Un·e musulman·e de France sur cinq victime d’arnaque au Hajj ???
Selon on ne sait finalement trop qui, environ 4 000
musulman·e·s français·e·s se seraient fait arnaquer d’au moins 6 000 euros
pour participer à l’Omra ou au Hajj (Médine, La Mecque). Pour la plupart, ce
serait sans recours.
Lorsqu’il est question de médialogie, autant préciser au
préalable « d’oùsqu’on cause ». Une concierge de ma rue me lança
récemment : « Il paraît que vous seriez ”journaliste” »
(quatre doigts écartés de part et d’autre de la taille, ce qui change
agréablement de cet anglicisme visuel, quatre en crochets de part et d’autre du
front). Non pas, journaliste retraité (25 ans de carte de presse 47 640
sur près de 40 ans d’activité journalistique, passage volontairement écourté au
Cuej, nombreux stages au CFJ-CFPJ, &c.). Ce qui ne m’autorise pas plus
qu’un autre de traiter sérieusement de ces arnaques aux pèlerinages à La
Mecque, car je n’ai jamais été spécialisé en rubrique religieuse, et pour celle
intitulée « société », j’ai très rarement (et superficiellement) traité
des communautés musulmanes. Et puis « journaliste » c’est devenu
suspect, forcément suspect. Je fais avec.
En sus, ce qui suit n’approfondit nullement la question. Il
ne s’agit que de traiter de l’article « Voyage à La Mecque : de
nombreux pèlerins dupés par des agences de voyage » (Cécile Chambraud,
site du Monde, ce jour), et de celui d’Hanan Ben Rhouma (site Saphir
News, mis en ligne le 8 août), « Hajj 2019 : des milliers de
pèlerins de France cloués au sol… ».
En sus, je m’affranchis de préoccupations déontologiques
approfondies : ce n’est qu’un billet de blogue-notes… Je ne garantis que
la sincérité de mes propos.
Mieux sourcer
Mon châpo, tout d’abord… Deux conditionnels
(« seraient/serait »). Pourquoi ?
Parce que tant Cécile Chambraud qu’Hanan Ben Rhouma ne
qualifient pas leur principale source.
Le nombre avancé, « entre 3 000 et 5 000 »
victimes, provient d’un certain Omar Dakir, « fondateur de
l’Association culturelle d’entraide et de fraternité (ACEF) »
(Chambraud) ; ou « entre 4 000 et 5 000 musulmans »
(Ben Rhouma, non sourcé ; mais, dans un autre article « entre
3 000, selon nos premières estimations, et 5 000 personnes »).
En fait, pour Ben Rhouma, la source serait « les professionnels du
secteur ».
Ou le seul Omar Dakir ? Dont le site, ac-ef.fr,
précise : « notre association possédant l’extension
d’immatriculation touristique… » (http://www.ac-ef.fr/plus-de-transparence/).
Il s’agit donc d’un·e concurrent·e des autres organismes.
Nos deux consœurs (un retraité demeure confrère honoraire) s’accordent
sur le mécanisme (Chambraud mentionne d’ailleurs «SaphirNews »).
Des agences agréées par le représentant du ministère du Hajj au sein de l’ambassade
ou du consulat saoudiens n’ont pas vu renouveler leurs autorisations d’obtention
de visas. Or, seules les agences commerciales ou les associations peuvent
déposer des demandes de visas (depuis 2006). Ce pour diverses raisons tenant ou
non au contingentement des arrivées en Arabie lors du pèlerinage (La Mecque est
alors engorgée, des mouvements meurtriers de foule peuvent se produire). Ou au
fait que traiter des visas individuels oblige à recruter, former, rétribuer.
Ce fut par exemple le cas d’Amen Voyage, agence dirigée par
Salah Mabrouk, dont l’activité essentielle n’est pas de vendre des séjours à La
Mecque (elle ne prend en charge qu’une douzaine de clients en direct chaque
année), mais de revendre à d’autres structures son quota ex-habituel de quelque 2 000
visas. Dont à l’agence Tawhid Travel qui n’aurait pas, selon sa direction, été
informée du retrait d’agrément d’Amen Voyage, Salah Mabrouk assurant du contraire :
il appartenait à Tawid Travel de répercuter l’information auprès de ses clients…
Et de les diriger à temps vers une structure agrée, comme par exemple
Action-Visas (« spécialisée sur l’Arabie saoudite », selon son
site accédé ce 26 août, et sous réserve qu’il soit à jour). Coût d’un visa
obtenu ou refusé en temps utile via Action-Visas : 135 euros, « tarif
minimum en délai normal ». Forte marge : le visa pèlerinage est délivré gratuitement par l'Arabie.
