mercredi 31 juillet 2019

Le Petit Catalogue permaculturel de Jean-Jacques Tachdjian


Tachdjian mode VPC

Voici un catalogue quadri (une et der’ de couv’) et dichrome à l’intérieur. Le titre ? L’éditeur ? Eh, rareté, seules et seuls les méritant·e·s valent que ces indications soient divulguées.
Il y eut une mode des recueils et albums de néologismes improbables et d’objets farfelus, style ceux de Gaston Lagaffe, mais la mémoire me manque… Enfouis dans une pile bouquins, je dois bien encore avoir deux-trois ouvrages de Jean-Loup Chifflet, mais j’ai la flemme de tout chambouler… Le Cafard laqué ? Le Mokimanké ? Cela étant, qui détiendrait la collection complète des catalogues de la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne y trouverait peut-être des appareils et ustensiles dont nos jeunes contemporains pourraient douter qu’ils n’aient jamais existé.
Me viennent aussi à l’esprit certaines créations des Helvètes Plonk & Replonk figurant dans leurs albums ou sur leurs cartes postales, style camionnette-amphibie volante ou « les véritables œufs de ponte » (se méfier des imitations).
Les dessinateurs Topor et Copi en imaginèrent-ils ? J’ai le souvenir convalevanescent à éclipses inarrachable au revers de ma boutonnière, et dans mon fouillis un lanterneau clignotant à lumière noire ne se déclenchant même plus dans les ténèbres de mes oublis, et je regrette de ne pas trouver en ligne une bibliographie exhaustive de ces dictionnaires, encyclopédies, albums illustrés, recueils et florilèges d’expressions dadaïstes ou surréalistes, et autres curiosités de cabinets d'érudits parfois visionnaires, rétro-futuristes, paléo-projectives, &c.
Nul doute que Le Petit Catalogue permaculturel illustré, moral et punkédélique des armes et cycles de la famille et du travailleur moderne au xxie siècle y figurerait en bonne(s) place(s). Soit chronologiquement en maillot jaune ou de lanterne rouge, soit alphabétiquement en ultra-gras si diverses graisses étaient affectées aux œuvres majeures, intermédiaires et mineures.
« Petit » rappel sur l’auteur ? Mission impossible. Depuis ses premiers gribouillis aux crayons de couleur sur les murs de sa chambrette infantile (ou enfantine) jusqu’aux œuvres typographiques et graphiques de son actuelle maturité, on atteindra bientôt sept décennies de créations en rafales quotidiennes, jours chômés inclus. Toute rétrospective d’ampleur est forcément lacunaire. Le nombre des faux flagrants et reproductions de Salvador Dali est incommensurablement surpassé ; ce, histoire de faire pressentir un ordre de grandeur difficilement imaginable.
Ce Petit Catalogue permaculturel ne compte que 178 pages qui sont sans doute la résultante d’une sélection plus que drastique. Résumer ? Merci de ne pas exiger l’impossible : c’est l’équivalent d’un condensé de tous les écrits abrahamiques des origines à nos jours que vous réclameriez. Car finalement, le permaculturalisme c’est à peu près cela, le trou noir régurgitant — compacté à l’extrême — l’ensemble des conceptions des êtres vivants depuis l’avant-stade protozoaire (ou métazoaire, je ne sais plus trop si je n’ai jamais su). Le stade ultime du dépassement à venir du clanisme, du capitalisme, du socialisme d’après le communisme, et je vous en passe (mention furtive pour le monachisme nonobstant : Jean-Jacques Tachdjian étant un « anachorète social » de fort longue date).
Bon (attaque de phrase marquant l’embarras, l’indécision, la pensée floue selon Donald Trump), extrait sommaire de la table des matières (pp. 42-150) :
* accélérateurs de survie biologique basique ;
* incapaciteurs émotionnels de niveau ii ;
* désinhibiteurs symboliques de pensée ;
* activateurs temporels de comportements psycho-sexuels ;
* activateurs neurosomatiques spatiaux ;
* métaprogrammeurs d’abstrations télépathiques ;
* métaconnecteurs de mémoire génétique ;
* psycho-atomiseurs neuro-atomiques.
Ce qui vous laisse subodorer préface, postface, et ce qui précède et s’ensuit.
Notez que les prototypes d’incapaciteurs de niveau i ont été expurgés.
J’aurais dû me précipiter jusqu’aux métaconnecteurs, comme l’alternateaseur, le bébé-nageur de fond, le libidiniseur coaxial, et aux publicités (parodiques) pour le déodorant cervical, et le module additionnel prêt à l’emploi reniflant la beauté intérieure. Bien sûr j’ai opté illico pour l’orgasmatron, le sent-bon de cyprine, et autres produits que même l’impudeur réserve à un public majeur initié.
Je devrais illustrer davantage, au risque que les algorithmes de Facebook retoquent ce qui antériorise et subséquence aux motifs d’incitation à la lubricité, glorification de la fornication, racolage des prépubères pubescent·e·s s’adonnant au stupre et au « tout sauf tout » tandis que leurs parents s’ébattent en clubs échangistes.
Si « Jiji » Tachdjian m’avait consulté, nous aurions dépassé le tirage de cent exemplaires. J’aurais bien trouvé des annonceurs pour les deuxième et troisième de couverture et des intercalaires. Sauf que Tachdjian est publiphobe et qu’il m’aurait excommunié, voire télépathiquement voué aux affres de la démence masochiste… Merci, Jiji, de ne pas m’avoir exposé à la tentation.
Un collector, donc. Cela étant, après ces tirages de tête concédés à 14 euros expédition comprise, en fonction de la demande, des retirages à l’unité sur papier de qualité, grammage, format, &c., inférieurs, sont envisageables.
Dédicace exclue pour les suivants (au fait, Jiji, renvoie-me donc un exemplaire dédicacé, s’il t’en reste, ce sera pour offrir : « À qui se verra offrir ce Catalogue par Jef Tombeur » conviendrait ; je ne sais pas déjà qui je vais draguer avec ça).
Où trouver ce Petit Catalogue permaculturel illustré, &c. ?
Eh, oh, de peur qu’il ne tombe en de mauvaises mains, de spéculateurs éhontés, de thésaurisatrices avides de limousines, de bolides et jets suréquipés pollueurs, ne comptez pas sur moi pour vous livrer un lien. Pour les autres : indice « La Chienne » (com’ qui dirait lachienne). Reniflez la piste… Pas contre les murs, malheureuses, béotiens inconscients des us de la gent canine femelle. Mais, là, au beau milieu, sous vos narines. Au ras du bitume de la voie d’escampette immatérielle, fin·e·s limier·e·s.
Conclure, dit-elle, conclusive, forcément conclusive, la phrase ultime. À vos marques, prêt·e·s, partez !

P.S. — Je ne sais si Tachdjian a déjà expérimenté les variable fonts et le colophon ne le mentionne pas ; mais il vous porte à élargir vos horizons, par exemple en employant le format .webp (convertible grâce à Pixillion, ou Irfanview). Jiji a toujours été à la pointe de l’insurrection technologique qui survient dans sa sous-pente. Mine de rien, en catimini. Ou caninimini. Dassault-Systems lui doit beaucoup. Après Grenoble, Sophia-Antipolis, la Silicon Valley, c’est désormais Zhongguancun et Shenzhen. Pourvu sur ce Petit Catalogue permaculturel illustré, moral et punkédélique… échappe à la vigilance de la veille technologique asiatique ! Sinon, vendez vite ! Au son du clairon.

Décès de Steve Maia Caniço : un symptôme ?

Le brigadier  Steve Maia Caniço se serait-il suicidé ?

