Une hypothèse peu loufoque de Rohan Silva
Rohan
Silva, LSE, MIT, et chroniqueur pour The Evenening Standard est un
garçon sympathique, propre sur lui, et nullement un complotiste. Son hypothèse
sur l’issue chaotique des élections étasuniennes de novembre m’a frappée « au
coin du bon sens ». Tout laisse penser que les démocrates et les
républicains (enfin, plus précisément, la Trumpland) contesteront sans fin le
résultat des élections de novembre. Et à qui cela pourrait-il profiter le
plus ?
C’est
peut-être parce que je relis les chroniques, lettres et carnets d’Orwell (Eric Blair),
enfin, le troisième tome, celui de sa fin de vie, que je me suis senti très
sensibilisé par la chronique de Rohan Silva dans l’Evening Standard,
intitulée “China is the real threat if the American election is derailed this
November”.
Bon, il
n’exclut pas non plus que la Russie, la Corée du Nord, l’Iran, mais à mon
humble avis aussi le Royaume-Uni, la Turquie, et tout pays sachant saisir
l’opportunité du moment, le vent des occasions, saura tirer parti de ce qui
semble prévisible, si ce n’est inéluctable. Soit que Trump, vainqueur en votes
des grands électeurs ou perdant, s’accrochera à la Maison Blanche. Qu’il soit
vainqueur en voix ou autrement importe peu, perdant de même. Il s’incrustera de
toute façon, et si vainqueur, les démocrates cette fois, contesteront (ce que
n’avais pas fait Al Gore face à Bush). Même réélu, Trump voudra absolument
établir qu’il l’aura été magnifiquement et fera passer la politique intérieure,
et sa gloriole, avant tout autre considération. Les démocrates, surtout s’ils
se renforcent au Sénat, ne pourront que relever le gant.
Faute d’un
coup d’État militaire (je sais, j’extrapole à fond), les États-Unis seront
paralysés, l’aigle rivé sur son nombril (métaphore douteuse qu’aurait désavouée
Buffon ; digression, sur Google, si vous cherchez Buffon, c’est Gianluigui
Buffon, le joueur de balle au pied, qui remonte en premier, la cancel
culture, elle se poursuit et
prolonge ainsi).
Rohan
Silva n’est pas complotiste, mais il relève que la coronavirus a permis à la
Chine de mettre au pas Hong Kong. C’est un fait. Même si tout le monde n’était
pas en train de se tester, il en aurait peut-être été de même. Notez bien que
je ne suis pas en train de vous soutenir que la Chine a créé le virus à Wuhan
pour permettre à Erdogan de renforcer l’influence turque islamiste en Albanie,
au Kosovo et en Bosnie, en attente de retour sur investissement. N’importe qui
fait son beurre avec de telles inventions que n’importe quoi de bien tourné
permet d’étayer : il suffit de le marteler sur YouTube et vous engrangez
des retombées.
C’est laisser subodorer que 1984 était à la fois prémonitoire et dépassé par la réalité actuelle. Autre digression : Orwell, vieux mâle blanc, si vous le relisez bien, il y aura toujours un prétexte à trouver pour le rayer des listes, brûler Animal Farm et ses autres écrits. Il suffit de bien éplucher et de hurler plus fort. Ezra Pound et Yves Klein dans le même sac (mussolino-fasciste) jusqu’à ce qu’un futur Luc Ferry les réhabilite. Trump est en train de nous refaire les programmes scolaires étasuniens sur le modèle du Tour de la France par deux enfants (d’Augustine Fouillée) ou d’une Alsace-Lorraine à la Erckmann-Chatrian. Ne pas se boucher les yeux, les mêmes ressorts arrivent en France, les mêmes méthodes. Les mêmes tripatouillages historiographiques. Mais aux États-Unis, l'histoire est en marche avec Trump, l'homme qui prédit l'avenir et dont les prières sont exaucées (voir l'illustration).
Ce texte
foutraque vous a fait perdre le fil ? Normal, moi aussi. Mais quand vous lisez Rohan Silva, vous comprenez un peu mieux
pourquoi Jean-Pierre Chevènement (amicales salutations au passage) plaide dans le Marianne de cette semaine un
rapprochement entre l’U.E. et la Russie de Poutine. Aussi illusoire que
l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural », mais entre deux maux,
il croit choisir le moindre. Soit l’oligarchie russe plutôt que la
chinoise ? Il ne s’agit pas de lui faire un mauvais procès d’intentions,
mais en fait, cela se résume à cela. Les États-Unis, avec leur révérend
Trump-Moon vont aménager leur survie (Biden sera sans doute contraint à lui
aussi faire de l’America First), et une Europe désunie se retrouverait à
se mettre dans les bras non du mieux offrant, mais du moins pire-disant.
Pour
prolonger le propos de Rohan Silva, nous en serions là. Spéculation hasardeuse
que celle de Rohan Silva qui la présente d’ailleurs pour telle, ne prétend pas
énoncer une probable prédiction. Sans mettre en cause sa perspicacité, j’en
viens quand même à me demander si l’idée de sa chronique ne lui a pas été
suggérée par un diplomate, et si diverses chancelleries ne se préoccupent pas d’une
telle éventualité. Comme chacun sait, l’un des trucs et astuces de la
communication consiste à sortir un machin servant de diversion pour l’opinion,
le temps de faire passer l’essentiel comme surgi simultanément voire
spontanément et tacitement faire tolérer un fait accompli. Le culot paye alors.
