jeudi 21 novembre 2019

Marianne : Agir contre l’exclusion, une fondation « à la roumaine »

La Face épinglée par la Cour des comptes et Marianne

Je n’ai pas consulté le dossier d’Étienne Girard et Emmanuel Lévy du magazine Marianne qui sera demain dans les kiosques. Mais ces 17 pages sur la Fondation Agir contre l’exclusion (Face) me font furieusement penser aux montages d’un certain Dan Barna, candidat malheureux aux élections présidentielles roumaines.
Je vous avais entretenu des élections roumaines qui devraient, dimanche soir prochain, reconduire Klaus Johannis (35,91 % des suffrages au premier tour) à la présidence.
Il doit ce très confortable score à l’effondrement de la candidate du PSD, l’ex-Première ministre Viorica Dăncilă (23,45 %) et de fait surtout à la marginalisation de celui que des sondages donnèrent un temps en seconde position, Dan Barna (14,13 %).
Cet avisé homme d’affaires, qui fit figure d’Emmanuel Macron roumain, tant sa formation était attrape-tout, son jeune âge et son allant incitaient à la comparaison, est, comme on dit, issu de la société civile. En fait du monde associatif, d’ONG (il fut cadre de Transparency International). La presse le poussa en avant puis finit par révéler que ses diverses associations caritatives, financées surtout par des fonds européens, servaient d'abord à enrichir ses proches. Or, leur objet était très similaire à celui de la Fondation Agir contre l’exclusion.
Avec beaucoup de communication coûteuse et fort peu de résultats, des embauches de parents et d’amis ou partenaires, des recrutements fictifs, des acquisitions surévaluées, Dan Barna a pu étendre sa sphère d’influence. Les journalistes d’investigation du Rise Project (un organisme anticorruption) l’avaient déjà épinglé dans le quotidien Adevarul (15 octobre dernier), ils en ont remis une couche le 5 novembre. L’économie sociale ou l’insertion par le sport (équitation, tennis) des plus défavorisés ont favorisé surtout ceux mettant en œuvre des projets ou les présentant (brochures, vidéos) sous des jours avantageux. Il y avait aussi des projets de pure communication, genre bibliothèque de bonnes pratiques, d’aides à de « jeunes pousses » éphémères, permettant surtout de faire valoir « l’excellence entrepreneuriale » du coordinateur, Dan Barna, et de favoriser sa montée en puissance médiatique, puis politique.
Comparaison n’est pas raison, mais le peu que j’ai pu lire du dossier de Marianne (les deux premières pages) laisse penser que, en matière de coquille vide, mais lucrative, la Fondation Agir contre l’exclusion, présidée par Gérard Mestrallet, incite à quelques rapprochements. La Face a engrangé jusqu’à « 14 millions d’euros de budget annuel ». Consacrés surtout à faire valoir les initiatives d’entreprises se faisant de la publicité à bon compte ou appuyer des opérations « demandées par les élus » ; ce avec, indiquent les auteurs, la complaisance du cabinet KPMG « validant sans sourciller les comptes ». Le parquet de Bobigny aurait ouvert une enquête préliminaire.
Je m’en voudrais d’épiloguer sur la suite du sommaire : « Dassault, Vallaud-Belkacem, le cabinet d’audit KPMG, Hirsch, Engie : les combines de la Face en cinq cas pratiques ».
Parfois, les fondations, associations, ou montages d’organismes à visées « sociales » permettent, mieux encore que le Conseil économique et social, de recaser des politiques, des syndicalistes, &c.
De grandes entreprises avaient ainsi mis le pied de Nicole Notat, ex-secgen de la CFDT, à l’étrier de Vigeo Eiris, depuis repris par Moody’s. Vigeo reste une « agence de notation environnementale, sociale et de gouvernance ». Ronflant. Évaluant donc de « bonnes pratiques », comme le faisait aussi Dan Barna. On retrouve aussi Nicole Notat dans La Fonda, « fabrique associative » et « laboratoire d’idées du monde associatif ». En fait, surtout un centre de formation de cadres associatifs et d’accompagnement de projets. Je n’ai pas trouvé ses rapports d’activités ou ses comptes sur son site, mais c’est sans doute que j’ai mal cherché.
