Des limites du livre-témoignage brut
Je vous en
parle sans avoir déjà lu Police (Goutte d’or éditeur), mais comme il
existe une version numérique peu chère, je vous en entretiendrai de nouveau sans
doute. Histoire de confirmer ou infirmer mon présupposé : un témoignage
brut ne peut être que parcellaire.
Il est bien présomptueux de reprocher à Valentin Gendrot d’être resté au ras des pâquerettes. Soit au récit d’une formation bâclée dans un centre de province et de six mois d’observation au sein d’un commissariat d’arrondissement parisien. C’est du grand reportage, à la, mettons Florence Aubenas mode Quai de Ouistreham (six mois au coude à coude des précaires). Chapeau, donc. Avec un handicap pour Gendrot : tenter de prendre contact avec des collègues d’autres commissariats, de sonder la hiérarchie, d’élargir son terrain d’enquête l’exposait à se brûler rapidement. Soit il restait infiltré et il n’encourrait pas la vindicte d’autres policiers, soit… comme il l’explique, il risquait de se retrouver au placard et en butte à l’hostilité, aux brimades.
Ce qu’il
ressort de la revue de presse et des quelques entretiens donnés par l’auteur, c’est
qu’un jeune flic ne peut que devenir flic à part entière ou démissionner. D’ailleurs,
il se défend d’avoir écrit un livre « anti-flic », et même on
peut deviner qu’il s’agit plutôt d’un livre pro-flics décents.
Mais il
confirme que, comme il l’a fait lui-même, les décents sont rapidement
contaminés, couvrent non pas seulement les bavures, mais les exactions délibérées
des collègues, et que la hiérarchie, ne voulant pas d’histoires ou compromettre
son avancement, tolère quasiment tout comportement limite. Cela confirme les
conclusions des diverses études sociologiques.
On a l’impression
que seuls les « bâtards », ainsi désignent les policiers xénophobes) tous
ceux sur lesquels ils se sentent libres de frapper, tous étrangers ou « bronzés »
au sens large, font l’objet de menées contraires au code de déontologie. Rien n’est
plus faux globalement. À moins d’être magistrat ou avocat ou de faire valoir
une preuve indubitable de sa proximité avec le pouvoir, tout justiciable (c’est-à-dire
pratiquement tout le monde) peut se retrouver provoqué puis poursuivi pour outrage.
Mais dans le doute face à un bon Français « indigène », né en France de
parents Français et blancs, simple contrevenant ou délinquant, les méthodes, par
précaution, sont plus subtiles. C’est, par exemple, serrer les pinces à fond
pour faire mal, mais de façon à ce que les traces ne puissent pas entraîner un
constat médical qui, dans la plupart des cas, ne sera pas immédiat.
De son
expérience d’une formation superficielle dans un centre régional, Gendrot
déduit que n’importe qui peut devenir policier. Par cette voie, peut-être. Mais
pour intégrer une école de police, formant des gardiens de la paix, ce n’est
pas le cas : mieux vaut ne pas être trop diplômé et ne pas trop briller à
l’écrit, être plus proche de 17 ans que du maximum (35 ans). Le tri est sévère
pour éliminer les éventuels potentiels gêneurs.
Légère
digression. En Espagne, on n’intègre plus une école de police si on n’a pas
obtenu 62 bonnes réponses sur cent à l’épreuve d’orthographe. Que les nuls en
orthographe ne désespèrent pas, cela ne durera pas.
Le livre
est aussi un plaidoyer pour accorder des moyens décents aux policiers décents
(dont les autres pourraient bénéficier, ce qui les apaiserait peut-être). Il
est certain qu’entre les locaux et les véhicules des séries télévisées
policières et le réel, l’écart est considérable. Mais une série policière qui
ne bénéficierait pas de la sympathie de la hiérarchie ne durerait pas plus que
quelques épisodes. Une bonne série policière doit donner une impression globale
favorable de la police et de la gendarmerie.
