Violette Nozière à loilpé défrise Facebook
Petit billet d'humeur... Ma précédente contribution portant sur Roger Vailland rencontrant des connaissances de Violette Nozière au Quartier Latin était illustrée d'une photo d'archives montrant cette dernière les seins à l'air... J'aurais dû m'en douter, Facebook à censuré.
Bref, ayant soumis derechef le visuel à je ne sais quel algorithme de reconnaissance des formes de Facebook, j'obtempère, modifie l'image (une couverture de magazine montrant Violette Nozière de profil dans sa cellule se substitue donc à la précédente). J'aurais pu aussi, comme le pratique systématiquement le Daily Mail, flouter l'aréole et le téton incriminants... Le même quotidien n'en rate cependant pas moins le moindre fait-divers quelque peu salace (en gonflant, par le titre et le style de l'article ou de l'écho, sa faible portée au besoin).
Mais rien n'y fera... FB ne conserve que la trace de la version initiale : obsédé, va. Impossible donc de signaler le texte sur Facebook. Primat de l'image...
C'est une censure quelque peu discutable... Situer le cas Nozière en publiant une image d'archives pour laquelle elle posa nue (à 17 ans) me semblait adéquat. Éclairait davantage la teneur des témoignages recueillis par Vailland auprès des connaissances de la parricide au Quartier Latin. Tandis que le nouveau visuel (qui présente certes un intéressant traitement typographique de la couverture de Police Magazine) n'illustre que la portée que prit « l'affaire Nozière » en 1933.
La photo dénudée illustrait la chronique d'un dénommé Romi – sans doute Robert Miquel, à moins qu'il ne s'agisse de Gilles Martin-Chauffier – pour Paris-Match (29 août 1991). La rubrique s'intitule « Les femmes de notre siècle ». Cela donne « Pour la première fois, une criminelle donne des états d'âme à la société » ; avec deux « chapos » : « À force de rêver palaces, Bugatti et grands couturiers, elle avait fini par ne plus supporter la médiocrité familiale. Devenue "femme" à 16 ans, Violette crut que seul un parricide la libérerait définitivement. La froideur et l'inconscience de cette meurtrière de 18 ans fascina la France. Écrivains, poètes et peintres se mobilisèrent et firent de cette petite ambitieuse criminelle un symbole. Condamnée à mort à 19 ans, graciée (avant d'être touchée par la Grâce), libérée puis réhabilitée, elle devint, dans l'indifférence générale, l'épouse respectable, conforme aux vœux de sa propre mère. ».
Le second est en fait une légende déportée sous le titre : « Violette était fière de cette photo "coquine" (...) où elle posait nue, cadeau vivant pour Noël de riche. ».
Le texte contextualise bien ce qu'ont dit et purent penser les trois interlocutrices de Vailland de cette « copine » de condition inférieure, qui voulut passer pour de leur monde... « Violette Nozière n'est pas contente. Ses parents l'agacent. Ils n'habitent pas avenue Georges-Mandel (...) ne l'envoient pas en classe à Sainte-Marie de Passy. C'est impardonnable. D'autant qu'ils sont enchantés de leur petit appartement, rue de Madagascar, derrière Bercy, près de Charenton. Comme si cette atmosphère toile cirée-soupe aux choux pouvait convenir à leur petite chérie. (...) elle déguerpit. Car, pour une lycéenne, elle court beaucoup à travers la ville. Sans que ses parents, qui la prennent pour l'élève modèle du lycée Fénelon, s'en émeuvent. Dès 16 ans, elle perd sa virginité (...) avec un petit camarade de passage. Auquel succède toute une escouade d'autres petits amis. Violette n'est pas pingre : n'ayant pas d'argent à offrir, elle se donne (...) ce qui l'amène à quelques acrobaties d'alcôve, car elle a raconté à ses copains du boulevard Saint-Michel que c'était son père, ingénieur, et sa mère, directrice chez Paquin (le couturier), qui lui remplissaient les poches. ».
En réalité, elle a de forts besoins car, comme beaucoup de jeunes gens de ces milieux, elle s'adonne à la drogue, comme Vailland lui-même. En conséquence, elle michetonne, recherche les messieurs généreux...
Il a été prêté à Flaubert la fameuse phrase « Madame Bovary, c'est moi ». Vailland n'allait pas s'assimiler à la Visirova ou à Leïla la Stamboulioute. Mais on se demande si le portrait en miroir qu'il dépeint de Violette, à travers les témoignages de ses propres fréquentations, ne lui inspire pas cette réflexion : j'aurais pu être Violette. Il provient d'un milieu à peine plus aisé (Baptiste Nozière fut promu par la compagnie Paris-Lyon-Marseille, Vailland père resta géomètre) et la différence avec elle, c'est qu'il ne déserta pas son lycée rémois, poursuivit ses études à Paris. Violette présente plus de similitudes avec l'ami Pierre Minet, qui déserte Reims pour la capitale à 16 ans. Lequel, comme elle, finira « ordinaire », ainsi qu'il le regrette dans La Défaite (1947).
Vailland n'allait pas, dans Paris-Soir, heurter les sensibilités du lectorat en faisant de la parricide une héroïne. Ce qu'elle devient pour les surréalistes... Elle avait laissé supposer que son père fut incestueux, ce qui pouvait induire que sa mère en était la passive complice (Violette les empoisonna tous deux). Le cofondateur du Grand Jeu dans lequel était paru ce « Nous défendons Sacco et Vanzetti, mais nous préférons Landru » aurait pu faire de Violette une figure mythologique, comme surenchérirent les surréalistes (« embrasseuse d'aubes » ; « belle comme un nénuphar sur un tas de charbon » ; « nymphe baroque » ; « métisse de la lumière et de l'ombre »). Certains supputèrent même que la mère de Violette, qui réchappa du poison, eut agi par vengeance. Vailland n'incarnera pas à leurs yeux, cette fois, comme l'écrivit Péret, « ceux qui font uriner leur plume sur le papier de journal » ; il s'abstiendra de creuser le sillon et d'exploiter le filon. Il y avait pourtant de quoi en faire un feuilleton. Avec des Jean Dabin (amant de Violette, camelot du roi-maquereau, comme l'écrira André Breton), le vicomte de Pinguet, et divers personnages hauts en couleur... En 1953, il en était encore question avec le témoignage d'un commerçant, Émile Cottet, à France-Soir. Dix ans plus tard (1963), Violette Nozière fut réhabilitée par la cour d'appel de Rouen. Elle était devenue veuve, avait recueilli sa mère, et bénéficié des graces de trois chefs d'État (Albert Lebrun, Philippe Pétain, Charles de Gaulle).
Pourtant, Vailland, en ses Écrits intimes, avance « La truite, c'est moi-même ». La Truite, ou Frédérique, est inspirée par une jeune prostituée lyonnaise... Peut-être aussi par la Violette de 1933. Car Violette, pendant au moins deux années, devient aussi familière à qui lit la presse que le sera Christine Villemin, la mère du « petit Grégory », en 1984-1985. Il est douteux que Vailland n'y ait nullement songé à nouveau en campant sa Frédérique de La Truite. Il est du moins permis de supposer qu'en 1964, il gardait son visage, son allure, en mémoire...