Le Donald et le Bojo font pression sur l'Union européenne
Bras dessus-bras dessous, accolades et congratulations :
Donald Trump et Boris Johnson ont joué la totale complicité à Biarritz et se
sont jurés mutuellement que les promesses engagent ceux qui les écoutent.
Alors que Boris Johnson, avant de partager un petit-déjeuner
avec Donald Trump, avait déclaré que la négociation d’un accord commercial
entre le Royaume-Uni et les États-Unis ne serait pas une traversée par grand
vent sur une mer calme, d’un jour à l’autre, tout va pour le mieux.
Embrassons-nous, Foleville…
Ce sera, entre les deux pays, un très vaste accord
commercial, peut-être pas conclu dès le 1er novembre mais « très
vite ». Parce que lui et le Bojo sont en phase, que son interlocuteur
est « fantastique » (contrairement à Theresa May). L’accord
sera « le plus grand qu’il il n’y ait jamais eu », assure Trump.
Normal, il est « l’élu » du Seigneur, “The Chosen One”,
et le Bojo n’est pas loin à ses yeux d’être l’ange Gabriel, sans doute pas tout
à fait son alter ego, mais presque tout comme.
Sauf que, s’il suffit d’être deux pour danser le tango, en
matière de négociations bilatérales portant sur les domaines industriels,
commerciaux et financiers, c’est un peu plus complexe.
Les restrictions à l’exportation de produits britanniques
outre-Atlantique sont multiples, tandis que le Royaume-Uni a beaucoup plus
facilité l’activité des entreprises étasuniennes sur son territoire. Les
États-Unis sont l’un des pays les plus protectionnistes qui soit au monde. Tout
est bon pour, par exemple, barrer le marché à un produit alimentaire (la tourte
de porc, ou la cornish pasty, par exemple). Tandis que si, comme l’a dit Trump, le Royaume-Uni n’avait
plus « le boulet [de l’UE] au pied », tout sera plus facile
pour y exporter des produits américains.
Mais Trump ou Johnson sont prompts à se dédire d’un jour à l’autre,
voire d’une heure sur l’autre… Ainsi, Bojo s’est bien évidemment félicité de l’attitude
et des bonnes paroles du Donald matinal, mais dans l’après-midi, il commentait
que si les États-Unis désirent conclure un accord en un an seulement, « ce
serait vraiment très rapide», car le marché américain est « parfois »
sérieusement bouclé. Parfois seulement ?
Eh oui, être une femme libérée (de l’Union européenne) se
vouant à un amant américain, « c’est pas si facile ».
Pour Johnson, Biarritz a tout d’abord été un terrain de jeu
à « c’est celui qui le dit qui l’est ». Donald Tusk, ancien Premier ministre
polonais, président du Conseil de l’Union, avait rappelé que Johnson était le
troisième dirigeant britannique avec lequel il s’entretient sur le Brexit et que
ce dernier risquait de devenir pour la postérité “Mr No Deal”. Pas du
tout, a rétorqué Bojo. Ce sera toi et les tiens qui resteront les M’sieurs-Dames
« Pas d’accord ». Car lui, il est ouvert, béant même, à tout
accord le satisfaisant ainsi qu’à la majorité de ses électeurs conservateurs.
Par exemple, un accord assorti de la réduction du montant de la compensation à
verser à l’UE de 39 milliards de livres à… environ sept seulement. Parce qu’avec
lui tout a changé, qu’il a refait ses calculs. Sept milliards, c’est mieux que
rien. Voici peu, c’était, pour lui, pas le moindre penny.
Et puis yaka-faukon, et puis tusé, toutéfacil… L’UE n’a besoin que de renoncer à
donner à la République d’Irlande les garanties d’un bakstop et… la
bigamie Royaume-Uni-Union Européenne-États-Unis se passera pour le mieux.
Ce à quoi Tusk a rétorqué qu’il appartenait à Bojo d’avancer
« des idées opérationnelles, réalistes et acceptables » par l’Irlande
et les 26 autres pays (sans compter quand même, par exemple, la Norvège et la
Suisse et des pays associés non-décisionnaires).
Petite anecdote… Alors qu’Emmanuel Macron avait laissé
entendre que Bojo était disposé à faire du Royaume-Uni le vassal des
États-Unis, sa sœur, Rachel Johnson a renchéri à l’occasion d’un tweet : « Chaque
président a besoin d’un Johnson ». Et c’est de Trump et de son frère dont
il est, pour elle, question. Soit de Bojo, l’homme à tout faire, le factotum du
Donald.