Dédommagements aléatoires
L’ennui pour les victimes, si j’ai bien compris ce qu’a
développé la direction de Tawhid Travel pour Ben Rhouma, c’est que ces agences
rembourseront lorsqu’elles obtiendront devant les tribunaux dédommagements des
agences ou structures fournisseuses. Ces dernières ne seraient pas moins, pour 2019,
d’une soixantaine. Le chiffre antérieur (2018) n’a pu être obtenu par Ben
Rhouma, ni de l’ambassade ou du consulat saoudien, ni auprès du consul général
de France à Jeddah.
Ben Rhouma conclut sur « l’importance de s’assurer
(…) que la structure (…) soit agrée Hajj par l’Arabie Saoudite. ».
Bien, mais comment donc ? Un peu d’info-service n’aurait pas été de trop…
Or, si notre consœur n’a pas été « en mesure de
joindre l’ambassade d’Arabie Saoudite » et a dû se fier à « un
professionnel du hajj bien informé » pour consulter la liste, il peut
être présumé qu’un particulier ne sera jamais en mesure d’obtenir directement
ce renseignement crucial.
Idem pour Chambraud qui indique que « les
données sûres manquent » et que Fateh Kimouche, du site Al-Kanz
soupire : « Tout est tellement invérifiable ». Tiens
donc, l’ambassade ne serait-elle pas l’instigatrice de ce flou ? La
question reste en suspens… Serait-ce aussi parce que, parmi des associations,
certaines sont étroitement liées à des mosquées, comme celle « de la
région parisienne » que Ben Rouhma n’a pu joindre (pourquoi ne pas la
nommer ?). Toujours est-il que Chambraud indique que le ministère de l’Intérieur
français se serait vu communiquer la fameuse liste : seulement un mois
avant le début du pèlerinage ? La consœur du Monde reste évasive sur
la question… Le ministère aurait convié les agences agrées à une rencontre
« début juillet ». Son encadré (accessible
en intégralité sur le site) laisse sur sa faim sur ce point… Il indique cependant
que même des agences agréees négligent tout simplement d’inclure dans leur prix
(fort) le voyage de retour : « des fidèles (…) se sont retrouvé
coincés à l’aéroport. ».
Des Action-Visas, il en est de multiples… Aux tarifs pouvant
varier du relativement peu au double, triple, &c. CIBT Visas indique
que les autorités saoudiennes demandent 30 € pour un visa, plus 12 afin d’approuver
« le formulaire de police d’assurance » (couvrant frais médicaux
et rapatriement éventuel). Total : 42 euros. Or, indiquent Al-Kanz et
France Hajj, « le visa pour le hajj est bien gratuit » et l’agence
« n’a pas le droit de vous vendre un visa hajj » (Guide du
Hajj sans souci, 2009).
Un pactole très réparti
Les agences semblent réaliser des marges allant de… mettons
un millier d’euros à… allez savoir. On ne comprend pas trop pourquoi Le
Monde indique un prix de voyage/séjour moyen de 4 500 (deux semaines)
à 5 500 euros (trois), ou entre 4 300 et 4 500 pour trois
semaines. Le coût total facturé tournerait, selon Saphir News, « vers
les 6 000 euros » (pour quinze ou 22-23 jours ?). Car
agences et associations, cultuelles ou autres, emploieraient des « rabatteurs »
rétribués, des intérimaires non-déclarés, peut-on supposer, dont on ne sait s’ils
déclarent leurs gains au fisc.
Ce qui étonne, c’est que Saphir News fournit un lien vers
une autre page datée de juillet… 2014, faisait état d’une association d’organisateurs
agréés plus ou moins patronnée par le Quai d’Orsay, dont le chargé de mission
était un certain Roland Dubertrand (depuis, ambassadeur au Chili en mars 2018,
au sultanat d’Oman auparavant).
