Roger Vailland en Espagne : mantilles, manzanilles & séguedilles
Avant d’arpenter les rues chaudes de Lisbonne (précédents
articles ici), Roger Vailland avait fait de même à Madrid, et surtout
Séville. Ce fut début novembre 1932. S’il n’évite pas divers poncifs, Vailland
apporte un éclairage original, voire prémonitoire, sur la période de la Seconde
République espagnole.
Chez Vailland, l’Espagnole est aussi… tartignolle. Quelque
peu figée de réminiscences littéraires. Les yeux des Andalouses, les jambes
nerveuses des Ibères, &c. S’intéressant bien plus aux mœurs qu’à l’actualité
politique, qu’il laisse à l’arrière-plan, et sans doute à ses confrères envoyés
spéciaux, comme lui, à la suite d’Édouard Herriot en visite officielle, il n’en
restitue pas moins le climat.
Les reportages
à Madrid (ici
la Castille) et Séville (l’Andalousie
là) ont été retranscrits séparément. C’est assez logique… À Séville, Vailland
a beaucoup plus les coudées franches, ses deux articles ne s’insèrent pas aux côtés
de ceux des deux autres envoyés spéciaux de Paris-Soir.
Cela étant, sans doute cornaqué, à Madrid, il a le flair de s’intéresser à la
troupe ambulante de théâtre universitaire, La Barraca, qui joue en alternance un
répertoire classique et d’avant-garde dans les bourgs éloignés de la capitale.
Si l’idéal d’un
théâtre populaire ambulant fut longuement évoqué par Catulle Mendès en 1905, concrétisé
par Firmin Gémier avec le Théâtre national ambulant (1911), prédécesseur du TNP
puis des Tréteaux de France, La Barraca, de par sa programmation et ses modes
de fonctionnement, évoque très fort, en 1932, ce que seront les troupes
nationales de la décentralisation théâtrale française d’après la Libération.
Gaffe à l’anachronisme : créée en novembre 1931, soutenue par le ministère
de la Culture et de l’Information publique, la troupe se disperse en 1936, et
reconstituée en 1937, ses activités restent épisodiques au cours de la Guerre civile.
André Malraux n’a sans doute pas croisé ses camions…
Comme à son
habitude, Vailland s’intéresse aux étudiantes, exclusivement ou presque. Le garçon
qu’il mentionne brièvement aurait pu pourtant être Federico Garcia Lorca. Mais
il est vrai que son renom en France, au début des années 1930, reste faible, et
que ses Noces de sang ne seront
créées qu’en 1933. Mais le texte parut en 1931 et il n’est pas impossible que
sa Novia (la fiancée) ait pu inspirer à Vailland sa conception de la mentalité
des jeunes Andalouses.
Si Vailland
évoque ses contacts avec des « personnalités » (masculines), la seule
qu’il met en valeur est la féministe Clara Campoamor, l’une de la demi-douzaine
des députées de la Seconde République. Car, « bien que féministe, Mme Clara Campoamor est une femme »,
aux yeux verts, aux belles mains, aux lèvres minces, &c. C’est tout juste s’il
ne s’attarde pas sur ses jambes.
Un étonnement :
à Madrid, si les trois envoyés spéciaux se répartissent vaguement les rôles et
les angles abordés, J.-J. Tharaud (les frères Tharaud), Élie Richard et
Vailland se rendent séparément à l’Ateneo, le club intellectuel madrilène.
C'est là que Vailland se fait présenter Pepita, la jeune communiste…
Si Vailland s’intéresse
surtout aux (jeunes) femmes, et ne rechigne pas à glisser des clichés, ses
confrères ne restent guère en retrait. Élie Richard qualifie une fille de
général de « pure Castillane »,
dépeint ainsi une jeune fille : « jambes
nues, d’un bronze embué, velouté (…) Elle
est belle, bien vêtue, 15 ans, femme. ».
Encore une
fois, un article de presse ne peut être estimé per se, sans tenter de prendre en compte ses conditions de
production, son contexte (y compris spatial, dans la mise en pages), la ligne
éditoriale du titre (Lazareff veut qu’on s’intéresse autant aux réfrigérateurs
des ménagères de New-York qu’aux questions diplomatiques), et un certain « mimétisme »
d’époque (le style de Colette, chroniqueuse judiciaire, diffère peu de celui de
Robert François – Vailland – en compte rendu de procès d’assises).
Sur la page 3
de l’édition du 1er novembre, les trois reportages couvrent cinq
colonnes sur sept, les deux de droite étant dévolues à des publicités. Dont pour
deux stylos. Le Gold Starry « ininflammable »
et le Kaolo (« avec la plume
Kaolithe, plus douce que la plume en or [qui] permet 3 et 4 copies avec carbone »). La plume du Vailland d’alors ?
Gold Starry ou Kaolo ? Son style est aussi celui d’une époque.
P.-S. – Ne pas se méprendre, le Cortès de Vailland est ultérieur... Mais peut-être que les reportages en Espagne et au Portugal (et à Lisbonne, la rencontre avec l'amiral...) influeront sur l'imaginaire de Vailand.
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