Se prononcer sur le décès de « Steve » (Maia Caniço) peut exposer à des réactions diverses... Ne pas se prononcer confine à l'omission a-civique. Le faire avec justesse est épineux.
Au téléphone, un ex-Nantais résidant toujours en Loire-Inférieure, en Pays de Retz... « Steve » ? Un chanteur  ?
N'ayant, depuis des semaines, pas poussé plus loin que Rezé, n'écoutant pratiquement que France musique, mon pote sait nonobstant vaguement que Castaner est « le ministre de la castagne » selon ses termes, à lui, « Jipé ». Cela pour situer un cas d'a-civisme.
C'est, lisant Denis Guénoun, employant tant athéisme qu'à l'occasion « a-théisme », que ce néologisme d'a-civique m'est venu à l'esprit.
Quant au titre ci-dessus, mal-pesé, qu'il n'y soit pas imputé instinctivement une signification kabbalistique : je ne présume pas que Steve Maia Caniço aurait envisagé de faire carrière dans la police, je respecte tant sa mémoire que celles de policières et policiers ayant mis fin à leurs jours.
S'en tenir aux faits
Première réaction après l'allocution du Premier ministre : que ne s'est-il abstenu d'avancer une hypothèse alors que diverses investigations sont en cours et que le Défenseur des droits se soit auto-saisi.
Première réaction après avoir consulté Facebook : se pourrait-il que la dépouille de Steve n'ait été retrouvée si tardivement que pour faire en sorte de ne pouvoir établir qu'il aurait reçu des coups, des projectiles, du gaz lacrymogène, je ne sais quoi... 
Dans les deux cas, il y a de quoi s'inquiéter...
Édouard Philippe, et plus encore Christophe Castaner, confrontés au malaise ressenti par diverses composantes des forces garantissant « la paix » et le « maintien » de l'ordre, semblent de prime abord écarter toute responsabilité de l'une de leurs composantes. Il semble pourtant que, même si Steve Maia Caniço fut bousculé par des personnes se jetant dans la Loire, il ne fut pas la victime involontaire de lemmings affolés en raison d'un mouvement collectif fortuit.
Dans le second cas, le fait que des recherches aient été activement menées et qu'en définitive, c'est par hasard que des civils aient repéré le corps ne doit pas conduire à supputer que ce hasard devrait résulter de circonstances moins casuelles. La Loire, pour qui la connaît, est un long fleuve imprévisible. Elle peut emporter au loin et faire revenir à proximité du point de chute.
Quant aux indéniables violences policières elles résultent soit des circonstances, de dispositifs mal adaptés (que ce soit sciemment ou non est très difficile à déterminer), soit d'ordres inconsidérés provenant d'échelons inférieurs, soit d'individus qu'un syndicaliste récemment sanctionné a qualifié de « chiens fous », qu'ils soient mal formés ou pris d'une rage subite ou se comportant comme des bourreaux de cours de récréations restant à départager au cas par cas.
Qu'un menotté se trouve subir de réelles souffrances peut résulter d'une intentionnalité comme de l'inexpérience, de la précipitation.
Que des gens se refusent à se plier à des injonctions policières peut résulter de multiples causes et circonstances allant de « casser du flic » à l'impossibilité d'obtempérer tant bien même en aurait-on l'intention.
Droites et gauches convergentes ?
L'approche qui précède peut être taxée d'apolitique, donc de droite... Que nenni... On constate que maintenant une certaine droite se prononce avec une virulence égale à celle de composantes de la gauche sur les violences policières, les unes et les autres voulant se rallier les bonnes grâces de telle ou telle fraction ou portion des Gilets jaunes. Je fus fort surpris, voire stupéfié, de le constater. Je n'aurais jamais imaginé, par exemple, des nostalgiques de Nicolas Sarkozy en venir presque à exonérer « le peuple en colère » de certains débordements (qui ne sont pas le fait que de gens tentés par un radicalisme croissant, dans certaines situations les comportements peuvent évoluer).
Ce n'est certes pas inouï : réflexes de classe (possédante ou s'y assimilant) ou de caste (appareils des partis et syndicats, parfois soumis à des directives suivies aveuglément comme on le vit avec le PCF inféodé au dirigeant de la « patrie des travailleurs »), tactiques temporaires foireuses, ont déjà conduit, par le passé, à de telles insolites convergences.
Il demeure que cela fait trop longtemps que des gouvernements se retrouvent otages de parties des « forces de l'ordre » défendant l'indéfendable pour des raisons diverses (électoralisme, crainte d'une saignée dans les effectifs, que sais-je encore...). Que des magistrats, pour des raisons diverses, idéologiques, clientélistes ou non (influence de la magistrature debout dont le pouvoir d'investigation dépend de la bonne volonté des uns, policiers, ou des autres, gendarmes, ce qui peut avoir des répercussions sur l'avancement et les résultats), font preuve parfois — l'inverse peut aussi être quelquefois constaté – d'une singulière mansuétude.
L'affaire Steve n'en est pas plus exemplaire que d'autres : sur le fond, la circonspection doit prévaloir. La présomption d'innocence doit s'appliquer aussi aux policiers étant intervenu en général, voire en particulier. Personne n'a vu Steve soit être jeté, soit se jeter, soit tomber accidentellement à l'eau et je ne présume absolument rien, n'avance aucune hypothèse. Ni ne vocifère.
Dire, ne rien dire...
Édouard Philippe s'est retrouvé avec, entre les mains, un rapport difficile à commenter. Il fait notamment état d'un policier donnant des coups à une personne à terre, de ce que les chiens policiers sont restés en laisse, qu'il y  a eu usage de gaz lacrymogènes, que cet emploi fut estimé inadéquat par un supérieur, &c. Seule sa synthèse (dix pages sur 235) a été rendue publique. Il n'empêche qu'il a délibérément opté pour mettre en avant le fait qu'un lien direct entre l'intervention policière et la mort de Steve ne peut, pour le moment, être établi. Il pouvait procéder autrement... Ne serait-ce qu'en s'en tenant à la langue de bois (condoléances, expectative en l'attente du résultat de l'information contre X du chef d'homicide involontaire). 
Qu'on le veuille ou non, l'impression résultante est que le Premier ministre semble plus soucieux de couvrir son ministre de l'Intérieur et les troupes policières que d'autre chose.  On aurait plus volontiers admis qu'il s'en abstienne. 
Nous en sommes (nous, citoyennes et citoyens) à 44 suicides dans la police en sept mois. Six par mois (faire état de décimales me semble déplacé). Sans doute pas uniquement pour des raisons toutes liées au service, dont acte (enfin, toutes directement liées...). Et un Alexandre Langlois, secrétaire général d'un syndicat policier ultra-minoritaire (pour des raisons complexes) suspendu pour six mois. Du fait d'une intervention directe qu'on imagine mal n'avoir pas reçu l'aval du ministre.
Cela fait beaucoup. Tout comme le nombre des victimes découlant directement ou indirectement, intégralement ou pour partie, d'activités de la police, ou dans une moindre mesure, de la gendarmerie. Il est plus que temps, sans vindicte ou crainte, de s'en inquiéter, et d'en faire état.
C'en est même devenu un devoir civique.
De la passivité à l'activisme
Steve Maria Caniço, 24 ans, était animateur périscolaire, soit salarié à temps partiel (de 15 à 20 heures hebdomadaires, éventuellement davantage hors périodes scolaires). Guère de quoi envisager sereinement un avenir financièrement confortable. Son cas est aussi, de ce point de vue, exemplaire. Je ne sais si une ex-animatrice, un ex-animateur, s'étant engagé dans la police a été amené à intervenir sur le quai de Nantes. Je ne voudrais pas être dans sa peau, même s'il n'a pas utilisé de projectile, même s'il resta en retrait.
C'est aussi un devoir civique de faire part de sa confiance non en l'ensemble (cela devient de plus en plus impossible), mais en la majorité des forces de police.
Pourquoi, aussi et au-delà des faits qui interpellent ponctuellement l'opinion ?
Parce que, sans que je puisse me prononcer, faute d'éléments concrets précis, j'ai la simple impression diffuse que l'a-civisme gagne du terrain. Et la conviction que l'anti-démocratisme progresse davantage dans les sociétés ou finit par prédominer l'a-civisme... Que parfois peu suffit à transformer un a-civique en extrémiste, en combattant, en partisan suiviste. Ce fut constaté, de manière généralisée, cela se constate partiellement (combien de combattants d'un bord ou d'un autre, dépourvus de repères, en Libye actuellement ?).
Je n'estime pas que la courte allocution d'Édouard Philippe revenait à une injonction du type « dormez, bonnes gens, il n'y a rien à voir ». Ni qu'elle s'apparente à une faute politique (l'avenir ne l'établira sans doute pas). Mais qu'elle prête le flanc à soulever ce type d'interrogations me semble patent. 
  

mardi 30 juillet 2019

Flat Earth : Que sont devenus Amira Kharroubi et Jamel Touir ?


