mercredi 9 octobre 2019

Médialogie : le Bojo sème la panique à Bruxelles

Brexit : toujours la guerre des nerfs... jusqu'au 19 octobre ? Ou juin 2020 ?

Un accord sur le Brexit sera très ardu mais reste possible... C'est de Michel Barnier... Mais le Daily Express titre : "Barnier admits EU in panic...". Ah bon ?
L'article, factuel, est de Rebecca Perring, du Daily Express. À le lire, on pourrait penser qu'il dément son titre. En fait, un peu partout maintenant dans la presse, cela se passe comme cela. Une, un journaliste couvre un événement ou relate des faits. Son propre titre n'est plus qu'indicatif. C'est un sec' (ou une sèche) de rédac' qui finalement en décide, après en avoir référé ou non à un·e chef·fe de service (issu·e du secrétariat de rédaction). Un·e journaliste de terrain a désormais de moins en moins de chance d'accéder à un poste de responsabilité effective. 
Certes, la possibilité d'obtenir un titre honorifique (de grand reporter) ou une mise au placard avantageuse (et de grimper l'échelle indiciaire) reste ouverte. Mais finalement, la ou le journaliste de terrain reste « à sa place », celle que lui assignent celles et ceux sachant faire. Selon le bon gré de la haute direction. Qui promeut le plus souvent les bons éléments du bunker, le secrétariat de rédaction. Bons éléments qui ont certes fait quelques stages sur le terrain, mais pas trop longtemps...
Il y a bien sûr des contre-exemples, mais ils se font de plus en plus rares. Cela s'était produit à L'Alsace, après une révolte de la base...  Cela peut se vérifier encore à l'occasion ailleurs.
Que raconte Rebecca Perring ? Ce que disent Michel Barnier et Donald Tusk... 
Mais aussi que cinq ministres ou secrétaires d'État du Cabinet britannique seraient prêts à rendre leur portefeuille et qu'une source ministérielle anonyme admet qu'un « très grand nombre » de députés conservateurs prendront la tangente en cas de sortie du Royaume-Uni sans qu'un accord soit conclu avec l'Union européenne.
Cela étant, oui, un accord reste envisageable.  C'est l'avis, assorti de nombreux bémols, de Vincent Eurieult, professeur et politologue spécialisé en méthodes de négociations, interrogé par Alexis Feertchak du Figaro. L'entretien, titré « Boris Johnson est-il un bon négociateur ? », étant en accès libre sur le site du Fig', je vous incite à le consulter. Mais j'en retiens surtout ce qui me semble l'essentiel : « Boris Johnson (...) même s'il n'obtenait pas grand'chose de renégociations (...) pourrait marteler qu'il a bataillé dur pour y arriver et que ça a fonctionné. ».
Par exemple, clamer qu'il a obtenu le retrait de la dernière en date des propositions européennes. Selon The Times, la remise en cause du « filet de sécurité » (le backstop, celui de l'accord négocié par Theresa May) appliqué à l'Irlande pourrait être actée au bout de x années (une consultation tous les quatre ans serait envisagée) mais si, et seulement si, selon Bruxelles, elle convenait à une « double majorité ». 
C'est quoi, une double majorité ? Diverses choses, comme une majorité de x+ % ou y>50 %. Mais en Irlande du Nord, depuis le Belfast Agreement (dit aussi du Good Friday du 10 avril 1998), il s'agit de deux majorités. Celle des unionistes du DUP, celle des « nationalistes » (irlandais) du Sinn Fein. Les deux ont fait savoir qu'ils n'admettront pas cette proposition. Pour le Sinn Fein, seul un vote populaire (référendum, votation...) conviendrait. Pour le DUP, c'est non, et d'ailleurs Westminster (le Parlement britannique) ne serait pas d'accord.
Mais, admettons qu'au dernier moment (vers le 19 ou le 30 octobre), l'Union européenne retire cette proposition et concède quelque chose plus proche de ce qu'exige Boris Johnson. Il aura obtenu un (mauvais pour les deux parties) accord, mais pourra se gargariser d'un succès.
Pâques ou la Trinité ?
Pourquoi « vers le 19 » ? 
Parce qu'une cour écossaise lui donne jusqu'au 21 (le lundi suivant) pour se plier à la volonté parlementaire de solliciter un report du Brexit. Parce que le Bojo convie les députés et pairs à rejoindre Westminster ce samedi-là. Sans doute tentera-t-il de faire valoir que les Britanniques en ont plus qu'assez du Brexit et en sont à vouloir qu'il devienne effectif quoi qu'il advienne à la fin du mois. Cela étant, les Remainers (anti-Brexit) ont affrété près d'une centaine de bus et autocars pour converger sur Westminster le 19. Habemus sopimus, s'exclamerait-il en finno-latin. Je les ai eus, ces continentaux... I got Brexit done
Je n'y croit pas trop, mais... 
