samedi 27 juillet 2019

Les Trois soulèvements de Denis Guénoun

Parcours de Denis Guénoun : judaïsme, marxisme, table mystique


C’est sûr : Les Leçons politiques de Game of Thrones est un titre plus vendeur que Trois soulèvements — Judaïsme, marxisme et la table mystique.
Pour qui l’ignorerait encore, Ganar o morir – Lecciones politicas… est un essai d’un certain Pablo Iglesias Turrión sorti en 2015… Une fois, j’avais commis ce titre, « Et maintenant, on peut ! », pour la rubrique « Les mariés du samedi » (c’était avant le mariage pour toutes et tous et l’écriture inclusive) du Pays de Franche-Comté. Podemos. Quel rapport avec Denis Guénoun et ses Trois soulèvements ? Ténu. Il a pu, nous pourrions… Peut-être en épousant ses lignes de réflexion. Imperceptible lien : hormis une allusion à la maternité de la formule « Socialisme ou barbarie », je m’attendais à ce que le féminisme eût alimenté l’évolution de l’auteur (dont il ne traite pas, ce qui n’implique rien), nulle référence à une autre auteure (Rosa Luxembourg est la seule mentionnée). Étonnement : et Simone Weil ? Peut-être traita-t-il de La Passion de Simone (mise en scène de Peter Sellars) dans un autre ouvrage, ou attendrait-il l’occasion de son futur essai sur la critique et la notion de classe ?
Et oui, j’allais oublier. El compañero commandante de Podemos a aussi publié un Cine y política et Denis Guénoun fut un célèbre homme de théâtre (et le reste, mais sa renommée a muté, le philosophe l'emporte désormais). Denis Guénoun est doté d’une très sommaire page Wikipedia dont la majeure partie (une soixantaine de lignes) se répartit entre les rubriques : Œuvres littéraires ; Œuvres théoriques ; Mises en scène ; Comédien… Allez voir. Voyez surtout son site denisguenoun.org qui n’annonce pas déjà, en cette fin juillet, qu’il sera le 5 octobre à Reims (16 heures, médiathèque, devant la cathédrale).
Ces Trois soulèvements ont surgi le 6 mars dernier aux éditions Labor & Fides (144 p., 11 €) et ils commencent à faire quelques vagues. Voyez déjà le sommaire (en ligne) et tentez de deviner pourquoi. Bon, je vais m’efforcer d’aider le mal comprenant qui sommeille aussi en moi comme en d’autres.
Le capitalisme saura peut-être se dépasser et ne pas ravager totalement la planète mais restera fidèle au fondamental : il faut des pauvres pour faire des riches… Tout le monde le sait (surtout les possédants), ou le subodore confusément. Guénoun vous le remémore posément, en d’autres termes, en confidence. Cela n’enflammera pas les foules qu’un Maurice Clavel tentait de rameuter à coups de formules d’indignation ardente, et les propos de Guénoun prendront sans doute autant de temps pour s’infiltrer dans les consciences que les écrits de Debord et Vaneigem…
Tiens, digression (apparente) : avec Contribution à l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande (Rivages, 2018), Vaneigem avait sorti un second Traité de savoir… à l’usage de celles et ceux qui allaient se gileter de jaune. Ce fut moins consulté sur les ronds-points que le Vers la révolution — et si la France se soulevait de nouveau (éd. J.-C. Godefroy) de Fabrice Grimal, le chouchou de la chaîne RT, mais les deux commencent à faire jeu égal.
Cela m’étonnerait que Guénoun rejoigne en danseuse ces deux têtes de peloton de sitôt. D’une part, il n’a pas d’Annie (la maman de Fabrice) pour faire sa promo — je me demandais comment je parviendrai à la caser, celle-là ; c’est fait —, et de l’autre je ne vois guère RT ou SputnikNews l’inviter à déclarer : « L’insurrection qui vient sera nourrie de bonté. ». Mais comme l’énonçait La Fontaine, chi va piano va sano (ou quelque chose du cru).
Je pourrais m’en tenir là. Vous êtes prévenus, et avec ces trois éruptions-là, vous avez de quoi vous faire remarquer dans les dîners en ville ou l’after-barbecue.
L’Insurrection qui… (Comité invisible, La Fabrique éd.) « nourrie de bonté » ?
Au fait, il en cause, des Gilets Jaunes ? Oui, en filigrane. Mais le propos est largement plus vaste.
Un latin, ce Guénoun (« Italien de cœur », glisse-t-il, Pisan d’adoption), un Africain qui revient de loin. Fils d’un ex-israélite d’Algérie (ex car devenu hussard noir athée et communiste, mais resté aussi Juif que moi Breton), passé comme son père par le PCF, et à présent, de par « l’hospitalité eucharistique » des réformés, entré dans leur communauté (la maison genevoise Labor & Fidès fait dans le sociétal et le spirituel, pas vraiment dans le scabreux ou l’hilarant, quoique le Dieu otage de la pub ? est fort divertissant). Comprenez que, comme le sommet d'un volcan s'élève, ces soulèvements successifs se cumulent.
« Pied noir » (non, rapatrié, oui, mais plutôt tata-ti-tata-ta : Algé-rie, algé-… et non fran-…) et tête chercheuse, donc. Féru d’« universalisme juif », et autres, farci de philosophie allemande, congru en tout. Ce n’est pourtant pas un auteur si ardu. Ni coincé (Denis… comme Diderot). Les livres traitant de théologie me sont tombés des mains voici belle lurette, celui-là décoiffe : le judaïsme un « a-théisme » ?
Trois temps, trois mouvements : l’enfance et l’adolescence oranaises ; le marxisme à la Roger Vailland libertin (ici, libre-penseur), mais en plus libertaire (là, moins stal') ; l’introspection spirituelle. Qui le porte à mentionner la Méditation grisâtre de Jules Laforgue (le gendre, et seconde digression, celui dont je recherche l’éloge funèbre prononcé par La Kollontaï). Cela vole parfois assez haut mais reste toujours dans l’accessible, l’ici et maintenant, et l’advenir. Guénoun ressuscité n’est plus tout à fait le même et il l’explicite. Mais cela n’a rien, mais alors rien à voir avec ces bouquins de convertis ressassant dans le prêchi-prêcha, le lève angélisme, l’extatisme béat.
D’accord, ce n’est pas tout à fait un livre de plage, mais je le relirai bien volontiers, mollement détendu à une terrasse… Je vais aussi le faire « tourner ». Pas mon exemplaire, un autre. Très utile, par exemple, aux parents ayant placé leurs enfants dans une école confessionnelle d’autre obédience que la leur (qu’elle soit monothéiste ou animiste, agnostique, voire limite anticléricale à débords). Et plus tard, à leur progéniture.
Embarqué par l’amie qui l’invite à Reims (5 octobre, bis), je suis allé une fois écouter Guénoun et d’autres, réunis pour parler de charité (au sens de partage, voire redistribution) : donc d’espérances déçues parfois, mais persévérantes, car il s’agissait très concrètement d’échanger à propos des attitudes à tenir dans les rapports avec les sans toit, avec ou sans loi (voire Loi, comme Guénoun l’explicite). Hic et nunc, sur le champ, au ras du bitume. Pas commodes, parfois, les gaillards (surtout quand vous êtes de leur nombre à une soupe populaire de l’Armée du Salut, par exemple, croyez m’en). Cette anecdote situe aussi l’auteur.
Une chute ? Et bien voilà : chut (interj.). Lire Guénoun et ne pas se laisser choir.
Et à propos : si déjà épuisé, les éditions Labor & Fidès réimpriment à la demande…

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