L’aplatisseuse évanouie, son Soleil resplendit toujours

L’affaire qui parcourut tout le rayon de la Terre plate en avril 2017, soit la soutenance envisagée d’une thèse sur le sujet à l’université de Sfax passerait à présent pour un canular. Pourtant. Vérité antérieure, mensonge postérieur ?
Comme d’autres, en avril 2017, j’avais répercuté une information de la presse tunisienne. Des sommités universitaires s’alarmaient que, pendant cinq-six ans, la chercheuse Amira Kharroubi, sous la direction de Jamel Touir, avait poursuivi une thèse tendant à démontrer que le rond Soleil tournait autour d’une plate Terre comme l’enseigne le Coran. Aurais-je eu tort ? Fus-je naïf ?
J’ai depuis repéré deux sites affirmant qu’il s’agissait d’un canular, l’un américain (Flat-Earth PhD Hoax in Tunisia), l’autre lusophone (“Há reais possibilidades de que esta história seja um hoax (…) não é um aluno, senão aluna”), et j’ai tenté depuis de déceler la naine blanche ou rouge au firmament. Tâche ardue, car Amira Kharroubi semble s’être éteinte. Il en reste une trace sur Lindkedin, plus du tout sur les pages académiques de Si Jamel Touir ou celles de l'université de Sfax.
On retrouvera aisément Jamel Touir… Après le tollé suscité début avril, premier caillou fin septembre 2017. Des titres tunisiens se firent l’écho d’un communiqué de l’Académie tunisienne des Sciences, des Lettres et des Arts (Beït Al-Hikma) déplorant que ses membres soient « consternés » que « des sanctions exemplaires » n’aient été prises à l’encontre du distingué professeur. Lequel fit valoir qu’on avait en quelque sorte exagéré, gonflé toute cette affaire pour lui nuire (pour des raisons politiques ? le professeur fut un temps élu député). Son nom n’apparaît plus, entre ceux de Torjmen et Toumi sur la liste des enseignants de l’Enis de Sfax… Sa page Facebook est muette depuis le 29 septembre 2017.
Selon lui, l’étude « ne parle pas de l’aplatissement de la Terre, comme le disent certains » (ce que réfuta Sonia Naccache et d’autres universitaires), et toute l’affaire a été outrancièrement gonflée pour jeter le doute sur ses compétences scientifiques.
Il soutenait d’ailleurs que « les résultats préliminaires de cette étude ont été publiés dans une revue scientifique internationale ». Dont acte, la communication dans The International Journal of Science & Technoledge, revue demandant une participation pour faire paraître des publications, reste en ligne. Une partie de la thèse aurait été publiée dans une revue indienne (hélas, je n’ai pu la retrouver).
L’étudiante en question a bel et bien existé sauf à admettre que Jamel Touir lui-même l’aurait inventée… En tout cas, elle cosigna avec lui une intervention en mai 2016 lors de la conférence internationale de géologie appliquée de Mahdia. Et publia en sa compagnie dans Geobios (vol. 44-1) en janvier 2011.
De plus, on trouve bien encore en ligne la référence d’un ouvrage étant attribué à Amira Kharroubi et s’intitulant The Flat-Earth Model. Plate, totalement, non. Le Coran aurait simplifié : la chercheuse la voit plutôt « plate comme un œil de poisson », sans doute après avoir observé le lointain de la Méditerranée.
Cette thèse pose d’autres questions. D’une part, elle était truffée de fautes de français, tout comme, précédemment, la communication publiée par la revue américaine (dirigée par un détenteur d’une licence en « homéopathie et biochimie ») abondait en coquilles, francismes (Lactic Way et non Milky Way), et erreurs flagrantes (voir l’article de Yaël Nazé, universitaire belge, dans The Skeptical Inquirer, May/June 2008, vol. 42-3).
Il fut aussi constaté que des sites évoquèrent une chasse aux sorcières, que la Terre est bien plate (selon la Fondation Jean-Jaurès, 9 % des Français considèrent que la Terre est plate). Et pourtant les auteurs ne considéraient pas comme Amira Kharroubi que planètes ou étoiles servent à chasser les djinns et les mauvais sorts. Ce en quoi elle contredit d'autres éminences scientifiques musulmanes qui considèrent que l'on pourrait capter leur énergie et de se passer du nucléaire.
Au passage, cette chercheuse n’est sans doute pas totalement stupide… Mais sans doute pas non plus trop au fait de certaines réalités scientifiques (mais absolument congrue en d’autres), ni de théologie et sciences islamiques (Al-Ghazâlî semble lui avoir échappé en ce qu’il aurait pu inspirer à Copernic).
Faut-il voir dans cette histoire une tentative brouillonne de favoriser l’islamisation de la science (ou de la connaissance), soit une forme de concordisme tiré par les cheveux d’ange ?
En mars dernier, un professeur de physique de Kairouan fit appel au Coran pour expliquer à ses élèves que la pression diminue lorsque l’altitude augmente : comment faire valoir que s’élever (« monter jusqu’au ciel ») « resserre et oppresse le cœur » (verset 125, sourate 6) illustrerait cette loi physique ? Je n’y étais pas, je ne me prononce pas. Toujours est-il que s’exprimèrent dans la presse tunisienne des gens estimant cela judicieux et d’autres préjudiciable.
Cela étant il y eut celles et ceux, rares, mais qui du fait de la mise cause systématique des médias, gagnent en influence, ayant véhiculé que l’affaire était un canular pour faire la distinction entre islamisation sérieuse et farfelue de la science. Du fait de la balourdise de la doctorante et qu’elle place sur un pied d’égalité les religions abrahamiques et les autres, un certain « Gumwars » de la Flat Earth Society a aussi relayé l’hypothèse non vérifiée qu’il s’agissait d’un canular.
Mais d’autres phénomènes peuvent l’emporter, entre autres :
·        – volonté de discréditer la presse à la moindre occasion semblant plausible ;
·       – se préserver de… stigmatiser… telle ou telle composante sociale (ici, les « musulmans » en général, en d’autres occasions tout autre groupe.
·       – se distraire, galéger, voir si des gogos mordent à l’hameçon…
Le problème, c’est que certains apprennent les uns des autres, que les méthodes ou tours de désinformation des uns en inspirent d’autres, d’accord ou non avec les premiers.
Je ne vais pas présumer gratuitement que, dans quelques décennies, la supputation que cette affaire n'ait été qu'un vaste canular monté pour discréditer la « vraie » connaissance scientifique islamique (ou à je ne sais quelle autre fin) passera pour vérité tangible.
Je n’avance pas non plus qu’il y ait eu absence totale de sanctions (je n’en sais rien), ou sanctions symboliques, pour ne pas donner plus d’ampleur, de prolongement à une muflerie intellectuelle et financière (thèse poursuivie pendant six ans, justifiant peut-être que Jamel Touir puisse continuer à être directeur de recherches).
Cela étant, tout ce qui précède étant quelque peu barbant, un moment de détente. Voici quelques extraits authentiques de ladite thèse (sans le moindre sic, ce serait lassant) :
« En ce qui concerne les lois physiques connue on a rejeté les lois de Newton, de Kepler et d’Einstein vue la faiblesse de leurs fondements et ont a proposé par contre une nouvelle vision de la cinématique des objets conforme aux versets du Coran (…) les étoiles se situent à 7 000 000 km avec un diamètre de 292 km et leur nombre est limité. Ils possèdent trois rôles : pour être un décor du ciel ; pour lapider les diables et des signes pour guider les créatures dans les ténèbres de la terre (…) la terre est immobile ». Forcément immobile puisque la position de la plus grande constellation par rapport à la Kaaba « est constamment fixe ».
On ne sait pas pourquoi le diamètre des étoiles n’a pas été arrondi à 300 km, ce qui aurait pu faciliter certains calculs kabbalistiques. On ne s’explique pas, comme le relève le Dr Foued Nasfi, que seuls Newton, Kepler et Einstein (Darwin, un oubli ?) sont réfutés et non Philolaos et Erastothène (pour Al-Ghazâlî, je m’abstiens de me prononcer).
Ah, au fait, pour être aussi complet que possible. En septembre 2017, le bureau de la professeure lanceuse d’alerte, Beya Mannaï-Tayech, à la faculté des Sciences de Tunis, fut saccagé…
Il est quand même déplorable que le long laïus d’Amira Kharroubi ne soit plus accessible. Partant du postulat qu’elle soutient que tout ce qu’énonce le Coran finit par être prouvé par la science, comment s’en tire-t-elle avec le Soleil dont la course serait assignée par un créateur vers un point fixe (« sous le trône d’Allah ») ? Parvenu à ce point le Soleil serait constamment renvoyé à celui de départ. Énoncer que la fonction des astres est décorative est revanche parfaitement cohérent : « nous avons décoré le ciel » (dit le Coran). Pour le reste, il aurait été intéressant de voir si elle n’aurait pas encouru une fatwa ou une autre pour avoir contredit tel ou tel théologien par inadvertance… ou méconnaissance.
Mais au fait, alors qu’on s’inquiétait de savoir « où est Steve ? » (jeune Nantais disparu depuis le 21 juin, dont le corps aurait été « très probablement » retrouvé dans la Loire ce lundi 29 juillet), on pourrait se demander « où est donc Amira ? ». Mais qu’est-il donc advenu d’Amira Kharroubi ?

lundi 29 juillet 2019

Non, ni Coran, ni évangiles ne sont émancipateurs durablement


Denis Guénoun, Chouki El Hamal, ou « l’imposture de l’angélisme » ?

