samedi 19 septembre 2020

Trump va-t-il offrir Formose à la Chine ?

Une hypothèse peu loufoque de Rohan Silva

Rohan Silva, LSE, MIT, et chroniqueur pour The Evenening Standard est un garçon sympathique, propre sur lui, et nullement un complotiste. Son hypothèse sur l’issue chaotique des élections étasuniennes de novembre m’a frappée « au coin du bon sens ». Tout laisse penser que les démocrates et les républicains (enfin, plus précisément, la Trumpland) contesteront sans fin le résultat des élections de novembre. Et à qui cela pourrait-il profiter le plus ?

C’est peut-être parce que je relis les chroniques, lettres et carnets d’Orwell (Eric Blair), enfin, le troisième tome, celui de sa fin de vie, que je me suis senti très sensibilisé par la chronique de Rohan Silva dans l’Evening Standard, intitulée “China is the real threat if the American election is derailed this November”.

Bon, il n’exclut pas non plus que la Russie, la Corée du Nord, l’Iran, mais à mon humble avis aussi le Royaume-Uni, la Turquie, et tout pays sachant saisir l’opportunité du moment, le vent des occasions, saura tirer parti de ce qui semble prévisible, si ce n’est inéluctable. Soit que Trump, vainqueur en votes des grands électeurs ou perdant, s’accrochera à la Maison Blanche. Qu’il soit vainqueur en voix ou autrement importe peu, perdant de même. Il s’incrustera de toute façon, et si vainqueur, les démocrates cette fois, contesteront (ce que n’avais pas fait Al Gore face à Bush). Même réélu, Trump voudra absolument établir qu’il l’aura été magnifiquement et fera passer la politique intérieure, et sa gloriole, avant tout autre considération. Les démocrates, surtout s’ils se renforcent au Sénat, ne pourront que relever le gant.

Faute d’un coup d’État militaire (je sais, j’extrapole à fond), les États-Unis seront paralysés, l’aigle rivé sur son nombril (métaphore douteuse qu’aurait désavouée Buffon ; digression, sur Google, si vous cherchez Buffon, c’est Gianluigui Buffon, le joueur de balle au pied, qui remonte en premier, la cancel culture, elle se poursuit  et prolonge ainsi).

Rohan Silva n’est pas complotiste, mais il relève que la coronavirus a permis à la Chine de mettre au pas Hong Kong. C’est un fait. Même si tout le monde n’était pas en train de se tester, il en aurait peut-être été de même. Notez bien que je ne suis pas en train de vous soutenir que la Chine a créé le virus à Wuhan pour permettre à Erdogan de renforcer l’influence turque islamiste en Albanie, au Kosovo et en Bosnie, en attente de retour sur investissement. N’importe qui fait son beurre avec de telles inventions que n’importe quoi de bien tourné permet d’étayer : il suffit de le marteler sur YouTube et vous engrangez des retombées.


C’est laisser subodorer que 1984 était à la fois prémonitoire et dépassé par la réalité actuelle. Autre digression : Orwell, vieux mâle blanc, si vous le relisez bien, il y aura toujours un prétexte à trouver pour le rayer des listes, brûler Animal Farm et ses autres écrits. Il suffit de bien éplucher et de hurler plus fort. Ezra Pound et Yves Klein dans le même sac (mussolino-fasciste) jusqu’à ce qu’un futur Luc Ferry les réhabilite. Trump est en train de nous refaire les programmes scolaires étasuniens sur le modèle du Tour de la France par deux enfants (d’Augustine Fouillée) ou d’une Alsace-Lorraine à la Erckmann-Chatrian. Ne pas se boucher les yeux, les mêmes ressorts arrivent en France, les mêmes méthodes. Les mêmes tripatouillages historiographiques. Mais aux États-Unis, l'histoire est en marche avec Trump, l'homme qui prédit l'avenir et dont les prières sont exaucées (voir l'illustration).

Ce texte foutraque vous a fait perdre le fil ? Normal, moi aussi. Mais quand vous lisez Rohan Silva, vous comprenez un peu mieux pourquoi Jean-Pierre Chevènement (amicales salutations au passage) plaide  dans le Marianne de cette semaine un rapprochement entre l’U.E. et la Russie de Poutine. Aussi illusoire que l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural », mais entre deux maux, il croit choisir le moindre. Soit l’oligarchie russe plutôt que la chinoise ? Il ne s’agit pas de lui faire un mauvais procès d’intentions, mais en fait, cela se résume à cela. Les États-Unis, avec leur révérend Trump-Moon vont aménager leur survie (Biden sera sans doute contraint à lui aussi faire de l’America First), et une Europe désunie se retrouverait à se mettre dans les bras non du mieux offrant, mais du moins pire-disant.

