vendredi 26 juillet 2019

Roger Vailland au service des étrangers de la préfecture de police

Plus cela va, plus... : Roger Vailland fait la queue à la Préfecture de Police

Bon, je ne vais pas, pour chaque article de Roger Vailland, mettre en ligne un PDF. N'en cherchez donc pas infra. Mais cet article sur le service des étrangers de la préfecture de police, dans Paris-Midi daté du 19 novembre 1928, vaut bien d'être reproduit.
Voici peu, effectuant une recherche sur les « bals nègres », je tombe sur une caricature de la fin des années 1910. Il semble qu'avant le Bal Blomet (le Bal Nègre de Desnos), il en existait d'autres, des antérieurs peut-être plus informels, confidentiels, mais n'ayant pas échappé à la sagacité de la presse. Sur la même planche, la case finale montrait un Noir père de famille accompagnant son épouse française précédé d'une ribambelle de petits métis. La légende : dans 20 ans, tous les petits Français seront café au lait. Comme quoi, le « grand remplacement », cela ne date d'hier, ni, au siècle dernier, seulement d'avant-hier...
La queue pour obtenir une carte de séjour ou la renouveler en préfecture, ce n'est pas non plus très nouveau.
Voici donc le texte de cet article de Roger « Vaillant » (un de plus). C'est l'un des tout premiers de Roger Vailland puisque, grâce à Desnos, il intégra Paris-Midi en 1928. Ne manque, à la Prévert, qu'un Ratonné-Lessivé (citoyen de la balkanique Raton-Lessyvie, à la Hergé, comme la Transsubie de La Visirova).
* * * *
Au carrefour du monde
La Préfecture de Police est le rendez-vous des étrangers de Paris
La fille du pasteur, le nouveau-né polonais et le révolutionnaire indou
J'accompagnais ce matin-là mon amie Nancy Coogan, qui accompagnait son élève Mohamed Dahidulad à la Préfecture de police pour qu'il fasse viser sa carte d'étranger.
Nancy est Anglaise. Son père est pasteur. Voici sept ans qu'elle a quitté le cottage familial. Elle vit au Quartier Latin, en donnant des leçons d'anglais à des Français et des leçons de français à des Indous et à des Allemands.
Il y a une centaine de filles de pasteurs anglais au Quartier Latin.
Nous arrivâmes à la Préfecture de police. On faisait la queue le long des barrières de bois.
Tous les étrangers sont égaux devant la loi française. Le parfum à 200 francs le flacon de la divorcée américaine venue en manteau de ragondin, se mêle aux diverses odeurs qui se dégagent des couches du dernier-né de la femme d'un manœuvre polonais, pour constituer l'atmosphère unique au monde de la salle des étrangers de la Préfecture de police.
Un étudiant serbe, qui croit avoir perdu, grâce à son costume d'étoffe et de coupe anglaise, toute trace de sa provenance balkanique, sourit à l'Américaine au manteau de fourrure.
Mahumed (sic) Dahidulad attend sans dire une parole. Petit, barbiche noire, figure maigre, yeux brillants, c'est assez bien l'Indou des images d'Épinal.
Depuis deux ans, il prépare une thèse sur des textes sanskrits, et se perfectionne en français auprès de Nancy.
— Je suis parvenue à capter sa confiance, m'a-t-elle dit un jour. Il a fallu un an pour qu'il m'avoue qu'il déteste l'Angleterre et qu'il juge bon de venir en Europe « afin de s'éduquer et mieux pouvoir lutter contre elle. ».
» Moi, je lui ait dit que j'étais bolchevik.
» Alors le lendemain il m'a remis un devoir qui débutait ainsi : « Oui, je suis un révolté. Ô rois qui êtes assis sur vos trônes, tremblez ! Je porterais à travers les campagnes le flambeau de la destruction !... ».
— J'en fais ce que je veux, a conclu Nancy.
La divorcée américaine s'en va. Le petit Polonais pleure. Dahidulad attend patiemment son tour et la fin de la domination anglaise sur les Indes.
Roger Vaillant.