Lequel, après avoir laissé l’Élysée annoncer que les membres
du G7 (dont lui-même) laissaient les coudées franches à la France pour s’adresser
à l’Iran, a attendu quelques heures pour moucher Macron : qu’il fasse avec
les Iraniens ce que bon lui semble, cela ne l’engage pas, lui. « On va
continuer à agir chacun dans son rôle », a donc rectifié Macron.
Trump décide de tout souverainement… Abe Shinzo, le Premier
ministre japonais, l’assure que Kim Jong-un, le dictateur nord-coréen, viole
des résolutions de l’Onu en procédant à des essais de missiles, Trump lui
répond que c’était prévu entre les États-Unis et la Corée du Nord… Pas de quoi
se froisser, et de toute façon, l’Onu, Trump s’en balance. Comme d’ailleurs du G7,
en fait. Ou des mesures de rétorsion chinoises, des risques de récession
généralisée, de l’Amazone en feu, comme d’ailleurs de Boris Johnson si celui-ci
se rebiffait.
Quand le Donald qualifie de Bojo de ”right man for the
job”, il faut comprendre que lui décide et Bojo exécute. Soit en substance :
rejette la responsabilité sur l’UE d’une sortie sans accord du Royaume-Uni,
fais-toi réélire, et tu auras tes gages plus peut-être une petite prime.
Tout le jeu de Johnson consiste à présent soit à prolonger
les vacances du Parlement britannique de cinq semaines, soit à se faire
révoquer à l’occasion d’une motion de censure pour préparer des élections
générales auxquelles l’électorat conservateur est préparé (et les autres
électeurs travaillés au corps à la faveur d’une campagne en ligne et audiovisuelle sans précédent
assurant que le Brexit sera sans douleur). Et si cela suspendait le Brexit (à
condition que l’UE y consente), ce sera la faute du travailliste Corbyn ou de
tout autre.
Une fois réélu, assurera-t-il, il sera en position de force
à Bruxelles. Ce ne seront plus sept milliards, mais six, mais cinq… Jusqu’au
faire rendre gorge aux 27 avec l’appui de Donald Trump menaçant les vins
français, puis les fromages de Hollande, puis les brocolis italiens, et les
saucisses allemandes. En parallèle, du moment que Johnson ne touche pas à la
taxation des Gafas d’Amérique, des micro-brasseries britanniques (pas toutes…) seront
autorisées à écouler quelques bouteilles outre-Atlantique… un jour, ou l’autre,
ou le suivant.
En attendant, Johnson assure à Tusk qu’il est en phase avec
l’Union européenne sur l’Ukraine, la Russie, l’Iran, Hong Kong… « Tout à
fait, mon petit Bojo » a répondu Tusk poliment. Comme cela ne contredit
pas les positions de Trump, cela ne mange pas de pain. « Quoi qu’il
advienne, les liens étroits entre le Royaume-Uni et nos amis européens persisteront
après le 31 octobre, » a renchéri Johnson.
Ce qui est clair, c’est que Trump considère que le Royaume-Uni
sera un partenaire plus commode hors de l’UE qu’en dedans. Mais on peut finir
par se demander, comme le laisse entendre Marc Bassets d’El Pais, si ce
n’est pas simplement parce qu’Obama soutenait le contraire, et qu’en fait le Royaume-Uni
était un bon relais à Bruxelles dont il ne fallait surtout pas se priver.
Ce qui est évident, c’est que Boris Johnson a fait grand cas
de sa relation avec Donald Trump, conviant les chaînes et radios britanniques à
relayer ses propos sur sa fermeté accrue vis-à-vis de Bruxelles, fort de l’appui
américain… Mais pour la presse nord-américaine, canadienne incluse donc, c’est
un sujet fort mineur, voire un non-sujet. It’s China, stupid! La guerre
commerciale entre les États-Unis et la Chine, les relèvements de taxes, la parité
des deux devises, sont de tout autres mobiles de préoccupations…
Bojo constatera demain, lundi, si ses bons mots ont eu une influence
sur le cours de la livre sterling. Lequel dépendra surtout de la tournure des
relations sino-américaines.
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