Pour prolonger le propos de Rohan Silva, nous en serions là. Spéculation hasardeuse que celle de Rohan Silva qui la présente d’ailleurs pour telle, ne prétend pas énoncer une probable prédiction. Sans mettre en cause sa perspicacité, j’en viens quand même à me demander si l’idée de sa chronique ne lui a pas été suggérée par un diplomate, et si diverses chancelleries ne se préoccupent pas d’une telle éventualité. Comme chacun sait, l’un des trucs et astuces de la communication consiste à sortir un machin servant de diversion pour l’opinion, le temps de faire passer l’essentiel comme surgi simultanément voire spontanément et tacitement faire tolérer un fait accompli. Le culot paye alors.

En prolongement de cet ordre d’idée, je me demande d’ailleurs si le coup de Boris Johnson sur le Brexit et l’Irlande du nord n’est pas d’ailleurs un bluff visant à faire fléchir l’U.E. sur les droits de pêche et la distorsion concurrentielle liée aux subventions destinées à attirer des entreprises étrangères et en conserver des britanniques bénéficiant de mesures de défiscalisation. Le Donald et le Bojo sont de fins manœuvriers, en particulier dans le recours aux grosses ficelles en mode éléphant républicain ou lion royaliste et unioniste dans un magasin de porcelaine.

L’hypothèse d’un passage en force d’une puissance profitant du tumulte découlant d’une élection étasunienne contestée est d’autant plus plausible que Trump a limogé des flopées de généraux, démantelé le FBI (son directeur, Christopher Wray, pourrait sauter), menace l’Onu, déstabilise l’Otan, et j’en passe. Et puis, si la Chine tentait un passage en force quelque part, ce serait en raison de la mollesse de Joe Biden, déjà accusé de favoriser les intérêts chinois, de propager la covid (si, si…) et de financer en sous-main les antifas incendiaires de Californie et de la côte Ouest. Regardez ce qu’ose la Chine, attisée par le mol ensuqué Biden sous psychotropes, il faut, clame Trump, que je reste à la Maison Blanche au moins deux mandats de plus. Eight, Twelve more Years.

Je ne veux pas augurer que Trump aurait déjà passé un accord avec Xi Jinping ou Kim Jong un dans la perspective d’une défaite électorale due au dénoncé par avance trucage démocrate des élections, car cela serait trop extrapoler à partir de ce que suggère Rohan Silva.  Mais je ne doute pas que ce dernier, sans oser l’écrire, pourrait l’en croire capable. La Trumpland est tout aussi persuadée que son Donald est capable de tout, et que Biden est un parfait incapable, c’est d’ailleurs pour cela qu’elle adule le Donald. Lequel, réciproquement, est convaincu que ses partisans seraient capables de tout pour le maintenir en place. Cela n’a rien d’une fumeuse vision complotiste, mais Trump a fait le ménage, s’appuie résolument sur la secte QAnon. Trump veut faire élire Marjorie Taylor Greene (QAnon), en Géorgie, et on présume qu’il poussera un autre candidat QAnon en Floride ou en d’autres États.

Qu’importe que la secte QAnon dénonce un complot judaïque, les évangélistes, qui ne jurent que par Israël, les Juifs pour Trump, les Latinx, les femmes et les Afro-Américains pour Trump sont prêts à se fédérer sur le mode les ennemis de mes ennemis de l’État profond sont mes amis. Je ne touche pas le fond du complotisme en soutenant que le Donald se pose en Messie, en Sauveur, en Prophète, pas encore du rastafarian Jah pour l’instant, mais cela pourrait venir s’il lui semblait bon, en nouveau David. On comprend bien peu la Trumpland si on n’envisage pas que des Jews for Trump finiront par considérer qu’il y avait sans doute un fond de vérité dans Le Protocole des Sages de Sion. Que le Donald se croit ou non dans ces divers rôles de Mahdi importe peu, du moment qu’il pense que la Trumpland s’en persuade. Certes quand Trump a déclaré « Je suis l’Élu » (The Choosen One), il ne faisait allusion qu’au combat commercial contre la Chine. Mais la Trumpland le prend pour tel en tout domaine. Et tout lui est bon pour ancrer cette idée. Laquelle, souvenez-vous, fut reprise par Rick Perry et Mike Pompeo, ses si chrétiens apôtres (dépêche AFP de fin novembre 2019, « Trump a été choisi par Dieu »).

Le présupposé de Silva vaut ce qu’il vaut. Mais si Trump virait Mark Milley, le chef de l’état-major, et démantelait la direction du Pentagone, ce qui fut un temps envisagé, puis abandonné, ou plutôt reporté après la réélection dont il se dit assuré, tout peut sembler envisageable. Ne vous attendez à rien savoir de ma part, mais tentez de réaliser que tout type de cogitation de ce genre est sans doute moins fumeux que vous vous l’imaginez.

Car, plus sérieusement, — en vérité, en vérité —je vous parie que si la Chine, en novembre, envahissait Taïwan, la Trumpland serait persuadée que Dieu l’aura voulu, la Chine ayant eu recours à la complicité de Judas-Biden-Belzébuth. Lequel comme l’a proclamé Trump « est contre Dieu », mais néanmoins son dévoyé instrument. Si les volontés divines sont impénétrables, celles de son envoyé, le Donald, sont limpides : que son règne perdure au plus haut du Capitole. 

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