Mais où est donc passée cette « cinquième compagnie »,
la CHF (Coordination Hajj-France ?). Figurez-vous que, sur son site
(lechf.org), accédé ce jour, on trouve… Amen Voyages ! (mais non Tawhid
Travel, sise à Meudon et en Belgique, dirigée par Issem Sta). Le CHF
représenterait donc 56 agences et « une association de culte »
sur les 63 « structures » de la liste consultée par Ben Rhouma…
Mais seulement 54 organismes figurent sur l’annuaire (comptage en déroulant la
page des « adhérents », d’Africa Voyages à Zoom Planète). Trois de
chute, donc (sans inclure Amen Voyages, toujours agréée, selon le CHF, semble-t-il,
à ce jour).
La question qui se pose et à laquelle il n’est pas répondu :
pourquoi donc le ministère de l’Intérieur (ou tout autre, celui qui régule les
agences de voyages, Bercy, qui chapeaute la Direction […] de la répression des
fraudes), ne peut contrôler et cette liste, et les agences ou organismes se
targuant de figurer dessus.
Pour revenir aux deux articles, ils convergent pour laisser
entendre que le coût total d’un pèlerinage dépasse largement six à sept milliers
d’euros. Il faut ajouter le coût de congés sans solde, de gardes d’enfants
(parfois en faisant venir, à ses frais, des proches du Maghreb ou d’ailleurs).
Pour « Souad », assistante maternelle rencontrée par Chambraud, ce coût
s’évalue à 8 780 euros, pour seulement deux semaines et un tarif « économique ».
Et encore, elle est restée en France… Car selon le site Le Muslim Post, l’an
dernier (article du 15 janvier 2018), deux fidèles, une fois sur place ont dû
acquitter « 800 euros de frais supplémentaires ». Belle perte
pour l’économie française, soit-il signalé au passage.
Souad a aussi remarqué que toutes les agences contactées affichaient
les mêmes forfaits et les mêmes tarifs. Ce qui laisse s’interroger sur la
véracité de cette affirmation ou sur l’objet réel du fameux CHF. Lequel prône
la « solidarité » entre collègues adhérents (page Congrès d’Aix-les-Bains).
Je poserai la question à son président, M. El Houssine Marfouq
(via contact@lechf.org).
Fondé sur la confiance
Toutes les arnaques sont possibles. Le site comparateur hajj-mecque.com
ne liste que sept agences agréees et bizarrement Chaïma Travel en sus, dont les
conditions générales laissent présumer qu’elle remet carnet de voyage et visa
directement à l’aéroport. Un site saoudien, celui du ministère du Haj &
Umrah (Omra) semble permettre de vérifier à l’avance si un visa pourra ou non
être demandé (réponse dans mon cas : “No Umrah visa request available”).
Il ne s’agit pas ici de distribuer des bons points à des consœurs
(qui en méritent de multiples), mais il semble que ces articles ont négligé un
point « de détail ». Selon Saphir News, la France aurait compté 13 554
musulman·e·s (de nationalité française ou résident·e·s) ayant participé au Hajj 2019. Pour, si on comprend bien, entre 17 et 18 000 candidat·e·s dont de 4 000
à 6 000 escroqué·e·s (jusqu’à 5 000 selon Omar Dakir, davantage si
les estimations de Saphir News étaient révisées à la hausse). Soit un
pourcentage de… Allez, mettons environ 20 % (22,22 % ?). Ce ne serait
pas un cinquième ? C’est le genre d’approximation que se permet souvent la
presse et que ne se sont pas autorisées ces deux journalistes (ni leurs
secrétaires de rédaction, tant mieux). Et que j’assortis de points d’interrogation.
Pour combien de frères et sœurs (en l’islam, de l’oumma) à l’origine
des arnaques ? Là, impossible de situer du fait de l’incertitude sur le
nombre des multiples intermédiaires… Dont quelques-uns aussi rétribués par les patrons
d’hôtels saoudiens ayant encaissé à l’avance le coût des réservations en sachant qu’ils
pourront vendre deux fois les chambres forcément restées libres ?
Toutes choses que, même en une page (toute la 9, en rubrique
« France »), Cécile Chambraud ne pouvait aborder.