Non, bien évidemment, ni Denis Guénoun, ni Chouki El Hamal ne sont des imposteurs. Des hommes de bonne volonté, assurément. Sincères. Mais leur échappe peut-être (à moins qu’ils ne feignent d’ignorer… avec les meilleures intentions possibles ; l’objection étant d’ailleurs déplacée pour Guénoun qui sait le rappeler) que l’historiographie l’emporte toujours.
Je venais de chroniquer le remarquable essai de Denis Guénoun, Trois soulèvements (vous retrouverez ici-même, sur ce blogue-notes), quand me tombe sous les yeux un entretien entre Théa Ollivier, du Monde, et Chouki El Hamel, historien, auteur d’un Le Maroc noir, une histoire de l’esclavage, de la race et de l’Islam (Croisée des chemins éd).
Lequel soutien que « le Coran ne soutient pas la pratique de l’esclavage mais son abolition ». Pas davantage que le port du voile, &c., air connu.
Mais peu importe. Cette vision de textes (Coran, divers évangiles dont des controversés), émancipateurs pour Guénoun, humanistes pour Chouki El Hamal, hissés aux statuts de fondateurs, textes fondamentaux, est certes sympathique, mais idéaliste.
Déjà, on ne sait trop qui a pu les concocter. Ensuite, le dieu monothéiste (autant que les dieux des animistes) reste une absurdité que toute observation raisonnée confirme telle, et toute autre irraisonnée établit valide. Guénoun n’est pas loin de le laisser entendre, puisque « sa » foi « se trouve ainsi décrochée de ce en quoi elle est censée croire, de ce sur quoi elle peut porter. ». Et la sienne est d’abord celle de multitudes voulant croire en l’humanité (incluant évidemment la féminité, pour résumer).
Ce n’est pas la foi en l’au-delà, c’est la foi en l’espérance.
Je me suis toujours interrogé sur un texte préconisant aux Lapons se convertissant à l’Islam de jeûner pendant 23 heures, sur un Jésus n’imaginant pas les Pygmées, les Papous, les Amérindiens, alors qu’il serait l’incarnation d’un père omniscient. Passons…
Peut-être que, comme l’énonce Ludwig Wittgenstein, « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde ». Ce qui vaut pour moi-même, mais aussi un Jésus (personnage composite ?) ou un Mahomet.
Mais l’essentiel n’est pas là. Que le Coran préconise ceci ou cela, que les évangiles s’accordent ou divergent (enfin, ceux validés par les églises romaines, coptes, orthodoxes diverses, syriaques, réformées, &c.) sur tel ou tel point importe finalement peu. L’historiographie l’emporte toujours. Les disputations priment immanquablement, en un sens (pour ou contre les peuples indigènes, pour contre l’humanité des femmes, &c.), ou un autre.
Le pape François plus humaniste que ses prédécesseurs ? Attendez ses successeurs… La controverse de Valladolid (1550) emporte l’adhésion de Charles Quint ? Voyez ce qui se produit au Brésil, de nos jours.
Chouki El Hamel croit-il vraiment que se référer au Coran suffira ? Le marxiste Guénoun se souvient sans doute que les rapports de force finissent – un temps, car évolutifs — par l’emporter.
Le Coran fut tiré à profit pour éliminer les Arméniens et les Assyriens (plus récemment, d’autres chrétiens orientaux), la Bible est sollicitée pour exproprier des Palestiniens. Et si un reversement de tendances intervenait, il se trouverait toujours des dominants pour se fonder sur des textes « sacrés » afin d’opprimer ou soumettre d’ex-dominants d’une période révolue.
Qui suis-je cependant pour estimer qu’une « morale laïque » serait plus à même de consolider un consensus durable ? « Les limites de mon langage… ». Les dieux furent créations humaines, qu’ils soient amalgamés en un seul ou restés multiples. « Déifier » une morale universalisante, ne se référant à aucun texte religieux, en garantira-t-il la pérennité ? Je me permets de douter.
La solutio ? Espérer. Encore faut-il ne pas espérer seul. Et que le verbe soit incarné par l’un, par l’autre, le troisième, d’autres (laïques ou religieux agnostiques, comme certains spiritualistes se livrant à des rites « païens » aux yeux des monothéistes, syncrétistes tels les baha’is), devrait cesser d’être clivant. Vaste entreprise… Vaine, eh bien, tant bien même… Soyons peut-être « imposteurs angéliques », de peur de ne l’avoir pas été assez.
Ce qui précède était, reste un « premier jet » (pas de pierre à quiconque) … J’avais songé à poubelliser. D’abord parce qu’eux et moi ne jouons pas dans la même cour, que j’hésite toujours à tomber dans la caricature au petit pied, qu’à trop synthétiser faute d’analyse approfondie préalable, &c. Limite parce que « troller » verbeusement est aussi insignifiant que lapidairement.
Et puis, mon attention est attirée par le titre exagéré (titre « incitatif », dit-on : une certaine outrance atténuée par la suite peut se concevoir) d’un respecté confrère, Richard Martineau, du Journal de Montréal : « L’excision du clitoris n’est pas barbare » (mis en ligne le 29 juillet 2019). L’argument est que soit que, par omission, restriction mentale (taire la vérité si la fin justifie les moyens), relativisme, les autorités canadiennes couvriraient d’un boisseau démesuré (« Matthieu, Luc…) certaines injustifiables réalités.
Les faits : un nouveau Guide de citoyenneté serait en cours d’élaboration. Le précédent, distribuer aux postulant·e·s à la résidence au Canada incluait le rappel que des « pratiques culturelles barbares » (excision, crime d’honneur) sont condamnées pénalement. « Ce passage sera retiré », assure Richard Martineau. Sera et non serait… On verra ce qu’il en sera.
« Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit. » (préambule de la Charte canadienne des droits et libertés). D’un côté, pour ne pas froisser les uns, on conserve cette référence, et la devise canadienne (A mari usque… d’un océan à l’autre, de par la volonté divine, implicitement), de l’autre, pour ne pas en heurter d’autres, on laisse(rait) en quelque sorte du temps au temps…
Peut-être dans l’espoir que des ulemas ayant lu Chouki El Hamel (et d’autres) finiront par persuader leurs ouailles qu’une interprétation du Coran l’emporterait sur celles dont elles ont hérité.
Qu’on ne se méprenne pas : Denis Guénoun n’appelle nullement à fonder impérativement son propre chemin de vie sur des références bibliques ou évangéliques, même si on peut lire chez lui, par exemple, que le christianisme ne fut pas « assez respectueux de ses sources ». Quant à Chouki El Hamel, j’en ignore tout, et je ne sais si sa référence au Coran vaut moyen parmi d’autres, choisi(e) pour son efficacité, de conforter un humanisme, ou incitation à s’en remettre à la pureté originelle d’un texte pouvant guider sa libre réflexion.
Je ne sais ce qu’il serait advenu de nos libertés si le culte de la Raison (instaurant une déesse plus ou moins inspirée d’Athéna) avait perduré au-delà de l’an iii de la Révolution. Du marxisme, Guénoun relève : « qu’une idée, quelle qu’elle soit, qui n’a jamais été défigurée vienne lui jeter la première pierre. ». La déesse aurait sans doute fini par imposer — ou propager, y parvenant ou non — ce qu’il lui était dicté.
Faut-il pour autant ne s’en remettre qu’à la loi, ou au droit (dont la capacité à justifier l’injustifiable n’est plus à démontrer), forcément évolutive dans un sens ou un autre ? Soit non pas bannir, mais s’abstenir de s’appuyer sur des principes décrétés justes, universels, qu’ils soient d’essence religieuse ou autre ?
À chacune et chacun de répondre en conscience.
L’imprégnation croissante d’un « religieux » — ou d’un autre — dans le discours public m’interroge. Texte dérisoire (aussi du fait de sa faible portée) que je ne sais conclure : d’autant plus que faire état de cette inquiétude propage le phénomène.
D’habitude, je répercute ce qui est publié ici via un ou deux autres vecteurs. Là, je m’abstiens. Cela restera entre fort peu d’entre-nous. Alors que pourtant Guénoun et El Hamal sont vecteurs d’espérance. Et que je ne m’interdirai pas de les évoquer de nouveau.
Pour en savoir (un peu) davantage sur El Hamel : https://choukielhamel.com/
Pour en savoir (beaucoup plus) sur Guénoun : http://denisguenoun.org/

P.-S. — à noter sur le site du premier, une citation d’An-Nazzam rapportée par al-Jahiz : « Le savoir est quelque chose qui ne vous cédera pas quelque chose de lui tant que vous ne y vouez pas tout entier, et quand vous le faites, alors vous pouvez envisager qu’il le fasse sans pourtant être assuré qu’il le fera. » (adaptation libre : “Knowledge is something that will not give part of itself to you until you give your all to it, and when you give your all to it, then you stand a chance but you cannot be sure that it will you that part.”.
Mais se tapir dans le doute et l’ignorance est vain…
Pour prolonger : « L’islamisation de la connaissance », Zouaoui Beghoura, Le Télémaque 2008/2-34 : https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2008-2-page-121.htm

N.B. — Peu à voir : pour l’anecdote j’ai tenté de savoir si Amira Kharroubi et son directeur de thèse, Si Jamel Touir, étaient toujours membres de l’université de Sfax. La thèse d’Amira Kharroubi, présentée dans The International Journal of Sience & Technoledge – publication se faisant rétribuer pour ce qu’elle fait paraître — concluait à la réfutation du modèle héliocentrique ; je ne sais si son ouvrage The Flat-Earth model, a été publié ou non. Il a depuis été présumé qu’il s’agissait d’un canular, qu’Amira Kharroubi n’a jamais existé – en dépit du fait qu’elle cosigna avec son directeur une intervention en mai 2016 lors de la conférence internationale de géologie appliquée de Mahdia. On peut lire par exemple que “não é um aluno, senão aluna chamada Amira Kharroubi” et à peu près la même chose en anglais sur un site ou l’autre. On ne sait jamais trop « quelle part » le savoir vous rendra. Et il se peut qu’au fil du temps cet épisode se considéré être un hoax. Allez savoir quelle « vérité » finit par l’emporter.

