Avant son reportage en Allemagne, Vailland s’informe auprès de Thomas Mann
Non, Thomas Mann et Roger Vailland n’ont pas échangé des
salutations esquimaudes à Paris, en février 1933. Mais Vailland, au nez d’oiseau
de proie, ne s’intéressa sans doute pas qu’à celui de Thomas Mann…
On m’accordera l’indulgence, sans doute peu plénière, si,
sur ce blogue-notes, je tente de vous distraire avec des anecdo(c)tes
(prétentieuses, en cuistre). D'où ce titre et ce chapô irrévérencieux. À quoi s’intéresse
d’abord Roger Vailland rencontrant Thomas Mann pour Paris-Soir le 18 février 1933 ? Au nez du Prix Nobel de littérature.
Pas que, sans doute… Et nul autre (doute) : même s’il ignorait que,
quelques jours plus tard, il devrait se rendre à Francfort constater la mise en
œuvre du boycott des commerces juifs par les nazis, Vailland s’enquiert très probablement
de la situation en Allemagne. Mais les lignes sont comptées : même dans
les années 1930, le reporter sait la tâche et les contraintes de mise en page
lui étant assignées. Par conséquent, le sujet, lors de la rencontre avec Thomas
Mann à Paris, n’est qu’esquissé, allusif.
Thomas Mann
vient de rédiger son discours, Souffrances
et grandeur de Richard Wagner, prononcé le 11 février 1933 à l’université
de Munich. C’est le cinquantième anniversaire de la mort du compositeur et le
Prix Nobel est convié dans diverses villes à le « célébrer ». Il
vient donc à Paris. Pressent déjà la réaction des Müncher Neueste Nachricten qui publieront, le 16 avril, une
pétition réunissant les signatures de Richard Strauss, Hans Pfitznert et Hans Knappertsbusch,
car Hitler vient de prendre le pouvoir et Mann critique le populisme et la
démocratie de masse et le Kolossal Wagner. Il espère encore rentrer en Allemagne
mais prendra rapidement la tangente vers la Suisse et ses enfants, Erika et
Klaus, qui fondent à Zurich le cabaret Pfeffermühle.
D’un côté, il
n’était pas tendre pour Wagner, de l’autre, il en fait un chantre avant l’heure
de la Kultubolchevist honnie dans l’Allemagne hitlérienne.
Vailland
rate-t-il le coche ? Rien dans son article de Paris-Soir n’allude à cette problématique sur Wagner. Il faut
vraiment lire entre les lignes (ce que tentera Daniel Schneidermann,
maladroitement, dans Berlin 1933, à
propos du reportage ultérieur de Vailland à Francfort).
Le nez sur
celui de Mann (et dans le guidon du genre journalistique préconisé, au niveau
des pâquerettes des rubriques mondaines de Lazareff), Roger Vailland n’élude
pas tout à fait ce qui se joue à Rome et à Berlin. Un article de presse est toujours
pris pour ce qu’il en paraît, publié, figé… Le carnet de notes du journaliste
finit le plus souvent poubellisé (un sujet chasse l’autre, il faut faire de la
place, déchirer des pages pour retrouver rapidement les plus récentes).
Vailland
aurait sans doute pu livrer une autre contribution, plus étayée, à un autre
titre… Mais le temps lui est compté. Demain, une autre « actu » vous
mobilise. Les conditions de production d’un Vailland ne sont certes pas les
seules à prendre en compte pour appréhender ses écrits journalistiques, mais
souffrez que je tente de les mettre en exergue : ce n’est pas le nez au
milieu de la figure, mais l’arrière-plan, les coulisses, les ficelles du métier
(qui a évolué), qui importent. J’adorerais faire une critique féroce (c’est
beaucoup plus aisé d’éreinter...) de cet article « À
l’heure actuelle, nous dit Thomas Mann, le penseur ne peut pas se désintéresser
des problèmes politiques », mais à double-entendre.
Ce qui ne créerait plus qu’un malentendu : déjà, Vailland avait compris à
quel point le lectorat y était si peu perméable. Alors, l’ayant reniflé, il s’étend
sur le nez de Thomas Mann.
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