En
revanche, le mérite d’un tel témoignage brut est d’être difficilement réfutable,
d’autant que l’auteur n’en est pas à sa première infiltration
Ce livre
apporte beaucoup de confirmations. Et prolonge ce que décrivaient déjà les romans
noirs d’Hugues Pagan, ancien policier et auteur (trop) franc, sincère. En
réalité, pratiquement tout le monde savait déjà ce qu’il en était. Plus significatif
me semble
ce que l’éditeur en dit sur son site. Il avait été envisagé d’imprimer le
livre à l’étranger (ce fut en Slovénie), d’en assurer la promotion auprès de
relais d’opinion « dans le huis-clos du cabinet » d’un avocat.
Ce livre a
déjà retenu l’attention à l’étranger (The Guardian, RTBF, Tribune de
Genève, El Mundo, etc.).
Ce qui
devient grave, c’est que, du fait d’une minorité, la majorité de la population
devient appréhensive si elle doit frayer avec la police, en tant que témoin ou
plaignant, s’attendant à être systématiquement toisée et intimidée. Il subsiste
pourtant des policiers faisant preuve d’écoute
et d’une forte aménité.
À l’inverse,
nombre de policiers sont quotidiennement insultés et confrontés à des attitudes
provocantes de la part d’une minorité. Et certains policiers, sachant ce que
subissent leurs collègues, en viennent à exprimer systématiquement un ressentiment
à l’égard de populations assimilées hâtivement à ceux qui s’en prennent à leurs
collègues. La tolérance de la majorité envers les écarts de comportements de
certains en découle.
Ce qui est
rassurant c’est qu’en découvrant les dépêches de l’AFP, largement reprises, le
ministère a incité la préfecture de police à saisir l’inspection générale et alerté
le parquet. Et pour une fois, le communiqué de la préfecture ne tente pas d’induire
que les faits rapportés (qualifiés « d’allégués »
cependant) soient d’emblée dénués de tout fondement ou fortement exagérés. Pour le moment, les syndicats de police n’ont
pas réagi. Mais, pour donner l’ambiance du côté de France Police, il est réclamé,
après le meurtre d’un policier au Mans, que policiers et gendarmes soient
autorisés à ouvrir le feu en cas de refus d’obtempérer. Quant à Synergie
officiers, ce syndicat définit les violences policières de « délit
imaginaire caractérisé par les tribunaux médiatiques ». Quant au
SICP-SCPN, qui appelle à manifester le 2 octobre, il dénonce la « mise
en cause – systématique, médiatique et politique – de notre action au moindre
incident. ». C’est mal parti pour la réception de ce livre.
Parmi les
entretiens accordés par l’auteur, le plus significatif (je n’ai pas eu accès à
celui de Mediapart) est le fait
du site RTL belge. Ce n’est pas un hasard : les journalistes belges
ont rarement à faire avec la police française et ne risquent pas des mesures de
rétorsion.
Sur
Twitter, une policière, Juliette Alpha, auteure de Vis ma vie de flic (Hugo Doc
éd.), pose une question pertinente : « est-ce que Valentin
Gendrot a le recul nécessaire, avec seulement six mois dans une brigade,pour
comprendre comment tous ces facteurs peuvent nous changer ? ». La
question induit la réponse. Mais faudrait-il cinq à six ans pour un policier
infiltré dans un gang d’une cité pour saisir, à défaut de comprendre, de quoi
il en retourne ?
La version
papier du livre était déjà, en soirée, en rupture de stock sur divers sites.
Faut-il y voir un indice de l’évolution de la perception d’une partie de la police
par une large partie de la population ? Un tantinet sans doute même si
hors des agglomérations, la police reste très majoritairement respectée et
appréciée. Ce que reflètent d’ailleurs les propos de l’auteur, pour le moins
mesurés. Je ne doute d’ailleurs pas que le commissariat de son arrondissement reçoive
aussi des félicitations méritées de la part des habitants. Un couple d’amis qui
y résidait a fini par se réfugier en petite province, las des incivilités, des
dégradations gratuites subies par son véhicule (une 4 L Renault). Des gens pas,
ou plutôt plus choqués que des (et non les) policiers emploient parfois des
méthodes « musclées ». Sans toutefois dénier qu’elles puissent exacerber
des frictions, des tensions. Et cet engrenage mérite d’être pointé du doigt.
Même, comme peuvent l’estimer certains policiers, maladroitement et cavantage à
charge qu’à décharge.
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