dimanche 28 juillet 2019

Les débuts du génocide arménien « reculent » de quatre mois

 Le génocide arménien débuta bien avant fin avril 1915

La décision turque d’exterminer massivement les Arméniens est généralement considérée remonter à courant mars 1915. Bien évidemment, cette origine fut antérieure. Mais un chercheur, Taner Akçam, vient d’établir que les premiers massacres systématiques légalisés s’étaient produits dès le début de décembre 1914. Soit plus d’un trimestre auparavant.
L’article de Taner Akçam, mis en ligne sur le site du Journal of Genocide Research le 17 juillet dernier vaut revirement de sa part. Lui aussi considérait jusqu’à février dernier que le génocide arménien, ordonné et mené systématiquement par des Turcs et des Kurdes, avait débuté courant mars 1915 (une sorte de consensus antérieur fixait le début des massacres courant mars et la date du 24 avril 1915 fut retenue pour les commémorations, notamment en France).
Le plus insolite, alors que la Turquie d’Erdogan et les gouvernements antérieurs ont toujours dénié qu’il se fut agi d’un génocide systématiquement planifié, c’est que Taner Akçam s’appuie sur des sources officielles gouvernementales turques (ottomanes).
Dans son article “When was the Decision to Annihilate the Armenians Taken?”, il s’étonne d’avoir pu accéder à des correspondances officielles, à des télégrammes décryptés, &c.
Que des émeutes de musulmans visant des Arméniens avaient commencé à l’automne 1914, avant même que, le 1er novembre 1914, la Turquie déclare la guerre à la Russie, puis à la France, au Royaume-unis et puissances alliées, n’est pas contesté. Qu’elles n’eussent rien de spontané ou d’erratique est un fait établi totalement nouveau (même si des éléments l'avaient laisser envisager). Les représailles étaient déjà connues hors de Turquie. Par exemple, Le Miroir, hebdomadaire daté du dimanche 17 janvier faisait état d'atrocités : « Jeudi 31 décembre — (...) Battus en Arménie par l'armée du vice-roi du Causase, les Turcs se vengent en commettant d'odieuses atrocités. ». 
Jusqu’à présent, il était supputé que le comité central du parti au pouvoir, le Comité Union et Progrès (les « Jeunes Turcs »), en liaison avec le cabinet de guerre, avait secrètement préparé le génocide courant février 1915.
Qu’il ait été envisagé dès 1910, que des déclarations avant-coureuses se firent jour dès janvier 1913, cela reste objet de controverses.
En fait, Bahaettin Şakir (Behaeddine Chakir), chef en second de l’Organisation spéciale créée en juillet 1914 (une sorte de Service d’action civique, pour tenter de lui trouver un équivalent français, réunissant des militants et des mafieux, réunis en organisation paramilitaire), se rendit à Erzurum (Erzéroum) dès août. Il sillonna la province, rendant compte de ses mouvements à Constantinople. Il correspond par télégrammes. Comme les gouverneurs de Van et Bitlis (ville à majorité kurde proche du lac de Van). Lesquels recevront l’ordre, le 1er décembre 1914, de se saisir des Arméniens susceptibles de se révolter, de « les déporter immédiatement à Biltis afin qu’ils soient exterminés ». Il est aussi décidé de désarmer et réaffecter les gendarmes et policiers arméniens et de former des milices musulmanes.
Le 20 décembre 1914, le gouverneur d’Erzurum adresse un télégramme confidentiel au ministre de l’Intérieur, seul habilité à en prendre connaissance. Le gouverneur fait état d’actes de rébellion et sabotage. Il préconise que toutes les autorités régionales se voient donner un feu vert pour procéder à des exécutions de masse. En fait, elles avaient déjà commencé : tous les Arméniens mâles âgés de plus de dix ans de certains villages avaient déjà été passés par les armes. Ce qui est confirmé par un télégramme du député de Van daté du 18 février 1915 : « des massacres sont en cours en des villages et bourgs des environs de Başkale and Saray. ». Les termes de massacre, anéantissement, &c., se font plus fréquents, d'autant que les correspondances sont supposées devoir être détruites (il en subsistera).
Des mesures de rétorsion, après l’assassinat de gendarmes par des déserteurs, avaient été décidées dès le 28 octobre 1914, les villageois voisins des perpétrateurs se voyant intimer un ultimatum d’une semaine pour livrer les autres coupables ou complices. Les gouverneurs brandissent systématiquement la menace d’émeutes et d’une rébellion généralisée des Arméniens. Le 31 décembre 1914, le gouverneur de Van demande qu’Istanbul fasse parvenir des consignes secrètes immédiatement exécutoires. Par la suite, les échanges avec Istanbul emploient plus fréquemment les termes « d’extermination », « d’éradication »,  sans trop se préoccuper qu'ils soient archivés ou détruits.
Dès le 30 décembre 1914, l’ambassade allemande fut informée de la création de milices chargées de s’en prendre aux communautés chrétiennes.
À toute première vue, ces documents récemment retrouvés évoquent le paradoxe de la poule et de l’œuf. Les gouverneurs des six provinces orientales auraient-ils forcé la main du pouvoir central ? Mais avaient-ils été nommés pour obtenir ce résultat ? Qui, en fait, d’entre le cœur du Comité Union et Progrès et les ministres d’alors, ceux du Comité de guerre, prenait les décisions majeures ? Ces gouverneurs furent-ils incités à exagérer l’éventualité d’une révolte arménienne ? En fait, dans un premier temps, Talaat Pacha laisse carte blanche aux gouverneurs : qu’ils réagissent comme bon leur semble en fonction de la situation sur le terrain. Ce dans l’attente d’instructions plus générales… Lesquelles viendront début mars 1915, précédées d’instructions partielles.
Génocides progressifs
Journal des débats, samedi 16 janvier 1915 : massacres
Dans un article de The Independent, “Genocide begins in the wilderness”, Robert Fisk rapproche les prémices du génocide arménien de ceux de l’holocauste.
Tout commence tôt.
Dès l’Anschluss (mars-avril 1938), les juifs autrichiens furent persécutés…
Dès l’invasion de la Pologne, puis les avancées en Ukraine et en Biélorussie, des troupes de choc et des milices locales n’eurent pas besoin d’ordres formels, de même qu’en Lithuanie, pour exécuter des israélites.
En fait, on pourrait aussi faire un parallèle entre l’incendie du Reichstag et le « complot » visant le sultan Enver Pacha. Le 20 mai 1915, la presse française rapporte que « deux Arméniens devaient faire sauter le pont de Karakoï, qui unit Stamboul à Galata, le jour de l’anniversaire de la naissance du sultan. » (lequel devait traverser le pont pour se rendre à la mosquée de Sainte-Sophie). « Quatre cents Arméniens, dont on ignore le sort, ont été arrêtés et ordre a été donné aux Kurdes d’Arménie d’incendier deux grands villages près de Van et d’égorger quelques centaines d’Arméniens » (dépêche publiée le 20 mai 1915 par divers quotidiens). Les Assyriens (assyro-chaldéens) et les Grecs restés en Turquie sont de même exterminés ou déportés.
Enver Pacha, le 25 février 1915, avait ordonné que les soldats arméniens soient désarmés. En avril, la presse sous contrôle faisait état de diverses tentatives de complots des Arméniens en liaison avec les Russes ou non.
Les mosquées avaient aussi été mobilisées dès novembre 1914 pour que l’idée du djihad contre les chrétiens (hormis les alliés allemands) s’impose peu à peu. Fin novembre et début décembre 1914, il y avait eu déjà environ 7 000 exécutions d’Arméniens dans les provinces orientales : les milices de l’OS, souvent secondées par des civils musulmans, avaient commencé le travail (et enlevé les femmes, jeunes filles et fillettes des villages de Pertus et Yoruk). Il était plus difficile de s’en prendre directement, immédiatement, à la petite, moyenne et grande bourgeoisie arménienne des grandes villes. Il convenait d’extorquer des aveux, d’accréditer l’idée d’un complot généralisé.
Doute ou hypocrisie ?
La ministre suédoise des Affaires étrangères, Margot Wallstrom, a pu déclarer début juillet dernier qu’il fallait « disposer de preuves solides pour pouvoir déclarer le massacre de tout un pays. ». Ce qui revient à se voiler la face. De même, The Times of Israël commentait ainsi le report d’une résolution parlementaire visant à la reconnaissance du génocide. « Des Juifs ottomans soutenaient les “architectes” du génocide arménien » titre The TofI. Et ce qui peut se concevoir, la presse juive allemande de l'époque, dont Die Welt, glorifiait l’allié turc.
Selon l’historien Hans-Lukas Kieser, universitaire australien, auteur de Talaat Pasha: Father of Modern Turkey, Architect of Genocide, « les Juifs craignaient de subir le même sort que les Arméniens, ils n’ont donc en aucun cas relayé des informations pro-arméniennes parce qu’ils avaient peur pour eux-mêmes. ». D'autres espéraient un soutien turc au sionisme, qui ne viendra pas. Cependant, une minorité sioniste ottomane tenta d’alerter sur le sort des chrétiens.
Quant à la décision israélienne, elle tient aussi aux bonnes relations entre Israël et l’Azerbaïdjan (client pour des armes et équipements sécuritaires, et fournisseur de pétrole).
Reste à savoir ce que fera l’armée turque au Kurdistan d’Irak et de Syrie… Épuration loin des caméras, puis ouvertement ? En 1915, la Turquie repeuplait les zones arméniennes avec des musulmans bosniaques et d'autres pays balkaniques ; en sera-t-il de même, cette fois avec d'autres populations, au sud de la Turquie ?