* * * * 
Bon, j'ai corrigé quelques coquilles, en ai peut-être commis d'autres, et je ne me relis pas... J'ai interraclé (zut, voici donc que Donald Trump déteint déjà sur moi) un (sic), omis de transcrire Hindou(s). Pas voulu accorder « étoffe », « coupe » et « anglaise(s) ».
Au passage, si mon ex-girlfriend étasunienne, fille de de pasteur, qui prodiguait des massages du côté de Saint-Germain sur un tabouret pliant, qui me rejoint à Reims et me plaqua à Grenoble, passe par ici : many kisses.
Mais on ménage comme on peut une transition, le temps de vérifier si le nom de Nancy Coogan apparut ailleurs dans la presse de l'époque. Eh bien non...
C'est effectivement un article de jeunesse : le seul personnage décrit physiquement étant le jeune Hindou alors qu'il y a au moins deux femmes dans la salle. Vailland se rattrapera amplement, détaillant à l'envie l'aspect vestimentaire et physique des femmes qu'il peut rencontrer par la suite...
Or donc les « barrières de bois » sont à présent en ferraille, les Hindous et autres citoyens de l'Inde sont moins nombreux que d'autres ressortissants d'autres pays, et on lit moins de nos jours Passage to India (d'E.M. Forster). Dahidulad aurait pu en être issu si Forster l'avait retrouvé de retour en Inde (nan, anachronisme, le livre sortit en 1924).
Cette Nancy (pseudonyme ?), bolchevique, puisque nous en sommes aux anachronismes, m'en évoque singulièrement une autre, Américaine de même, que Tania Visirova retrouva du côté de Saint-Tropez (ce n'est pas dans le feuilleton de Vailland, mais dans les mémoires de La Visirova recueillies par Maria Craipeau). Emma Goldman (anarchiste proche de Makhno et non de Lénine). Et puis aussi « la riche anglaise » cumulant les amants (autre article de Vailland, ultérieur). Nancy, des années plus tard, fournit-elle partie du portrait de cette Anglaise ?
Journalisme... La place est comptée à Vailland (p. 5, rubrique des spectacles, pour combler le pied de page sous le bloc publicitaire). Je me serai certainement (hum... pas à mes débuts) enquis de la marque du parfum de la dame en ragondin. Je serais allé voir le petit dernier de la Polonaise pour savoir combien il compte d'aînés. J'aurais embrayé sur un reportage sur les Hindous de Paris. &c. En fait, pas du tout. Tu ramènes de quoi fournir la copie au nombre de signes assignés et tu passes à autre chose. Un sujet chasse l'autre... Tu te dis : « tiens, c'est un sujet ». Puis l'agenda prend le dessus (les trucs à couvrir, assignés à l'un ou à l'autre).
Et très sérieusement, le « Dahidulad attend patiemment son tour et la fin de la domination anglaise » ne me serait pas venu. Or, cela, c'est aussi Vailland. Qui a certes commis des chutes passe-partout, convenues, mais là, chapeau l'artiste.
Dois-je vous remémorer que La Visirova et d'autres textes sont disponibles en libre-accès via ce blogue-notes ? Lesquels peuvent établir que si je joue le pion des retenues en salle d'études, je n'en reconnais pas moins le talent du confrère qui ne nous régalera plus aujourd'hui (tiens, on entonne encore un ala... lors des enterrements ; il m'étonnerait que cela dure encore dix ans — à moins que le mien soit ultérieur et la partition sera jointe au testament).
Journalisme... Bientôt, les patrons de presse exigeront que ne soit plus employé que l'étendue du vocabulaire d'un Donald Trump, histoire que le lectorat saisisse encore ce dont il sera question. Journalisme ? Ah non, élucubration d'éditorialiste : voyez supra la mention du « grand remplacement ». Le journalisme, ce n'est pas déblatérer sur des présupposés. Mais bon, ce n'est qu'un blogue-notes. Non tenu à la même tenue.
  





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