera la réalisation à la saint Glinglin.
Et tiens, voilà qu’on découvre que la Withdrawal Agreement Bill (WAB, ou loi ratifiant le protocole Johnson) prévoit de la paperasse pour faire passer des produits de la Grande-Bretagne en Irlande du Nord. Et indique qu’on ne peut estimer les coûts induits pour les entreprises. Mais qu’en cas de no deal, évidemment, cela ne s’imposerait pas… Que vaudrait-il mieux ?
C’est fort de sa majorité que le Bojo a enfin fourni les détails de son protocole. Effectivement, il valait mieux ne pas les divulguer avant les élections.
Sa loi est passée avec une large majorité (358 pour, 234 contre) de 124 voix (soit 44 de mieux que la majorité conservatrice : nombre de Remainers ont jeté l’éponge). Les amendements DUP, SNP et Lib-dem avaient été rejetés. Et comme le Bojo a fait nommer pairs des copines et copains, dont deux de ses ministres, les Lords pourraient peut-être repousser l’échéance, mais non sine die.
Le Brexit à la Bojo veut aussi affranchir le Royaume-Uni de la suprématie de la Cour européenne. Chacun pourra faire ce qu’il lui plait et, pardonnez mon anglais, dire merde à l’autre, un jour ou l’autre.
On comprend que Verhofstadt n’ait pas trop envie de danser avec le Bojo chez Temporel (chanson de Guy Béart). D’ici à fin 2020, le Royaume-Uni pourrait fort bien faire son balluchon et filer à la française sans qu’on cherche vraiment à le retenir.
Resterait l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, vers laquelle, excusez mon américain, Donald Trump ne daigne plus même plus roter, dégueuler ou vesser ses flatulences. Et comme le Donald et le Bojo cochonnent dans la même bauge… Tout comme le Donald, minoritaire en voix, Boris Johnson a recueilli 43 % des suffrages. Mais pour ce vote parlementaire, il est clair qu’il a aussi bénéficié de voix du Labour (six) et d’abstentions.
Nigel Farage s’est réjoui, et Boris Johnson était sollicité pour des autographes. Vote historique, donc, c’est indéniable. Dont Charles Michel, président de la commission européenne, reconnaît la nature tout en signalant que l’équité devra marquer les relations futures avec le Royaume-Uni.
Seb Dance, parlementaire européen britannique, a laissé entendre qu’un divorce sans (ré)conciliation ne pouvait être écarté. Soit un Brexit dur ou un no deal. Je prends les paris, c’est ce qui se profile. À moins que le Bojo retourne quelque peu sa veste et négocie sérieusement, posément, soit, peut-être, au risque de vexer son électorat. Mais quand il proclame qu’il fera de Londres un « Singapour-sur-Tamise », soit se livrer à du dumping fiscal et autre, Michel Barnier, Didier Seeuws et Guy Verhofstadt risquent fort de recommander l’expulsion du Royaume-Uni.
Bah, après tout, si les Anglais veulent jouer à la roulette russe avec une pétoire à un seul coup, bon débarras. Perfide Albion... Tu sais ce qu'il te dit, Guy de Loimbard (Holy Grail) ?

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