Roger Vailland à la colle avec Philippe Lacoche


Lachoche-Vailland, cela vaudrait un toponyme…

Et quel serait donc le gentilé des habitant·e·s de Lacoche-Vailland ? J’ai rarement commis un titre aussi à la… quoi ? Inqualifiable. Infra, il sera question du livre de Philippe Lacoche (journaliste-écrivain) sur Roger Vailland (idem). Cela sera foutraque…
Bon, il paraît qu’il ne faut pas… Tu commences quoi que ce soit par “well” et pour l’électorat de Donald Trump, tu passes pour un indécis, un carpetbagger. Purée, déjà la digression dès la première phrase. Rassurez-vous, n’est pas Kerouac qui veut : je ne vais pas vous en faire tout un rouleau. Logiquement, au moins dans le chapeau (châpo, chapô), tu cases certes le nom de l’auteur, mais aussi le titre, la mention de l’éditeur. Cela viendra… Lecture au « fil de l’eau ». Non, de l’encre d’Internet (le même bouquin, paru aux éditions La Thébaïde, sous le titre Roger Vailland, drôle de vie, drôle de jeu, reste dispo ; mais là, je relis la version électronique des éditions Duo). Je n’aurais pas dû. Commettre ce titre. Ni ménager un suspense imbécile. Il s’agit donc de Roger Vailland, de Philippe Lacoche, dans la collection Duetto, des éditions NOL (Nouvelles lectures, nouvelleslectures.fr), et non Duo, diffusé en version électronique par divers sites de vente en ligne (Decitre, Fnac…) pour la modique somme d’un cent ôté de deux euros.
Tu lis la première phrase, et tu sens que tu vas t’ennuyer. Il est question de bouquins comme 325 000 francs. Le truc vaguement érudit, donc assommant : un écrivain évoquant un autre écrivain, vite, je fais une partie de Candycrush ? Non, j’ai raison, j’ai pas tort (comptine franco-souabe), poursuivons. Tu passes au triangle des Bermudes axonaises (Chauny-Tergnier-La Fère). Tu t’attends à du Victor Hugo glorifiant les betteraves, non. Ouf, c’est plus rigolo. Lacoche, Philippe, fait ses débuts dans la revue musicale roqueuse Best, avant de rejoindre L’Aisne nouvelle où je le concourus (?) à Saint-Quentin (pour L’Union). Plus loin, tu lis : « (la Gauche ?) »). Oh zut, un ex-soixante-huitard de rance province qui va nous gonfler. Eh bien, pas du tout.
Il y a un procédé journalistique dont j’ai beaucoup usé : pour être mieux laudateur — et non cire-pompes, nuance — tu fais semblant de prendre de la distance, et tu crédibilises ton appréciation primordiale : cette fille, dont tu viens d’écrire qu’elle a un air godiche, est superbe ; ce mec, auquel tu as reproché un détail minime, fis semblant de brocarder, c’est de la balle… Autant dévoiler la ficelle : je n’en suis plus. Libre de ne plus me plier aux prescrits et nœuds scouts du métier.
Qu’évoque, outre Vailland, Lacoche ? Paulpaul, le ch’ti Polack (non, pas Michel Polac) noyé dans la mare glacée. Bon, ça, coco, du tout bon : social, vivant, humain. Les Résistants. Pas Roger Choin (le dérailleur de Fargnier, le releveur de Rosbifs abattus), d’autres ; mais pas mauvais, les passages sur les Partisans. Toujours, abordant Vailland, glisser un truc sur la Résistance. Courrier Picard, d’avant Didier Louis. Jacques-Francis Rolland (toujours, rédigeant pour Google, abonder en patronymes). Jean-Jacques Brochier (connais pas, mais il y aura bien des nostalgiques du Magazine littéraire pour faire remonter cette page). Écrire — aussi — pour Google suppose de se livrer à du dropnaming (ou namedropping ?).
Autre digression : l’ami Gibeau, Gérard Rondeau (ami aussi) et les Boches à l’assaut. Ajoutons Bichancout, Montescourt-Lizerolles, Gauchy (ne peut nuire), Sept-Saulx (comme le lion qui, du fait que le chapiteau est trop bas, ne peut faire que trois sauts de trois mètres — sauf que Saulx et sauts, rien à voir…). Jean Cambrelin, Marc Lambla. Chez Lucille qui me remémore le Lorette (une chanson, un bar angevin près la caserne des pompiers d’Angers, et les parties de billard électronique à vingt ronds). Ah non, chez Michel Delpech, c’est Chez Laurette
« Des phrases courtes, sans graisse, peu d’adjectifs, juste le strict nécessaire ; la métaphore est rare, mais toujours juste et précise, comme un coup de surin ; l’utilisation, de temps à autre, d’une ponctuation singulière, chère à Paul Morand et à Stendhal, du point/point-virgule. » Je n’ose (car ne puis) même plus écrire de la sorte, et je me retiens de relever que Lacoche oublie les deux-points consécutifs dans la même phrase (Vailland en surabonde).
Deux fois : « (la Gauche ? ») ». C’tain tic ? Ah ben non. C’est juste que le curseur de l’édition électronique est revenu en arrière.
Je n’ai pas encore lu Le Pêcheur des nuages, ni les autres livres de Philippe Lacoche. Cela viendra, en son, en leurs temps. Allez voir.
Je ne suis pas du tout vaillandophile (kesselophilique, si) émerveillé. Mais embrayer derrière un Lacoche, si. On peut lui coller à la roue.
Il paraît que Lacoche se commet dans Causeur, avec l’ami Luc Rosenzweig, un gars qu’aurait p’têt mal tourné (Couté). Sauf que… Décédé (Luc). Le gars, y vient à Belfort fringué comme un clodo (sur ce blogue-notes, voyez ce qu’écrivit Vailland sur les clochards). C’est tout juste si Fred, du Pays de Franche-Comté, lui concède l’accès aux locaux de la rédaction. J’interviens. C’est l’envoyé spécial du Monde. On cause de la Simone. Luc était à tu et à toi avec Simone (la seconde en date des Weil). Vailland, lui, avec des tas, des tonnes de célébrités. Fait assez unique : très rarement vachard. Fort peu de sucre cassé sur leur dos dans ses lettres à  maman-sœurette ou ses Écrits intimes. Il y allait franco publiquement (Brasillach ne lui en voulut pas).
Lacoche et moi, on doit beaucoup à Roger Vailland (chez lui, cela se voit, chez moi..). Aussi à Luc. Ou d’autres (pour moi, Ohayon, de l’AFP, père de la fondatrice de La Maison des journalistes). Tu cherches Oyahon & « Premier Choc », et tu peux oublier. Bientôt tu chercheras Vailland & Résistance, et cela sera prolongé jusqu’à la xième page (avant disparition, car une page pipeule récente chasse l’autre, qui finit par disparaître).
Vous l’avez compris, comme supra, Philippe Lacoche mêle beaucoup de souvenirs personnels à son éloge illustratif de Roger Vailland.
L’ai-je bien descendu foutraque ? Propre à ne pas vous le servir tout cru mais à vous interroger sur Roger Vailland et Philippe Lacoche ? À vous interpeller à propos de ce qu’ils ont publié ? Bah, peu importe la réponse : j’aurais au moins tenté.
Abscons ? Voui. L’immédiateté du sujet-verbe-complément est ce que vous êtes uniquement capables d’appréhender ? Ne lisez ni Vailland, ni Lacoche. Trumpisez, vous l’aurez cherché.
Ouf, canicule puis orages désirés. Nous allons enfin renâcler à propos des précipitations. C’est de saison. Lacoche se lit mieux sous les entomophiles (ou je ne sais quoi de voisin, mais l’ai-je bien casé ?). Vous n’y comprenez goutte ? Cherchez, cherchez… Non, il ne s’agit pas des bananiers de Babylone (parmi lesquels René-Nicolas Ehni logeait une nudiste).
Ah oui, je suis censé parler de son livre. J’ai aimé, beaucoup. Vous aussi, vous aimerez, et comprendrez qu’on peut détester lire une telle chronique et apprécier son ouvrage. Il écrit encore en journaliste, pour être lu, comme on l’apprend dans les écoles ad hoc. Limpide pour le lecteur lambda, subtilement allusif pour qui connaît l’œuvre et le personnage de Vailland.
Exemple : « Avais-je dans mes rêves olfactifs des odeurs des Musclor ou de Decontractyl Baume lorsque je me mis à lire les premières lignes de 325 000 francs. ». Et Vicks Vaporub, il sent le pâté ? Les autres — lignes — suivirent en une nuit. Suprême raffinement de papier (comme dans la pub Pie-qui-chante pour Mi-Cho-Ko) : si vous ne savez pas ce que Vailland se bourrait dans le pif, cela passe comme une lettre à poste. Si vous êtes au jus, vous lisez entre ces lignes.
Un ch’ti extrait judicieux ?
« Vailland (…) tord discrètement le cou à la réalité ; il la flingue. Mais toujours avec un silencieux. (…) On ne sent pas l’effort, ni les ficelles de ce grand prosateur, professionnel aguerri, déjà, au reportage, à la micro-locale, aux faits divers, à l’enquête minuscule mais essentielle… ».
Un autre ?
« Nos mémoires s’effilochent ; elles sont pleines de trous, pitoyables disques durs piratées (Ndlr. accord avec mémoires, ou virgule élidée) par ce monstrueux hacker qu’est le temps. »
Ala (ou Àla, en début de phrase ?) « santé du confrère, qui nous régale aujourd’hui… ». L’édition électronique le voua à l’oubli, lui, l’ouvrier du Livre, et tant d’autres. Elle a cependant cet avantage : la recherche plein texte, plus efficace que les surlignages (là, j’ai un Denis Guénoun, les Trois soulèvements, copieusement surligné par une prof’ ; Stabylo®™ de trop tue le Stabylo™®). On retrouve aisément Daniel Cordier (Caracalla). Ou Rolland (le Picard, pas l’étrusque, ni Albert, ni d’autres fusillés, mais l’auteur de Jadis, si je me souviens bien… Vous avez relevé l’association après « nos mémoires » ?).
Il y a un rapport bizarre (plateau-rouages d’arrière : Vailland=vélo) entre Lacoche et moi. Il vous laisse (embrayer, non, verbe déjà employé) développer, poursuivre. Qui est cet Yves Courrière  ? Un autre Péan ? Un Lacouture ? Si vous ne le savez déjà, Lacoche vous incite à vous renseigner. Là, je le coiffe sur le poteau. Pour retrouver Georges Ohayon, il va vous falloir creuser (sergent de la 4e cie, présumé avoir rejoint la Haganah avant d’intégrer l’AFP), et pour Roger Choin, trouver la bonne bibliothèque (et comme il a refusé toute décoration, bonjour le casse-tête).
J’vous dis ça, j’vous dis rein de rein.
Ce n’est pas dans ce Roger Vailland que vous retrouverez les rapports sur Vailland dans la Résistance (à Vincennes ?), ni nombre de mes ergotages, mais s’il ne vous donne pas envie d’emporter un Vailland à la plage, alors, je me frappe le cœur d’une saucisse pour un seppuku symbolique (bon, le kaizoebara à l’andouille de Guémené suffira).
Si vous êtes arrivé jusqu’ici, c’est la fin de votre chemin de Groix (qui voit Groix…). Avant de regagner le continent et Édouard Vaillant à la colonie agricole de Porquerolles, faites escale à Belle-Île, avant de rejoindre d’autres « Lieux de Vailland ». Stay tuned.
P.-S. – Écrivant sur Vailland, toujours insérer un Vaillant… Ce n’est pas que pour Google : enfin, si… Plein de trucs sur Vailland font état de cet autre : Roger Vaillant. Tiens, je me demande si un Jean-Louis Bory n’est pas devenu à l’(des) occasion(s), Borie. Jean-Louis Bory, Maurice Clavel ? Guénoun et les communistes homos, jeu de piste. Dans le Vercors ? Retrouvez Vailland et Bory via la plume de Dominique Aury.

