Une contre-enquête de Marianne égratigne fort Mediapart
D’une, j’ai à peine survolé les divers articles de
presse relatifs aux accusations à caractère sexuel de l’actrice Adèle Haenel
visant le réalisateur Christophe Ruggia. De deux, je ne me fiche pas de la culpabilité
ou de la sincérité de l’une ou de l’autre, mais j’ai mieux à faire… Mais de
trois, en revanche, il n’est pas anodin de voir un titre de presse décrypter la
démarche d’un autre.
Marianne, sous le titre « Affaire Adèle Haenel —
contre-enquête », consacre cinq pages, rédigées par Gabriel Libert, à la
manière dont Mediapart a traité les propos des protagonistes et ceux des
témoins appelés à se prononcer sur leurs dénonciations, allégations,
réfutations, &c.
Un tel cas n’est pas rarissime, et la récente et toujours
pendante affaire des fonds lybiens présumés avoir été octroyés au candidat à sa
réélection face à François Hollande, le confirme. Le Journal du dimanche mit
en cause Mediapart, qui répliqua (et se penche désormais sur les agendas de
Brice Hortefeux). Sur de gros dossiers politiques ou des grands faits-divers
(clan Bezzina contre tribu Laurence Lacour lors de l’affaire Grégory, mais cela
restait feutré, sans mise en cause directe de la concurrence, de ceux d’en
face, sauf en privé « confraternel »), ce n’est quand même pas
courant depuis l’affaire Dreyfus.
Je ne suis plus abonné à Mediapart (pas du tout par désintérêt
ou sanction), j’achète parfois Marianne quand je prends le train ou l’avion.
Les deux me sont, mettons, « sympathiques ».
C’est d’ailleurs pourquoi je ne vais pas vous détailler par
le menu cette contre-enquête. Je signale juste à mes ex-collègues des écoles de
journalisme qu’elle vaut vraiment d’être consultée, archivée, commentée, pour
le bénéfice de leurs élèves en particulier. Parfait cas d’école (qui devrait
valoir des revenus supplémentaires à Marianne et au confrère au titre du
photocopillage… via la Scam ou autre).
Mediapart partit très fort, titrant «Adèle Haenel veut
que “les bourreaux se regardent en face” ». Diable ! Et que ce soit « la
rédaction » ou divers enquêtrices ou journalistes, depuis le 3 jusqu’au 28 novembre, les papiers se sont succédés à un rythme soutenu. N’étant plus
abonné, je n’ai que la version Marianne et n’y reviendrai que si
Mediapart répliquait en libre accès.
En gros, en y mettant des gants, Gabriel Libert considère
que Mediapart a dépeint un portrait à charge en omettant des éléments et
des témoignages cruciaux. Bien, après coup, c’est beaucoup plus facile de
soutenir une telle hypothèse. Il n’est pas présumé que Mediapart ait sciemment
écarté des faits ou des sachant·e·s qualifié·e·s, ou ait été en mesure de soupeser
la légèreté des dires recueillis. Depuis que l’affaire est traitée
judiciairement, que les parties disposent d’avocats, divers détails qui n’en
sont pas tout à fait se sont faits jour.
Et puis, si Gabriel Libert insiste sur les liens matrimoniaux
et autres entre les témoins à charge, les éventuelles rancœurs d’ex-collaborateurs
ou équipières du réalisateur, cela, début et courant novembre, n’était pas si
évident. Mais, oui, a posteriori, l’intertitre « Des témoins à
charge aux intérêts convergents » semble justifié (mais n’est pas contrebalancé
par un autre sur les liens et intérêts des témoins à décharge, même s’ils sont
signifiés : Véronique Ruggia est la sœur du réalisateur ; Erik
Deniau, directeur de production, s’est retrouvé poursuivi en prud’hommes par
une scripte témoignant pour l’actrice ; Éric Guichard, directeur de la
photographie, ne se prononce pas sur les faits incriminés eux-mêmes).
En fait, Gabriel Libert a surtout le mérite d’avoir
recueilli des propos détaillés du réalisateur qui, jusqu’à présent, ne se
prononçait guère. C. Ruggia indique que l’actrice était restée longuement en
contact avec lui car il espérait finaliser un scénario lui réservant l’un des
deux rôles principaux. Le projet tombe à l’eau puis… Il n’est pas dit qu’entre-temps
survient le mouvement metoo… Il n’est pas relevé non plus que la carrière de l’actrice,
depuis 2001 et Les Diables, hormis un film, en 2007, et un court-métrage, n’a
vraiment redémarré qu’à partir de 2009.
Et puis, Marianne a
réussi a faire parler de sa contre-enquête (quelques heures après la diffusion
dans les rédactions, Le Point, Le Figaro, Le Progrès, Les
Dernières Nouvelles, Ouest-France et les sites « pipeule »
embrayaient, citant l’hebdomadaire, et reprenant une dépêche AFP). Le sujet
figure d’ailleurs sur la couverture de Marianne…
Gabriel Libert mentionne le
cabinet d’avocats Versini-Campinchi & Colin, retenu par le réalisateur.
Mais pas Me Yann Le Bras (pour l’actrice). Me Jean-Pierre Versini, interrogé
sur Mediapart par France Info, avait évoqué un « tribunal inquisitorial ».
Me Fanny Colin reprit l’argument évoquant « un parti pris dès l’origine ».
Gabriel Libert ne s’avance pas du tout si loin.
On verra ce qu’il en sera dans
les jours qui suivent… Soit si divers titres pencheront, avec prudence, pour l’une
ou l’autre des parties. Toujours est-il que, toujours sur la chaîne publique,
Me Colin affirmait que son client « ne prendrait pas la parole »
si ce n’est dans le cadre « de l’enquête judiciaire ». Il
semble que le cabinet ait depuis changé son fusil d’épaule.
Souvent la presse se voit
dépendante de ses sources. Les unes pour, les autres contre, et choisissant leurs
interlocuteurs. S’instaurent parfois des relations plus privilégiées que souhaitable.
Et un titre s’étant un peu trop avancé d’un côté renâcle souvent à faire marche
arrière. Affaire à suivre, donc.
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