Nombre de ces agences exploitent la fibre religieuse (Tawhid
Travel Belgique, qui a honoré ses prestations, emploie par exemple un « doctorant
en science religieuse »). Rabatteuses et rabatteurs sont le plus
souvent assidus aux cultes. Amen Voyage se situe à proximité immédiate de la
mosquée Omar (11e ar.). Alors qu’importent les prix exorbitants (5 290
€/personne pour le « court séjour éco » en chambre à… quatre
lits, 6 290 pour un voyageur en chambre à deux lits, chez Amen Voyage). C’est
le voyage « d’une vie » pour accomplir le cinquième pilier de
l’islam. Et en général, les victimes s’en remettent au jugement d’Allah… C’est
d’ailleurs ce que constate le site Al-Kanz qui recommande de faire un
signalement à la répression des fraudes : « si vous choisissez de
vous taire comme c’est tristement le cas de l'immense majorité des victimes
depuis tant d'années, les escrocs recommenceront. » ; « les
clients bien que floués préfèrent ne pas donner suite. ».
L’agence Kheops (Marseille) fut dénoncée, véhémentement, dès 2015 (visuel). Elle figure sur la page des adhérents du CHF. Nour Voyages en
sept. 2018, pour absence de guide (facturé) sur place. Idem. En
revanche, l’association musulmane turque Millî Görüş ou celle des habous de la
mosquée de Paris (agrées par le ministère saoudien en 2016) restent absentes de
cette page… Insolite.
Cela étant, mais c’est un autre sujet, même Al-Kanz, qui
avait dénoncé une arnaque aux moutons de l’aïd (carcasses de moutons de
diverses provenances portant l’étiquette de certification de la mosquée d’Évry)
ne s’est pas trop interrogé sur la façon dont cette mosquée attribue généreusement
ces labels aux grossistes et bouchers.
On ne voit pas trop non plus sur le site de ac-ef le nom des
agences « indélicates », dont celles des trois ayant employé pour
rabatteur l’imam de l’ex-mosquées Malik Ibn Anas d’Ecquevilly : une
perquisition, en février dernier, avait permis de retrouver 53 000 €
en billets et pièces (Le Parisien, 25 fév.) chez lui.
Pour les complotistes…
Et si Tawhid Travel (environ 650 clients lésés pour trois
millions d’euros au total) avait été victime d’une manipulation ? Comme
elle emploie des guides salafistes lors du pèlerinage (selon les universitaires
Leila Seurat et Jihan Safar, voir
leur entretien avec Henri Mamarbachi), aurait-elle, via Amen Voyages, été acculée
à la faillite pour d’obscures raisons liées à des luttes d’influence ou à des
pressions diverses ? Mais dans ce cas, parmi les organismes victimes d’Amen
Voyages, on compte aussi la mosquée de Stains, l’agence El Mouslim (qui propose encore des programmes Omra de septembre prochain à avril 2020),
Neostram-Voyage à Nice et Fréjus (plus d’offres à venir), d’autres… Amen
Voyages n’aurait (conditionnel) même pas été prévenue du retrait de son
agrément…
En fait, le véritable « complot » est celui du
silence : peur de se voir refuser ultérieurement un visa (après avoir
reconstitué de fortes économies) ou « de porter atteinte à l’image de
la communauté », selon Jihan Safar… En réalité, une autre grosse
agence de type « grossiste » serait aussi visée en raison de
pratiques identiques. Ce parce que l’Arabie veut développer le tourisme hors de
la Mecque et de Médine (donc peut-être faire baisser les prix, voir offrir des
prestations de qualité). Au temps pour la (l’hypo)thèse du complot…
Mais Cécile et Hanan abordent peu ces problèmes… Eh oui, « la
presse n’en parle pas », donc il y a « anguille sous roche ». Rappelons,
c’est sur ce blogue-notes un leitmotiv, que la plupart des sites complotistes proclament
que « la presse n’en dit rien » alors que leurs sources primaires
sont très souvent des sources fiables, de presse. Et puis, comptez les lignes
supra, enlevez le verbiage : sauf à se voir confier la rédaction d’un
dossier complet (un cahier de quotidien, multiples pages d’un site), impossible
d’être exhaustif.
Cela étant, le marché du hajj a été progressivement capté
par les acteurs se proclament plus salafistes ou wahhabites que musulmans d’autres
obédiences (soufis, makélites… chiites, évidemment). Il serait peut-être temps
que l’islam français soit moins opaque. Mais cela, c’est une opinion, d’éditorialiste,
et non de journaliste de terrain. Ne plus confondre « journaliste »
et « animateur-chroniqueur », merci. Et puis, concitoyen·ne·s
musulman·e·s, avant de me taxer d’islamophobie, merci de me relire
soigneusement…
Je suis religiophobe modéré, mais je ne mélange pas les genres.
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