samedi 27 juillet 2019

Les Trois soulèvements de Denis Guénoun

Parcours de Denis Guénoun : judaïsme, marxisme, table mystique


C’est sûr : Les Leçons politiques de Game of Thrones est un titre plus vendeur que Trois soulèvements — Judaïsme, marxisme et la table mystique.
Pour qui l’ignorerait encore, Ganar o morir – Lecciones politicas… est un essai d’un certain Pablo Iglesias Turrión sorti en 2015… Une fois, j’avais commis ce titre, « Et maintenant, on peut ! », pour la rubrique « Les mariés du samedi » (c’était avant le mariage pour toutes et tous et l’écriture inclusive) du Pays de Franche-Comté. Podemos. Quel rapport avec Denis Guénoun et ses Trois soulèvements ? Ténu. Il a pu, nous pourrions… Peut-être en épousant ses lignes de réflexion. Imperceptible lien : hormis une allusion à la maternité de la formule « Socialisme ou barbarie », je m’attendais à ce que le féminisme eût alimenté l’évolution de l’auteur (dont il ne traite pas, ce qui n’implique rien), nulle référence à une autre auteure (Rosa Luxembourg est la seule mentionnée). Étonnement : et Simone Weil ? Peut-être traita-t-il de La Passion de Simone (mise en scène de Peter Sellars) dans un autre ouvrage, ou attendrait-il l’occasion de son futur essai sur la critique et la notion de classe ?
Et oui, j’allais oublier. El compañero commandante de Podemos a aussi publié un Cine y política et Denis Guénoun fut un célèbre homme de théâtre (et le reste, mais sa renommée a muté, le philosophe l'emporte désormais). Denis Guénoun est doté d’une très sommaire page Wikipedia dont la majeure partie (une soixantaine de lignes) se répartit entre les rubriques : Œuvres littéraires ; Œuvres théoriques ; Mises en scène ; Comédien… Allez voir. Voyez surtout son site denisguenoun.org qui n’annonce pas déjà, en cette fin juillet, qu’il sera le 5 octobre à Reims (16 heures, médiathèque, devant la cathédrale).
Ces Trois soulèvements ont surgi le 6 mars dernier aux éditions Labor & Fides (144 p., 11 €) et ils commencent à faire quelques vagues. Voyez déjà le sommaire (en ligne) et tentez de deviner pourquoi. Bon, je vais m’efforcer d’aider le mal comprenant qui sommeille aussi en moi comme en d’autres.
Le capitalisme saura peut-être se dépasser et ne pas ravager totalement la planète mais restera fidèle au fondamental : il faut des pauvres pour faire des riches… Tout le monde le sait (surtout les possédants), ou le subodore confusément. Guénoun vous le remémore posément, en d’autres termes, en confidence. Cela n’enflammera pas les foules qu’un Maurice Clavel tentait de rameuter à coups de formules d’indignation ardente, et les propos de Guénoun prendront sans doute autant de temps pour s’infiltrer dans les consciences que les écrits de Debord et Vaneigem…
Tiens, digression (apparente) : avec Contribution à l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande (Rivages, 2018), Vaneigem avait sorti un second Traité de savoir… à l’usage de celles et ceux qui allaient se gileter de jaune. Ce fut moins consulté sur les ronds-points que le Vers la révolution — et si la France se soulevait de nouveau (éd. J.-C. Godefroy) de Fabrice Grimal, le chouchou de la chaîne RT, mais les deux commencent à faire jeu égal.
Cela m’étonnerait que Guénoun rejoigne en danseuse ces deux têtes de peloton de sitôt. D’une part, il n’a pas d’Annie (la maman de Fabrice) pour faire sa promo — je me demandais comment je parviendrai à la caser, celle-là ; c’est fait —, et de l’autre je ne vois guère RT ou SputnikNews l’inviter à déclarer : « L’insurrection qui vient sera nourrie de bonté. ». Mais comme l’énonçait La Fontaine, chi va piano va sano (ou quelque chose du cru).
Je pourrais m’en tenir là. Vous êtes prévenus, et avec ces trois éruptions-là, vous avez de quoi vous faire remarquer dans les dîners en ville ou l’after-barbecue.
L’Insurrection qui… (Comité invisible, La Fabrique éd.) « nourrie de bonté » ?
Au fait, il en cause, des Gilets Jaunes ? Oui, en filigrane. Mais le propos est largement plus vaste.
Un latin, ce Guénoun (« Italien de cœur », glisse-t-il, Pisan d’adoption), un Africain qui revient de loin. Fils d’un ex-israélite d’Algérie (ex car devenu hussard noir athée et communiste, mais resté aussi Juif que moi Breton), passé comme son père par le PCF, et à présent, de par « l’hospitalité eucharistique » des réformés, entré dans leur communauté (la maison genevoise Labor & Fidès fait dans le sociétal et le spirituel, pas vraiment dans le scabreux ou l’hilarant, quoique le Dieu otage de la pub ? est fort divertissant). Comprenez que, comme le sommet d'un volcan s'élève, ces soulèvements successifs se cumulent.
« Pied noir » (non, rapatrié, oui, mais plutôt tata-ti-tata-ta : Algé-rie, algé-… et non fran-…) et tête chercheuse, donc. Féru d’« universalisme juif », et autres, farci de philosophie allemande, congru en tout. Ce n’est pourtant pas un auteur si ardu. Ni coincé (Denis… comme Diderot). Les livres traitant de théologie me sont tombés des mains voici belle lurette, celui-là décoiffe : le judaïsme un « a-théisme » ?
Trois temps, trois mouvements : l’enfance et l’adolescence oranaises ; le marxisme à la Roger Vailland libertin (ici, libre-penseur), mais en plus libertaire (là, moins stal') ; l’introspection spirituelle. Qui le porte à mentionner la Méditation grisâtre de Jules Laforgue (le gendre, et seconde digression, celui dont je recherche l’éloge funèbre prononcé par La Kollontaï). Cela vole parfois assez haut mais reste toujours dans l’accessible, l’ici et maintenant, et l’advenir. Guénoun ressuscité n’est plus tout à fait le même et il l’explicite. Mais cela n’a rien, mais alors rien à voir avec ces bouquins de convertis ressassant dans le prêchi-prêcha, le lève angélisme, l’extatisme béat.
D’accord, ce n’est pas tout à fait un livre de plage, mais je le relirai bien volontiers, mollement détendu à une terrasse… Je vais aussi le faire « tourner ». Pas mon exemplaire, un autre. Très utile, par exemple, aux parents ayant placé leurs enfants dans une école confessionnelle d’autre obédience que la leur (qu’elle soit monothéiste ou animiste, agnostique, voire limite anticléricale à débords). Et plus tard, à leur progéniture.
Embarqué par l’amie qui l’invite à Reims (5 octobre, bis), je suis allé une fois écouter Guénoun et d’autres, réunis pour parler de charité (au sens de partage, voire redistribution) : donc d’espérances déçues parfois, mais persévérantes, car il s’agissait très concrètement d’échanger à propos des attitudes à tenir dans les rapports avec les sans toit, avec ou sans loi (voire Loi, comme Guénoun l’explicite). Hic et nunc, sur le champ, au ras du bitume. Pas commodes, parfois, les gaillards (surtout quand vous êtes de leur nombre à une soupe populaire de l’Armée du Salut, par exemple, croyez m’en). Cette anecdote situe aussi l’auteur.
Une chute ? Et bien voilà : chut (interj.). Lire Guénoun et ne pas se laisser choir.
Et à propos : si déjà épuisé, les éditions Labor & Fidès réimpriment à la demande…

