13 personnages en quête d'eau, d'amours, air frais : Aires, éds Zulma
Difficile d’esquiver le divulgâchage en présentant le pavé
de Marcus Malte, Aires, entendez autoroutières, mais, faute de mieux
faire, en zigzaguant sans trop mordre sur la bande d’arrêt d’urgence, on peut
tenter de se despoiller de la tentation. Ouvrage en coups de volant — haut —, en piqués, radadas, mode voltige sur notre époque.
Quand on se prend à la lecture d’un roman qui vous laisse une
impression durable, même après long décantage, difficile de ne pas pasticher un
crin le style de l’auteur·e. J’y viendrais.
J’ai lu Aires sur un « malentendu » : le
prière d’insérer me remémora Los autonotaus de la cosmopista, de Julio
Cortàzar (et Carol Dunlop). Sous-titre de l’édition française : « Un
voyage intemporel Paris-Marseille » (en combi Volkswagen, avec 75 aires de
l’A6 évoquées).
Il y a vaguement de cela, dans les Aires, mais il s’agit
surtout d’une douzaine de monologues intérieurs (avec quelques dialogues
développés dans le lot), de conductrices ou conducteurs aux racines et destins
— et destinations — fort contrastés. L’exception confirmant la règle est
fournie par un sédentaire maraudeur qui tente de ne pas trop faire remarquer
les séjours prolongés de son mobile taudis… Qu’on se rassure, il lui sera
fourni au final un lieu de vie plus que durable.
Oublions Cortàzar, c’est plutôt du John Dos Passos en tube
concentré (unité de temps, quasiment de lieu, enfin, principal, et au final, d’action).
Soit des personnages diversifiés, de conditions et mentalités sociales distantes, à la Manhattan Transfer, de la trilogie U.S.A.
Dos Passos développa lui aussi un style novateur, Marcus Malte se dédouble, ce
qui peut surprendre.
Ce dès le premier chapitre dont il ne saute pas aux yeux d’emblée
qu’il emploie une novlangue dystopique. J’ai pensé à une sorte de traitement
automatique du langage (genre traduction Google) revu et néologisé par un traduttore
d’occasion ou une traductrice facétieuse et inventive.
Comme — cela ne saurait perdurer — j’ignorais tout de Marcus Malte (grosse lacune à corriger), nom de plume d’un Corto Seynois (Varois), j’en
vins à imaginer qu’il s’agissait d’un romancier (au hasard, irano-valaque), d’un
Joseph Conrad ou Jef Kessel, transfuge, ayant choisi « son » français
pour ses œuvres. Une rapide recherche et la suite me détrompèrent.
Marcus Malte est visiblement un amoureux de la langue
française tant classique que post-surréalo-je-n’sais-plus-kek qu’il maîtrise sans
afféteries superflues. Ni sans appuyer sur l’accélérateur. D’ailleurs, le
véhicule de Peter ne pouvait télescoper celui des Fourniret (comprendra qui lira
Aires) car restant la plupart du temps immobile. C’est un chausson Acapulco 43, version Capucine, 231 634 km au compteur. « Pas un souffle d’air
ne fait voleter le fin rideau d’un blanc plus qu douteux » qui en
obstrue l’ouverture (latérale ? précision absente : nul besoin de s’étendre)
et l’intérieur « fleure bon (…) la rose blanche du Yorkshire. ».
Peter a plutôt sur les mains la rougeur des Lancastre, mais je n’en dirai pas
davantage…
C’est une suite de récits entrecoupés. Les réflexions ou conversations
des protagonistes sont interrompues ou s’inspirent de fragments d’actualités de
chaînes radiophoniques d’info. Au tout départ, de la lecture, cela ne fait pas
trop sens, mais ensuite trame.
De même, les transitions entre chapitres sont entrecoupées à
l’occasion d’intercalaires, d’inserts, de vrais-faux/faux-vrais documents,
publicitaires ou autres, qui finissent par entrer en correspondances. Ce qui
incite à la relecture, à des retours en arrière… Le procédé est aussi employé
en cohérence avec le personnage (par exemple, celui d’une émule de Monique
Ranou dont on sait l’attachement à la tradition du goût). Cela n’est pas sans
évoquer parfois les détournements des albums de Martine par des graphistes
ironiques (genre « Martine érit en UTF-8 » ou « monte
un meuble Ikea » ; j’attends Martine instaure la retraite à
points, cela viendra). Humour anglais, catégorie Angry Young Men.
Très, très dans l’air du temps (pas vraiment fragrance Nina
Ricci, car l’ère des temps actuels et à venir sent moins le purin que les pesticides),
ces Aires (peu aimées ni aimables). Cela finira-t-il en calages en
bourre ? En dérapages accélérés ? Cochonnou (« le saucisson
comme on l’aime chez nous ») qui s’en dédit, je n’évoque pas le
pénultième chapitre, mais le dernier, qui reprend et prolonge l’initial et vaut
épilogue des 32 autres (au total, 480 pages foliotées— sur 496 format A5 — pour
24 euros qu’on ne regrette pas d'avancer avant la sortie en format de poche : à mon sens, le Pléiade suivra avant les années 2050). Ce dernier chapitre, celui des jours d’après, vaut
décatissage (ôtant — l’apprêt— ce qu’emporte le vent).
Difficile, après Aires, d’en revenir à ces auteur·e·s
nombrilistes disséquant leur inessentiel vécu (ma, mes femmes ; mon, mes
amant·e·s ; papa-maman ; mes affres). Pourtant, vraiment rien d’impersonnel dans ce,
ces récits entrecroisés et entrecoupés de courts passages à la première
personne, en parties récitantes, ces « cahiers » ou journaux intimes
(qu’on attribue plus facilement à l'auteur qu'au narrateur). On perçoit d’ailleurs fort
bien, dans ce condensé de comédie humaine (il y a des morceaux balzaciens dedans,
livrés avec des gadgets bonus sous l’emballage) de la décennie écoulée, l’empathie
de Marcus Malte pour telle ou un tel personnage, et ses antipathies pour d’autres.
Pas vraiment le regard froid d’un Roger Vailland, du moins, fort peu
constamment.
Si je voulais me la péter cuistre, je pontifierais à la Bouvard
(ou Pécuchet) sur l’intertextualité. Placerais quelques approches attestant que
l’érudition (discrète, furtive, allusive, jamais pesante) de Marcus Malte ne m’a
pas — tout à fait du moins, à première lecture — échappé. &c.
Sur Babelio, une certaine Kirzy
parle beaucoup mieux que moi de ce roman si singulier. Et puisqu’elle ne
divulgâche pas vraiment l’intrigue et son apothéose, allez voir…
Aires figure au nombre des vingt livres de la rentrée hivernale
de la sélection de la Fnac. Galligrasseuil, Minuit, Plon, prédominent (fort peu
de « petites maisons » dans cette liste). Du coup, je suis allé faire
un tour sur le site de Zulma. Sur lequel je constate que l’agenda de Marcus
Malte, du 17 mars au 2 avril prochain, compte sept dates de rencontres
dans des librairies. Je ne chasse pas la dédicace, mais… tenté.
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