vendredi 10 janvier 2020

Alain (Georges) Leduc et l’athéisme, réflexions partagées

De l’athéisme, étrange ouvrage littéraire (éds Théolib)

Factuel : une bonne centaine de pages, suivie d’une abondante bibliographie (mais hélas pas d’index), 16 euros ; dans les bonnes librairies — diverses rencontres sont prévues avec l’auteur — et via le site de l’éditeur. Subjectif : vieille lune, dont l’exploration restera longtemps « interminable » et ouvrage type ovni sur le thème. Positif : oui, mais aussi autre.
Spécial copinage ? Oui (fréquentation déjà décennale avec l’auteur, aucune avec l’éditeur : theolib.com). Non. Je ne vais pas me distancier en relevant les quelques rares coquilles décelées, un choix de composition curieux (mais n’entachant pas la lisibilité), histoire d’accorder plus de poids à mes appréciations positives.
L’opportunité de sortir un tel ouvrage me semblerait plus que faiblarde s’il s’agissait de revenir sur Pascal et quelques autres auteur·e·s dont les textes sont présumés connus d’un encore assez large public. La cause est entendue : un, des dieux sont des conceptions irraisonnables, improbables au sens vieilli… Même si une autre planète peuplée d’êtres pensants — autant que la plupart des mammifères de celle-ci, entre autres espèces — entrait en communication, elle ne vaudrait pas davantage argument que le fait qu’un dieu monothéiste ait omis de signaler l’existence d’inuits ou d’aborigènes à ses prophètes ayant prétendu avoir conversé avec leur « Lui » ou d’autres.
J’imagine que Leduc en convient, nous avons des choses plus importantes à discuter, et pas plus que dans la préface d’Olivier Onic que dans le texte de Leduc, la question n’est vraiment abordée. À quoi bon ? Leduc, libre penseur, ne se livre pas à une profession de foi, ne prêche pas du tout (bon, incidemment, furtivement, fort peu).
Ludwig Wittgenstein — et maints autres, en variantes diverses — considéra (vers les années 1920, alors devenu chrétien convaincu ?) que « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. ». C’est à la fois discutable et indiscutable. Roger Vailland, devenu « naturellement » athée, ne se souvenait sans doute plus du fatras logorrhéique des diverses théologies et s’en trouva fort bien lorsqu’il fut interpellé sur ses convictions à l’endroit d’un être suprême ou des religions. Indiscutable…
Je ne vais pas développer, juste signaler qu’avant que Yuval Harari (dans Sapiens, Homo Deus et les Lessons…) élargisse quelque peu la conception du monde en énonçant que marxisme, libéralisme, humanisme(s) sont des religions parmi d’autres, la perception du fait religieux marquait le pas.
Il ne s’agit pas là tout à fait d’une digression puisque, et c’est la majeure partie du livre de Leduc, lorsque Louis Martin-Chauffier répliqua à Roger Vailland que le marxisme était la croyance de ce dernier (sans appuyer sur le fait que Staline était porté au rang d’ultime prophète), et en quelque sorte, limitait son propre monde, cette disputation en préfigura d’autres.
La polémique idéologique dura de décembre 1945 à février 1946 (et au-delà, d’autres intellectuels s’étant exprimés dans l’intervalle et par la suite). Je l’ai aussi évoquée brièvement sur ce même blogue (cherchez « Martin-Chauffier » pour retrouver le texte de Gilbert Mury).
Le principal intérêt de ce De l’athéisme, d’autres ne sont guère moindres, est de replacer l’échange (trois articles reproduits in extenso) dans le, les contextes. De l’éclairer par d’autres textes, de la même période. De multiples auteur·e·s (et c’est pourquoi je regrette l’absence d’un index).
Puis, Leduc semble prendre une tangente, une voie prolongée de traverse, en s’attardant notamment sur le cas de Dominique Aury (ou Pauline Réage). Celle-ci passa d’une Anthologie de la poésie religieuse française à Histoire d’O. Son texte, « Au sortir de l’enfer », et celui de Claude Aveline, (sur Martin-Chauffier), sont reproduits.
Suit une intervention d’Alain (Georges) lors d’un colloque en Pologne, sur Sade, Octave Mirbeau et Vailland, sous-titrée « La domination des cerveaux et des corps ». Puis le dialogue « entre un prêtre et un moribond », de Sade, précède l’article « Athéisme » de Gustave Brocher dans L’Encyclopédie anarchiste (de Sébastien Faure et alii).
Conclusion ? Aucune. Leduc nous épargne de rajouter ses grains de sels et de nous baigner dans un récapitulatif universitaire (bien forcé, au cours de sa carrière, il a su faire…) qui paraphraserait et élargirait, à coups d’autres références savantes, sa communication de Łódź (mars 2016).
Livre « ovni » donc, qui tient de la mini-anthologie, avec apports des recherches ultérieures de l’auteur sur Vailland et « les siens », ou ses contradicteurs. C’est preste, fort enlevé (sur Mauriac, par exemple : « Il y a toujours un Mauriac qui pointe quand giclotte de l’eau bénite… » ; sur Paulhan et Caillois, lequel « essaye de mettre un peu d’huile de mangue dans les rouages en silex »).
Avec Élizabeth Legros-Chapuis (voir aussi son texte sur ce livre), Alain est le cofondateur-animateur du site consacré à Roger Vailland… J’imagine que plus autorisé que moi-même y évoquera ce De l’athéisme.
Peut-être en reprenant ce passage (qui renvoie à Wittgenstein, supra) : « La religion serait-elle la doxa, qu’un être-sans-dieu se sente ficelé par la sémantique, qui lui impose de se définir vis-à-vis de cette hypothétique figure de l’autorité et de la domination ? ». Leduc questionne, ses choix de textes répondent.
Je ne sais si, au passage, l’auteur feint ou non d’être si irrité par le ressassement du fait religieux (l’un des topiques qui, avec l’immobilier, les salaries des cadres, fait l’objet de récurrents numéros spéciaux, et avec le sexe, les choux gras de l’édition). Il le glisse sans s’attarder. En privé, peut-être se contente-t-il de hausser les épaules.
Pour l’instant, avec Gabriel Matzneff, l’animation des dîners en ville des Dugommier est mieux assurée que par la remise en cause de la Trinité.
Vous aurez plus de chances d’interloquer en évoquant la proximité de Matzneff avec Olivier Clément, le théologien orthodoxe. Comme l’exprime si bien Gérard Leclerc sur Radio Notre-Dame, la liturgie orthodoxe « est le seul secours qui puisse lui [Matzneff] tendre la main dans sa tragédie actuelle. ».
Cela vous gave ? Armez-vous de ce De l’athéisme et faites dévier sur l’épuration d’après la Libération. Enfin, tout dépendra de qui sera à table (les mangas, en fonction de la moyenne d’âge, et les jeux vidéo, seront sans doute des lieux communs plus appropriés).
De l’athéisme peut passer pour un livre de, pour vieux. D’accord, mais verts (pas au sens DOM, Dirty Old Men). Dont le terreau vivifiant reste la littérature, profane (n’excluant pas forcément Péguy, Maurice Clavel ou… Martin-Chauffier, homme ô combien respectable). Laquelle vaut beaucoup mieux que le militant Le Saint-Empire, de Vailland, pamphlet anti-capitalo-vaticanesque. De l’athéisme est tout sauf un livre d’idolâtre (quel que soit l’humanisme suprême).
C’est, chez Théolib, dans la collection « Résistances ». Ou consistances.

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