vendredi 26 juillet 2019

Roger Vailland au service des étrangers de la préfecture de police

Plus cela va, plus... : Roger Vailland fait la queue à la Préfecture de Police

Bon, je ne vais pas, pour chaque article de Roger Vailland, mettre en ligne un PDF. N'en cherchez donc pas infra. Mais cet article sur le service des étrangers de la préfecture de police, dans Paris-Midi daté du 19 novembre 1928, vaut bien d'être reproduit.
Voici peu, effectuant une recherche sur les « bals nègres », je tombe sur une caricature de la fin des années 1910. Il semble qu'avant le Bal Blomet (le Bal Nègre de Desnos), il en existait d'autres, des antérieurs peut-être plus informels, confidentiels, mais n'ayant pas échappé à la sagacité de la presse. Sur la même planche, la case finale montrait un Noir père de famille accompagnant son épouse française précédé d'une ribambelle de petits métis. La légende : dans 20 ans, tous les petits Français seront café au lait. Comme quoi, le « grand remplacement », cela ne date d'hier, ni, au siècle dernier, seulement d'avant-hier...
La queue pour obtenir une carte de séjour ou la renouveler en préfecture, ce n'est pas non plus très nouveau.
Voici donc le texte de cet article de Roger « Vaillant » (un de plus). C'est l'un des tout premiers de Roger Vailland puisque, grâce à Desnos, il intégra Paris-Midi en 1928. Ne manque, à la Prévert, qu'un Ratonné-Lessivé (citoyen de la balkanique Raton-Lessyvie, à la Hergé, comme la Transsubie de La Visirova).
* * * *
Au carrefour du monde
La Préfecture de Police est le rendez-vous des étrangers de Paris
La fille du pasteur, le nouveau-né polonais et le révolutionnaire indou
J'accompagnais ce matin-là mon amie Nancy Coogan, qui accompagnait son élève Mohamed Dahidulad à la Préfecture de police pour qu'il fasse viser sa carte d'étranger.
Nancy est Anglaise. Son père est pasteur. Voici sept ans qu'elle a quitté le cottage familial. Elle vit au Quartier Latin, en donnant des leçons d'anglais à des Français et des leçons de français à des Indous et à des Allemands.
Il y a une centaine de filles de pasteurs anglais au Quartier Latin.
Nous arrivâmes à la Préfecture de police. On faisait la queue le long des barrières de bois.
Tous les étrangers sont égaux devant la loi française. Le parfum à 200 francs le flacon de la divorcée américaine venue en manteau de ragondin, se mêle aux diverses odeurs qui se dégagent des couches du dernier-né de la femme d'un manœuvre polonais, pour constituer l'atmosphère unique au monde de la salle des étrangers de la Préfecture de police.
Un étudiant serbe, qui croit avoir perdu, grâce à son costume d'étoffe et de coupe anglaise, toute trace de sa provenance balkanique, sourit à l'Américaine au manteau de fourrure.
Mahumed (sic) Dahidulad attend sans dire une parole. Petit, barbiche noire, figure maigre, yeux brillants, c'est assez bien l'Indou des images d'Épinal.
Depuis deux ans, il prépare une thèse sur des textes sanskrits, et se perfectionne en français auprès de Nancy.
— Je suis parvenue à capter sa confiance, m'a-t-elle dit un jour. Il a fallu un an pour qu'il m'avoue qu'il déteste l'Angleterre et qu'il juge bon de venir en Europe « afin de s'éduquer et mieux pouvoir lutter contre elle. ».
» Moi, je lui ait dit que j'étais bolchevik.
» Alors le lendemain il m'a remis un devoir qui débutait ainsi : « Oui, je suis un révolté. Ô rois qui êtes assis sur vos trônes, tremblez ! Je porterais à travers les campagnes le flambeau de la destruction !... ».
— J'en fais ce que je veux, a conclu Nancy.
La divorcée américaine s'en va. Le petit Polonais pleure. Dahidulad attend patiemment son tour et la fin de la domination anglaise sur les Indes.
Roger Vaillant.
* * * * 
Bon, j'ai corrigé quelques coquilles, en ai peut-être commis d'autres, et je ne me relis pas... J'ai interraclé (zut, voici donc que Donald Trump déteint déjà sur moi) un (sic), omis de transcrire Hindou(s). Pas voulu accorder « étoffe », « coupe » et « anglaise(s) ».
Au passage, si mon ex-girlfriend étasunienne, fille de de pasteur, qui prodiguait des massages du côté de Saint-Germain sur un tabouret pliant, qui me rejoint à Reims et me plaqua à Grenoble, passe par ici : many kisses.
Mais on ménage comme on peut une transition, le temps de vérifier si le nom de Nancy Coogan apparut ailleurs dans la presse de l'époque. Eh bien non...
C'est effectivement un article de jeunesse : le seul personnage décrit physiquement étant le jeune Hindou alors qu'il y a au moins deux femmes dans la salle. Vailland se rattrapera amplement, détaillant à l'envie l'aspect vestimentaire et physique des femmes qu'il peut rencontrer par la suite...
Or donc les « barrières de bois » sont à présent en ferraille, les Hindous et autres citoyens de l'Inde sont moins nombreux que d'autres ressortissants d'autres pays, et on lit moins de nos jours Passage to India (d'E.M. Forster). Dahidulad aurait pu en être issu si Forster l'avait retrouvé de retour en Inde (nan, anachronisme, le livre sortit en 1924).
Cette Nancy (pseudonyme ?), bolchevique, puisque nous en sommes aux anachronismes, m'en évoque singulièrement une autre, Américaine de même, que Tania Visirova retrouva du côté de Saint-Tropez (ce n'est pas dans le feuilleton de Vailland, mais dans les mémoires de La Visirova recueillies par Maria Craipeau). Emma Goldman (anarchiste proche de Makhno et non de Lénine). Et puis aussi « la riche anglaise » cumulant les amants (autre article de Vailland, ultérieur). Nancy, des années plus tard, fournit-elle partie du portrait de cette Anglaise ?
Journalisme... La place est comptée à Vailland (p. 5, rubrique des spectacles, pour combler le pied de page sous le bloc publicitaire). Je me serai certainement (hum... pas à mes débuts) enquis de la marque du parfum de la dame en ragondin. Je serais allé voir le petit dernier de la Polonaise pour savoir combien il compte d'aînés. J'aurais embrayé sur un reportage sur les Hindous de Paris. &c. En fait, pas du tout. Tu ramènes de quoi fournir la copie au nombre de signes assignés et tu passes à autre chose. Un sujet chasse l'autre... Tu te dis : « tiens, c'est un sujet ». Puis l'agenda prend le dessus (les trucs à couvrir, assignés à l'un ou à l'autre).
Et très sérieusement, le « Dahidulad attend patiemment son tour et la fin de la domination anglaise » ne me serait pas venu. Or, cela, c'est aussi Vailland. Qui a certes commis des chutes passe-partout, convenues, mais là, chapeau l'artiste.
Dois-je vous remémorer que La Visirova et d'autres textes sont disponibles en libre-accès via ce blogue-notes ? Lesquels peuvent établir que si je joue le pion des retenues en salle d'études, je n'en reconnais pas moins le talent du confrère qui ne nous régalera plus aujourd'hui (tiens, on entonne encore un ala... lors des enterrements ; il m'étonnerait que cela dure encore dix ans — à moins que le mien soit ultérieur et la partition sera jointe au testament).
Journalisme... Bientôt, les patrons de presse exigeront que ne soit plus employé que l'étendue du vocabulaire d'un Donald Trump, histoire que le lectorat saisisse encore ce dont il sera question. Journalisme ? Ah non, élucubration d'éditorialiste : voyez supra la mention du « grand remplacement ». Le journalisme, ce n'est pas déblatérer sur des présupposés. Mais bon, ce n'est qu'un blogue-notes. Non tenu à la même tenue.
  





La famille Trump a la langue fourchue…


The Donald félicite un « enfant soldat »

Les dernières gaffes langagières de Donald Trump laissent entrevoir qu’il léguera un florilège de néologismes.

Avant-dernier exemple en date de l’inventivité sémantique de la famille Trump : Ivanka Trump saluant Bojo devenu Premier ministre de “The United Kingston” (dont le dauphin, selon son père est « le prince des Baleines », “of Whales”.
Mais on avait eu droit aussi aux « bourreaux légistes » (“lawmurkers” au lieu de “lawmakers”, soit législateurs). La dernière gaffe en date, c’est le tout aussi insolite “infantroopen”.
Le Donald saluait les mérites militaires de Mark Esper, son ministre de la Défense. Médaille de bronze et citation pour ses services dans le corps des enfants soldats à pied.
Le petit-fils d’Elisabeth Christ et Frederick Trump, tous deux natifs de Kallstadt en Bavière, semble avoir préservé des connaissances approximatives de la langue de Goethe. Laquelle emploie Infanterie pour désigner l’infanterie, mais aussi, plus rarement, dans des livres d’histoire, Fußtruppen. Ce qui reste usité en français dans le cadre d’un défilé (des troupes à pied et motorisées ; avec en tête, le 14 juillet, les polytechnicien·ne·s).
Voici donc Mark Esper ancien « bébé soldat » (et non cadet ou puîné d’un royaume ibère, à moins que le Donald se soit mis au castillan mexicanisé).
C’est quand même gênant, notamment pour discuter avec The Queen ou des chefs d’États anglophones sans avoir à recourir à une traductrice (même la traduction automatique resterait inopérante).
Ou c’est pire : qu’Ivanka Trump ait pu commettre un lapsus de saisie en tweetant, passe encore.
Mais là, Donald Trump s’exprimait oralement. Que les mots lui manquent, c’est patent. Son vocabulaire courant, hors domaine économique, est celui d’un gamin consanguin des sommets des Appalaches, un Hillbilly (vague « équivalent » : crétin des Alpes). Mais le fait qu’il ne domine pas le corpus restreint d’un Hillbilly laisse présumer qu’il n’ait plus toute sa tête. Ce n’est pas sa langue qui fourche, c’est son cerveau qui disjoncte.
Son niveau de langage a été estimé statistiquement par des linguistes : c’est celui d’un écolier de huit ans redoublant son Fourth-Grade et privilégiant les mots les plus courts (hell, ass, crap, win, sad…, et au-delà de quatre lettres, on peut s’attendre à tout).
C’est tout un champ d’investigation qui s’ouvre à la suite de l’ouvrage de Jennifer Sclafani, Talking Donald Trump: A Sociolinguistic Study of Style, Metadiscourse, and Political Identity.
Il semble qu’il n’y ait que l’intéressé à ne pas trop s’en rendre compte. Lors d’une allocution en Caroline du Sud, en 2015, il s’était auto-congratulé : « je connais les mots, j’ai les meilleurs mots ». À l’écrit, quand un mot dépasse quatre lettres, il en rajoute, comme avec ce fameux forrest (forest, forêt) ou en élide et brasse (peach pour speech). Ou il s’embrouille (agreemnet pour agreement).
Et selon les observateurs qualifiés, cela empire avec le temps. Les origines deviennent des oranges (si, il l'a fait). Il y a la sémantique, mais aussi la syntaxe. Elle était à peu près correcte jusqu’à la fin des années 1990. Depuis shlong (yiddish pour chibre) est devenu un verbe. J'te shlong, abruti.
Ses exploits recouvrent press covfefe (coverage, couverture de la presse). Il y a eu aussi my military (mon armée, mais sur le mode du « mon légionnaire » d’Édith Piaf). Quant aux toponymes ou noms de pays, on eut droit à la Nambie (Namibie) et à quelques autres.
Mais il dispose d’un truc qui lui permet de penser à la suite des propos qu’il improvise… Il prolonge la prononciation de la première voyelle d’un mot (looooser, moooron, Chiiiina). En revanche, son mot favori étant Trump après « je », il l’avale pour le placer le plus souvent possible.
L’ennui, c’est qu’à la longue, le cancre fait école… Et qu’une large partie de l’électorat étasunien votera pour celle ou celui « ki coz com nouzôt’ ». Du coup, l’opposition risque de se mettre à l’imiter… Et que cela s’étendra peut-être au monde entier. J’explique.
Lorsque les premiers films parlants américains furent diffusés au Royaume-Uni, les Britanniques ne comprenaient que peu (voire rien) des dialogues du fait du fort accent des acteurs ou doubleuses. Puis ils ont fini par adopter nombre d’américanismes. Imaginez l’effet boule de neige…
Bon, Bojo, issu d’Oxbridge, n’est pas déjà trop contaminé et son anglais reste compris à Bruxelles (la réciprocité n’est pas garantie : Boris Johnson comprend surtout ce qui lui convient). Mais imaginez la suite…
Bah, de toute façon, avec le réchauffement climatique, nous deviendrons toutes et tous avares de mots. Trop fatigant de s’étendre sur un sujet sauf dans un environnement climatisé… lequel contribue à l’effet, euh, non, pas boule de neige, mais bouffée étouffante.
Même « parler avec les mains » exigera des efforts. Bon, le vocabulaire s’appauvrissant, cela pourra durer un certain temps. Merci la famille Trump…