Nicole Notat devait siéger aussi au CA du Bureau international du Travail, y représentant la France en 2018 mais y a renoncé de crainte que soient soulevés d’éventuels conflits d’intérêts.
Mais si Notat rime avec Barna, le parallèle cesse là, et je n’insinue pas qu’il y ait le moindre lien entre Barna, Notat, Mestrallet et consorts. Ni ne veut jeter la suspicion sur des fondations ou associations, qui mènent des projets, qui aboutissent à des résultats féconds, moyens, ou nuls. Tout le monde peut se fourvoyer.
Je dirai simplement que le coup du « capitalisme responsable », on me l’a fait tout au long de ma carrière passée, et qu’en fait, ce sont surtout les revendications (allez, disons même, « la lutte des classes ») qui sont les principaux moteurs des avancées sociales. Que je sache, n’est pas revenu le temps des phalanstères d’entrepreneurs altruistes. Il s’agit le plus souvent d’aménager la survivance de la paix sociale.
Cela étant, n’ayant pas consulté le dossier de Marianne, je ne saurais non plus dire si certaines initiatives de la Face ont ou non contribué à l’amélioration de pratiques.
Je ne doute pas que, par exemple, « toutes les entreprises peuvent lutter contre les violences conjugales ». Mais je ne vois pas trop comment le simple fait de signer une Charte d’engagement pour lutter contre ces violences change vraiment la donne. Je vois surtout une occasion de se faire mousser en exploitant un thème d’actualité. Aurais-je trop l’esprit mal placé ? Je ne peux l’exclure. Je suis plus que borgne, mal voyant, ne discernant surtout qu’une photo de dirigeants de L’Oréal, de Korian, et de François-Henri Pinault (Kering).
De même, si une ou deux femmes sur trois auraient (seraient) été victimes de harcèlement sexuel au travail, au cours de toute ma carrière (étais-je si malvoyant ?), je n’ai connu que celle ou les deux ne l’étant pas. Des femmes et des hommes victimes de harcèlement de nature différente, en revanche…
Mais je m’égare… Je n’achète la presse (hors Canard enchaîné) qu’à l’occasion de longs déplacements (RER, trains, avions… bateaux). J’ai tort, je sais. SinéMadame cesse de paraître, je devrais acheter Siné Mensuel, en vue d’un prochain trajet. Le mieux, si vous en avez les moyens, serait d’acheter Marianne demain. Pour trancher par vous-mêmes si… toutes ces magouilles retiennent encore votre attention. Si vous croyez encore qu’il sera — durablement — possible de réduire le nombre des comités Machin-Bidule. Si vous glissez encore de la petite monnaie dans la fente des Pièces Jaunes…
Au fait, il en est où David Douillet ? Conseiller départemental d’Île-de-France, futur parrain du prochain Téléthon à Claye-Souilly, sur le podium des Enchères du cœur à Mâcon, présent à la Saint-Vincent de je ne sais où… À ses frais ou ceux des organisateurs ? Donc des contribuables locaux. Et animateur d’une « émission citoyenne », alimentée par la publicité, donc par les acheteurs des produits vantés par les spots. Il est aussi rétribué par Linksport (fonds de 30 millions d’euros « dédié au sport, à la santé, au bien-être »). Ce qui me permet de faire la liaison avec le futur ministère du Bien-être prôné par les libéraux-démocrates britanniques.
Bon sang, laissez-nous vivre sans nous pomper les vivres pour contribuer à notre bien-être. Que ce soit sous la forme d’appels aux dons, de taxes, de contributions, de je ne sais quoi… Et de modalités de défiscalisation qui ne profitent, en majeure partie, qu’à celles et ceux pouvant régler des impôts sur le revenu, ainsi qu’à qui fait appel à nos bons sentiments.

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