mardi 26 février 2019

Roger Vailland au Quartier Latin


Quand Vailland rata de peu Violette Nozière (qu’il aurait pu lever rive gauche ; suivi d’oiseuses considérations…)


C’est un article de Roger Vailland qui, pour qui connaît sa biographie, en dit plutôt long sur lui-même et ses fréquentations de la fin des années 1920 (et suivantes) à Paris… Dans ce « En parcourant le Quartier Latin et en parlant avec celles qui ont connu Violette Nozières », même si, pour une fois, il se met peu en scène, Vailland aborde aussi des sujets qui lui sont personnels…
Mais que laissèrent donc passer les titreurs de Paris-Soir ? Avaient-ils besoin de gonfler ce titre pour équilibrer l’ensemble de la page ? Toujours est-il qu’un « En parcourant le Quartier Latin et en parlant avec celles qui ont connu Violette Nozières» (accessible en ligne) vous ferait recaler aux concours d’entrée des écoles de journalisme… « Au Quartier Latin avec des amies de Violette Nozières » (quitte à puiser dans la casse des caractères de corps supérieur, car s’il y avait des Linotype, les titreuses étaient plus rares), voire le peu commode, à la rigueur : « Les Germanopratines se remémorent Violette Nozières », voire… « la fleur des catacombes » (Breton, André). Mieux, non ? J’admets, peu importe.
         D’une part, il est patent que cet article (le sien…) puise en des angles abordés antérieurement (notamment en des articles rédigés en Espagne, au Portugal, province…). D’autre part, Vailland, qui suivit une cure de désintoxication à Clichy, et qui traîne encore, en noctambule, sait de quoi « causent » Marie-Anne, Jane et Nosfera. Peut-être de même que, alors qu’en 1928 il remportait quelques succès féminins auprès de grisettes, gigolettes, et autres « filles du peuple », en 1933, il a noté que les étudiants lui envient ses coups d’un soir de la sorte, lui qui est à présent beaucoup mieux rétribué.
         Marie-Anne, Jane, Nosfera… Filles de… Vailland a pu aussi les connaître pour avoir fréquenté leurs parents ou parce qu’il leur fut présenté par elles-mêmes. Trois jeunes filles à la fois fictives (préserver leur anonymat oblige à brouiller les pistes) et si réelles, si authentiques. Total genuine.
         Comme le seront, le furent, les personnages de ses romans. Sans doute composites (Vailland a pu connaître un coureur cycliste amateur, un ouvrier sur presse ayant eu la main écrasée, un désireux de sortir de sa condition, et n’en faire qu’un). Vailland romancier est à rechercher dans le Vailland journaliste antérieur… Daniel Rondeau, qui évoqua si bien Vailland, fut un établi (jeune intello bossant en usine). Il lui en subsiste diverses sensibilités.
         Nous avons à présent, pour accéder à la profession, la voie royale : généralement Sciences Po, une bonne école spécialisée ensuite, le carnet d’adresse (au sing.) des parents. Devenue quasi-exclusive. Mais comment parler avec justesse des Gilets jaunes, même si la précarité de la pige vous rapproche, sans les avoir jamais côtoyés dans « la vraie vie » ?
         Je me souviens de ces OS aux mains cerclées de bracelets de cuir reliés à des chaînettes pour ramener d’une saccade les bras en arrière et retirer les mains de l’emboutisseuse (les hommes étaient affectés à d’autres presses) ; mes collègues des Forges de Strasbourg que, ahuri, je découvris ô combien « à la chaîne ». Cela étant, ce n’est pas ce qui fait naître le talent, le sens aigu de l’observation, et nombre de consœurs et confrères n’étant jamais passés par là font mieux que d’autres, pétris, talés, si ce n’est meurtris, d’expériences diverses. Nul besoin non plus d’être passé par la composition froide, puis la chaude, pour produire de fort belles pages.
         C’est bête. Il est fort possible que Vailland croisât Violette Nozière à Saint-Germain sans lui prêter attention. Damned, quel titre : « Ma nuit avec l’Ange noir ». Ce sera « Pierre-François, joueur de jazz, nous conte son aventure avec Violette » (article de Marc Roussel). En fait, non… Je ne le pressens pas concéder ainsi au sensationnel, plutôt rédiger subtil en songeant que ce qu’il écrit influera sur le ressenti des jurés de la cour d’assises.
Roger et Violette ; Michèle, ma belle, « si bien ensemble » (Lennon, McCartney) ? « Pourtant les gens m’ont dit/De me méfier de toi/Car tu n’es pas ce que je crois » (version Robert Demontigny). And I will write the only words I know they’ll understand. Ce fut Boule, et non Violette. Ni mieux, ni pis.
Je sais combien tout cela peut paraître cryptique à d’aucunes et d’autres. Survient un temps ou seule l’envie d’écrire pour une Élizabeth (non pas Lisana, défunte, une autre ; la trouver sur roger-vailland.com), un Philippe Lacoche, des inconnues, des anonymes – et soi-même, accessoirement – subsiste. Comme le répétait la marionnette des Guignols de l’Info : « excusez-moi, je n’ai pu m’en empêcher ». Cela tient presque du soliloque (ou remâchage sénil ?).
         Michel Picard, féru de Vailland, m’expliqua de vive voix comment la lecture du genre romanesque fait ressurgir le passé et se projeter. Lire, relire Roger Vailland, c’est se retrouver, s’envisager. Ce qu’il fit peut-être avec Suétone (meilleur romanceur que romancier). Jalonner, baliser l’œuvre, sans suggérer des sentes de traverses, non pas en les fléchant, juste en indiquant qu’elles sont multiples, serait vain. Je ne vous en propose pas moins, à la manière d’un Éric Poindron, de muser sur le thème Vailland in bed with Nozières. Lui confie-t-elle ses différends avec ses parents, l’incite-t-il à une meilleure conciliation, lui fournit-il le poison (ou l’adresse d’un confidentiel herboriste-apothicaire de douteuse réputation) ? Laissez flotter votre imaginaire...
       Donner à lire, et à voir, les articles de Vailland me semble indispensable pour donner envie de le (re)lire. C’est pourquoi… Attendez-vous donc à savoir que le reportage de Vailland en Espagne sera le prochain volet à paraître ici. (À suivre).

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