De l’athéisme, étrange ouvrage littéraire (éds Théolib)
Factuel : une bonne centaine de pages, suivie d’une
abondante bibliographie (mais hélas pas d’index), 16 euros ; dans les
bonnes librairies — diverses rencontres sont prévues avec l’auteur — et via le
site de l’éditeur. Subjectif : vieille lune, dont l’exploration restera
longtemps « interminable » et ouvrage type ovni sur le thème. Positif : oui, mais aussi autre.
Spécial copinage ? Oui (fréquentation déjà décennale
avec l’auteur, aucune avec l’éditeur : theolib.com).
Non. Je ne vais pas me distancier en relevant les quelques rares coquilles
décelées, un choix de composition curieux (mais n’entachant pas la lisibilité),
histoire d’accorder plus de poids à mes appréciations positives.
L’opportunité de sortir un tel ouvrage me semblerait plus
que faiblarde s’il s’agissait de revenir sur Pascal et quelques autres auteur·e·s
dont les textes sont présumés connus d’un encore assez large public. La cause
est entendue : un, des dieux sont des conceptions irraisonnables, improbables
au sens vieilli… Même si une autre planète peuplée d’êtres pensants — autant
que la plupart des mammifères de celle-ci, entre autres espèces — entrait en
communication, elle ne vaudrait pas davantage argument que le fait qu’un dieu
monothéiste ait omis de signaler l’existence d’inuits ou d’aborigènes à ses
prophètes ayant prétendu avoir conversé avec leur « Lui » ou d’autres.
J’imagine que Leduc en convient, nous avons des choses plus
importantes à discuter, et pas plus que dans la préface d’Olivier Onic que dans
le texte de Leduc, la question n’est vraiment abordée. À quoi bon ? Leduc, libre
penseur, ne se livre pas à une profession de foi, ne prêche pas du tout (bon,
incidemment, furtivement, fort peu).
Ludwig Wittgenstein — et maints autres, en variantes
diverses — considéra (vers les années 1920, alors devenu chrétien convaincu ?)
que « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre
monde. ». C’est à la fois discutable et indiscutable. Roger Vailland,
devenu « naturellement » athée, ne se souvenait sans doute
plus du fatras logorrhéique des diverses théologies et s’en trouva fort bien
lorsqu’il fut interpellé sur ses convictions à l’endroit d’un être suprême ou
des religions. Indiscutable…
Je ne vais pas développer, juste signaler qu’avant que Yuval
Harari (dans Sapiens, Homo Deus et les Lessons…) élargisse
quelque peu la conception du monde en énonçant que marxisme, libéralisme,
humanisme(s) sont des religions parmi d’autres, la perception du fait religieux
marquait le pas.
Il ne s’agit pas là tout à fait d’une digression puisque, et
c’est la majeure partie du livre de Leduc, lorsque Louis Martin-Chauffier
répliqua à Roger Vailland que le marxisme était la croyance de ce dernier (sans
appuyer sur le fait que Staline était porté au rang d’ultime prophète), et en
quelque sorte, limitait son propre monde, cette disputation en préfigura d’autres.
La polémique idéologique dura de décembre 1945 à février 1946 (et au-delà, d’autres intellectuels s’étant exprimés dans l’intervalle et
par la suite). Je l’ai aussi évoquée brièvement sur ce même blogue (cherchez « Martin-Chauffier »
pour retrouver le texte de Gilbert Mury).
Le principal intérêt de ce De l’athéisme, d’autres ne
sont guère moindres, est de replacer l’échange (trois articles reproduits in
extenso) dans le, les contextes. De l’éclairer par d’autres textes, de la même
période. De multiples auteur·e·s (et c’est pourquoi je regrette l’absence d’un
index).
Puis, Leduc semble prendre une tangente, une voie prolongée
de traverse, en s’attardant notamment sur le cas de Dominique Aury (ou Pauline
Réage). Celle-ci passa d’une Anthologie de la poésie religieuse française
à Histoire d’O. Son texte, « Au sortir de l’enfer », et celui
de Claude Aveline, (sur Martin-Chauffier), sont reproduits.
Suit une intervention d’Alain (Georges) lors d’un colloque
en Pologne, sur Sade, Octave Mirbeau et Vailland, sous-titrée « La domination
des cerveaux et des corps ». Puis le dialogue « entre un prêtre et
un moribond », de Sade, précède l’article « Athéisme » de Gustave
Brocher dans L’Encyclopédie anarchiste (de Sébastien Faure et alii).
Conclusion ? Aucune. Leduc nous épargne de rajouter ses
grains de sels et de nous baigner dans un récapitulatif universitaire (bien forcé,
au cours de sa carrière, il a su faire…) qui paraphraserait et élargirait, à
coups d’autres références savantes, sa communication de Łódź (mars 2016).
Livre « ovni » donc, qui tient de la mini-anthologie,
avec apports des recherches ultérieures de l’auteur sur Vailland et « les
siens », ou ses contradicteurs. C’est preste, fort enlevé (sur Mauriac,
par exemple : « Il y a toujours un Mauriac qui pointe quand
giclotte de l’eau bénite… » ; sur Paulhan et Caillois, lequel « essaye
de mettre un peu d’huile de mangue dans les rouages en silex »).
Avec Élizabeth Legros-Chapuis (voir aussi son texte sur ce livre), Alain est le cofondateur-animateur
du site consacré à Roger Vailland… J’imagine
que plus autorisé que moi-même y évoquera ce De l’athéisme.
Peut-être en reprenant ce passage (qui renvoie à Wittgenstein,
supra) : « La religion serait-elle la doxa, qu’un
être-sans-dieu se sente ficelé par la sémantique, qui lui impose de se définir
vis-à-vis de cette hypothétique figure de l’autorité et de la domination ? ».
Leduc questionne, ses choix de textes répondent.
Je ne sais si, au passage, l’auteur feint ou non d’être si
irrité par le ressassement du fait religieux (l’un des topiques qui, avec l’immobilier,
les salaries des cadres, fait l’objet de récurrents numéros spéciaux, et avec
le sexe, les choux gras de l’édition). Il le glisse sans s’attarder. En privé,
peut-être se contente-t-il de hausser les épaules.
Pour l’instant, avec Gabriel Matzneff, l’animation des
dîners en ville des Dugommier est mieux assurée que par la remise en cause de
la Trinité.
Vous aurez plus de chances d’interloquer en évoquant la proximité
de Matzneff avec Olivier Clément, le théologien orthodoxe. Comme l’exprime si
bien Gérard Leclerc sur Radio Notre-Dame, la liturgie orthodoxe « est
le seul secours qui puisse lui [Matzneff] tendre la main dans sa tragédie
actuelle. ».
Cela vous gave ? Armez-vous de ce De l’athéisme
et faites dévier sur l’épuration d’après la Libération. Enfin, tout dépendra de
qui sera à table (les mangas, en fonction de la moyenne d’âge, et les jeux
vidéo, seront sans doute des lieux communs plus appropriés).
De l’athéisme peut passer pour un livre de, pour
vieux. D’accord, mais verts (pas au sens DOM, Dirty Old Men). Dont le terreau vivifiant
reste la littérature, profane (n’excluant pas forcément Péguy, Maurice Clavel ou…
Martin-Chauffier, homme ô combien respectable). Laquelle vaut beaucoup mieux
que le militant Le Saint-Empire, de Vailland, pamphlet anti-capitalo-vaticanesque.
De l’athéisme est tout sauf un livre d’idolâtre (quel que soit l’humanisme
suprême).
C’est, chez Théolib, dans la collection « Résistances ».
Ou consistances.
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