Il pourrait aussi attendre le tout dernier moment, le 30 octobre. Cela étant, resterait à savoir si l'un des 27 pays membres de l'UE (un seul suffit) ne boutera pas le Royaume-Uni au large...
Ce qui retient aussi l'attention dans l'exposé de Vincent Eurieult, c'est qu'il signale que, « indubitablement », les médias sont aussi en lice : « les apparences comptent souvent autant, voire davantage que les résultats ». Les vecteurs des apparences sont les médias.
Sur son site, le Daily Express fait surmonter le dit article d'une accroche renvoyant à un compte-rendu des propos d'un député européen du Brexit Party, Richard Tice. Lequel fait état de la volonté « désespérée » de l'UE d'obtenir un accord d'un Royaume-Uni en formidable position de force. Tout simplement parce que l'UE ferait banqueroute si elle était privée de la contribution financière britannique. Pour Nigel Farage, le Brexit serait « l'ultime cauchemar » des 27. Donc, le Bojo, qui n'est plus qu'à quelques inches d'aboutir à son accord, parviendra à ses fins. La panique ne peut que l'emporter à Bruxelles, le continent cédera. Sûr. Garanti. Couru d'avance.
D'ailleurs, selon ce scénario, le continent recule pour mieux sauter et le Bojo en profite. Plus longtemps il peut tonner que si l'UE ne pliait pas, elle en subira les amères conséquences, que les mesures de rétorsion seront terribles pour au moins une décennie, bref, plus il fait le bravache, plus il plait à l'électorat qui pourrait le réinstaurer Premier ministre après des élections anticipées.
C'est un mix de la méthode Coué et de la méthode Trump.
Un pas en avant, un en arrière
Pour sa part, la France, par la voix d'Amélie de Montchalin, du Quai d'Orsay, fait savoir que faute de nouvelles élections portant une autre majorité à Westminster, ou d'un nouveau référendum, autant larguer immédiatement les amarres. De son côté, Michel Barnier n'a pas démenti ses propos antérieurs mais précisé depuis que les propositions britanniques restaient, en l'état, totalement inacceptables. 
Mais ce qui pourrait se produire, c'est que les 27 proposent un report du ou d'un Brexit jusqu'à juin 2020 (le temps que les Britanniques renoncent au Brexit à la suite d'un second référendum, ou qu'un accord soit trouvé avec un autre gouvernement, et ce avant qu'un gouvernement conservateur reconduit puisse opposer un veto au budget de l'UE). Le Parlement britannique devrait voter pour accepter ou rejeter cette offre. L'actuelle majorité composite serait sans doute favorable.
Resterait au Bojo de clamer que les parlementaires trahissent le peuple...
Mais, selon un sondage YouGov-Evening Standard, l'opinion britannique serait en train de se retourner, les partisans du maintien dans l'UE l'emportant. On en serait au score Remain-53—Leave-47.
Souvent, Britania varie, bien fol...
Problème pour divers bunkers : suivre le lectorat (pour The Independent, c'est tout bon, il mène campagne pour le Final Say, un second référendum), ou ne  pas décevoir le lectorat acquis, toujours partisan du Brexit ?
Le Daily Express n'a pas changé son titre, The Independent s'est empressé de titrer sur l'humiliation subie par Boris Johnson et que Michel Barnier lui a infligé devant le Parlement européen.
Le Bojo se refusait à dévoiler totalement ses intentions. Michel Barnier en a eu vent, semble-t-il. Pour résumer son opinion, un mot suffit : bullshit. En linguo de feu Jean-Pierre Coffe, « c'est de la merde ». Car le Bojo rétablit une frontière entre les deux Irlande sous un autre nom, laquelle ne garantit pas grand' chose, que ses propositions sont soit farfelues, soit légalement inapplicables, et que la majorité de l'assemblée nord-irlandaise pourrait mettre son veto à tout accord de la sorte. Entre parenthèses, la Northern Ireland Assembly n'a pas tenu de séance depuis... trois ans. Fermez le ban. 
Selon Günther Oettinger, tous les commissaires européens en conviennent, la partition du Bojo ne vaut pas un clou (ce serait même pire que le scénario de film qu'il avait proposé naguère à un producteur qui a préféré ne pas lui répondre pour éviter de le vexer).
Qu'à cela ne tienne, Boris Johnson s'accrochera à Downing Street, même s'il perdait un vote de confiance. Il exigerait de la reine qui n'en pourrait mais de faire appliquer une disposition (les principes Lascelles, du nom de Sir Alan Lascelles, appliqués en 1950) le maintenant en poste.
Bon, allez, brisons-là. Comme le résume le dessinateur de presse de l'Evening Standard, que le Bojo montre Merkel du doigt et réciproquement importe peu, cela ne répare pas les dégâts... 










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