En
prolongement de cet ordre d’idée, je me demande d’ailleurs si le coup de Boris
Johnson sur le Brexit et l’Irlande du nord n’est pas d’ailleurs un bluff visant
à faire fléchir l’U.E. sur les droits de pêche et la distorsion concurrentielle
liée aux subventions destinées à attirer des entreprises étrangères et en
conserver des britanniques bénéficiant de mesures de défiscalisation. Le Donald
et le Bojo sont de fins manœuvriers, en particulier dans le recours aux grosses
ficelles en mode éléphant républicain ou lion royaliste et unioniste dans un
magasin de porcelaine.
L’hypothèse
d’un passage en force d’une puissance profitant du tumulte découlant d’une
élection étasunienne contestée est d’autant plus plausible que Trump a limogé
des flopées de généraux, démantelé le FBI (son directeur, Christopher Wray,
pourrait sauter), menace l’Onu, déstabilise l’Otan, et j’en passe. Et puis, si
la Chine tentait un passage en force quelque part, ce serait en raison de la
mollesse de Joe Biden, déjà accusé de favoriser les intérêts chinois, de
propager la covid (si, si…) et de financer en sous-main les antifas
incendiaires de Californie et de la côte Ouest. Regardez ce qu’ose la Chine,
attisée par le mol ensuqué Biden sous psychotropes, il faut, clame Trump, que je reste à la
Maison Blanche au moins deux mandats de plus. Eight, Twelve more Years.
Je ne veux
pas augurer que Trump aurait déjà passé un accord avec Xi Jinping ou Kim Jong
un dans la perspective d’une défaite électorale due au dénoncé par avance trucage démocrate des élections,
car cela serait trop extrapoler à partir de ce que suggère Rohan Silva. Mais je ne doute pas que ce dernier, sans oser
l’écrire, pourrait l’en croire capable. La Trumpland est tout aussi persuadée que
son Donald est capable de tout, et que Biden est un parfait incapable, c’est d’ailleurs
pour cela qu’elle adule le Donald. Lequel, réciproquement, est convaincu que
ses partisans seraient capables de tout pour le maintenir en place. Cela n’a
rien d’une fumeuse vision complotiste, mais Trump a fait le ménage, s’appuie
résolument sur la secte QAnon. Trump veut faire élire Marjorie Taylor Greene
(QAnon), en Géorgie, et on présume qu’il poussera un autre candidat QAnon en
Floride ou en d’autres États.
Qu’importe
que la secte QAnon dénonce un complot judaïque, les évangélistes, qui ne jurent
que par Israël, les Juifs pour Trump, les Latinx, les femmes et les
Afro-Américains pour Trump sont prêts à se fédérer sur le mode les ennemis de
mes ennemis de l’État profond sont mes amis. Je ne touche pas le fond du
complotisme en soutenant que le Donald se pose en Messie, en Sauveur, en
Prophète, pas encore du rastafarian Jah pour l’instant, mais cela pourrait
venir s’il lui semblait bon, en nouveau David. On comprend bien peu la Trumpland
si on n’envisage pas que des Jews for Trump finiront par considérer qu’il y
avait sans doute un fond de vérité dans Le Protocole des Sages de Sion. Que
le Donald se croit ou non dans ces divers rôles de Mahdi importe peu, du moment
qu’il pense que la Trumpland s’en persuade. Certes quand Trump a déclaré « Je
suis l’Élu » (The Choosen One), il ne faisait allusion qu’au combat
commercial contre la Chine. Mais la Trumpland le prend pour tel en tout domaine.
Et tout lui est bon pour ancrer cette idée. Laquelle, souvenez-vous, fut
reprise par Rick Perry et Mike Pompeo, ses si chrétiens apôtres (dépêche AFP de
fin novembre 2019, « Trump a été choisi par Dieu »).
Le
présupposé de Silva vaut ce qu’il vaut. Mais si Trump virait Mark Milley, le
chef de l’état-major, et démantelait la direction du Pentagone, ce qui fut un
temps envisagé, puis abandonné, ou plutôt reporté après la réélection dont il
se dit assuré, tout peut sembler envisageable. Ne vous attendez à rien savoir
de ma part, mais tentez de réaliser que tout type de cogitation de ce genre est
sans doute moins fumeux que vous vous l’imaginez.
Car, plus sérieusement, — en vérité, en vérité —je vous parie que si la Chine, en novembre, envahissait Taïwan, la Trumpland serait persuadée que Dieu l’aura voulu, la Chine ayant eu recours à la complicité de Judas-Biden-Belzébuth. Lequel comme l’a proclamé Trump « est contre Dieu », mais néanmoins son dévoyé instrument. Si les volontés divines sont impénétrables, celles de son envoyé, le Donald, sont limpides : que son règne perdure au plus haut du Capitole.